Compte rendu
Commission d’enquête sur
les défaillances des
pouvoirs publics face à la multiplication des plans
de licenciements
– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant les organisations syndicales représentatives d’Auchan Retail 2
– Présences en réunion................................22
Mercredi
7 mai 2025
Séance de 15 heures
Compte rendu n° 29
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Denis Masséglia, président
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La séance est ouverte à quinze heures.
Présidence de M. Denis Masséglia, président.
La commission d’enquête auditionne des représentants des organisations syndicales représentatives d’Auchan Retail.
M. le président Denis Masséglia. Nos deux auditions du jour sont consacrées à l’examen de la situation de l’entreprise Auchan Retail, qui a annoncé, à la fin de l’année 2024, une réorganisation de ses activités, à travers la mutualisation de certaines fonctions « support », la fermeture de plusieurs magasins ou encore le déploiement d’un nouveau schéma logistique pour la livraison à domicile, impliquant la suppression de près de 2 400 postes.
Un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) a, en conséquence, été présenté par la direction et signé par les syndicats majoritaires après plusieurs mois de négociation.
Pour évoquer le sujet, et toutes les questions qui l’entourent, nous recevons les représentants des organisations syndicales présentes chez Auchan Retail :
– M. Gilles Martin, délégué syndical CFDT ;
– M. Bruno Delaye, délégué syndical CFTC ;
– MM. Franck Martinaud et Pierre Fostier, délégués syndicaux FO.
Participe également à la réunion M. Sylvain Macé, secrétaire national de la CFDT en charge, notamment, du commerce alimentaire et de la grande distribution.
Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, Messieurs, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Gilles Martin, M. Bruno Delaye, M. Franck Martinaud, M. Pierre Fostier et M. Sylvain Macé prêtent serment.)
M. Gilles Martin, délégué syndical CFDT. Vous nous auditionnez aujourd’hui sur les défaillances des pouvoirs publics face aux plans de licenciements, notamment chez Auchan, mais plus largement dans la grande distribution. Nous souhaitons appeler votre attention sur une problématique majeure, qui affecte non seulement les salariés mais également l’ensemble de notre société, qui est celle de la conduite des restructurations et de l’absence d’anticipation de ces situations dramatiques. Dans un contexte économique instable, les entreprises ajustent régulièrement leurs effectifs. Si ces adaptations peuvent se justifier, c’est leur mise en œuvre qui nous interpelle, la brutalité des annonces, les erreurs stratégiques et l’absence de conditionnalité des aides publiques.
Il est impératif d’examiner les défaillances structurelles de notre modèle économique. Depuis des années, nous assistons à une implantation quasi anarchique de structures commerciales de proximité, avec en moyenne une ouverture par jour en 2024. Cela crée un déséquilibre concurrentiel incontestable. Les discounters, par exemple, contournent certaines taxes comme la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom) en ouvrant des surfaces réduites. Cette taxe représente à elle seule 20 millions d’euros pour un modèle intégré comme Auchan. Pire encore, en restant sous le seuil des cinquante salariés, ces enseignes de discount échappent aux obligations sociales, notamment la mise en place d’un comité social et économique (CSE). Les règles ne sont donc pas les mêmes pour tous.
La concurrence majeure d’Amazon et des enseignes similaires sur les secteurs non alimentaires affecte aussi durement l’emploi. Le PSE d’Auchan concerne d’ailleurs des salariés victimes de cette concurrence.
Ces déséquilibres sont aggravés par une instabilité chronique dans la gouvernance d’Auchan, avec dix‑sept dirigeants différents en vingt ans. Il en résulte des décisions prises dans l’urgence, sans vision à long terme, conduisant à des suppressions de postes massives et brutales.
Il est également urgent de revoir notre approche de la mobilité professionnelle. Plutôt que d’attendre la crise, nous devons développer des outils d’accompagnement, de reconversion et de mobilité interne ou externe réellement opérationnels et adaptés aux réalités du terrain.
Si l’Association familiale Mulliez (AFM) n’est juridiquement pas un groupe, elle gère en réalité un ensemble cohérent d’entreprises avec un seul actionnaire commun. Ce statut lui permet d’échapper à sa responsabilité sociale et au partage de la valeur, puisqu’elle n’est pas tenue de proposer à un salarié licencié dans une entité un reclassement dans une autre, ni de maintenir ses droits liés à l’ancienneté.
Enfin, la prévention est un sujet central. Trop souvent, l’État intervient une fois les décisions prises et les licenciements décidés. Or une politique proactive fondée sur le dialogue social, la formation continue, l’anticipation et le soutien à la reconversion permettrait d’éviter bien des drames humains. Cela suppose aussi des moyens. Le manque criant de personnel à l’inspection du travail est un problème majeur. Il devient urgent de renforcer ces services par des embauches pour pouvoir accompagner, contrôler et prévenir.
M. Sylvain Macé, secrétaire national de la CFDT. En complément, je souhaite apporter quelques éclairages sur le secteur de la grande distribution, toujours en lien avec Auchan. Il est important de rappeler que les salariés concernés par ces restructurations sont ceux‑là mêmes qui ont été jugés essentiels, notamment durant la période du covid. S’ils ont été félicités par tous et bien que leur travail ait permis de maintenir la continuité de la distribution alimentaire en France, force est de constater qu’ils n’ont pas vraiment été reconnus par la suite.
Nous sommes très préoccupés par plusieurs sujets, notamment la recomposition de la grande distribution dans son ensemble. Casino a fait faillite, Auchan a racheté des magasins Casino tout en mettant en place un PSE, Carrefour achète Cora et Match tout en cédant des magasins en location-gérance et Intermarché annonce la fermeture d’une partie des magasins rachetés. Au total, 582 magasins ont changé d’enseigne en deux ans. C’est un changement considérable, notamment pour les salariés. Cette recomposition inédite est à souligner, car la situation de la grande distribution et l’impact sur les salariés et leurs familles ne sont que très peu évoqués.
Nous sommes également préoccupés par l’avenir des salariés d’Auchan, dont le modèle est principalement basé sur l’hypermarché, un format en difficulté structurelle. Le plan de franchisation annoncé en 2023 nous inquiète également. Le passage en franchise des établissements d’Auchan a été évoqué dans le PSE ; il concernerait plusieurs centaines d’établissements. Si ce plan est toujours d’actualité, les conséquences pour les salariés concernés seraient extrêmement importantes. À ce sujet, nous déplorons le dévoiement de l’article L. 1224‑1 du code du travail, qui permet le transfert des salariés dans le cadre de cessions d’établissement. Selon nous, cet article est utilisé par de nombreuses entreprises de la grande distribution comme un moyen de contourner les mesures d’accompagnement qui devraient suivre les restructurations.
Nous tenons également à rappeler que la grande distribution en France joue un rôle stratégique qu’il est indispensable de préserver. La période de la crise sanitaire a démontré que sans magasins et établissements capables de nourrir les Français, la situation aurait été bien plus complexe. Il est donc crucial de préserver l’intégrité de ces entreprises, tant pour des raisons économiques que pour garantir la sécurité alimentaire, au-delà des simples enjeux de distribution.
Nous sommes très attachés au paritarisme mais nous nous interrogeons sur la position de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) sur les défaillances d’entreprises relevant de son périmètre, particulièrement nombreuses. Cela soulève un certain nombre d’interrogations en matière d’anticipation. De manière générale, dans l’ensemble des plans récemment déployés dans le secteur de la grande distribution, un réel déficit de transparence persiste puisque les plans sont dévoilés très tardivement et les organisations syndicales mises devant le fait accompli.
Il existe également une inquiétude quant à l’entretien des actifs, notamment des magasins, l’outil de travail semblant parfois mis en péril.
Je terminerai sur le sujet de la digitalisation et des outils d’intelligence artificielle. Dans la grande distribution, les investissements se font souvent à coûts constants, empiétant ainsi sur d’autres postes budgétaires, ce qui suscite de nombreuses questions, notamment du point de vue des salariés.
M. Bruno Delaye, délégué syndical CFTC. En tant que représentant de la CFTC, première organisation syndicale chez Auchan, mon objectif est d’apporter un éclairage complémentaire sur le PSE d’Auchan et l’accord que nous avons négocié.
L’annonce de ce PSE à l’automne dernier a eu un retentissement considérable en raison de l’ampleur des suppressions d’emplois envisagées, qui concernent 2 389 postes. Cette annonce brutale s’inscrit dans un contexte historique qu’il convient de rappeler. Mon parcours chez Auchan, débuté en 1994, m’a permis d’observer l’évolution de l’entreprise. À l’époque, Auchan misait exclusivement sur le modèle du grand hypermarché, répondant aux besoins des consommateurs français en offrant tout sous un même toit. Cette stratégie générait des profits importants, permettant une politique sociale généreuse fondée sur le partage du savoir, du pouvoir et de l’avoir. Ce modèle, créé par notre fondateur Gérard Mulliez, incluait des primes de participation, d’intéressement et l’actionnariat salarié, une innovation sociale majeure à l’époque.
Les années suivantes ont été marquées par de grandes manœuvres dans le secteur de la distribution, avec des rachats et fusions significatifs : Carrefour acquérant Promodès, Auchan reprenant Docks de France et la fusion des groupes Rallye et Casino. Auchan a alors concentré ses efforts sur les hypermarchés, délaissant les formats de proximité. Cette stratégie visait une expansion internationale, d’abord en Europe de l’Ouest puis de l’Est, ainsi qu’en Asie, avec quelques tentatives infructueuses aux États-Unis et en Amérique latine.
Pendant ce temps, les distributeurs indépendants ont développé un maillage dense de magasins de proximité sur le territoire national, gagnant progressivement des parts de marché. Les hard-discounters allemands ont également pénétré le marché français, connaissant une croissance accélérée ces dernières années, favorisée par les préoccupations liées au pouvoir d’achat.
Auchan a par ailleurs manqué le virage du e‑commerce, une erreur stratégique dont les conséquences ont été amplifiées par la crise du covid, qui a accéléré l’adoption des plateformes de vente en ligne par les consommateurs.
Diverses interventions législatives ont également touché le secteur : taxes sur les surfaces commerciales, restrictions au développement, loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, créant parfois des distorsions concurrentielles.
Dans ce contexte, les partenaires sociaux d’Auchan ont toujours œuvré pour améliorer les conditions de travail, la reconnaissance professionnelle et le statut social des employés. Travailler chez Auchan était synonyme de perspectives de carrière, d’évolution professionnelle, de rémunération attractive et de constitution d’un patrimoine grâce à l’actionnariat d’entreprise.
Le PSE récemment négocié est complexe car il concerne cinq entités juridiques distinctes, chacune étant confrontée à des problématiques spécifiques. Grâce à l’intervention des pouvoirs publics, à la pression médiatique et à une volonté de dialogue social, un accord de méthode a permis la négociation d’un PSE unique. Ce plan concerne notamment Auchan Retail International et l’organisation internationale des achats, structures de support dont le dimensionnement n’est plus adapté à la suite du désengagement international d’Auchan. En effet, l’entreprise a réduit sa présence à l’étranger, confrontée à des défis géopolitiques majeurs : cession des activités en Chine, à Taïwan, en Italie et difficultés en Ukraine et en Russie. Ces structures de support apparaissent désormais surdimensionnées et coûteuses, alors qu’Auchan France représente maintenant la moitié de l’activité du groupe.
Le projet de restructuration annoncé vise à fusionner ces deux entités avec Auchan France Support et sa centrale d’achats pour créer une seule entité juridique, dotée de directions communes au service de tous les pays. Cette réorganisation entraîne la suppression de 784 postes dans ces trois entités, en raison d’activités identiques.
S’agissant de l’activité de e‑commerce alimentaire, fortement déficitaire, l’entreprise décide de fermer ses trois entrepôts de préparation de commandes et de se réorganiser autour des magasins et des drives. Cette décision affecte directement 224 emplois.
S’agissant de l’activité des magasins, trois hypermarchés, un supermarché et six magasins de proximité parisiens durablement en difficulté économique sont voués à la fermeture. Au sein du parc des hypermarchés, qui compte actuellement 120 magasins, un projet de réorganisation de la vente d’équipements et de la structure managériale affecte fortement les équipes. Nous dénombrons ainsi 676 suppressions de postes de conseillers de vente d’équipements, pour un total de 1 380 postes supprimés dans les magasins.
Nous anticipions une restructuration des services d’appui, consécutive à l’arrivée de notre nouveau directeur général et de son adjoint, recruté spécifiquement à cet effet. Nous espérions pouvoir gérer cette situation par un plan de départs volontaires (PDV), comme en 2020, plutôt que par des départs contraints plus brutaux. Pour les activités commerciales, un accord de gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP), dont nous sommes signataires, nous laissait espérer un accompagnement des salariés dont les métiers deviennent sensibles ou en tension, en raison de l’évolution ou de la disparition de certaines fonctions, des changements de consommation ou de l’introduction de nouvelles technologies.
Cependant, la dégradation des résultats ces dernières années ne semble plus permettre de prendre le temps nécessaire pour l’accompagnement et la transformation. La direction, et surtout l’actionnaire, exigent désormais d’agir rapidement. Le modèle du grand hypermarché est à bout de souffle et n’a pas su se réinventer suffisamment vite. Chez Auchan, les choix stratégiques, qui relèvent de la responsabilité de nos nombreux dirigeants successifs, n’ont pas été les bons ou ont été mal mis en œuvre. Les organisations syndicales ne peuvent être tenues pour responsables, ayant régulièrement alerté sur cette longue agonie. La direction souhaite maintenant agir rapidement dans un contexte concurrentiel difficile, nos concurrents ne nous ayant pas attendus pour s’adapter au commerce actuel.
Un dernier point concerne le paradoxe du rachat par Auchan de magasins de l’enseigne Casino au moment où nous devons gérer un PSE et procéder à la fermeture d’activités et de magasins. Nous pourrions croire que l’entreprise se porte mieux économiquement, ce qui n’est pas le cas. Si nous ne trouvons pas la clef d’un commerce à nouveau rentable, nous risquons d’alourdir encore le fardeau économique et d’engendrer de nouvelles restructurations. Il nous est d’ailleurs déjà annoncé le passage en franchise de magasins de proximité et de supermarchés, ainsi que le projet de cession d’hypermarchés, ce qui constitue une réelle menace pour de nombreux salariés travaillant quotidiennement dans des magasins sans avenir.
Je souhaite conclure en remerciant les élus des instances nationales des cinq entités concernées et des CSE locaux qui ont été à l’écoute des attentes de leurs collègues, les ont accompagnés dans leurs inquiétudes et ont travaillé sur leurs dossiers avec les cabinets d’expertise mandatés. Je tiens également à remercier la délégation CFTC de négociation du PSE, dont je suis aujourd’hui le porte-parole, pour avoir signé un accord qui devrait permettre à un plus grand nombre de salariés de rebondir. J’adresse une pensée amicale à nos collègues qui nous quittent, sans oublier ceux qui restent, car dans une restructuration complexe et une entreprise qui n’est pas sortie d’affaire, rien n’est gagné d’avance.
M. Franck Martinaud, délégué syndical FO. En tant que coordinateur syndical dans le cadre de la négociation du PSE et délégué syndical FO d’Auchan Retail France, j’ai pu observer de près les impacts profonds et souvent douloureux de ces restructurations successives sur les salariés, l’organisation du travail et, plus largement, sur le tissu économique et social des territoires où Auchan est implanté.
Les multiples PSE au sein d’Auchan ne peuvent être considérés comme des événements isolés. Ils s’inscrivent dans une stratégie globale due à l’absence d’anticipation des évolutions sociétales et à de nombreuses erreurs stratégiques initiées par des dirigeants de passage à la tête de l’entreprise. À titre d’exemple, nous pouvons citer le déploiement massif de caisses en libre‑service dont les clients ne veulent pas, ou encore le choix prioritaire de l’international au détriment des magasins français qui nécessitaient des investissements importants.
Parmi les conséquences que j’ai pu identifier, je tiens à souligner pour les salariés une période d’incertitude et d’anxiété permanente, la perte d’emploi pour un nombre significatif de personnes avec les difficultés de réinsertion professionnelle que cela engendre, une surcharge de travail et une intensification des rythmes pour ceux qui restent, souvent accompagnées d’une perte de sens et d’une démotivation croissante, ainsi que des départs volontaires de collaborateurs qualifiés, lassés de cette instabilité.
En ce qui concerne l’organisation du travail, nous constatons une perte d’expertise et de mémoire collective, des difficultés croissantes à maintenir la qualité du service et l’attractivité des magasins, une complexification de l’organisation avec des équipes réduites devant assumer des tâches plus nombreuses et variées et un sentiment d’éloignement entre la direction et les équipes sur le terrain.
Pour les territoires, nous observons la fragilisation du tissu économique local avec la disparition d’emplois et la diminution du pouvoir d’achat, un impact sur les commerces et les services indirectement liés à l’activité d’Auchan et une interrogation sur la responsabilité sociale d’une entreprise de cette envergure vis-à-vis de ses bassins d’emploi au regard des aides publiques perçues depuis de nombreuses années. Pour rappel, Auchan Retail France comptait, en 2014, 74 986 salariés. En 2023, il n’en reste plus que 55 694, soit une diminution de près de 20 000 salariés. Nous soulignons également l’impact éventuel sur les finances publiques avec la prise en charge des allocations chômage par France Travail.
Les incohérences du dernier PSE, notamment la suppression en totalité des postes de conseillers commerciaux, soulèvent également des interrogations. Alors que le projet « vente d’équipements » présenté lors du CSE central du 26 février prévoyait un besoin compris entre 317 et 574 équivalents temps plein (ETP), nombre fixé à environ 400 dans le rapport d’expertise, la présence de la totalité des conseillers commerciaux dans le PSE ainsi que l’absence de mise en place de critères d’ordre afin de limiter le nombre de licenciements interrogent.
Dans le futur projet « vente d’équipements », la fiche de poste des nouveaux métiers d’équipiers commerces est très proche, voire identique, de celle des conseillers commerciaux, reflétant la réalité des tâches effectuées par ces salariés à ce jour et interrogeant sur l’absence de propositions de reclassement sur ces nouveaux postes.
Nous constatons également la fermeture définitive de plusieurs magasins et entrepôts, alors que ceux-ci n’ont pas bénéficié d’investissements afin de leur offrir un rafraîchissement commercial et de leur permettre une continuité d’activité. La création de catégories professionnelles non conformes aux fiches de poste aurait en outre dû permettre de limiter le nombre de postes supprimés.
Enfin, l’accompagnement des salariés par le cabinet LHH est insuffisant, avec notamment des délais extrêmement longs pour les demandes de rendez-vous, une connaissance imprécise de la situation des salariés et l’absence de possibilités de rendez-vous en physique pour certains salariés.
S’agissant des risques psychosociaux (RPS), les mises à jour du document unique d’évaluation des risques professionnels (Duerp) demeurent excessivement générales, sans prise en compte des spécificités locales ni consultation de la majorité des CSE locaux. Les programmes annuels de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail (Papripact), quant à eux, sont soit inexistants soit inadaptés à la gestion de ce PSE. En somme, ce dernier donne l’impression d’avoir été précipité et insuffisamment préparé, analyse corroborée par les experts des CSE centraux d’Auchan Retail.
Il est essentiel que cette commission d’enquête examine minutieusement la justification économique réelle de ces multiples PSE, ainsi que les solutions qui auraient pu être envisagées. Nous devons également nous pencher sur les modalités de l’accompagnement des salariés licenciés et son efficacité à long terme, sans oublier l’impact de ces restructurations sur la qualité de vie au travail des employés qui restent. La stratégie globale d’Auchan en matière d’emploi et son engagement envers ses responsabilités sociales et territoriales méritent également une attention particulière.
Je suis convaincu que vos travaux permettront de mettre en lumière les conséquences de ces multiples PSE et de formuler des recommandations pertinentes. L’objectif est d’éviter que de telles situations ne se reproduisent avec une telle fréquence et un impact humain et social aussi considérable.
M. le président Denis Masséglia. Tous les députés présents au sein de cette commission d’enquête se joignent à moi pour vous exprimer, ainsi qu’à tous les salariés et leurs familles, leur soutien le plus sincère dans cette période particulièrement éprouvante. Je conçois aisément que l’inquiétude soit omniprésente parmi l’ensemble des salariés. L’Assemblée nationale apporte son soutien à tous les salariés affectés, directement ou indirectement, car même ceux qui conservent leur poste traversent une période délicate.
Monsieur Martin, vous avez évoqué la conditionnalité des aides qui, selon vous, pourrait constituer un outil efficace pour tenter de réduire, autant que possible, les PSE. Monsieur Martinaud, vous avez, quant à vous, mentionné le montant des aides publiques perçues. Pourriez-vous nous fournir davantage de détails sur les aides publiques reçues ces dernières années ? De plus, lorsque vous évoquez la conditionnalité, pourriez-vous nous préciser quels types de conditions vous envisageriez ?
M. Franck Martinaud. Bien que nous ne disposions pas d’informations précises sur les montants perçus, nous savons que l’entreprise a bénéficié de nombreuses exonérations, que ce soit au titre du crédit d’impôt recherche (CIR), du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) ou des allégements de cotisations sociales sur les bas salaires.
Une des premières conditions serait le maintien de l’emploi car, en l’espace de quelques années, Auchan Retail a perdu près de 20 000 salariés. Cette condition de maintien de l’emploi nous apparaît comme la plus fondamentale et la plus urgente à mettre en place parmi les mesures envisageables.
M. Gilles Martin. La question de la conditionnalité des aides publiques versées aux entreprises est essentielle. Comment les salariés peuvent-ils comprendre et accepter que l’État octroie des sommes considérables sans y associer de conditions ? Il est difficile de concevoir que de grandes entreprises, gérées par des familles fortunées, reçoivent des centaines de millions d’euros d’argent public sans contrepartie significative.
En ce qui concerne les formes de conditionnalités qui pourraient être mises en place, il serait simple de se contenter d’exiger la restitution des aides en cas de licenciements, mais il ne s’agit pas nécessairement de la solution la plus pertinente. Je ne remets pas en cause le principe même de l’attribution d’aides publiques aux entreprises, qui traversent bien souvent des difficultés commerciales. Le soutien public peut alors se justifier pour permettre à ces entreprises de surmonter ces obstacles et de maintenir leurs effectifs au plus haut niveau. Cependant, une réflexion approfondie s’impose. Comment la société civile et les parlementaires peuvent-ils établir des bases de conditionnalité pour ces aides publiques ? Cette question revêt une importance capitale, tant sur le plan de l’intérêt public que sur celui du sens social pour les salariés, car ces derniers peinent à comprendre que des entreprises perçoivent des centaines de millions d’euros d’argent public, pour annoncer quelques années plus tard des suppressions d’emplois massives. Rappelons que l’objectif même du CICE était bien de préserver l’emploi, sans pour autant fixer de conditions précises sur la durée de cet engagement.
Il est donc impératif d’établir, dans les années à venir, un cadre de conditionnalité clair et efficace. Cela permettrait aux salariés de mieux comprendre les raisons pour lesquelles l’État accorde ces aides et pourquoi, malgré cela, certaines entreprises procèdent si facilement à des licenciements. Il y a là un enjeu de cohérence et de justice sociale qu’il nous faut absolument relever.
M. le président Denis Masséglia. Le débat sur la conditionnalité des aides publiques est récurrent dans notre commission d’enquête depuis le début des auditions. Certains interlocuteurs ont affirmé que la conditionnalité existe déjà pour le CIR, puisque son attribution est directement liée à une dépense effective en recherche et développement.
S’agissant des exonérations de charges sociales, d’autres personnes auditionnées soutiennent qu’il ne s’agit pas à proprement parler d’une aide, mais plutôt d’une réduction de la pression fiscale, jugée trop importante en France. Quelle est votre position sur ces arguments qui nous ont été présentés ? Les partagez-vous ou les contestez-vous ? Seriez-vous favorables à une éventuelle suppression de certains dispositifs d’accompagnement, compensée par une réduction des impôts ou des charges ?
M. Sylvain Macé. La question des aides aux entreprises est en effet extrêmement complexe. Dans le secteur de la grande distribution, nous constatons systématiquement une grande difficulté pour les représentants du personnel à obtenir des informations précises sur le montant des aides perçues et, surtout, sur le rapport entre leur versement et leur utilisation.
Cette opacité est particulièrement frappante et constitue un obstacle majeur à un dialogue constructif. Si nous parvenions déjà à améliorer la transparence sur ce sujet, cela permettrait d’ouvrir de nouvelles perspectives de discussion, notamment lors des périodes de difficultés et de restructurations. Il est évident que les entreprises sont réticentes à communiquer ouvertement avec leurs représentants sur ces questions. La première étape serait donc d’améliorer la transparence. Les représentants du personnel posent régulièrement des questions sur ces sujets, mais se heurtent souvent à des réponses évasives ou sans cesse reportées.
Au-delà de la visibilité, se pose également la question du suivi de ces aides et des moyens de s’assurer qu’elles correspondent à leurs objectifs initiaux et qu’elles produisent des résultats tangibles. Nous avons collaboré avec l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) sur ces questions complexes, mais il est impératif d’approfondir la réflexion sur les moyens de mesurer l’efficacité de ces aides au sein des entreprises, en impliquant activement les représentants du personnel. Cette approche pourrait constituer une première piste d’amélioration significative sur ce sujet central.
M. Bruno Delaye. Je souhaite apporter quelques précisions sur les montants des aides fiscales ou des exonérations. La lecture des comptes d’exploitation en commission économique, avec l’aide de nos experts, révèle que les données ne sont pas toujours transparentes ni consolidées au niveau de l’entreprise. Il est probable que les centaines de millions d’euros mentionnés résultent d’un cumul d’aides perçues par différentes entités juridiques de l’entreprise.
La plupart des entreprises bénéficient d’exonérations de cotisations sociales et de crédits d’impôts. L’impact sur l’emploi de ces mesures ne peut être évalué qu’au niveau macroéconomique et non pas pour chaque entreprise. Ces exonérations ne sont effectivement pas conditionnées, ce qui s’explique par leur nature. En effet, les mesures générales, bénéficiant à toutes les entreprises, ne peuvent, par définition, être soumises à des conditions.
Il faut distinguer les aides générales des mesures ponctuelles destinées à sauver une entreprise spécifique ou à accompagner son implantation, qui peuvent comporter des engagements sur l’emploi, assortis de clauses de remboursement en cas de non-respect. Notre rôle, comme le vôtre, pourrait être d’examiner plus en détail ces dispositifs.
M. le président Denis Masséglia. Monsieur Macé, vous avez évoqué la transmission tardive des informations aux syndicats. Ne pensez-vous pas qu’une solution pour réduire les PSE serait d’anticiper les transformations de l’entreprise ? Il s’agit d’accompagner les entreprises dans la prévision des changements à venir et de trouver des solutions pour minimiser leurs conséquences négatives, car ces situations sont évidemment difficiles pour les salariés et pour l’ensemble des acteurs de l’entreprise.
Dans cette optique, le législateur pourrait-il envisager d’imposer une présence accrue des représentants du personnel ou des salariés au sein des conseils d’administration et de la direction des groupes afin de permettre un échange plus approfondi et un meilleur accompagnement de l’entreprise dans sa transformation ?
M. Sylvain Macé. L’anticipation est effectivement la clef. Nous sommes consternés par la situation dans la grande distribution. Dès 2000, des articles annonçaient « la fin de l’hypermarché ». Cela fait donc vingt-cinq ans que le modèle de l’hypermarché est considéré comme étant en difficulté. Aujourd’hui, nous faisons face à des plans sociaux, des réductions de surface de vente, des passages en location-gérance, et ces problématiques étaient pourtant clairement identifiables depuis longtemps.
Prenons l’exemple de Casino, pour lequel tous les signaux d’alerte étaient allumés depuis longtemps. Nous sommes toujours surpris lorsqu’on nous annonce la mise en place d’un PSE ou d’autres dispositifs au dernier moment, c’est-à-dire lorsqu’il n’y a plus aucune possibilité d’éviter la restructuration, alors que le dialogue devrait se situer en amont. Nous savons que certains modèles rencontrent des difficultés structurelles, comme les magasins trop grands. La question est de savoir à quel moment cette problématique est évoquée, et cela ne doit certainement pas être au moment des plans sociaux, car il est alors trop tard. Nous sommes conscients de la guerre des prix qui sévit dans la grande distribution, entraînant des dommages collatéraux, notamment sur le coût du travail. Mais à quel moment aborde-t-on ces sujets avant d’en arriver à céder des magasins en franchise ou en location-gérance ?
Notre constat sur le dialogue social en entreprise est que les projets qui nous sont présentés sont déjà finalisés, ne laissant aucune marge de manœuvre. La solution réside donc dans l’anticipation et nous y sommes prêts ; nous tirons la sonnette d’alarme depuis longtemps. La problématique de la recomposition de la grande distribution, que j’ai évoquée précédemment, doit être traitée maintenant, pas dans deux ans quand il sera trop tard.
Nous devons mener un véritable travail dans le cadre du paritarisme. Les fédérations patronales ne devraient pas se concentrer uniquement sur des textes de loi mais se préoccuper aussi de l’anticipation en matière de destruction d’emplois, dans leur propre intérêt également.
La représentation des salariés dans les conseils d’administration est effectivement une bonne chose. Cette pratique existe déjà, mais nous pourrions envisager d’augmenter leur nombre. La loi actuelle impose toutefois des contraintes importantes en matière de confidentialité et de communication, de nature à neutraliser parfois les alertes qui pourraient être formulées.
Dans le cas de la société Auchan, qui n’est pas cotée en Bourse, nous pourrions également envisager ce type de représentation. La question est de savoir comment lever certains freins en matière de communication dans toutes les directions, à la fois vers les salariés, les représentants du personnel, l’administration et l’État. Actuellement, les possibilités offertes aux membres du conseil d’administration sont assez limitées.
M. le président Denis Masséglia. Il est en effet toujours délicat de trouver le juste équilibre entre la transmission d’informations à l’ensemble des salariés et la protection de l’entreprise contre des fuites potentiellement préjudiciables à sa situation économique. Il serait pertinent de travailler sur ce sujet, tout en veillant à maintenir cet équilibre.
M. Pierre Fostier, délégué syndical FO. Des dispositifs existent déjà pour anticiper les difficultés. Mes collègues de la CFTC ont évoqué les anciens accords de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), remplacés par les nouveaux accords de GEPP. Malheureusement, ces accords n’ont jamais été utilisés efficacement pour anticiper et éviter les PSE.
Par ailleurs, nous disposons déjà des CSE et des CSE centraux, où nous sommes informés et consultés sur les nouvelles stratégies et les changements mis en place. À de nombreuses reprises, toutes les organisations syndicales ont averti la direction qu’elle faisait fausse route sur plusieurs orientations stratégiques. Le dernier exemple en date concerne les caisses en libre-service, qui font en réalité travailler le client, qui remplace un employé. Nous avions prévenu que non seulement cela ne fonctionnerait pas, mais que cela engendrerait également de nombreuses pertes financières. La direction l’a finalement admis mais, si nous avions été véritablement écoutés au lieu de simplement être entendus, ces pertes auraient pu être évitées.
C’est précisément ce genre de décisions qui peuvent ensuite conduire à des PSE, car les dirigeants mettent en place des stratégies sans tenir compte de nos avertissements. Malheureusement, les instances sont devenues de simples chambres d’enregistrement où nos propos et nos propositions ne sont pas réellement pris en considération. Nous ne sommes pas systématiquement opposés, mais nous expliquons la réalité du terrain, sachant ce qui peut ou ne peut pas fonctionner.
M. Benjamin Lucas-Lundy, rapporteur. Vos interventions ont éclairci certains points, notamment s’agissant de l’importance d’une meilleure représentation des salariés dans la gouvernance de l’entreprise, des salaires et de la transparence, qui facilite grandement la compréhension des enjeux.
Monsieur Martinaud, vous avez évoqué précédemment une succession de plans sociaux. Pourriez-vous nous donner une estimation, voire un chiffre précis, de leur nombre ces dernières années ? Si vous en avez connaissance, quelle est la durée moyenne entre chaque plan social ? Ces informations nous permettraient d’avoir une vision plus concrète de la situation.
M. Franck Martinaud. Nous avons connu quatre plans en l’espace de dix ans : en 2014, 2019, 2020 et 2024. Cette fréquence est particulièrement alarmante car, à peine un plan terminé, un autre est déjà en préparation. Le plus inquiétant est que l’expertise menée au niveau des CSE centraux a démontré que le plan en cours n’apportera pas d’amélioration significative à la situation de l’entreprise et ne fera que mettre 2 000 personnes en difficulté. Nous anticipons déjà de futurs projets destructeurs d’emplois, que ce soit par la réduction de la superficie de certains magasins ou par le développement de la franchise. Ces projets, qui se profilent pour les mois et années à venir, auront inévitablement des répercussions négatives. Les PSE sont systématiquement présentés comme des solutions pour redresser l’entreprise, mais force est de constater qu’après chaque plan, les résultats de l’entreprise continuent de se dégrader. Ils n’ont donc pour seul effet, finalement, que de précariser un grand nombre de personnes.
M. le rapporteur. Quelles sont, selon vous, les raisons de cette succession de PSE ? S’agit-il d’un manque de planification ou d’anticipation ? Pensez‑vous que les directions successives subissent cette situation, découvrant après chaque PSE la nécessité d’en mettre un autre en place ou bien s’agit-il d’une stratégie délibérée et assumée ?
M. Franck Martinaud. Le problème majeur réside dans le manque de stabilité. Auchan, entreprise fondée dans les années 1960-1970 avec une vision de commerçant, a progressivement basculé vers une approche purement économique, perdant de vue son essence commerciale. Prenons l’exemple récent des petits magasins de centre-ville, baptisés « Auchan Piéton ». Nous en avons ouvert jusqu’à cent avant de réaliser que tous étaient déficitaires. Il est regrettable d’avoir dû en ouvrir autant avant de constater l’échec du modèle économique. Cette situation s’explique en partie par les changements incessants de direction, remplacée tous les dix-huit à vingt-quatre mois. Chaque nouvelle équipe arrive, dresse un état des lieux, élabore un projet, mais n’a pas le temps de le déployer avant d’être remplacée. Cette instabilité, couplée à une structure d’entreprise qui a longtemps privilégié la distribution de dividendes au détriment des investissements, a fragilisé l’entreprise. Nous nous sommes retrouvés dans une impasse, avec des résultats économiques insuffisants et des choix stratégiques discutables. Nous avons par exemple privilégié l’international alors que nos magasins français nécessitaient une modernisation. Certains magasins ont besoin d’être rénovés pour rester attractifs, mais cette priorité n’est ni celle de l’actionnaire ni celle des dirigeants. Aujourd’hui, ce sont malheureusement les salariés qui en paient le prix.
M. Gilles Martin. La multiplicité des erreurs stratégiques est effectivement liée aux nombreux changements de gouvernance qu’a connus l’entreprise. Chaque nouvelle direction met en place sa propre stratégie, abandonnant souvent les projets en cours, ce qui déstabilise considérablement les équipes et les salariés sur le terrain. Ces changements fréquents de gouvernance entraînent des modifications de stratégie et d’organisation du travail dont les conséquences à long terme sur l’organisation générale de l’entreprise ont été particulièrement néfastes.
Un autre point concerne le vaste programme d’installation de caisses automatiques dans lequel s’est lancé Auchan et pour lequel les clients ont joué le rôle d’arbitre principal. Aujourd’hui, l’entreprise commence à revenir sur cette décision en réinstallant progressivement des caisses traditionnelles. Bien que cette évolution soit positive, car elle redonne de la valeur sociale à l’entreprise tout en ayant un sens économique, les pertes financières liées à l’installation des caisses automatiques ont été considérables. Il était donc impératif que l’entreprise réagisse, ce qu’elle commence à faire, et cette démarche a un réel impact.
M. Bruno Delaye. Les mauvaises décisions et les erreurs stratégiques ont aujourd’hui un impact bien plus lourd que par le passé. L’entreprise – et cela rejoint la question de l’anticipation – fait face à une accélération sans précédent du paysage économique de la grande distribution avec une émergence croissante de nouveaux acteurs, notamment dans l’e‑commerce. Hier encore, le patron de l’enseigne U évoquait l’impact croissant du Groupe Shein, particulièrement populaire auprès des jeunes générations. L’ampleur de ces changements est sans commune mesure avec ce que nous avons connu par le passé. La question qui se pose est donc celle de la capacité de nos entreprises à s’adapter à cette accélération. Même avec une anticipation optimale, nous nous trouvons souvent en position de subir les événements, notre marge de manœuvre dans cet environnement économique étant extrêmement réduite. Nous sommes donc davantage dans une logique de rattrapage, aux fins de limiter les dégâts.
M. le rapporteur. Nous avons évoqué les plans sociaux successifs, notamment celui dont les négociations ont débuté fin 2024. Pourriez-vous nous présenter le contenu de ce plan ? Quels ont été les principaux points d’attention lors des négociations ? Quelles évolutions significatives ont été obtenues depuis la présentation du projet initial ? Enfin, sur quels aspects estimez-vous qu’il aurait été possible d’aller plus loin ou de faire mieux ?
M. Gilles Martin. L’annonce des suppressions de postes, qui précède généralement un PSE, relève d’une décision unilatérale de l’employeur. Le PSE, pour sa part, est mis en place par ce dernier dans l’objectif d’offrir un accompagnement aux salariés dont les postes sont supprimés. Il vise à favoriser leur reclassement au sein de l’entreprise ou, à défaut, à leur proposer un appui à la mobilité externe. Ces aides, négociées avec les partenaires sociaux, se révèlent généralement plus avantageuses que ce qui serait proposé sans négociation. Le PSE apporte donc une véritable valeur ajoutée, permettant un réel accompagnement des salariés concernés. Il convient également de rappeler que la signature d’un PSE ne signifie pas nécessairement l’adhésion aux suppressions de postes elles‑mêmes.
Dans le cadre de cet accord, plusieurs dispositifs ont été instaurés. Nous avons notamment prévu des mesures d’accompagnement à la mobilité interne, assorties de primes incitatives. Pour la mobilité externe, des aides à la création d’entreprise ont été mises en place, pouvant atteindre 14 000 euros, ainsi que des dispositifs d’accompagnement à l’embauche. Des programmes de formation ont également été élaborés, avec des moyens dédiés.
Bien que l’ensemble des dispositifs envisageables ait été mobilisé, nous savons que la négociation pourrait encore être approfondie. L’idéal serait une mobilisation d’ampleur de tous les salariés pour renforcer notre poids dans les discussions mais certaines réalités freinent cette dynamique. Il est souvent plus simple de fédérer les salariés lorsqu’un site entier est menacé de fermeture mais, lorsqu’il s’agit d’un PSE avec des suppressions de postes réparties sur plusieurs sites, et parfois quelques personnes concernées sur chacun d’eux, il devient nettement plus difficile pour les organisations syndicales de mobiliser à l’échelle nationale. Cette dispersion limite notre capacité à peser davantage dans la négociation.
M. Bruno Delaye. La négociation a été complexe. La composition de notre délégation, avec des représentants de chaque entité juridique, nous a permis d’harmoniser nos revendications. La complexité de ce PSE résidait dans la diversité des attentes, car certains salariés seniors aspiraient à des congés de fin de carrière, d’autres catégories professionnelles étaient éligibles à des départs volontaires, tandis qu’une majorité faisait face à des départs contraints.
Au cours des négociations, nous avons donc veillé à obtenir des mesures favorisant la mobilité interne, incluant des garanties de maintien de salaire et des primes incitatives. La formation professionnelle, tant en interne qu’en externe, a constitué un autre axe majeur de notre stratégie. Il est d’ailleurs regrettable de constater que le compte personnel de formation (CPF) reste aujourd’hui sous-utilisé par les salariés. Ce point mériterait une attention particulière car, contrairement à certaines idées véhiculées par les médias, le CPF n’est pas principalement utilisé pour passer le permis de conduire. Dans le cadre de notre négociation, nous avons obtenu des enveloppes et des durées de formation significatives, allant bien au‑delà des minima légaux prévus pour les PSE. Nous avons ainsi pu étendre les périodes de formation jusqu’à dix-huit mois, voire vingt-quatre mois pour les seniors ou dans des cas particuliers.
Ces éléments constituent des avancées structurantes et favorables dans le cadre de la négociation. Il est toujours possible de demander davantage, mais il faut savoir trouver un compromis. Le bon accord est souvent celui qui ne satisfait pleinement aucune des parties.
M. Franck Martinaud. S’agissant des mesures d’accompagnement, nous avons rencontré un obstacle majeur qui nous a empêchés d’être signataires de l’accord. L’entreprise a franchi une ligne rouge en ne garantissant pas le maintien du salaire et de l’ancienneté en cas de reclassement interne. Cette décision, infligeant une double peine aux salariés, nous est apparue comme inacceptable et incompréhensible. Non seulement ils perdaient leur emploi initial, mais il leur était également demandé de consentir à une baisse de salaire pour un reclassement au sein du même magasin. Dans un secteur où les rémunérations sont déjà modestes, une perte de 100 à 150 euros par mois est tout simplement insoutenable pour les employés.
Un autre point de désaccord concernait l’absence de possibilités de reclassement au sein des autres enseignes de l’AFM. Bien que ces entreprises ne forment pas officiellement un groupe, elles sont étroitement liées et il est fréquent de trouver sur le même site commercial un hypermarché Auchan, un Décathlon, un Leroy Merlin ou un Boulanger. Comment justifier auprès d’un vendeur d’équipements chez Auchan qu’il soit licencié et qu’un reclassement dans un magasin Boulanger voisin, vendant des produits similaires, ne lui soit pas proposé ? Ces employés ayant souvent plusieurs dizaines d’années d’expérience dans la vente, leurs compétences sont directement transférables. D’un point de vue social, l’entreprise aurait dû faciliter ces reclassements inter-enseignes. Elle en a la capacité économique, comme le prouve le partage des données clients entre les différentes marques. Il est paradoxal de mutualiser les ressources à des fins économiques mais de refuser cette approche quand il s’agit de préserver l’emploi. Nous estimons que c’était de la responsabilité de l’actionnaire et de l’entreprise d’offrir cette option aux salariés, particulièrement compte tenu de leur ancienneté et de leur contribution au développement de l’entreprise au fil des années.
M. Gilles Martin. La question du groupe est un sujet que nous portons depuis longtemps. Dès l’annonce des suppressions de postes, notamment à Dunkerque et Villeneuve‑d’Ascq, nous avons interpellé les parlementaires sur ce point central. Cette association, bien qu’elle ne se présente pas comme telle, fonctionne de fait comme un groupe, puisqu’elle procède à des achats groupés et partage ses données. Sur le plan économique, cette réalité est indéniable, alors que l’aspect social est malheureusement négligé.
Cette situation est particulièrement incompréhensible et inacceptable pour les salariés. Il est inconcevable qu’une famille aussi fortunée, à la tête d’un empire commercial considérable, ne soit pas en mesure d’offrir des passerelles sociales aux employés touchés par des suppressions de postes au sein de l’une de ses entreprises. Je mets au défi les dirigeants, qui reconnaissent l’esprit d’entreprise de leurs salariés, de pousser leur raisonnement jusqu’au bout en mettant en place ces passerelles sociales et économiques pour permettre aux employés de circuler entre les différentes entités du groupe.
M. Sylvain Macé. Un important mouvement de protestation a eu lieu chez Décathlon consécutivement à l’annonce simultanée du PSE et de la distribution d’un milliard d’euros de dividendes, car cette situation est totalement incompréhensible pour les salariés. Le refus de se reconnaître en tant que groupe traduit une volonté manifeste de contourner les dispositifs sociaux existants et cette pratique est malheureusement courante dans de nombreux groupes de la grande distribution.
L’absence de reconnaissance de l’AFM en tant que groupe a des conséquences directes sur les moyens d’accompagnement social offerts aux salariés, car l’aide et le soutien apportés diffèrent considérablement selon que le périmètre considéré inclut une seule entreprise ou l’ensemble des centaines de sociétés de la famille Mulliez. Cette situation soulève également des questions sur le partage de la valeur, qui serait nécessairement différent si les résultats de l’ensemble du groupe étaient pris en compte.
L’absence de réponse à propos des reclassements est donc incompréhensible pour tous.
M. Pierre Fostier. Parallèlement au PSE, l’entreprise lance un projet de réduction des surfaces de vente, du nombre d’articles et de produits, entraînant de fait une diminution des besoins en personnel. Cette stratégie rend les reclassements internes quasiment impossibles. Dans de nombreuses zones, les salariés touchés par le PSE sont informés de l’impossibilité de les reclasser en raison de cette réduction d’activité.
Nous sommes ainsi confrontés à un double effet pervers. D’une part, le PSE immédiat et, d’autre part, un projet de réduction des surfaces qui s’étendra jusqu’en 2027. Selon les calculs des experts fondés sur les chiffres fournis, ce projet entraînera à terme la suppression d’un nombre de postes supérieur à celui du PSE actuel, mais de manière progressive et moins médiatisée. L’entreprise compte utiliser le nouvel accord de GEPP pour mettre en œuvre ces changements.
Certains sites ont déjà commencé à supprimer des postes, notamment dans les services d’emballage, considérés comme non essentiels. Ces suppressions ne sont pas incluses dans le PSE et seront progressivement mises en œuvre dans 66 magasins sur une période de deux à trois ans. Même si un accord de reclassement interne existe, il est moins avantageux que celui du PSE de 2021 et les opportunités de reclassement seront de toute façon limitées en raison de la réduction globale des effectifs.
M. le rapporteur. Vous avez évoqué une situation qui, vue de l’extérieur, paraît scandaleuse. L’AFM n’étant pas reconnue juridiquement comme un groupe, elle échappe à l’obligation de reclassement, avec les conséquences dramatiques que vous avez décrites.
Tout d’abord, avez-vous interpellé les pouvoirs publics sur cette situation ? Une intervention législative pourrait être un moyen de résoudre ce problème. Lors du plan social chez Alinéa, en 2020, un engagement moral de reclassement dans d’autres entreprises du « groupe » aurait été pris. Avez-vous des informations sur le respect de cet engagement ? A‑t‑il été tenu partiellement ou totalement ?
Par ailleurs, confirmez-vous que, dans le cadre du plan actuel, aucun engagement moral de cette nature n’a été pris ou discuté ? Une telle initiative aurait pu être envisagée par la direction avec laquelle vous négociez, compte tenu des proximités géographiques, des similitudes de métiers et de l’identité de groupe qui existe de fait.
M. Bruno Delaye. Nous ne disposons d’aucun élément concret à propos de l’engagement moral pris lors du plan social chez Alinéa. Bien que nous ayons quelques contacts avec nos homologues syndicaux dans ces entreprises et des échanges par le biais de nos fédérations, nous n’avons eu aucun retour. J’espère qu’une commission de suivi a été mise en place avec les représentants du personnel dans cette entreprise pour évaluer la situation.
Ce que nous savons, c’est que l’AFM vient de mettre en place un outil nommé Tipik, qui est une bourse à l’emploi conçue pour les collaborateurs des enseignes de l’AFM, visant à leur permettre d’être acteurs de leur développement professionnel. Nous avons obtenu un engagement des ressources humaines selon lequel un salarié postulant dans une entreprise de l’AFM par le biais de Tipik bénéficierait d’une recommandation sur son curriculum vitæ. Nous resterons attentifs aux résultats concrets de cette initiative.
M. Franck Martinaud. La parole, qui a effectivement été donnée, n’a aucune valeur contraignante. Dans le cas des reclassements, nous préconiserions une obligation légale plutôt qu’un simple engagement moral car, même si celui-ci est pris de bonne foi par une personne bien intentionnée, celle-ci pourrait ne plus être en poste dans six mois, limitant ainsi considérablement la portée de sa promesse. Une obligation formelle garantirait une meilleure protection des salariés sur le long terme.
M. Gilles Martin. Je tiens à souligner la complexité inhérente aux propositions de passerelles entre Auchan et les autres entités, malgré la bonne foi apparente des déclarations. Ces intentions, bien que louables, ne se traduisent pas par des engagements écrits.
En ce qui concerne Alinéa, nous n’avons aucune garantie concrète quant au reclassement effectif d’une partie du personnel, comme cela avait été annoncé. J’insiste sur l’importance d’une rédaction précise et exhaustive des perspectives et des engagements dans le PSE, essentielle pour créer une obligation contraignante et assurer un suivi rigoureux des actions promises.
M. Sylvain Macé. Nous avons interpellé les pouvoirs publics sur cette question, mais n’avons malheureusement reçu aucune réponse à ce jour. Il est cependant nécessaire de souligner qu’une initiative législative sur ce sujet pourrait être envisageable. De nombreux travaux ont déjà été réalisés dans ce domaine, offrant une base solide pour faire avancer la réflexion. Le législateur devrait désormais se saisir de cette opportunité et engager un travail sur cette question.
Mme Estelle Mercier (SOC). Je souhaite revenir sur les évolutions majeures qui ont structuré le Groupe Auchan, particulièrement en ce qui concerne le dialogue social et les questions économiques. Vous avez évoqué précédemment les erreurs stratégiques, les projets fermés, les changements de gouvernance et l’évolution qui, depuis 2014, semble avoir été particulièrement chaotique.
Ma première interrogation porte sur l’impact de la fusion des instances représentatives du personnel (IRP) sur la qualité du dialogue avec la direction d’Auchan. Avez-vous constaté une évolution significative ? Cette restructuration a-t-elle pu influencer les décisions prises aujourd’hui ou contribuer aux erreurs stratégiques et aux difficultés de gouvernance ?
Ma deuxième question concerne le sentiment d’impuissance des organisations syndicales dans ce dossier. Vous avez évoqué votre volonté de faire évoluer la situation, en vain. Pourriez-vous nous éclairer sur la structure du dialogue social chez Auchan ? J’ai cru comprendre qu’il existait des CSE très décentralisés et que plusieurs CSE semblaient être concernés par la question des suppressions d’effectifs. Cette dispersion et cette décentralisation ne risquent-elles pas d’affaiblir le rapport de force et l’impact des actions syndicales ?
Enfin, en ce qui concerne la formation, dans le contexte des transformations majeures que connaît le secteur de la distribution, notamment liées au développement des achats en ligne depuis plus d’une décennie, comment évaluez-vous l’anticipation et l’accompagnement de ces évolutions ? La loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, avec la création des opérateurs de compétences (Opco) et les modifications introduites quant à l’accompagnement de l’évolution des métiers, a-t-elle eu un impact positif sur l’accompagnement des évolutions des métiers et des éventuels reclassements ?
M. Bruno Delaye. Je dirais que le dialogue social dans notre entreprise est plutôt satisfaisant, bien qu’il puisse se dégrader dans les périodes de turbulences. Nous disposons d’instances locales et nationales, notamment de comités centraux, et, bien que nous puissions toujours souhaiter être davantage entendus, ce dialogue existe bel et bien.
Je tiens à souligner une évolution significative liée à la mise en place des CSE. Nous constatons une perte d’attractivité des rôles autrefois dévolus aux élus du comité d’entreprise (CE) ou d’établissement et aux délégués du personnel. En particulier, l’instance dédiée aux conditions de travail, anciennement comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), est désormais réduite à une simple commission, ce qui engendre une lourdeur de gestion accrue et une diminution du pouvoir décisionnel en matière de conditions de travail. Ce point soulève des interrogations au sein de l’ensemble des organisations syndicales, tous secteurs confondus, quant à l’efficacité de ces nouvelles structures.
S’agissant de la formation, j’ai mentionné précédemment l’accord de GEPP, qui inclut notamment la création d’un observatoire des métiers. Cet outil, que nous devons développer davantage, n’a pas fonctionné de manière optimale les années précédentes alors qu’il représente pourtant une opportunité intéressante. En combinant cet observatoire avec les travaux prospectifs menés au niveau de la branche, nous devrions être en mesure d’anticiper l’évolution, voire la disparition potentielle de certains métiers.
Pour illustrer mon propos, prenons l’exemple du métier de décorateur en magasin. Autrefois centré sur la création manuelle d’affiches, ce rôle évolue aujourd’hui vers une gestion de la communication à travers des supports électroniques. Nous pouvons envisager qu’à l’avenir, ce processus soit entièrement automatisé et centralisé au niveau national. Il est donc essentiel d’aborder ces évolutions avec tact et maturité auprès des salariés concernés, en soulignant que l’identification d’un métier sensible ou en tension ne signifie pas nécessairement sa disparition immédiate, mais plutôt une transformation à anticiper et à accompagner.
Je suis convaincu que l’ensemble de ces travaux, menés en collaboration avec les Opco et notre observatoire interne des métiers, ainsi qu’au niveau de la branche, nous permettront d’accompagner efficacement l’évolution des métiers dans le secteur de la grande distribution.
M. Gilles Martin. En ce qui concerne les évolutions de gouvernance et les rapports avec les organisations syndicales, nous nous trouvons, en effet, systématiquement mis devant le fait accompli. Or ces modifications engendrent de réelles problématiques au sein de nos organisations syndicales, nous obligeant à nous adapter constamment à de nouveaux interlocuteurs porteurs de nouvelles orientations stratégiques.
Il est indéniable que le dialogue social existe chez Auchan, comme en témoigne notre accord dédié qui prévoit la présence de délégués syndicaux retail, de délégués syndicaux centraux pour l’exploitation, la logistique et les services d’appui, ainsi qu’une déclinaison de délégués régionaux. Cet accord offre un cadre propice à une véritable communication sociale au sein de l’entreprise, avec des moyens conséquents.
Nous disposons de CSE locaux et d’un CSE central et, bien que toutes ces instances fonctionnent et reçoivent les informations nécessaires, nous sommes trop souvent mis devant le fait accompli. Notre modèle est loin de la cogestion pratiquée en Allemagne. Les informations nous sont communiquées, mais notre marge de manœuvre pour influencer les décisions stratégiques reste limitée.
En ce qui concerne la formation, il est important de souligner que le PSE prévoit la suppression de postes, notamment de vendeurs, et qu’il s’agit clairement d’un choix stratégique de l’entreprise. Nos experts, lors de l’analyse du PSE, ont souligné que la décision d’Auchan de réduire les surfaces de vente et de supprimer les postes de vendeurs ne correspondait pas nécessairement aux pratiques observées dans les autres enseignes du secteur. Cette divergence soulève des interrogations légitimes sur la pertinence de la stratégie.
Auchan aurait pu mettre en avant la performance de nos équipes et de nos vendeurs, en s’inspirant du modèle relativement efficace de Darty, qui repose sur une vente assistée avec des vendeurs motivés et un service après-vente performant. La notion de performance doit s’appliquer à l’ensemble de la chaîne.
En ce qui concerne les CHSCT, leur importance était capitale et leur disparition est regrettable. En tant qu’ancien secrétaire, je peux affirmer que nous étions en mesure de faire évoluer les choses positivement, en collaboration avec les agents de la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), les médecins du travail et les inspecteurs du travail. Cette instance, qui permettait concrètement de faire bouger les lignes, manque aujourd’hui à toutes les organisations syndicales.
Enfin, au sujet de la politique de réduction des surfaces, il est légitime de s’interroger sur la volonté clairement affichée d’Auchan de basculer des supermarchés en franchise. Nous faisons actuellement partie d’un service intégré, ce qui nous permet d’accompagner les salariés. Demain, ces salariés seront indéniablement plus vulnérables, n’étant plus rattachés au domaine intégré et se retrouvant face à un employeur unique. Il est regrettable que ces salariés perdent potentiellement la vision, l’aide et l’appui des organisations syndicales intégrées et j’estime que le législateur a un véritable droit de regard sur cette question.
M. Franck Martinaud. S’agissant du dialogue social, l’accord qui existe chez Auchan n’a obtenu l’adhésion d’aucune organisation syndicale. Auchan l’a d’ailleurs récemment dénoncé.
Un autre changement significatif concerne la transition entre CE et CSE. Si chaque hypermarché disposait auparavant de son propre CE, le fonctionnement s’articule désormais autour de ce qu’Auchan nomme des « zones de vie », avec trois ou quatre hypermarchés et des supermarchés au sein d’un même CSE. Le périmètre d’action est de plus en plus vaste pour les délégués locaux, rendant ardue la tâche de représentant du personnel. Les contraintes géographiques, temporelles et les limitations deviennent considérables.
Pour un représentant du personnel pour trois hypermarchés, sans détachement à temps plein et avec un nombre d’heures de délégation inchangé, la situation se complexifie. Un hypermarché fonctionne en continu, avec des salariés qui travaillent de nuit comme de jour, ce qui rend notre mission particulièrement délicate. Nous sommes inquiets pour l’avenir car la nouvelle organisation semble devoir encore compliquer davantage notre quotidien.
M. Pierrick Courbon (SOC). Le secteur de la grande distribution est extrêmement fragilisé et les plans sociaux s’y multiplient. Contrairement aux plans dans le secteur industriel, où la suppression de centaines d’emplois sur un même site appelle l’attention médiatique et politique, les suppressions d’emplois dans la grande distribution, bien que totalisant des milliers de postes, sont mises en œuvre de manière plus discrète. Ce phénomène tend à passer sous les radars médiatiques. Or c’est précisément le rôle de notre commission d’enquête que de donner de la visibilité à ces situations, parfois moins médiatisées mais qui affectent paradoxalement un plus grand nombre d’emplois.
S’agissant du dernier PSE, qui concerne 1 380 postes, je souhaiterais savoir quel a été ou quel est l’engagement des services de l’État au niveau local dans chacun des territoires touchés. Les directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets) s’emparent-elles véritablement des situations ou considèrent-elles que la suppression de trente emplois dans deux magasins ne justifie pas d’action particulière ? Existe‑t‑il des disparités territoriales dans l’engagement et la proactivité des services de l’État ?
Plus largement, lorsque plusieurs sites sont concernés, comme c’est souvent le cas, pensez-vous qu’il serait opportun de désigner un chef de file pour garantir une égalité de traitement de tous les salariés et un engagement uniforme des services publics dans l’ensemble des territoires ?
M. Gilles Martin. Bien que nous entretenions des relations avec certains directeurs régionaux de l’administration du travail, ce qui peut faciliter et accélérer les processus, la désignation d’un chef de file administratif pour nous assister et servir d’appui technique et administratif aurait indéniablement du sens. Cela permettrait aux organisations syndicales de débloquer plus rapidement certaines situations.
Il serait même pertinent d’envisager l’intervention des services de l’État lors de la négociation d’un PSE, car la présence de personnels compétents en matière de conditions de travail et de négociations pourrait s’avérer bénéfique pour l’intérêt général.
M. Sylvain Macé. À notre connaissance, le dispositif Transitions collectives (Transco) n’a pas été utilisé. Ce mécanisme, créé en janvier 2021 en concertation avec les partenaires sociaux, permet pourtant aux employeurs d’anticiper les mutations économiques dans leur secteur et d’accompagner les salariés dans une reconversion sereine, préparée et assumée vers un métier dans leur bassin de vie. La complexité administrative du dispositif est susceptible de freiner sa mise en œuvre. Nous n’avons aucun retour sur son application et je doute qu’Auchan s’en soit véritablement emparé.
M. Bruno Delaye. Ce PSE national est piloté par la Dreets des Hauts‑de‑France. Notre sentiment général est celui d’un manque de proactivité de la part des Dreets. Leurs représentants pourraient, par exemple, prendre l’initiative de contacter les représentants du personnel et d’assister aux réunions, d’autant qu’ils reçoivent les convocations. Dans la réalité, nous nous retrouvons livrés à nous‑mêmes alors qu’une présence active aurait pu être bénéfique.
La direction a certes rempli son rôle en informant régulièrement la Dreets, mais celle‑ci ne disposait que d’un seul point de vue. C’est nous qui avons dû prendre l’initiative d’aller à sa rencontre pour exprimer nos interrogations sur la construction des catégories professionnelles.
M. Pierrick Courbon (SOC). Confirmez‑vous donc que toutes les suppressions d’emplois sont examinées par la Dreets des Hauts‑de‑France, sans aucune gestion de proximité ?
M. le président Denis Masséglia. La législation actuelle prévoit que le PSE est géré par la Dreets territorialement compétente au regard du lieu d’implantation du siège de l’entreprise ou du groupe. C’est également le cas pour Michelin : le PSE mis en œuvre à Cholet est géré par la Dreets d’Auvergne-Rhône-Alpes car c’est à Clermont-Ferrand que le groupe a son siège.
M. Pierrick Courbon (SOC). Bien que j’entende vos explications, notre rôle consiste à envisager des évolutions législatives pour répondre aux situations que nous décrivent aujourd’hui certains représentants des salariés. Il s’agit de mettre en lumière la situation actuelle et de constater qu’elle ne constitue pas nécessairement la meilleure approche pour accompagner les salariés au plus près du terrain. Nous devrions donc réfléchir à des préconisations pour faire évoluer la législation dans ce sens.
M. Franck Martinaud. Nous sommes en accord avec cette proposition.
Ce PSE concerne notamment un magasin à Clermont-Ferrand, dont la fermeture implique 200 suppressions d’emplois ; pourtant, il est géré par la Dreets des Hauts‑de‑France.
Nous nous interrogeons par ailleurs sur la procédure d’homologation ou de validation du PSE par la Dreets et sur le niveau d’analyse qui diffère aujourd’hui selon qu’il existe ou non un accord majoritaire. Nous doutons fortement qu’une homologation systématique soit réellement bénéfique pour les salariés, par opposition à une simple validation. Dans tous les cas, nous estimons que le pouvoir de la Dreets devrait être total, et non partiel, quel que soit l’accord en place.
M. Pierre Fostier. L’existence de signatures majoritaires sur un PSE se justifie par les mesures d’accompagnement proposées. Sans signature, ces mesures ne sont pas accordées. Malheureusement, en cas de signature majoritaire, la Dreets se contente d’une simple validation, sans examiner en détail les catégories professionnelles et d’autres aspects essentiels du plan.
Dans le cas de ce PSE, les experts ont relevé qu’au moins deux catégories professionnelles n’auraient pas dû être soumises au système contraint. Il s’agit des conseillers commerciaux et des vendeurs en équipement de la maison, pour lesquels un plan de départs volontaires ou l’utilisation de l’accord de GEPP aurait été plus approprié. 676 suppressions de postes sont prévues, alors même qu’environ 400 personnes continueront d’effectuer le même travail pour une rémunération inférieure. Cette situation est particulièrement problématique.
S’agissant des chefs de secteur, une distinction a été faite entre l’alimentaire et le non‑alimentaire, alors qu’il s’agit du même poste et qu’un plan de départs volontaires aurait dû être mis en place, comme pour les services centraux : en effet, lorsque les postes ne sont pas tous supprimés, le départ devrait être volontaire plutôt que contraint. Malheureusement, la Dreets ne peut pas intervenir du fait de la signature majoritaire qui empêche un examen détaillé de ces aspects.
M. le président Denis Masséglia. Je vous propose de compléter nos échanges en répondant par écrit au questionnaire que nous vous avons transmis. Je vous remercie.
La séance s’achève à seize heures quarante.
Présents. – M. Pierrick Courbon, M. Benjamin Lucas-Lundy, M. Denis Masséglia, Mme Estelle Mercier