Compte rendu
Commission d’enquête sur
les défaillances des
pouvoirs publics face à la multiplication des plans
de licenciements
– Audition, ouverte à la presse, de M. Niccolò Ubertalli, directeur général de Crédit commercial de France (CCF), et Mme Delphine de Mailly Nesle, directrice des ressources humaines 2
– Présences en réunion................................13
Jeudi
10 avril 2025
Séance de 10 heures 45
Compte rendu n° 16
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Denis Masséglia, président
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La séance est ouverte à onze heures.
Présidence de M. Denis Masséglia, président.
La commission d’enquête auditionne M. Niccolò Ubertalli, directeur général de Crédit commercial de France (CCF), et Mme Delphine de Mailly Nesle, directrice des ressources humaines.
M. le président Denis Masséglia. Nous recevons à présent la direction de Crédit commercial de France (CCF), qui a annoncé, il y a plusieurs mois, un projet de transformation profonde impliquant la fermeture de plusieurs dizaines d’agences et la suppression d’environ 1 350 emplois.
Je rappelle que ce projet suppose l’établissement et la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) qui fait l’objet d’une négociation, pour quelques semaines encore, entre la direction et les syndicats.
Pour évoquer le sujet, et toutes les questions qui l’entourent, nous allons entendre M. Niccolò Ubertalli, directeur général de Crédit commercial de France, et Mme Delphine de Mailly Nesle, directrice des ressources humaines.
Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, Madame, Monsieur, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Niccolò Ubertalli et Mme Delphine de Mailly Nesle prêtent serment.)
M. Niccolò Ubertalli, directeur général de Crédit commercial de France (CCF). En préambule, je précise que je suis Italien et que j’ai travaillé au sein du groupe UniCredit, dans la banque de détail, pendant plus de vingt ans, dans différents pays européens. Je suis spécialisé dans le redressement des banques de détail en difficulté.
J’ai rejoint le Groupe CCF en janvier 2023. Le CCF a été créé le 1er janvier 2024. Il est issu de la fusion des activités de la banque de détail de HSBC en France et des activités de My Money Bank, une banque de financement spécialisée. Nous servons environ 800 000 clients en France. Nous avons décidé de renommer les activités de HSBC France. Il est désormais question des activités de Crédit commercial de France. Il s’agit d’une marque encore extrêmement forte, même si sa part de marché dans la banque patrimoniale est inférieure à 2 %. My Money Bank est également une institution d’excellence française, héritière de la Société de vente des automobiles Citroën (Sovac), créée par André Citroën en 1919.
Je voudrais évoquer deux points sur l’environnement dans lequel nous évoluons et qui nous conduisent à établir ce plan stratégique. D’abord, le secteur bancaire connaît aujourd’hui une très grande évolution. Cette évolution est mondiale, extrêmement rapide et impulsée par les clients eux-mêmes. L’irruption du smartphone a complètement changé le rapport entre une banque et ses clients, qui ne sont plus que 5 % à se rendre régulièrement dans une agence. À la suite de la pandémie de covid‑19, la vidéoconférence et le téléphone sont devenus les principaux moyens utilisés par nos clients pour contacter leurs conseillers. Nos clients sont maintenant habitués à avoir des réponses immédiates à leurs questions.
Ensuite, malgré son potentiel, le CCF perd plus de 100 millions d’euros par an depuis 2017, soit 500 000 euros par jour. Au total, il a perdu plus de 1 milliard d’euros et, en 2024, ses pertes se sont établies à 200 millions d’euros. Cette situation est insoutenable pour n’importe quelle entreprise ; il convient donc de la faire évoluer. En tant que directeur général, ma responsabilité consiste à agir dans deux directions. Il s’agit, d’une part, de préserver les avoirs de 800 000 Français et, d’autre part, de bâtir un groupe durable pour nos collaborateurs.
Notre plan stratégique repose sur l’idée suivante : il existe une place sur le marché français pour une banque à taille humaine dotée de conseillers, avec un réseau physique, qui s’adresse à une clientèle patrimoniale. Depuis plus d’un an, j’ai visité plus de 120 agences dans l’ensemble du pays, d’Angoulême à Toulouse, de Nîmes à Strasbourg, de Nice à Cannes. J’ai pu constater la puissance de la marque, de ses valeurs, de son enracinement, de la confiance qu’elle suscite. La marque est forte et le CCF doit revivre.
La différence doit résider dans la rapidité du service. Pour cela, il est nécessaire de redonner du pouvoir et de l’autonomie aux agences locales. Par ailleurs, nos clients demandent de plus en plus de produits de gamme supérieure, que nous devons être en mesure de leur fournir. En conséquence, nous devons former nos conseillers, par l’intermédiaire de CCF Académie, une structure mise en place il y a quelques mois.
Notre action vise à sauvegarder une entreprise dans un monde qui change rapidement, peut-être trop rapidement. Fort de mon expérience, je peux affirmer que le statu quo ante n’est pas une option lorsqu’une banque perd 500 000 euros par jour. Le plan de transformation déployé a un coût humain très élevé, dans la mesure où il pourrait impliquer 1 400 suppressions de postes. Cette décision est douloureuse mais profondément réfléchie. Il s’agit de la seule solution pour relancer la banque qui, autrement, serait condamnée à disparaître. Le projet nécessite des efforts importants et je n’aurais pas accepté ce poste si mon investisseur ne m’avait pas assuré qu’aucun dividende ne serait versé avant que le déploiement du plan ne soit achevé.
Nous sommes conscients de la situation difficile que vivent nos collaborateurs et nous nous efforçons de les accompagner de la manière la plus adéquate possible. À cet effet, nous avons mis en place des formations sur la prévention des risques professionnels. Je me rends également dans les agences pour parler avec les collaborateurs et les tenir informés de l’avancement du projet.
Je souhaite d’ailleurs vous faire part de quelques petits succès. Aujourd’hui, certaines agences expérimentent un dispositif permettant de donner un accord de principe pour un crédit immobilier en moins d’une heure. Sous le régime antérieur, il aurait fallu trois jours pour donner cet accord. Par ailleurs, nous avons déjà formé plus de 150 banquiers alors que CCF Académie a vu le jour en novembre dernier. Je suis également fier d’avoir obtenu, grâce à ce projet, la confiance de 200 investisseurs étrangers, qui nous ont permis de financer 2 000 prêts immobiliers pour des familles françaises en 2024, un record depuis 2019.
Ce plan de transformation est mis en œuvre à travers un dialogue social exigeant, qui nous oblige à accompagner nos collaborateurs avec des mesures de repositionnement interne tout en nous assurant de la pérennité de la banque.
Nous avons obtenu une prorogation du délai de deux mois pour pouvoir approfondir encore les échanges. Nous partageons avec les syndicats le même objectif : réduire le nombre de départs forcés et pérenniser l’existence de la banque. Le nombre d’agences et de postes qui pourraient être touchés a diminué depuis le début des négociations. Nous avons réussi à garantir la rentabilité d’environ 150 postes et quinze agences.
Je conclus mon intervention en répondant à quatre questions qui nous ont été posées.
Pourquoi cette activité a-t-elle été vendue ? Le modèle de la banque de détail globale est un échec, encore plus lorsqu’une banque française est gérée depuis Londres ou Hong Kong. Le modèle qui fonctionne est celui de la banque nationale, et même locale.
Pourquoi la banque HSBC a-t-elle vendu ses actifs pour un euro et nous a‑t‑elle donné 2,5 milliards d’euros ? Nous devons détenir 2,2 milliards d’euros de fonds propres en application des exigences des régulateurs, c’est-à-dire de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). J’ai travaillé dans treize pays européens et je peux vous dire que votre régulateur et votre structure bancaire figurent parmi les meilleurs que j’ai connus. La différence entre ces deux montants, à savoir 300 millions d’euros, correspond à l’addition des pertes pour les années 2024 et 2025.
Pourquoi aucune banque française n’a-t-elle repris ces activités ? Toutes les banques ont étudié le dossier et ont estimé que le chèque devait être supérieur à 2,5 milliards d’euros. De plus, même les banques françaises de détail qui sont rentables mettent en place des plans de licenciements. De notre côté, nous ne sommes pas rentables et nous ne versons pas de dividendes. En revanche, nous payons des bonus à nos employés, qui ont reçu 15,4 milliards d’euros cette année à ce titre.
Enfin, pourquoi un fonds d’investissement comme Cerberus a-t-il choisi de reprendre cette activité ? Cerberus est spécialisé dans la relance des banques de détail. Il l’a fait avec beaucoup de succès en Allemagne et en Autriche. Il a investi 400 millions d’euros sur ses fonds propres dans CCF, parce qu’il croit au projet et au système bancaire français.
Je veux souligner la qualité de nos échanges avec l’ensemble des interlocuteurs publics. Nous avons travaillé avec l’ACPR, qui a analysé le projet en profondeur, lequel a d’ailleurs été approuvé par la Banque centrale européenne (BCE). Nous avons également travaillé avec la direction générale du Trésor, qui a toujours été informée des démarches que nous voulions entreprendre, et avec la direction régionale et interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Drieets) d’Île-de-France, qui nous a posé de multiples questions aux fins d’améliorer le projet.
En résumé, notre projet exige des efforts importants, et j’en ai conscience. Il ne s’agit pas de maximiser les profits, mais de sauver une banque française historique menacée de disparition.
M. le président Denis Masséglia. Vous avez présenté l’évolution des usages qui touche le secteur de la banque. Vous avez notamment évoqué la numérisation des démarches et son impact sur votre entreprise. Vous avez précisé que vous avez pris une décision douloureuse mais réfléchie. Pourquoi n’avez-vous pas dit que la décision était douloureuse mais réfléchie et prise avec les salariés ? Pourquoi n’avez-vous pas davantage intégré les salariés dès le début dans les travaux relatifs à la transformation du groupe ?
M. Niccolò Ubertalli. Nous avons beaucoup réfléchi à ce projet. J’ai visité 120 agences en un an avant de le lancer, ce que les directeurs généraux n’avaient jamais fait au cours des dix dernières années. Je peux vous garantir qu’il n’existe pas de recette magique. Tout dépend du pays, des employés, des produits, des clients, de la marque. Il faut d’abord comprendre tout cela. Ce plan n’a pas été établi à partir d’un fichier Excel ; il est né après un an de discussions avec la base. Les collaborateurs, dans les agences, reconnaissent d’ailleurs qu’aucun autre directeur général n’était allé les voir de manière aussi régulière.
Mme Delphine de Mailly Nesle, directrice des ressources humaines de CCF. Ce plan n’a pas été construit par le seul comité de direction. Chacun d’entre nous s’est entouré de collaborateurs pour y réfléchir, de manière à y intégrer le plus possible les remontées du terrain.
M. Niccolò Ubertalli. Le document présenté après un an de discussions est un projet, pas un plan. Nous y avons intégré des éléments rapportés du terrain. Nous avons par exemple réduit de plus de 20 % le nombre d’agences affectées. Nous parviendrons peut-être à sauver encore 150 postes. Pour le moment, il ne s’agit que d’un projet. Le plan sera ficelé le 7 juillet, lorsque les négociations seront achevées. Je ne négocie pas pour gagner du temps mais parce que je crois au dialogue avec les syndicats et les collaborateurs.
Mme Delphine de Mailly Nesle. Dans certaines entreprises, le plan est finalisé avant le début des négociations. Ce n’est pas comme cela que notre projet a été conçu. M. Ubertalli a toujours indiqué que le projet était indispensable mais qu’il serait ajusté pour tenir compte des remontées du terrain et des apports des collaborateurs. Cette approche est spécifique au CCF : le projet est défini dans ses grandes lignes, mais il n’est pas arrêté.
M. le président Denis Masséglia. Je ne suis pas là pour juger la qualité du plan ou faire des commentaires sur le nombre de vos déplacements. Si je comprends bien, ce plan est appelé à évoluer pour tenir compte des échanges avec les salariés de l’entreprise. En conséquence, je reformule ma question. Pourquoi n’avez-vous pas associé les syndicats dès le début pour construire le plan ? Pourquoi n’avez-vous pas travaillé plus tôt avec les représentants des salariés ?
M. Niccolò Ubertalli. En tant que directeur général, je m’efforce de représenter tout le monde. J’ai échangé avec les syndicats, avant même que la banque ne devienne CCF. Le dialogue a été permanent, dans le respect des exigences légales. Pour moi, il est important de parler avec tout le monde, non seulement avec les représentants des salariés, mais aussi avec les collaborateurs. Encore une fois, le projet n’a pas été établi avec le comité exécutif. Il tient compte des échanges que j’ai pu avoir sur le terrain, où j’ai recueilli de très bonnes idées exprimées par des personnes qui travaillent dans la banque depuis parfois trente ans. Aurions-nous pu discuter davantage avec les représentants des salariés ? Peut-être.
M. le président Denis Masséglia. Je précise qu’il s’agissait d’une question, et pas d’un point de vue, même si j’ai une opinion sur la question.
Mme Delphine de Mailly Nesle. Nous avons commencé à échanger avec les partenaires sociaux sur ce projet dès le mois de juillet 2024, en procédant volontairement par étapes. Au mois d’octobre, nous avons présenté un projet d’orientation stratégique aux syndicats, qui ont pu mandater un expert. Ils ont donc été associés en amont. Nous avons pu modifier certains éléments.
M. le président Denis Masséglia. Vous avez indiqué que le respect de la loi a eu une incidence sur les échanges avec les syndicats. Pensez-vous que la législation a constitué un frein à la discussion avec ces derniers ? Si tel est le cas, quelles modifications pourraient être apportées à la législation pour améliorer le dialogue social au sein des entreprises à l’occasion de la mise en œuvre d’un PSE ?
M. Niccolò Ubertalli. J’ai suffisamment vécu à l’étranger pour savoir qu’il serait très prétentieux pour un Italien vivant en France depuis deux ans de prodiguer un conseil à des parlementaires français. Dans certains pays, le dialogue social est moins présent qu’en France. Cela étant dit, au début, j’aurais voulu pouvoir être plus libre de mener une discussion ouverte et franche, moins corsetée, sans courir le risque de voir mes propos mal interprétés.
M. le président Denis Masséglia. Rassurez-vous, nous essayons de comprendre et de trouver des solutions. Je retiens de vos propos que vous avez été accompagné par des experts pour déterminer le cadre légal des échanges avec les syndicats et agir dans le respect de la législation. Je vous suggère de nous adresser par écrit vos propositions d’amélioration du cadre juridique, qui seront utiles pour notre réflexion.
M. Benjamin Lucas-Lundy, rapporteur. Monsieur Ubertalli, je vous avoue être quelque peu troublé par votre propos. En effet, j’ai le sentiment qu’il ne rejoint pas du tout celui des organisations syndicales avec lesquelles nous avons échangé. À vous écouter, le dialogue social serait fluide et le projet aurait été construit avec les représentants du personnel. Or, pendant plus d’une heure et demie, les représentants syndicaux ont parlé de la souffrance des salariés, qui existait pour partie avant votre arrivée, depuis le projet de cession de HSBC. Selon eux, le dialogue social est insatisfaisant. Il existe donc un écart d’appréciation sur la nature de ce dialogue et sur vos choix stratégiques. Comment percevez-vous cette souffrance, cette angoisse et cette appréciation de la mauvaise qualité du dialogue social ? Aujourd’hui, les représentants des salariés nous font part d’un sentiment de colère et d’angoisse très présent au sein de l’entreprise.
Mme Delphine de Mailly Nesle. Chaque semaine, depuis le 7 janvier, nous passons trois jours sur cinq à échanger avec les partenaires sociaux, Le dialogue social est intense, mais il est exact que ce PSE est important et fait peser une très lourde responsabilité sur leurs épaules, mais également sur les nôtres.
Nous avons répondu à plus de 650 questions posées par les représentants des salariés et leurs experts. Nous y consacrons beaucoup de temps. Le dialogue social est exigeant mais il est de qualité et nous sommes parvenus à avancer sur un certain nombre de sujets. Par exemple, nous avons rapproché un certain nombre de catégories professionnelles pour répondre à leurs demandes et réduire le nombre de départs forcés. Nous avons d’ailleurs parfois dû faire machine arrière sur ces rapprochements dans la mesure où ils ne convenaient pas à tous les collaborateurs.
Naturellement, nous ne pouvons pas accéder à toutes leurs demandes car il nous appartient de garantir la pérennité de l’entreprise. Cependant, nous avons accepté une partie d’entre elles, afin de faire évoluer le projet dans la bonne direction.
M. Niccolò Ubertalli. Lorsque je suis arrivé, je n’avais pas été informé que l’entreprise perdait plus de 150 millions d’euros par an alors qu’elle faisait partie d’un très grand groupe, HSBC, très profitable. Un PSE de cette ampleur est difficile à mettre en œuvre compte tenu de ses conséquences au plan humain. Je comprends le désarroi de nos interlocuteurs mais notre travail consiste notamment à leur faire comprendre que les autres solutions, que nous avons étudiées et discutées, ne sont pas envisageables.
Si nous n’agissons pas, la situation empirera. Je dois expliquer les choses, écouter tout le monde et, à la fin, prendre mes responsabilités. Il n’empêche que je comprends que les bouleversements induits par le PSE sont difficiles à vivre pour les personnes concernées.
M. le rapporteur. Les représentants syndicaux estiment que HSBC a, en réalité, choisi d’externaliser son plan social. Quelle est votre opinion à ce sujet ? De plus, ils considèrent que les termes du plan social auraient été plus favorables s’il avait été mis en œuvre par HSBC, ce qui contribue à accroître leurs souffrances.
M. Niccolò Ubertalli. Je respecte les opinions de chacun. Je sais que HSBC voulait sortir de la banque de détail en Europe, car elle perdait de l’argent. De fait, elle en est sortie, partout. Il ne m’appartient pas de juger la stratégie de HSBC.
M. le rapporteur. Mon intention n’est pas de vous demander de commenter la stratégie de vos prédécesseurs. Parmi les agences que vous allez fermer, certaines sont-elles rentables ? Pouvez-vous nous éclairer sur les critères qui vous ont conduit à choisir certaines agences plutôt que d’autres ?
M. Niccolò Ubertalli. Je rappelle que la banque perd 500 000 euros par jour. Pensez‑vous que je vais fermer les agences qui gagnent de l’argent ? Si tel était le cas, je mettrais en danger la pérennité de la banque, laquelle perdrait 400 millions d’euros l’année prochaine.
M. le rapporteur. Vous assurez donc à notre commission d’enquête que, parmi les agences que vous fermez, aucune n’est rentable, n’est-ce pas ? Je souhaiterais que vous répondiez également à ma question sur les critères ayant présidé au choix des agences à fermer.
M. Niccolò Ubertalli. Nous avons retenu différents critères. Tout d’abord, pour des raisons pratiques, il n’est pas raisonnable que les agences comptent moins de trois personnes. Quand deux d’entre elles partent en vacances ou doivent s’absenter temporairement, l’agence doit fermer. Près de la Gare de l’Est, j’ai constaté qu’une jeune femme était obligée de gérer l’agence toute seule.
Ensuite, certaines agences sont tellement proches les unes des autres que leurs salariés respectifs peuvent se voir ! Les agences de Nation et de Colonnes du Trône sont distantes de quelques centaines de mètres seulement. Il ne sert à rien de dépenser inutilement 500 000 euros de loyer, soit l’équivalent du salaire de dix personnes. Je préfère fermer une agence et sauver dix emplois. Du reste, 72 % des agences qui ferment sont situées à Paris ou dans de grandes villes. Seulement 10 % des fermetures interviennent dans des villes plus petites. À Montbéliard, il y a treize banques différentes. Les habitants ont-ils vraiment besoin d’en avoir une quatorzième ? À Besançon, nous avons 297 clients, mais la ville compte dix-sept banques.
Le CCF représente 2 % de parts de marché. Nous disposons de 200 agences sur les 30 000 que compte la France. Le CCF est surtout une banque urbaine. Cela étant dit, quinze agences ont été sauvées dans les petites villes parce que des chefs d’agences ont su me convaincre qu’ils pourraient relever le défi. Je pense par exemple à celui de l’agence d’Aubigny-sur-Nère, qui m’a écrit en décembre pour me présenter un plan. C’est la raison pour laquelle je mets l’accent sur l’autonomie des agences.
Mme Delphine de Mailly Nesle. J’ajoute qu’une fermeture d’agence n’implique pas nécessairement une suppression des postes. Les collaborateurs sont invités à rejoindre des agences à proximité. Nous préservons toutes les forces commerciales.
M. le rapporteur. Quelles informations pouvez-vous nous transmettre au sujet des velléités d’investissements du fonds Cerberus ? Quelle est la stratégie de revente, une fois que le CCF sera redevenu rentable, après la mise en œuvre du PSE ?
M. Niccolò Ubertalli. Le fonds Cerberus reçoit de l’argent de la part de fonds souverains, de fonds de pension, qu’il est chargé de gérer. Ce fonds détient ses investissements pour une période de sept à dix ans, voire plus. Cerberus possède quatre banques en Europe depuis sept ans et en a vendu une après onze ans. En Autriche, le fonds Cerberus possède une banque depuis sept ans. La banque était en faillite. Elle a été redressée et il s’agit aujourd’hui de la banque la plus profitable du pays. Ses employés sont les mieux payés. Ils ne l’ont pas vendue, mais introduite en bourse.
J’ai visité les agences pendant une année, avant de considérer qu’une restructuration importante était nécessaire pour pouvoir relancer la banque. J’ai indiqué que je n’accepterais ce poste qu’à la condition que Cerberus ne touche pas de dividendes pendant la durée de déploiement du plan. Le fonds a dépensé 400 millions d’euros dans le projet et a perdu 200 millions d’euros cette année, tout en payant les employés. A contrario, en France, d’autres banques gagnent de l’argent mais mettent en œuvre des plans sociaux et versent des dividendes à leurs actionnaires. Cerberus a aussi accepté que 20 % des gains supérieurs aux objectifs, une fois la banque redevenue profitable, soient distribués aux employés.
M. le président Denis Masséglia. Pourrez-vous nous indiquer le montant de l’intéressement et de la participation pour cette année ?
Mme Delphine de Mailly Nesle. Il s’agit d’un intéressement versé dans le cadre d’un accord exceptionnel. Son montant sera de 1 000 euros par personne. Les collaborateurs ont également reçu une prime de partage de la valeur, ont bénéficié d’une augmentation générale et certains d’entre eux ont même obtenu une augmentation individuelle.
M. Niccolò Ubertalli. L’investisseur a perdu 200 millions d’euros cette année mais a tout de même accepté de verser aux salariés une prime de partage de la valeur. Beaucoup d’investisseurs auraient refusé de le faire.
M. le rapporteur. Je suis stupéfait par le décalage qui existe entre les angoisses décrites par les représentants des salariés et votre présentation de la situation. Mais nous ne sommes pas là pour organiser le dialogue social dans votre banque.
Les représentants des salariés jugent par ailleurs que vos investissements dans la banque sont trop faibles. Pouvez-vous nous décrire vos objectifs en la matière ? Ils nous ont également suggéré de vous demander de nous présenter votre projet, votre vision stratégique pour l’entreprise dans le futur.
M. Niccolò Ubertalli. Je me suis efforcé de vous présenter objectivement les décisions de l’investisseur, mais je ne peux pas empêcher certaines personnes de penser que Cerberus revendra dans deux ans.
M. le rapporteur. Votre présentation a été convaincante, mais quelle est la démarche de Cerberus ?
M. Niccolò Ubertalli. Je vous le dis en conscience : vous ne vous rendez pas suffisamment compte de la valeur de la marque CCF. Je suis convaincu que le CCF retrouvera sa splendeur passée une fois cette période difficile derrière nous. Il ne s’agit pas d’être la plus grande banque de France, la plus internationale, mais une banque à taille humaine, dans laquelle les conseillers connaissent les clients parce qu’ils y travaillent depuis longtemps. Les agences seront autonomes et pourront répondre aux demandes des clients dans les plus brefs délais, sans attendre la réponse du siège à Paris.
Notre investisseur souhaite clairement obtenir un retour sur investissement, ce qui est normal. Mais il n’a aucune velléité de départ d’ici deux ans. Il n’a vendu qu’une seule banque, après l’avoir détenue onze ans.
D’ici 2027, nous allons commencer à faire des investissements structurels, notamment dans le domaine de l’informatique, à hauteur de 100 millions d’euros. Je connais bien ces sujets. J’ai notamment été le responsable de l’Europe de l’Est pour une grande banque italienne. Dans ces grandes structures, il est nécessaire de présenter des grands projets au conseil d’administration, pour capter son attention.
Les besoins du CCF sont toutefois différents. Il n’est pas nécessaire de mettre en place une plateforme qui coûterait plusieurs dizaines de milliards d’euros. 100 millions d’euros, cela représente une somme importante, qui doit être mise en perspective avec la taille de notre groupe et de nos effectifs. Les clients du CCF ont besoin de réponses rapides, simplifiées, autonomes. Les partenaires sociaux peuvent exprimer leurs doutes, mais notre équipe possède une solide expérience et a des réalisations concrètes à son actif.
Le dispositif expérimental qui permet de donner un accord de principe pour un crédit immobilier en moins d’une heure fonctionne bien. Nous voulons le mettre en place dans toutes nos agences, en dépit des réticences qui peuvent exister ici ou là. C’est la raison pour laquelle je discute avec la base. Toutes les agences veulent mettre en place cette procédure. Je dois démontrer, avec le temps, que mes paroles ne sont pas vaines. Ce dispositif est peu coûteux – quelques dizaines de milliers d’euros – mais il est très efficace.
Je suis convaincu que les banques demandent trop de choses à leurs clients. Par exemple, une de mes banques m’a demandé le montant de mon salaire alors même qu’il est crédité chaque mois sur mon compte.
Mme Delphine de Mailly Nesle. Nous avons installé une école de formation, CCF Académie. Son budget s’élève à 5 millions d’euros par an. La formation porte à la fois sur les expertises techniques et le savoir-être. L’objectif consiste à travailler sur l’employabilité des collaborateurs, délaissée ces dernières années, afin de leur donner une expertise comparable à celle des meilleurs collaborateurs sur le marché.
Nous investissons dans l’humain. Lorsque j’ai rejoint l’entreprise il y a un an, j’ai été frappée par l’engagement des collaborateurs. Les primes de partage de la valeur ou l’intéressement exceptionnel traduisent la volonté du CCF de reconnaître cet engagement dans un contexte de transformation importante. Il est normal que cette transformation paraisse compliquée, inquiétante. Cela est humain.
C’est pourquoi nous avons mis en place un accompagnement à la transformation, afin que les collaborateurs puissent mieux appréhender les changements en cours et à venir. Les ateliers de travail déployés ont pour objectif de leur faire sentir de manière plus concrète ce que sera l’agence de demain et les rôles des différents acteurs.
M. Niccolò Ubertalli. Sur les 400 millions d’euros investis par Cerberus, 300 millions d’euros sont orientés vers l’humain, l’accompagnement et 100 millions d’euros vers le digital. Je pèse mes mots. Le CCF est une banque à taille humaine : 75 % des investissements sont dirigés vers l’humain alors que les banques prennent toutes le chemin de la digitalisation. C’est pourquoi les clients se sentent de moins en moins attachés à leurs banques. Dans une banque patrimoniale comme le CCF, la relation humaine est fondamentale, y compris en 2024.
M. le rapporteur. Il convient de faire attention aux mots employés, surtout quand le discours sur « l’humain » s’accompagne de centaines de postes supprimés. J’ai pris note de la création de la CCF Académie mais je ne peux m’empêcher de penser que ces 5 millions d’euros auraient peut-être pu permettre de sauvegarder quelques emplois.
Notre commission d’enquête s’intéresse notamment au rôle des pouvoirs publics dans l’accompagnement des entreprises en difficulté. Nous avons besoin de comprendre la situation dans laquelle vous vous trouvez et je vous remercie d’avoir répondu aux questions précédentes. Dans votre propos introductif, vous avez salué la qualité des échanges avec les interlocuteurs institutionnels. Pouvez-vous donner le détail du contenu de ces échanges ?
Au demeurant, avez-vous eu des discussions avec des représentants gouvernementaux ? Si tel est le cas, dans quelles conditions et à quelle fréquence ? Ont-ils cherché à vous convaincre de procéder autrement et de maintenir le plus grand nombre d’emplois ? Ont-ils formulé des propositions d’accompagnement et de soutien à votre attention ?
M. Niccolò Ubertalli. Vous avez raison de souligner que le plan implique malheureusement la suppression potentielle de 1 400 postes. Mais je tiens à rappeler quelques chiffres : les pertes s’élevaient à 125 millions d’euros en 2017, 194 millions d’euros en 2018, 168 millions d’euros en 2019, 236 millions d’euros en 2020 et 199 millions d’euros en 2024. Au total, les pertes s’élèvent à plus d’un milliard d’euros. Pendant dix ans, la banque a perdu de l’argent.
Je vous assure que la décision de se séparer potentiellement de 1 400 personnes est très lourde. J’en assume la pleine responsabilité. Je pense aussi tous les jours aux 2 600 personnes dont l’emploi est préservé.
Peut-être ai-je eu tort de n’établir qu’un seul plan social. Cela n’est pas toujours le cas en France. Le choc initial est fort, cela est vrai. Mais, dans un an, je pourrai regarder les collaborateurs dans les yeux sans avoir à leur annoncer la mise en œuvre d’un nouveau plan. Je continuerai à me rendre dans les agences, cette année et l’année prochaine, et personne ne me jettera de tomates à la figure.
M. le rapporteur. Vous indiquez que, dans le secteur bancaire, les structures mettent parfois en œuvre plusieurs plans sociaux successivement, lesquels aboutissent à la suppression de beaucoup d’emplois, et même de plus d’emplois qu’au CCF. Ai-je bien compris ? Si tel est le cas, cela pourrait nous conduire à convoquer d’autres banques devant la commission d’enquête.
M. Niccolò Ubertalli. La situation est différente, parce que les plans en question incluent des départs volontaires. J’ai essayé de faire la même chose lorsque je suis arrivé. Mais si je n’avais procédé que de cette manière, la pérennité de la banque n’aurait pas été assurée et j’aurais dû déployer un autre plan. Par ailleurs, certaines banques peuvent se permettre de déployer des plans de départ volontaire parce qu’elles gagnent beaucoup d’argent. Tel n’est pas notre cas. Quoi qu’il en soit, il ne me revient pas de porter un jugement sur le mode de fonctionnement des autres banques.
Nous avons échangé avec l’ACPR car nous avions besoin de son accord pour acheter HSBC France. J’ai connu treize régulateurs bancaires différents et je peux dire que l’ACPR dispose d’un niveau d’expertise très élevé. Ses membres connaissent extrêmement bien le secteur bancaire. Leurs questions étaient particulièrement exigeantes. L’Autorité a validé le rachat de HSBC France, au même titre que la BCE.
Nous avons également échangé avec le directeur du Trésor, que nous avons informé avant et après avoir acheté la banque mais aussi avant d’établir le plan. Les discussions ont surtout porté sur les aspects techniques et économiques, les prêts immobiliers notamment.
Enfin, nous avons beaucoup échangé avec la Drieets d’Île-de-France.
Mme Delphine de Mailly Nesle. Nous échangeons en effet très régulièrement avec les services déconcentrés de l’État. Un premier échange, qui a duré sept heures, a permis de passer en revue l’intégralité des livres du PSE. Nous avons reçu un document de douze pages formulant des demandes de compléments, comme vous l’ont indiqué les partenaires sociaux. Nous sommes en train de répondre à ces demandes, qui nous ont permis d’améliorer le projet.
J’ajoute que nous avons des échanges téléphoniques réguliers avec les services. Nous obtenons de bons conseils de leur part, en particulier au sujet de la prévention des risques psychosociaux (RPS), qui constitue un point d’attention majeur. Ainsi, nous avons mis en place un dispositif de grande ampleur pour prévenir ces risques, avant même l’annonce du plan, qui a d’ailleurs été salué par l’autorité administrative.
Mme Sophie-Laurence Roy (RN). Je vous remercie pour vos explications, qui sont très éclairantes. Si j’ai bien compris, vous estimez disposer d’un délai de sept ans pour réduire progressivement les pertes annuelles, rééquilibrer les comptes, verser des dividendes à l’investisseur et, éventuellement, verser de la participation aux collaborateurs, en fonction de l’atteinte des objectifs.
Notre commission d’enquête a pour objet d’évaluer les défaillances des pouvoirs publics face à la multiplication des plans de licenciements. Pour qu’une entreprise évite de licencier, elle doit pouvoir faire des bénéfices. Ma question est donc la suivante : comment les pouvoirs publics peuvent-ils vous aider à dégager des bénéfices avant que le délai de sept ans ne soit échu, de manière à ce que prennent fin les licenciements ?
M. Niccolò Ubertalli. Je ne me suis peut-être pas exprimé avec suffisamment de clarté. Compte tenu des atouts dont dispose la banque en matière de capital, de personnels et de clients, j’espère pouvoir dégager des bénéfices en 2027, soit trois ans après la reprise. Ce temps est nécessaire pour bien faire les choses.
Votre question est très intéressante, mais il est difficile d’y répondre. Encore une fois, je suis en France depuis deux ans et je ne veux surtout pas paraître prétentieux. J’ai relancé neuf banques, à travers neuf plans différents, et je peux vous garantir qu’aucune banque n’est identique à une autre. Si j’avais été soumis à une loi spécifique, je pense qu’elle aurait plutôt constitué un élément de blocage.
Nous prenons des décisions, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, de bonne foi. Comme je l’ai indiqué précédemment, certaines banques françaises très solides et puissantes établissent des plans de départ volontaire tout en versant des dividendes. Mais ces plans ne sont possibles que parce que ces banques gagnent beaucoup d’argent. Notre cas est bien différent : nous sommes une petite banque, qui perd de l’argent et qui ne verse pas de dividendes. Une loi ne permettrait donc pas de répondre à tous les cas de figure.
Je suis honoré que vous m’ayez posé la question mais, très humblement, je n’ai jamais rédigé une loi. Il m’est donc difficile de prodiguer des conseils au législateur français.
Mme Sophie-Laurence Roy (RN). D’une certaine manière, votre réponse est très claire. Trop de lois, c’est ennuyeux pour vous.
M. Niccolò Ubertalli. Les lois sont nécessaires. Si elles sont trop souples, si la dérégulation est trop importante, les dépôts bancaires s’évaporent, les gens ne pensent plus qu’à gagner de l’argent, toujours plus d’argent. Je crois qu’il y a une limite à tout dans la vie. Je préfère le système européen au système américain. Si vous aviez une baguette magique pour trouver le bon équilibre, j’en serais ravi. Je ne peux pas répondre à votre question de manière pleinement satisfaisante.
M. le président Denis Masséglia. Je vous propose de compléter nos échanges en répondant par écrit au questionnaire que nous vous avons transmis. Je vous remercie.
La séance s’achève à douze heures vingt-cinq.
Présents. – M. Benjamin Lucas-Lundy, M. Denis Masséglia, Mme Sophie-Laurence Roy