Compte rendu

Commission d’enquête sur
les défaillances des
pouvoirs publics face à la multiplication des plans
de licenciements

 

– Audition, ouverte à la presse, de M. André Calisti, président de Mutares France, et M. Henri-Pierre Garnier, directeur des investissements              2

– Présences en réunion................................12

 


Mercredi
30 avril 2025

Séance de 19 heures

Compte rendu n° 24

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Denis Masséglia, président
 

 


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La séance est ouverte à dix-neuf heures dix.

Présidence de M. Denis Masséglia, président.

La commission d’enquête auditionne M. André Calisti, président de Mutares France, et M. Henri-Pierre Garnier, directeur des investissements.

M. le président Denis Masséglia. Nous terminons nos auditions de ce jour avec M. André Calisti, président de Mutares France, et M. Henri-Pierre Garnier, directeur des investissements.

La société Mutares, d’origine allemande et présente aujourd’hui dans plusieurs pays, est spécialisée dans l’acquisition de branches d’activités de grands groupes ainsi que d’entreprises en situation de transition ou de difficulté. Selon les informations publiées sur son site internet, la société intervient avec l’objectif de valoriser le potentiel de développement des entreprises « cibles » et de les placer sur une trajectoire de croissance durable moyennant la mise en œuvre d’un processus structuré de redressement.

Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, Messieurs, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. André Calisti et M. Henri-Pierre Garnier prêtent serment.)

M. André Calisti, président de Mutares France. Je collabore avec Mutares depuis 2012 et j’ai pris la présidence de Mutares France depuis février 2025. Je passe globalement 70 % de mon temps en France, 20 % en Italie et 10 % au Royaume-Uni. J’ai également occupé les fonctions de président dans plusieurs participations de Mutares, comme Cenpa, STS Group, Clecim ou Walor. Dernièrement, j’avais en charge la direction des ressources humaines, des affaires sociales et publiques du Groupe Lapeyre.

M. Henri-Pierre Garnier, directeur des investissements. Pour ma part, j’exerce les fonctions de directeur des investissements depuis près de dix ans. J’ai la chance de pouvoir étudier de nombreux dossiers d’investissement, qui concernent principalement des sociétés en difficulté. À ce titre, j’ai l’occasion d’échanger chaque année avec plusieurs dizaines, voire centaines de dirigeants d’entreprise, de pouvoir analyser leurs problématiques et de voir comment Mutares peut y répondre.

M. Benjamin Lucas-Lundy, rapporteur. Notre commission d’enquête s’intéresse à la manière dont les pouvoirs publics agissent face aux plans sociaux et interviennent dans des situations économiques complexes. Pour commencer, je souhaite vous interroger sur la relation de Mutares avec le pouvoir exécutif, la fréquence de vos rencontres et de vos rendez‑vous avec ses représentants. J’ai notamment en tête une lettre de félicitations que le Président de la République avait adressée à Mutares, ce qui n’est pas fréquent. Quel est l’état de vos relations avec les pouvoirs publics ? Rencontrez-vous fréquemment les ministres en charge des sujets économiques et industriels, des membres de leurs cabinets ou de l’administration ?

M. André Calisti. Si je devais résumer notre travail en quelques mots, je dirais que lorsque Mutares s’intéresse à un dossier d’entreprise, elle agit d’abord comme un médecin auprès d’un patient. Pendant cent jours, nous essayons de comprendre les difficultés, les obstacles, les contraintes rencontrés par l’entreprise. Dans le cadre de cette méthode, le chapitre des relations avec l’État est très important. Dès lors que nous arrivons dans l’entreprise, nous essayons de rencontrer l’ensemble des interlocuteurs, les députés, les sénateurs, la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets), afin de présenter notre méthode de travail. Nous jouons la carte de la transparence vis-à-vis des décideurs politiques et administratifs.

De manière plus spécifique, nous organisons des rencontres avec la délégation interministérielle aux restructurations d’entreprises (Dire) et le service économique de l’État en région (Seer), de manière périodique. Nous répondons également aux sollicitations des députés et des sénateurs qui nous contactent pour évoquer les difficultés de sociétés implantées dans les territoires au sein desquels ils sont élus. Il est important pour nous d’expliquer la manière dont nous travaillons. C’est la raison pour laquelle nous convions les représentants des pouvoirs publics, mais aussi nos détracteurs, à venir découvrir la méthode que nous mettons en œuvre. En résumé, ces rencontres avec les pouvoirs publics sont régulières et systématiques.

M. le rapporteur. À quand remontent les derniers rendez-vous avec les ministres ou les membres de leurs cabinets ? Quelle en est la fréquence ?

M. André Calisti. Laissez-moi vous donner un exemple. Nous avons rencontré des difficultés sur deux sites ardennais appartenant à l’entreprise Walor. Avec l’État et la Dire, nous avons travaillé en vue de la cession de ces deux sites. Notre travail consiste à trouver un repreneur capable de donner un destin plus favorable aux sites en question. Nous avons ainsi organisé une dizaine de rendez-vous avec la Dire. Le repreneur n’a pas gardé la totalité des salariés, mais à tous les instants du processus, l’État a été informé et a compris notre intervention. Dès lors, il peut bien mieux apporter sa contribution.

M. Henri-Pierre Garnier. Au-delà de l’aspect ponctuel de ces discussions sur un dossier précis, je dirais que nos échanges avec la Dire, notre principal interlocuteur, ont lieu selon une fréquence mensuelle. Aujourd’hui, Mutares opère à peu près dans vingt‑cinq sites de production en France, comptant près de 4 000 employés et faisant 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

Comme vous le savez, nous reprenons des sociétés qui connaissent des situations difficiles. Nos échanges ont pour objet de donner les informations pertinentes aux pouvoirs publics sur les actions menées dans les sociétés reprises, mais aussi de réfléchir à des solutions à propos d’autres dossiers.

M. le rapporteur. Ma question portait également sur les décideurs politiques, puisque vous avez évoqué les députés et les sénateurs qui vous sollicitent. Pourriez-vous donner des exemples et, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, donner le détail de vos rendez-vous avec les décideurs politiques ? Nous souhaiterions connaître la fréquence et la nature de ces rencontres.

M. André Calisti. Dans le cas du dossier relatif aux deux sites précédemment mentionnés, nous avons organisé une réunion hebdomadaire avec les maires intéressés, les députés des Ardennes, la Dreets et un certain nombre d’autres acteurs publics. Nous pourrons vous transmettre le nom des personnes présentes et le contenu de leurs interventions, puisque nous avons produit des comptes rendus. Chaque semaine, nous faisions un point sur les actions entreprises et celles à venir.

Avant que le processus ne s’achève, nous avons organisé entre quatre et cinq réunions avec l’ensemble des collaborateurs touchés par les difficultés décrites précédemment et nous avons invité les députés à venir s’exprimer et comprendre de manière technique et opérationnelle les situations que nous vivions. Ces échanges ont fortement contribué à construire la solution. C’est la raison pour laquelle il est fondamental pour nous d’impliquer les décideurs administratifs et politiques dès les premiers jours.

M. le rapporteur. Pourriez-vous nous indiquer également la fréquence des rencontres avec les membres du Gouvernement ou avec d’autres membres de l’exécutif ?

M. André Calisti. Oui. Je peux vous faire part d’une anecdote à ce titre. Un soir, j’ai reçu un appel de la part d’un numéro masqué. Lorsque j’ai décroché, je me suis aperçu que mon interlocutrice était la ministre de l’emploi, qui souhaitait que je la tienne informée de l’évolution des deux dossiers ardennais. Elle en avait déjà une certaine connaissance, mais elle voulait disposer d’un exposé plus clair de la situation. Pendant deux mois, nous avons échangé par messages écrits, puis les contacts ont cessé lorsque le processus s’est achevé. Par ailleurs, nous avons rencontré une fois le directeur de cabinet adjoint du ministre de l’industrie, M. Marc Ferracci, en octobre 2024. Il s’agissait de faire le tour complet des participations que nous avions acquises. Nous avons continué à échanger régulièrement, mais depuis le début de l’année 2025, nous n’avons plus de contact.

M. le rapporteur. Les décideurs publics ont-ils cherché à obtenir de votre part des engagements sur le maintien de l’emploi ou la pérennisation d’un site ? J’imagine qu’un membre du Gouvernement ne vous appelle pas uniquement pour accéder à des informations, mais également pour formuler des demandes ou, à tout le moins, des recommandations.

M. André Calisti. Je souhaite vous répondre en deux temps. D’abord, les informations reçues par les décideurs publics et l’État sont parfois orientées ou lacunaires. Ensuite, il nous est systématiquement demandé d’offrir des garanties en termes d’emploi. Malheureusement, nous ne pouvons pas toujours accéder à ces demandes.

M. Henri-Pierre Garnier. Nous recevons effectivement des demandes de garanties sur le niveau de l’emploi ou les mesures d’accompagnement. La réalité économique des sociétés ne nous permet pas toujours de répondre positivement à ces demandes. Dans certains cas précis, nous avons cependant pris auprès des cédants des entreprises des engagements forts sur le niveau d’emploi ou sur le non-recours à des procédures de licenciement collectif.

M. le rapporteur. Je dois vous faire part de ma surprise lorsque je vous entends vous comparer à des médecins. Tout d’abord, trois mois de diagnostic, cela me semble long, voire très long, surtout pour des entreprises en difficulté. Ce délai ne contribue-t-il pas à laisser la situation se déliter un peu plus ? Ensuite, pour le dire trivialement, j’aurais du mal à me rendre chez un médecin si je savais que plus d’un patient sur deux ne survivait pas. La presse indique que plus de la moitié des entreprises industrielles reprises par Mutares en France depuis 2012 ont fini devant le tribunal de commerce ou en liquidation judiciaire.

Comment expliquez-vous avoir distribué 47,4 millions d’euros de dividendes en 2024 alors que vos entreprises françaises accumulent les déficits, réduisent les emplois et que certaines d’entre elles, comme Lapeyre, ne tiennent que par la revente de leurs murs ? Pourquoi avez-vous facturé jusqu’à 20 millions d’euros à la seule entreprise Lapeyre, une grande partie de cette somme ayant bénéficié à vos propres consultants, sans que cela ne produise les effets escomptés ?

M. Henri-Pierre Garnier. D’abord, il n’est pas possible de rendre Mutares responsable des défaillances des sociétés cédées qui ont par la suite connu une procédure collective, dix-huit à trente-six mois après la cession.

Trois mois, c’est le temps qu’il faut pour prendre la mesure de dossiers industriels complexes, pour comprendre les processus internes aux sociétés, pour identifier leur potentiel, les risques, etc. Au bout de trois mois, nous discutons d’un plan avec la direction et les différents organes de l’entreprise. Nous voulons trouver une solution avec toutes les forces vives de la structure. Durant ces trois mois, nous essayons d’engranger de petites victoires, grâce au travail préalable effectué, parfois pendant six mois, voire deux ans. Mais il faut être réaliste et pragmatique : tant que l’on n’est pas dans la société, il n’est pas possible de savoir ce que l’on en fera. En résumé, ces trois mois servent à confronter les hypothèses de travail à la réalité.

M. André Calisti. Nous ne rencontrons pas toujours le succès, mais cela arrive tout de même. À ce titre, la lettre du Président de la République que vous mentionniez plus tôt nous est parvenue après le sauvetage de la société Clecim.

M. Henri-Pierre Garnier. Le bureau de Mutares en France a été ouvert en 2015, même si la société avait déjà effectué des acquisitions dans le pays entre 2010 et 2015. Depuis 2010, Mutares a procédé à vingt-sept acquisitions de sociétés en France, dont vingt‑deux après 2015. Sur ces vingt-deux acquisitions, neuf concernent des entreprises dans lesquelles nous continuons d’opérer.

Dix sociétés ont été cédées ; c’est l’aboutissement du processus de retournement. Dans la plupart des cas, les cessions sont profitables. Sur les vingt-deux acquisitions que j’ai évoquées, trois dossiers ont été marqués par des difficultés ; nous avons dû accompagner les sociétés, parfois jusqu’à la liquidation. Ces trois dossiers sont connus : il s’agit des sociétés Pixmania, Artmadis et Logiplast-TeamTex. Sur ces trois dossiers, une seule acquisition est intervenue après la création du bureau de Mutares en France. Cela signifie que le succès est plus facile lorsque l’approche est locale. À l’inverse, il est plus difficile à obtenir lorsque l’on ne maîtrise pas les enjeux locaux. Quoi qu’il en soit, il n’est pas vrai que la moitié des entreprises que nous avons reprises se sont retrouvées au tapis.

M. André Calisti. La transparence évoquée plus tôt doit être fondée sur l’arithmétique. Si l’on cherche à tordre les chiffres, on se retrouve embarqués dans des discussions stériles. Nous vous adresserons les chiffres que M. Garnier vient de mentionner, afin que vous puissiez vérifier si nos propos corroborent nos résultats sur le terrain.

Je souhaite revenir sur le dossier de la société Lapeyre. Je rappelle que Saint‑Gobain a investi 800 millions d’euros pour sauver ladite société. Son acquisition par Mutares a été homologuée par le tribunal ; le cadre juridique était parfaitement clair. Je rappelle également que le chiffre d’affaires de Lapeyre était passé en dix ans de 1,1 milliard d’euros à 600 millions d’euros et qu’il semblait donc pertinent d’y dépêcher un certain nombre de consultants. Ces consultants sont légitimement payés. On peut comparer leur rythme de travail à celui d’un député, qui travaille sept jours sur sept, à la fois dans sa circonscription et à l’Assemblée nationale. De la même manière, le consultant est dédié vingt-quatre heures sur vingt-quatre à l’entreprise qu’il accompagne, samedi et dimanche compris.

Nous sommes ouverts à une discussion sur les résultats de ce travail. Je précise que lorsque nous reprenons une entreprise, il arrive que celle-ci ne dispose plus de management, car le directeur général, le directeur financier, le directeur des ressources humaines ou le responsable de la logistique sont partis. Pendant la période de trois mois que nous avons évoquée, les consultants sont déployés pour pallier ces absences, dans l’urgence.

Je vous invite à venir voir le travail que nous effectuons sur le terrain et à observer la complexité de nos missions. Le dossier de la société Lapeyre en est un bon exemple.

M. le rapporteur. Je viendrai avec plaisir pour observer le travail que vous faites, mais également pour consulter un certain nombre de documents.

Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Je souhaite vous interroger sur trois sujets différents : le dossier Lapeyre, le dossier Logiplast-TeamTex et votre modèle général d’organisation.

337 millions d’euros ont été investis dans Lapeyre, sans résultat. Aujourd’hui, vous êtes contraints de vendre les murs de la société, ce qui signifie que sa dernière richesse réside dans son patrimoine immobilier. En conséquence, la société sera structurellement encore plus appauvrie.

Le travail des consultants a été facturé 3 050 euros par jour, pour un montant total de 20 millions d’euros. Vous êtes auditionnés par une commission d’enquête. Nous vous demanderons donc de nous transmettre un certain nombre de documents. Quel était l’état des ressources humaines de la société au moment où votre intervention a débuté ? À quoi correspondent exactement ces 20 millions d’euros, qui représentent une somme considérable ?

Par ailleurs, vous avez dû recruter un directeur financier, par l’intermédiaire d’une société de consultants. Il semble que ce directeur financier n’était pas à la hauteur de la tâche. Je peux l’entendre. Néanmoins, vous avez une relation contractuelle avec cette société. Si les personnes ne font pas l’affaire, vous pouvez vous en séparer. Ne voyez pas là une critique du droit du travail, auquel je suis évidemment fort attachée. En tout état de cause, facturer 20 millions d’euros de frais de consultants à une entreprise en difficulté me paraît tout à fait excessif. Que pouvez-vous nous dire sur tout cela, sur les 337 millions d’euros investis sans résultat, sur l’appauvrissement de la société, etc. ?

M. André Calisti. Vous posez plusieurs questions, que je souhaite évoquer les unes après les autres, en vérifiant que les chiffres mentionnés sont les bons.

M. le président Denis Masséglia. Je me permets de préciser qu’il ne nous reste plus que quelques minutes et que d’autres questions doivent vous être posées. Je vous demande donc de répondre de manière synthétique.

M. André Calisti. Avant de parler des 20 millions d’euros de frais de consultants, il faut parler des sommes injectées dans Lapeyre par Mutares : 15 millions d’euros versés immédiatement, puis 5 millions d’euros versés ultérieurement.

Lorsque nous avons acquis la société en 2021, un article de presse a immédiatement été publié pour indiquer que nous fermerions quatre usines et que cela entraînerait le licenciement de milliers de salariés. L’entreprise comptait 3 136 salariés au 1er janvier 2022. Aujourd’hui, elle en compte 2 427. Que cela plaise ou non, cela signifie que 80 % des salariés ont été conservés, grâce au travail de Mutares.

Nous avons conduit quatre plans sociaux, qui ont concerné 6,5 % des effectifs, soit 157 salariés.

Je rappelle que les frais de personnel de Lapeyre représentent chaque année 150 millions d’euros. Cela signifie que Mutares a versé 450 millions d’euros depuis la reprise de la société.

Il est important d’évoquer tous les chiffres.

M. Henri-Pierre Garnier. Il me semble en effet nécessaire de revenir sur les chiffres.

Les 337 millions d’euros se décomposent de la façon suivante : 243 millions d’euros ont été injectés dans la trésorerie et 94 millions d’euros proviennent d’opérations portant sur la vente des murs. Tout ceci a été validé par le tribunal de commerce, qui a considéré que les ressources de la société pouvaient aider en grande partie à financer son retournement.

Vous avez mentionné les 20 millions d’euros de frais de conseil facturés à l’entreprise. Je rappelle que Lapeyre perdait environ 100 millions d’euros par an avant la reprise. Ces 20 millions d’euros n’ont pas bénéficié uniquement à Mutares : quand nous avons débuté le programme de transformation du groupe, quarante-deux ou quarante-trois intervenants étaient sur place, dont une dizaine appartenant à Mutares. Mutares n’est pas la structure qui a le plus bénéficié de cette somme. À titre d’exemple, le simple détourage informatique du Groupe Lapeyre vis-à-vis de son actionnaire précédent a coûté entre 15 et 20 millions d’euros. Ces montants ne correspondent pas seulement à des frais de conseil ; ils intègrent des achats de serveurs et d’autres frais.

Lapeyre est une société extrêmement complexe, dotée de 130 magasins, de dix sites de production, de deux sièges. Le détourage de ce type d’entité représente un travail titanesque. Par ailleurs, d’autres cabinets de conseil sont intervenus, car Mutares ne pouvait pas intervenir isolément. Nous avons fait appel à des consultants pour les métiers qui nous étaient moins familiers, afin de répondre aux besoins de Lapeyre et d’atteindre les objectifs fixés.

Vous dites que ces frais n’ont produit aucun résultat. Je ne partage pas du tout ce point de vue. Les réductions de coûts et les opérations d’optimisation effectuées se chiffrent en dizaines, voire en centaines de millions d’euros. Vous n’ignorez pas que la situation de Lapeyre est également liée à la situation du marché de la rénovation ; cette dernière explique la diminution progressive du chiffre d’affaires de la société en 2023 et 2024. Cela a pesé sur ses marges. En résumé, il est faux de dire que nos interventions n’ont produit aucun résultat. En revanche, il est vrai que ces résultats ont pu être contrecarrés par des éléments exogènes.

M. André Calisti. La question rhétorique est souvent la même : « Où est passé l’argent ? » Nous avons engagé quatre plans sociaux, qui ont concerné 157 salariés et qui ont coûté 10 millions d’euros. Je vous ai par ailleurs démontré, chiffres à l’appui – lesquels sont bien évidemment vérifiables –, que 80 % des emplois ont été maintenus. Il ne s’agit donc pas d’un échec. Nous avons payé ces 10 millions d’euros car nous nous étions engagés à ce que le traitement social des salariés appelés à quitter l’entreprise soit décent.

J’ajoute que chacun de ces quatre plans sociaux a fait l’objet d’un accord majoritaire. L’État a validé les plans : les mesures prévues, la formation et l’accompagnement des salariés mis en place ont convaincu nos interlocuteurs. Nous aimerions que ces éléments soient entendus par les membres de la commission d’enquête, à qui nous répondons avec la plus grande sincérité.

Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Vous confirmez donc que vous avez engagé 10 millions d’euros pour quatre PSE qui ont concerné 157 personnes.

Je souhaite maintenant évoquer le cas de Logiplast-TeamTex. Nous avons absolument besoin de disposer du contrat que vous avez conclu avec Nania. Nous souhaitons connaître en détail la manière dont vous avez contractualisé avec les anciens propriétaires. Nous souhaitons aussi avoir des informations sur l’état dans lequel vous avez trouvé les carnets de commandes de la société, fleuron européen de la fabrication de sièges automobiles pour enfants. Quel regard portiez-vous sur la structure et sur ses salariés ? Que sont devenus les machines et les brevets ?

M. Henri-Pierre Garnier. La société enregistrait des pertes financières depuis de nombreuses années. Il n’est donc pas évident qu’elle était un « fleuron » de la fabrication de sièges automobiles pour enfants, pour reprendre votre expression. Nous ne nous intéressons d’ailleurs pas aux fleurons, mais plutôt aux sociétés qui disposent d’un potentiel d’amélioration opérationnelle et d’un potentiel de redressement financier.

Que s’est-il passé dans ce dossier ? Dès le premier jour, nous avons constaté que l’état de la structure était bien plus dégradé que ce que nos analyses avaient fait ressortir. Notre phase de diagnostic a révélé des manquements graves dans la gestion de la société : conflits d’intérêts, informations cachées aux repreneurs et aux salariés. La reprise s’est soldée par un échec, en dépit des 5 millions d’euros que Mutares a investis pour assainir le bilan de la société et du temps consacré par ses experts opérationnels à la mise en place d’un plan de transformation et de relance.

En conséquence, l’affaire a clairement coûté à Mutares. Vous pouvez le reconnaître. Pour autant, nous n’avons pas laissé tomber la société, que nous avons accompagnée dans sa procédure de restructuration. Nous avons beaucoup communiqué avec les élus locaux, la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) et les tribunaux de commerce. Nous avons suivi toutes les procédures, qui sont très encadrées. Nous avons cherché un repreneur mais cela n’a rien donné ; nous avons ensuite organisé avec les mandataires judiciaires la liquidation de la société. Nous n’avons récupéré ni machines ni brevets. Vous pourrez interroger sur ce point le mandataire judiciaire en charge du dossier.

Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Ma dernière question porte sur le modèle général d’organisation de Mutares. Nous souhaiterions pouvoir disposer des contrats que vous avez conclus avec les sociétés de consultants extérieurs. Vous avez notamment indiqué que de nombreux consultants étaient intervenus dans le dossier Lapeyre. Si nous examinions de très près les liens entre les consultants de Mutares et les consultants appartenant à d’autres structures, découvririons-nous des conflits d’intérêts ? Je vous rappelle que vous avez prêté serment de dire la vérité.

M. le président Denis Masséglia. Un certain nombre de documents demandés à Mutares pourraient revêtir un caractère confidentiel. Ils ne pourraient donc pas être rendus publics. Tout député qui diffuserait ce type de documents encourrait des sanctions pénales.

Mme Élisa Martin (LFI-NFP). J’en suis parfaitement consciente. Simplement, je dois être pleinement informée, compte tenu de l’ensemble des questions que je me pose.

Lorsque Mutares intervient, on peut avoir le sentiment que tout est fait, dans un premier temps, pour éviter la mise en œuvre de plans sociaux, mais que, dans un second temps, c’est la solidarité nationale qui est mise à contribution lorsque la reprise échoue et que cela aboutit à une liquidation judiciaire.

M. André Calisti. Vous nous avez demandé de transmettre un certain nombre de documents. Nous avons besoin que ces demandes soient formulées par écrit. Madame la députée, vous avez évoqué les 20 millions d’euros de frais de conseil, mais vous n’avez pas évoqué les 20 millions d’euros injectés par Mutares. Nous avons en effet prêté serment de dire la vérité et nous voulons mieux faire comprendre notre métier. Nous attendons la liste de vos questions.

Je serais ravi de vous recevoir chez Mutares, afin que nous puissions travailler ensemble sur ces documents. L’approche ne peut pas être unilatérale, car cela pourrait conduire à des conclusions orientées. Nous sommes favorables à la transparence mais nous devons conserver la possibilité de répondre à vos remarques. Il faut retenir une approche contradictoire. Autrement, il ne pourra s’agir que d’une instruction à charge.

M. le président Denis Masséglia. Je cède la parole au rapporteur pour une dernière question.

M. le rapporteur. Je regrette que vous n’ayez pas apporté de réponse à ma question sur les 47 millions d’euros de dividendes versés aux actionnaires, alors même que vous investissez dans des entreprises en grande difficulté. Nous reposerons cette question par écrit.

Je note par ailleurs que vous avez produit un rapport de onze pages, facturé 2,4 millions d’euros, et que le travail de vos consultants dépêchés chez Lapeyre a été facturé 3 050 euros par jour. Les députés sont très bien rémunérés, certes, mais vous conviendrez que la comparaison entre les consultants de Mutares et les parlementaires, qui sont effectivement sollicités sept jours sur sept, n’est pas très appropriée. Les sommes facturées sont choquantes aux yeux de beaucoup. Mais je conçois que nous n’arriverons pas à vous convaincre dans ce domaine.

Ma question est la suivante : quelle est la rémunération moyenne d’un dirigeant d’une entreprise reprise par Mutares ? Quelle a été la rémunération la plus élevée sur une période de deux à trois ans ?

M. André Calisti. Je commencerai par répondre à votre dernière question. Je rappelle d’abord que le directeur général ou le directeur financier d’une société reprise par Mutares n’est pas un employé de Mutares. Il s’agit souvent d’un dirigeant local. Sa rémunération dépend du secteur d’activité dans lequel il évolue. Vous savez par exemple que le secteur de l’automobile souffre actuellement de grandes difficultés.

M. le rapporteur. L’un de ces dirigeants a-t-il gagné plus de 500 000 euros par an ?

M. André Calisti. Nous sommes effectivement sous serment, mais nous pouvons décider de ne pas répondre à certaines questions. Cela étant dit, la réponse à votre question est négative.

Je regrette que l’article de Mediapart ait insisté sur ce rapport de onze pages sans prendre la peine de faire état des centaines, voire des milliers de pages écrites par ailleurs. Encore une fois, je vous invite à venir nous rendre visite ; nous pourrons vous montrer les rapports qui ont été rédigés par les cabinets de consultants, les rapports que nous avons produits nous-mêmes. J’ai notamment en tête un rapport de 246 diapositives au sujet de la société Lapeyre, que nous avons présenté six à sept mois après sa reprise. Parfois, nous avons le sentiment que les réponses que nous apportons ne sont pas celles que vous attendez.

M. le rapporteur. Pouvez-vous répondre à la question sur la rémunération des dirigeants ?

M. André Calisti. Aujourd’hui, le dirigeant d’une entreprise de 300 personnes dans le secteur automobile gagne environ 200 000 à 250 000 euros par an. Cela correspond grosso modo à un salaire fixe de 150 000 euros et à une rémunération variable de 50 000 euros, si celle-ci est perçue en intégralité. La rémunération d’un dirigeant ne s’élève donc pas à 500 000 euros.

M. Henri-Pierre Garnier. Vous avez évoqué les 47 millions d’euros de dividendes versés aux actionnaires de Mutares. Je rappelle que l’entreprise est présente dans une quinzaine de pays et qu’elle compte une quarantaine de sociétés. Certaines opérations ont rapporté des centaines de millions d’euros de plus-values. Les dividendes correspondent à la rémunération des investisseurs, comme dans n’importe quelle autre entreprise. Cette rémunération est liée aux résultats du groupe dans son ensemble ; il n’existe pas de lien direct entre la performance d’une société reprise par Mutares en particulier et la rémunération des actionnaires. Il s’agit là d’une simplification un peu grossière.

M. André Calisti. Si vous le permettez, je souhaite vous donner lecture de la courte conclusion que nous avons préparée.

M. le président Denis Masséglia. Je vous en prie.

M. André Calisti. J’aimerais, avec M. Garnier, dire à cette commission un certain nombre de choses. J’associe à mon propos les équipes d’investissement, les équipes opérationnelles qui travaillent souvent sept jours sur sept, mais aussi le comité de direction en Allemagne. Notre rôle consiste à aider nos interlocuteurs à préférer l’analyse à la caricature, lorsqu’il est question de fonds de retournement.

Malheureusement, depuis 2015, nous faisons les frais d’une stigmatisation qui complique notre mission. Nous ne sommes pas un « mal nécessaire ». Nous ne faisons pas nécessairement de mal aux entreprises que nous acquérons ; notre intervention est nécessaire dans le contexte industriel actuel – on compte environ 66 000 défaillances d’entreprises par an. Cela me rappelle cette phrase rapportée par un délégué syndical : « Mutares est un des intervenants sur le marché qui s’intéressent aux entreprises qui n’intéressent plus personne ».

Cette phrase est importante. En effet, cet intérêt pour les entreprises qui n’intéressent plus personne doit devenir un intérêt collectif. Les parties prenantes doivent nous aider, qu’il s’agisse de l’État, de l’administration, des élus, des syndicalistes, à faire en sorte que cet intérêt se transforme en victoire pour le tissu industriel, pour les entreprises et les salariés – nous avons malheureusement peu parlé d’eux aujourd’hui.

Permettez-moi de citer Paul Valéry pour conclure, qui écrivit dans La Crise de l’esprit : « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles ». De notre côté, nous avons compris que les entreprises industrielles étaient mortelles. La vocation de Mutares consiste à leur permettre de ne pas mourir, de se relever et de ressusciter parfois. C’est l’action qui nous anime au quotidien.

M. le président Denis Masséglia. Madame Martin, j’ai cru comprendre que vous vouliez transmettre un certain nombre de questions. Je n’y suis pas opposé, mais je vous rappelle néanmoins que vous n’êtes pas membre de la commission d’enquête. J’ai accepté que vous puissiez prendre la parole aujourd’hui, car cela me semblait important. Cependant, si vous souhaitez envoyer des questions, il faudra que vous apparteniez à la commission ou que vous les transmettiez au rapporteur.

Messieurs, je vous remercie.

La séance s’achève à vingt heures vingt.


Présences en réunion

Présents. – M. Benjamin Lucas-Lundy, M. Denis Masséglia

Excusé. – M. Éric Michoux

Assistait également à la réunion.  Mme Élisa Martin