Compte rendu
Commission d’enquête sur
les défaillances des
pouvoirs publics face à la multiplication des plans
de licenciements
– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant les organisations syndicales représentatives d’ArcelorMittal 2
– Présences en réunion................................25
Mardi
13 mai 2025
Séance de 16 heures 30
Compte rendu n° 34
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Denis Masséglia, président
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La séance est ouverte à seize heures trente-cinq.
Présidence de M. Denis Masséglia, président.
La commission d’enquête auditionne des représentants des organisations syndicales représentatives d’ArcelorMittal.
M. le président Denis Masséglia. Nous recevons à présent les organisations syndicales présentes chez ArcelorMittal.
L’entreprise, leader mondial de la sidérurgie et de l’industrie minière, a annoncé, il y a quelques jours, la suppression de 636 postes relevant de différents services, des lignes de production aux fonctions « support », répartis sur un peu moins de dix sites en France, parmi lesquels Dunkerque et Florange, les plus touchés.
Pour évoquer le sujet, et toutes les questions qui l’entourent, nous recevons :
– pour la CFDT : M. Jean-Marc Vecrin, représentant syndical national, M. Benoît Jean-Leroy, délégué syndical central, et M. Xavier Garat, délégué syndical ;
– pour la CGT : M. Gaëtan Lecocq, secrétaire général du syndicat sur le site de Dunkerque, et Mme Aline Baron, secrétaire générale adjointe ;
– pour FO : M. Paul Ribeiro, secrétaire fédéral national, M. Sylvain Ibanez, représentant syndical national, M. David Thourey, délégué syndical central, M. Tony Cascino, délégué syndical, et Mme Agnès Laurent, déléguée syndicale ;
– pour la CFE-CGC : M. Bruno Azière, secrétaire national à l’industrie, M. Xavier Le Coq, représentant syndical national, et M. Philippe Avocat, délégué syndical central.
Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, Mesdames, Messieurs, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Jean-Marc Vecrin, M. Benoît Jean-Leroy, M. Xavier Garat, M. Gaëtan Lecocq, Mme Aline Baron, M. Paul Ribeiro, M. Sylvain Ibanez, M. David Thourey, M. Tony Cascino, Mme Agnès Laurent, M. Bruno Azière, M. Xavier Le Coq et M. Philippe Avocat prêtent serment.)
M. Jean-Marc Vecrin, représentant syndical national CFDT. Au nom de la CFDT ArcelorMittal, je souhaite alerter cette commission d’enquête et l’ensemble de la classe politique française sur les décisions injustifiées prises par ArcelorMittal ces derniers mois. Nous craignons une accélération et une amplification du processus en cours, sans aucune garantie contraire à ce jour. Même M. Stéphane Séjourné, vice-président de la Commission européenne, estimait avoir répondu aux attentes de la direction d’ArcelorMittal. Dans le même temps, le message relayé par le ministre de l’industrie, M. Marc Ferracci, affirmant vouloir s’inscrire dans les discussions afin d’assurer l’aboutissement du projet de décarbonation, soulève une interrogation sur le poids réel de chacun face au Groupe Mittal.
Les restructurations ont, en réalité, débuté bien avant l’annonce du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) chez ArcelorMittal France. Elles ont touché les centres de services avec l’arrêt des sites de Reims et de Denain, puis l’entité de distribution avec de nouvelles fermetures d’agences. Ces restructurations se sont également étendues à l’Europe, sans que le comité de groupe européen n’en ait été informé. L’an dernier, des annonces concernant Fos-sur-Mer ont révélé la fermeture d’un des deux hauts fourneaux, touchant 10 % des effectifs pour une réduction de 50 % de la production. Nous anticipons d’autres annonces d’ici la fin de l’année.
Actuellement, trois procédures de restructuration sont en cours. Premièrement, au niveau des fonctions « support » du groupe, plus de 1 500 emplois sont concernés en Europe avec des perspectives de délocalisation en Pologne et en Inde. Nous avons d’ailleurs été surpris d’apprendre que l’intégralité du service Order Management de Florange, soit 25 salariés, était délocalisée en Belgique à cette occasion.
Deuxièmement, il y a le plan ReACT lancé par ArcelorMittal France, qui affecte également la production. Il est à noter que, lors de l’annonce de ce plan au comité social et économique (CSE), une réunion du comité de groupe européen se tenait simultanément au Luxembourg, sans que la direction ne mentionne les discussions en cours au siège national de Saint-Denis. Cela illustre le faible niveau de dialogue social au sein du groupe.
Enfin, une dernière restructuration est en cours au niveau de la distribution. Bien que les PSE de Reims, Denain et des agences commerciales soient clôturés, les experts ont alerté sur de probables nouvelles annonces à court terme.
En ce qui concerne le dialogue social autour de ces restructurations, ArcelorMittal a opté pour des consultations au cas par cas, privant ainsi les partenaires sociaux d’une vision d’ensemble. Cette approche permet au groupe de limiter les pressions politiques et médiatiques, tout en négociant ces restructurations individuellement, empêchant les représentants du personnel d’anticiper et de négocier sereinement.
Il est impératif que le groupe clarifie rapidement ses intentions. ArcelorMittal sollicite considérablement les pouvoirs publics et, bien que certaines demandes soient légitimes, comme la régulation des importations, la révision de la politique énergétique européenne ou la localisation des constructeurs automobiles pour une demande européenne, le groupe fonctionne depuis des années par un chantage à l’emploi qui n’est plus acceptable. Le dialogue social chez ArcelorMittal s’est dégradé au fil des ans, à tous les niveaux. Pour la direction, il s’agit principalement d’un exercice formel. Bien qu’elle respecte les procédures, les informations sur le fond sont minimales. Cette situation est particulièrement préjudiciable car elle nous prive de visibilité sur la stratégie du groupe à court et moyen terme.
Les ordonnances de 2017 ont considérablement affaibli les moyens des élus du personnel, même dans les grandes entreprises et particulièrement dans les entités de plus petite taille. Ces dernières existent chez ArcelorMittal, le groupe comprenant en France des filiales de moins de 300 salariés, où la réduction des moyens a été significative.
Lorsque le groupe a annoncé ses plans de décarbonation en Europe, certains responsables étaient suffisamment convaincus de leur importance pour penser impulser un renouveau industriel sur le continent. Ils ont, cependant, rapidement perdu leurs illusions, ce qui peut soulever des questions sur leur départ anticipé du groupe.
Sur le long terme, le bilan de Mittal en Europe s’apparente à un pillage et une désindustrialisation, avec la fermeture de nombreux actifs. Florange en est un exemple évident. Ce phénomène s’est reproduit partout en Europe, récemment avec la fermeture d’un haut fourneau à Cracovie, en Pologne. Cette désindustrialisation se manifeste ainsi : ArcelorMittal considère ses actifs européens comme des vaches à lait, cherche à obtenir des aides publiques, à optimiser l’activité partielle de longue durée et à réduire drastiquement ses investissements dans l’outil de production. Le groupe assèche clairement les sites, exploitant au maximum les ressources sans les renouveler. Les hauts fourneaux de Dunkerque figuraient parmi les plus récents et les plus performants d’Europe. Les récents problèmes de production, sur ce site mais également aux Asturies, témoignent de cette désindustrialisation silencieuse quoique massive.
Je souhaite mettre en lumière la « règle des trois dix ». Premièrement, ArcelorMittal affiche un taux d’endettement inférieur à 10 %, soit moins de 10 milliards d’euros de dettes nettes sur un bilan d’environ 100 milliards d’euros. Le groupe bénéficie donc d’une assise financière très saine, unique dans une industrie lourde comme la nôtre. Ensuite, pour son plan de décarbonation en Europe, il a exprimé un besoin de 10 milliards d’euros, dont il souhaitait obtenir au minimum 50 % sous forme de dettes publiques. Parallèlement, ArcelorMittal a reversé plus de 10 milliards d’euros à ses actionnaires en trois ans, combinant dividendes et rachats d’actions. Ainsi, bien que l’industrie sidérurgique européenne soit indéniablement en crise, ArcelorMittal disposait des ressources nécessaires à une approche vertueuse. Le groupe aurait pu poursuivre ses investissements en Europe tout en plaidant pour une réforme du marché de l’acier. Au lieu de cela, il a choisi la confrontation brutale, suspendant ses investissements et annonçant progressivement des restructurations de plus en plus importantes jusqu’à obtenir gain de cause. Cette politique a des conséquences néfastes, non pour le groupe lui-même, mais pour nous tous. ArcelorMittal aurait pu se donner le temps nécessaire avant de fragiliser ses outils de production en Europe. Force est de constater que le groupe avait les moyens de maintenir une politique ambitieuse d’investissement tout en continuant à rétribuer ses actionnaires. Malheureusement, il a choisi la voie opposée, adoptant un comportement qui aujourd’hui n’est plus acceptable. À l’inverse, d’autres acteurs du secteur investissent activement, à l’image de Marcegaglia qui ouvre une aciérie à Fos, ou encore de GravitHy, qui développe un projet de réduction directe du fer. Même un groupe comme Rio Tinto s’est engagé dans de tels projets.
Accorder à ArcelorMittal des aides publiques massives sans conditionnalité, c’est laisser la menace s’installer. Sa stratégie reste dès lors focalisée sur la maximisation de ses profits au détriment de son empreinte industrielle en Europe, qu’il cherche à remplacer par des activités au Brésil, en Inde, voire aux États-Unis. Il est à noter que même les autorités américaines ont imposé des contreparties drastiques aux entreprises bénéficiant du plan IRA – pour Inflation Reduction Act.
Dans ce contexte, il serait pertinent de connaître les conclusions de la commission d’enquête sénatoriale et, surtout, les suites que l’État compte leur donner. Il est également intéressant d’examiner le comportement moins agressif d’autres sidérurgistes en Europe. SSAB, en Suède, indirectement sous contrôle public par l’intermédiaire de la société LKAB, son principal actionnaire, continue d’investir dans l’acier. De même, Voestalpine, en Autriche, bien qu’effectuant quelques restructurations dans le secteur automobile, poursuit ses plans de décarbonation sans chantage à l’emploi. Ses usines, notamment les hauts fourneaux de Linz, fonctionnent sans connaître la situation de sous-investissement chronique des sites d’ArcelorMittal. Or, les principaux actionnaires de Voestalpine sont les banques régionales et les salariés, chacun détenant 15 % du capital. Salzgitter est également l’un des rares acteurs européens à maintenir un agenda vertueux en termes d’investissements.
La révision de la gouvernance du groupe apparaît donc comme une condition nécessaire mais insuffisante. L’État et les collectivités ne doivent pas s’arrêter là. Au-delà des mesures d’urgence, il faut penser l’industrie sidérurgique sur le long terme. La CFDT propose d’intégrer la gouvernance de ce groupe qui se nourrit des aides publiques. Nous pourrions même envisager une entité ArcelorMittal Europe ; Mittal y conserverait une participation importante, mais les États et les collectivités agiraient également dans la gouvernance.
Pour conclure, j’ai une pensée pour tous les salariés frappés par ce plan, qui ont appris brutalement la perte de leur emploi et qui se trouvent aujourd’hui dans une détresse terrible. Malheureusement, avec Mittal, l’histoire semble se répéter inexorablement.
M. David Thourey, délégué syndical central FO. Au nom de FO Métaux, je tiens à exprimer notre gratitude pour cette opportunité de nous exprimer devant la représentation nationale. Si nous sommes réunis à la suite de l’annonce du PSE d’ArcelorMittal France concernant 637 postes, il faut souligner que, derrière cette situation, se cache une réalité bien plus inquiétante puisque d’autres plans sont déjà en cours ou annoncés au sein du groupe. À Fos-sur-Mer, par exemple, un plan de restructuration, présenté comme n’étant que la première vague, supprime 308 emplois. ArcelorMittal Centres de Services procède à 131 licenciements avec la fermeture des ateliers de Reims et de Denain. ArcelorMittal Distribution Solutions France supprime 28 emplois sur les sites de Strasbourg et de Valence. ArcelorMittal Construction France supprime 7 emplois avec l’arrêt du site de Strasbourg. À l’échelle européenne, 1 400 suppressions d’emplois ont été annoncées. Ce sont donc déjà des centaines de salariés qui sont concernés dans un silence assourdissant, qui donne le sentiment d’une hypocrisie générale.
Pour comprendre la situation, il convient de rappeler les deux contextes majeurs à l’origine de ces suppressions d’emplois. Le premier est la décarbonation. La volonté d’atteindre le zéro carbone implique des réformes radicales pour la sidérurgie car, concrètement, cela signifie l’arrêt des hauts fourneaux et un changement fondamental du processus de fabrication pour développer des aciéries électriques. Or, l’arrêt d’un haut fourneau entraîne l’effondrement de l’écosystème industriel : cokeries, agglomérations, préparation des charges, convertisseurs, etc. Derrière ces installations, ce sont des milliers d’emplois directs qui disparaissent car une aciérie électrique nécessite beaucoup moins de main-d’œuvre qu’une filière intégrée traditionnelle.
Cette situation affecte non seulement les installations de production, mais également des sites tels que Mouzon, touché par les difficultés du secteur automobile. Les difficultés se propagent dans toute la chaîne, des producteurs aux clients. La décarbonation révèle également des contradictions flagrantes. Prenons l’exemple du site de Saint-Chély-d’Apcher, qui produit de l’acier vert grâce à sa propre centrale hydroélectrique. Bien qu’il s’agisse d’un modèle décarboné, aucun investissement n’est prévu sur la ligne ferroviaire qui l’approvisionne. En conséquence, des dizaines de camions transportent chaque jour une seule bobine d’acier chacun.
Chacun constate également la lenteur des décisions européennes en ce qui concerne la taxe carbone et la protection de notre industrie. Bien qu’un important travail soit en cours avec le plan acier, l’Europe décide parallèlement d’interdire l’utilisation du chrome 6, ce qui menace directement le site de Basse-Indre. Pendant que nous réduisons nos émissions en n’exploitant plus que deux hauts fourneaux sur les cinq que nous possédions, les importations d’acier non décarboné augmentent à des prix défiant toute concurrence car non soumis à nos contraintes environnementales.
Le second contexte majeur est celui du dumping social par le biais des délocalisations. Sous couvert de compétitivité internationale, nous assistons à des transferts massifs d’activités vers des pays où les conditions sociales et salariales sont bien inférieures aux nôtres. Ces délocalisations touchent particulièrement les fonctions « support » administratives, redéployées vers l’Inde ou la Pologne. Ces décisions touchent directement ArcelorMittal France dans le PSE en cours. Elles affecteront également ArcelorMittal Distribution Solutions France dans les prochaines semaines.
Notre appel est clair et urgent. Face à cette situation, nous réitérons la demande, déjà formulée auprès du cabinet du ministre de l’industrie, d’un moratoire sur toutes ces normes et contraintes. Il est impératif que tous les acteurs, partenaires sociaux, politiques et industriels, se réunissent pour construire une transition écologique intelligente qui préserve les emplois. Vouloir être en première ligne en matière de décarbonation revient à se tirer une balle dans le pied si cela se fait au détriment de notre industrie et de nos emplois, alors que nos concurrents internationaux ne subissent pas les mêmes contraintes. Si nous sommes les seuls à décarboner dans le monde, la conséquence sera l’arrêt des hauts fourneaux en France et la perte de milliers d’emplois.
M. Gaëtan Lecocq, secrétaire général CGT sur le site de Dunkerque. La situation est extrêmement grave et, sans action immédiate, des dizaines de milliers d’emplois disparaîtront sur le territoire français, entraînant un désastre social, économique et industriel. L’acier est un bien commun essentiel à toute l’industrie française, des très petites entreprises aux grands groupes. La CGT plaide pour une nationalisation de l’industrie sidérurgique, sur le modèle d’EDF. ArcelorMittal se désengage de l’Europe au profit de l’Inde, du Brésil et des États-Unis, menaçant notre indépendance stratégique. Nous exigeons à la fois une protection aux frontières et la création d’un pôle public de l’acier. La délocalisation de la production vers des pays moins réglementés ne résoudra pas les problèmes environnementaux, car le dioxyde de carbone ne connaît pas les frontières. En outre, notre dépendance à l’acier étranger pourrait déstabiliser l’ensemble de notre industrie, et donc de notre économie, en cas de tensions internationales. Tous les responsables, indépendamment de leur appartenance politique, considèrent aujourd’hui avec intérêt la piste d’une nationalisation.
Il est clair que Mittal n’investira pas dans la décarbonation en France ou en Europe. L’entreprise organise soigneusement le déclin progressif de ses activités en commençant par délocaliser les emplois « support », puis en s’attaquant à la maintenance, essentielle pour des installations vieillissantes. La CGT, qui construit sa mobilisation depuis plusieurs mois, s’oppose fermement à cette stratégie et dénonce l’absence de contreparties aux 300 millions d’euros d’aides publiques annuelles accordées à ArcelorMittal. L’État doit avoir un droit de regard sur le respect des salariés et de l’environnement pour chaque euro d’argent public versé.
Bien que nous soutenions les projets de décarbonation, essentiels à notre survie au‑delà de 2029, le temps manque et il est impératif de réagir immédiatement. Nous sommes las des discours, des déclarations de soutien et des postures symboliques. Nous demandons des actes concrets pour ne pas laisser notre savoir-faire se perdre.
Je vais partager avec vous deux exemples concrets. Le premier concerne le site de Dunkerque, où cinq postes avaient été identifiés pour le déploiement de la nouvelle ligne haute tension censée nous relier à la centrale nucléaire de Gravelines sur une distance d’environ huit kilomètres. Cette ligne était indispensable car nos projets de décarbonation exigeront une consommation massive d’électricité. Or, ces cinq postes ont été supprimés. Nous devons avoir la lucidité d’admettre que ces projets de décarbonation ne verront pas le jour. Le second exemple concerne le service formation. À Dunkerque, les six postes qui y étaient dédiés, notamment à la formation interne, ont également été supprimés.
Il est clair que Mittal cherche à nous asphyxier. Nous avons donc besoin du soutien de l’ensemble des forces politiques, sans exception et par-delà les clivages. Nous avons besoin de vous pour sauver ce qui peut encore l’être car, si la France ne produit plus d’acier demain, les conséquences excéderont largement le seul champ de la sidérurgie. Elles frapperont tout un écosystème. Cet effet domino touchera également l’ensemble des services publics. Un exemple est celui de la société DK6 à Dunkerque, citée comme un modèle français, voire européen, pour avoir permis la gratuité des transports en commun dans l’agglomération. Cette gratuité repose en partie sur la contribution d’ArcelorMittal à hauteur de 3 millions d’euros par an. Si l’entreprise quitte Dunkerque, DK6 disparaîtra également ainsi que toutes les entreprises sous‑traitantes. Il s’agit de milliers, voire de dizaines de milliers d’emplois, rien que pour le nord de la France. Comment ferons-nous, alors, pour financer nos crèches, nos services publics, nos infrastructures ? Il faut agir immédiatement. Chaque euro public versé à ArcelorMittal doit s’accompagner d’une contrepartie. La CGT est favorable à une nationalisation.
M. Xavier Le Coq, représentant syndical national CFE-CGC. J’aborderai la situation d’ArcelorMittal en France et en Europe, ainsi que celle de l’ensemble de la sidérurgie européenne. Nous transmettrons, par la suite, nos réponses écrites à votre questionnaire.
Bien qu’il concerne la France, l’enjeu d’ArcelorMittal est avant tout européen. ArcelorMittal Europe demeure la zone de plus forte contribution en termes de production et de chiffre d’affaires : en 2024, l’Europe représente 48 % du chiffre d’affaires d’ArcelorMittal, mais seulement 22 % du bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement. Ces chiffres démontrent que la rentabilité est inférieure en Europe par rapport à celle qui prévaut sur d’autres continents.
La sidérurgie est un secteur cyclique, caractérisé par des marges limitées et une forte intensité capitalistique. Les investissements nécessaires se chiffrent souvent en centaines de millions d’euros, avec des modèles de rentabilité parfois complexes. Nous constatons néanmoins qu’en France, et possiblement dans d’autres pays européens, le groupe a dégradé la fiabilité de ses installations. La crise de 2008-2009 a entraîné des arrêts, y compris de hauts fourneaux, accompagnés de cycles de stop and go. Le manque d’investissement dans l’entretien et la maintenance des installations majeures a conduit à leur détérioration, notamment ces dernières années à Dunkerque, ce qui se traduit par une performance économique moindre par rapport à nos concurrents, y compris internes au groupe et notamment en Belgique.
La sidérurgie demeure toutefois une industrie stratégique dans laquelle tous les États du monde investissent, la souveraineté industrielle étant de plus en plus évoquée comme un moyen de garantir la sécurité des approvisionnements en acier. Les projets de réarmement de l’Europe, les infrastructures énergétiques, notamment les grands projets nucléaires annoncés, ainsi que les secteurs de la mobilité nécessitent tous d’importantes quantités d’acier.
En ce qui concerne un éventuel désengagement d’ArcelorMittal de l’Europe, nous percevons un risque partiel. Le groupe pourrait se recentrer sur les sites les plus performants, situés dans des zones géographiques où la demande tire le marché vers les aciers les plus nobles, offrant de meilleures marges. Il existe donc un risque probable de concentration sur certaines usines.
La solution se trouve, selon nous, au niveau européen. La Commission européenne semble avoir compris le caractère urgent de la situation, comme en témoigne l’annonce d’un plan acier en mars à Bruxelles, bien que celui-ci manque de précision. Pour protéger l’ensemble de la sidérurgie continentale, et par conséquent nos usines en France, il est nécessaire de limiter les importations en instaurant un quota. Cette mesure est facile à mettre en œuvre, contrairement aux enquêtes sur le dumping qui prennent jusqu’à six mois avant toute mesure concrète.
Nous soutenons également un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Même si sa conception semble complexe, il pourrait protéger nos usines des délocalisations, mais il faut veiller à ce qu’il ne pénalise pas les consommateurs d’acier et les filières aval.
Le prix de l’énergie est un autre enjeu majeur pour la sidérurgie comme pour d’autres filières. Le gaz naturel, largement utilisé pour réchauffer l’acier dans les fours, est devenu extrêmement onéreux depuis février 2022 en raison de la situation en Ukraine. Du fait de la hausse du coût de l’électricité, la France risque de perdre l’avantage compétitif dont elle bénéficiait pour les électro-intensifs par rapport au voisin allemand.
ArcelorMittal ne semble donc pas prêt à se désengager de l’Europe dans l’immédiat. L’entreprise a d’ailleurs effectué des investissements importants ces dernières années, même s’ils sont restés limités dans le secteur de la production d’acier française. Des fours électriques ont été installés en Espagne, probablement en raison de tarifs d’électricité plus avantageux, et la capacité d’un four électrique est augmentée à Sestao, au Pays basque. Au Luxembourg, un four électrique sera reconstruit à Belval, près de Florange. En France, des investissements significatifs ont eu lieu en aval dans la transformation de l’acier, comme à Florange avec une ligne de galvanisation et à Mardyck, près de Dunkerque, dans l’acier électrique qui devrait démarrer au mois de juillet.
Nous attendons cependant l’annonce de financements de projets de décarbonation. Bien qu’ils soient évoqués depuis deux ans, ArcelorMittal attend des signes concrets de l’Europe sur les conditions de compétitivité pour la production d’acier en 2035. Le groupe demande des garanties sur le prix de l’énergie et sur un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières avant de se lancer. Nous espérons depuis plusieurs mois un investissement dans un premier four électrique sur le site de Dunkerque, ce qui serait un signal positif.
Nous ne considérons pas la nationalisation comme une bonne option, ni en 2012 à Florange, ni en 2025 à Dunkerque, ni pour ArcelorMittal France. L’entreprise est trop intégrée en Europe pour qu’une nationalisation des seuls sites français soit pertinente. Les clients, la force de vente, la recherche-développement et les brevets sont gérés au niveau européen. Nous jugeons en revanche intéressante l’idée d’une prise de participation conjointe des États européens là où ArcelorMittal possède des implantations majeures. Si la France, l’Espagne, la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne et peut-être la Pologne prenaient chacun 6 % ou 7 % du groupe, cela leur permettrait d’exiger un siège au conseil d’administration. Le centre de décision d’ArcelorMittal, situé officiellement au Luxembourg, est en réalité à Londres où réside la famille Mittal. Une telle participation permettrait aux pays européens d’influencer la stratégie du groupe à moyen terme.
M. le président Denis Masséglia. Ma première question concerne les normes. FO a souligné que celles-ci constituaient un frein au développement industriel. Vous avez évoqué le chrome 6, substance cancérigène visée par le règlement européen sur l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (Reach), qui prévoit son élimination. Au cours de nos auditions, de nombreux intervenants ont mis en avant l’impact des normes sur l’industrie française et la désindustrialisation. Estimez-vous qu’il faudrait instaurer un moratoire sur les normes en France, voire en Europe, et éventuellement revenir sur certaines obligations ?
M. Paul Ribeiro, secrétaire fédéral national FO. Nous ne sommes absolument pas opposés aux normes. Au contraire, nous préconisons une réglementation renforcée des conditions de travail, y compris au niveau international. Notre préoccupation porte davantage sur la compétitivité des travailleurs et des industriels français face à des concurrents dans un marché ouvert. Le respect des normes environnementales et sociales engendre des coûts significatifs, qu’il s’agisse du contrôle des rejets dans l’eau, des émissions atmosphériques ou du CO2. Ces coûts pèsent sur la compétitivité de nos entreprises par rapport à des concurrents soumis à des règles moins contraignantes. Cette situation traduit une forme d’hypocrisie. Si nous souhaitons rester compétitifs, sur quels leviers agir, sachant que nos coûts de production sont plus élevés, en raison notamment de notre modèle social ? Nous refusons catégoriquement la réduction des salaires ou de la protection sociale au nom de la compétitivité. Cependant, comment lutter à armes égales avec des concurrents indiens ou chinois aux coûts de production très inférieurs ?
En ce qui concerne la décarbonation, bien que nous y soyons favorables, il faut s’interroger sur l’impact réel des efforts français face aux émissions massives de la Chine ou de l’Inde. Nous ne sommes pas opposés aux normes environnementales. Mais nous alertons sur le fait que nous nous privons de ressources qui permettraient de financer la recherche. Chaque tonne d’acier que nous ne produirons pas, que nous ne vendrons pas, sera produite et commercialisée ailleurs. Lorsque nous évoquons un moratoire, nous suggérons de ne pas détruire des emplois industriels, des compétences et des savoir-faire séculaires sans solution de remplacement. Prenons l’exemple de l’acier décarboné : à quel prix sera-t-il produit et qui l’achètera ? Face à un choix entre un acier moins onéreux mais carboné, produit dans des conditions sociales déplorables, et un acier vertueux mais coûteux, quel sera le comportement des acheteurs ?
Dans ces conditions, il devient impératif de protéger notre marché. Il faut garantir aux consommateurs nationaux l’accès à une offre compatible avec leurs engagements, tant économiques qu’écologiques. Peut-on se passer d’acier pour produire toutes ces choses que nous utilisons quotidiennement ? Nous ne le pensons pas. Mais alors, si nous demeurons au sein d’un marché ouvert, et dans la mesure où nous refusons catégoriquement la remise en question de nos normes sociales, que faire ? En ce sens, l’idée d’un moratoire nous paraît tout à fait pertinente.
M. le président Denis Masséglia. Ma deuxième question concerne le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, qui suscite de vifs débats au sein de l’Union européenne et à l’échelle mondiale. Si j’ai bien compris, vous estimez qu’il ne répond pas aux attentes actuelles. Nous avons recueilli le témoignage de l’entreprise Michelin, qui utilise de l’acier dans la fabrication des pneumatiques et qui se trouve confrontée à la fois à une taxe à l’importation de l’acier puis à une difficulté à exporter ses pneumatiques en raison de leurs prix.
J’ai noté que certains d’entre vous préconisent des quotas pour limiter les importations. Pourriez-vous approfondir vos attentes à ce sujet ? Êtes-vous favorables à des mesures protectionnistes ? Quels en seraient les impacts potentiels ? Considérez-vous que le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières est efficace ? Quelles améliorations souhaiteriez-vous y apporter ?
M. Xavier Le Coq. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières est censé entrer en vigueur en 2026 au moment où les quotas gratuits, accordés notamment aux sidérurgistes, commenceront à diminuer. Si l’entreprise Michelin craint d’être taxée pour avoir acheté de l’acier hors d’Europe pour la fabrication de ses pneumatiques, il lui suffit, dès demain, de se fournir en acier européen pour apaiser ses inquiétudes. Toutefois, en l’absence de compensation effective aux frontières, produire de l’acier en Europe entraînera inévitablement un surcoût lié au prix du dioxyde de carbone. ArcelorMittal, tout comme les autres sidérurgistes européens, est d’ailleurs pleinement conscient des conséquences économiques de cette transition.
À l’heure actuelle, le prix d’une tonne de CO₂ s’élève à environ 70 euros. La production d’une tonne d’acier par la filière haut fourneau rejette presque deux tonnes de CO₂. Remplacer les hauts fourneaux constitue donc un enjeu considérable, qui nécessitera du temps. Dans cette période de transition, si aucune mesure n’est instaurée aux frontières européennes, les sidérurgistes locaux seront lourdement pénalisés, puisqu’ils continueront de payer pour leurs émissions contrairement à leurs concurrents extérieurs.
Sans mécanisme de compensation, les industriels tels que Michelin auront tout intérêt à acheter leur acier hors de l’Union européenne, à moindre coût. La mise en œuvre d’un tel mécanisme est toutefois complexe. Il faudra, par exemple, déterminer de quelle usine proviennent les pièces métalliques importées, produites dans un petit pays comme le Vietnam, par quel procédé et avec quelle empreinte carbone. Ce sont des questions tout aussi essentielles que redoutablement difficiles à trancher.
Cela fait maintenant cinq ou six ans que de nombreux échanges ont lieu sur ce sujet. Les responsables de Bruxelles semblent avoir compris que le dispositif initialement envisagé ne répondra pas aux besoins réels, qu’il faudra le simplifier et le rendre plus efficace. La solution n’a pas encore été trouvée mais une réponse concrète est nécessaire.
M. Xavier Garat, délégué syndical CFDT. En tant que collaborateur du centre de recherche d’ArcelorMittal à Maizières-lès-Metz, qui compte 680 salariés, je précise que si les hauts fourneaux émettent bien du CO2, la technologie de réduction directe du fer permet déjà de diminuer ces émissions de moitié. Il est tout à fait possible de produire en Europe de l’acier moins émetteur de CO2, mais cela nécessite des investissements.
M. le président Denis Masséglia. Je partage entièrement votre point de vue au sujet de la pollution. Il est indéniable qu’une usine implantée en France sera toujours moins polluante que l’importation de produits étrangers. Pour illustrer la problématique des normes, je peux citer l’exemple du secteur textile où l’interdiction du chrome 6 n’a pas résolu le problème et l’a simplement délocalisé. Nous, responsables politiques, devons faire preuve de discernement lors de nos votes et nous assurer que nos décisions ne conduisent pas à une fuite de la production vers l’étranger. Je suis convaincu que la solution réside dans la réglementation du produit final et non du processus de fabrication. Il serait plus judicieux d’interdire les produits contenant certains composants plutôt que de se focaliser sur les méthodes de production. Malheureusement, bien que je défende cette position depuis des années, elle est peu entendue.
S’agissant des aides publiques, la CGT a mentionné un montant de 300 millions d’euros. Pourriez-vous nous fournir des informations complémentaires sur ces aides ?
M. Gaëtan Lecocq. Les aides publiques à ArcelorMittal sont multiples et elles interviennent à différents niveaux. Elles comprennent des réductions sur le coût de l’énergie ainsi que le dispositif d’activité partielle de longue durée mis en place avec la première vague de covid‑19. Initialement conçu pour surmonter la crise sanitaire, ce mécanisme est devenu une norme chez ArcelorMittal, utilisé comme outil d’ajustement pour augmenter les profits.
En ce qui concerne les normes de production, il est en effet incompréhensible que nous interdisions à des sites français de fabriquer de l’acier contenant du chrome tout en autorisant son importation. Dès lors qu’une règle est établie, elle doit s’appliquer à tous.
Quant à la protection aux frontières européennes, les pays respectant les normes environnementales et sociales ne devraient pas être pénalisés. En revanche, ceux qui exploitent leurs salariés, polluent excessivement et nuisent à la santé des travailleurs devraient être taxés pour l’exportation de leurs produits sur le territoire européen. Notre objectif est de promouvoir un travail intelligent, garantissant à chaque salarié un salaire et des conditions sociales dignes.
M. Jean-Marc Vecrin. Notre expérience de l’activité partielle est ancienne. Auparavant, les directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets) imposaient des conditions avant d’octroyer l’activité partielle, telles que l’absence d’intérimaires et l’épuisement des compteurs d’heures. Aujourd’hui, la situation est devenue chaotique avec de l’activité partielle dans un atelier tandis que l’atelier voisin effectue des heures supplémentaires. Pour ArcelorMittal, ce dispositif est devenu un levier dont les responsables disposent à leur guise. Lorsque nous avons interpellé les Dreets sur cette incohérence, notamment sur l’application individuelle de l’activité partielle coexistant avec des heures supplémentaires, il nous a été répondu qu’ArcelorMittal bénéficiait d’un traitement spécial et de directives spécifiques. Il est inadmissible qu’ArcelorMittal puisse utiliser l’activité partielle de longue durée comme bon lui semble, en dehors de son objectif initial. Une surveillance de ce dispositif s’impose.
Je m’engage à vous transmettre ultérieurement la liste exhaustive des aides octroyées à ArcelorMittal.
M. Gaëtan Lecocq. J’ai déjà dû intervenir dans des situations où les salariés travaillaient dix heures par jour du lundi au jeudi, pour être ensuite placés en activité partielle le vendredi. Pour ArcelorMittal, cette pratique, grâce à laquelle les fonds publics sont détournés à son avantage, est devenue courante.
Mme Agnès Laurent, déléguée syndicale FO. Il est important de rappeler que l’activité partielle de longue durée, largement utilisée par ArcelorMittal en France, était initialement conditionnée au maintien de l’emploi. Or, son utilisation n’empêche nullement les licenciements et les PSE. Cela illustre parfaitement le paradoxe auquel nous sommes confrontés.
M. Benjamin Lucas-Lundy, rapporteur. Je tiens à réitérer le soutien que je vous ai apporté, avec plusieurs collègues ici présents, lors de notre rencontre à Dunkerque le 1er mai dernier. Je salue la décision du président de la commission d’enquête de modifier notre programme pour vous recevoir cette semaine, ainsi que la direction par la suite, afin d’obtenir des réponses. Nous honorons ainsi l’engagement pris envers vous.
Les éléments que vous nous avez fournis soulèvent de nombreuses interrogations qui nécessitent, à mon sens, des éclaircissements de la part de la direction d’ArcelorMittal comme du Gouvernement. Nous sommes confrontés à une catastrophe sociale et industrielle d’une ampleur considérable : 636 postes menacés sur sept sites en France. Il s’agirait d’un désastre pour notre souveraineté industrielle, pour notre sidérurgie et pour les familles que vous représentez. Je tiens à exprimer notre compassion envers vos proches qui vivent dans l’angoisse et la lutte. Cette situation affecte aussi profondément les territoires concernés.
Vous vous présentez à nous dans un contexte particulier, juste après des séances au cours desquelles plusieurs questions ont été posées sur ce sujet dans l’hémicycle. Permettez‑moi d’exprimer mon sentiment de honte face aux événements qui viennent de se dérouler dans l’enceinte de l’Assemblée nationale et face à l’attitude méprisante du Gouvernement. En réponse à deux questions sur un sujet unanimement reconnu comme majeur, tant pour les personnes que pour les territoires concernés, l’industrie française et l’avenir de notre économie, le Premier ministre est resté silencieux et immobile. C’est la secrétaire d’État chargée des petites et moyennes entreprises qui a pris la parole, sans pour autant livrer de réponses précises à des questions pourtant étayées et pertinentes. Cette situation illustre, à mon sens, une haute trahison industrielle de la part de l’État, du Gouvernement actuel et de ses prédécesseurs. Comme l’un d’entre vous l’a justement fait remarquer, il s’agit d’une histoire qui se répète et non d’un événement imprévisible. C’est précisément cet aspect qui doit guider les travaux de la commission d’enquête.
J’aimerais que vous nous apportiez des éléments supplémentaires, notamment sur les alertes lancées concernant le sous-investissement, en particulier à Fos-sur-Mer, le non-respect des obligations en matière d’environnement et de sécurité, ainsi que les mises en garde de l’inspection du travail, restées lettre morte, tant auprès de votre direction que des pouvoirs publics.
Je déplore le refus d’étudier sérieusement l’option de la nationalisation, même temporaire, qui semble être un renoncement supplémentaire. Si j’entends les désaccords politiques qui peuvent exister, j’estime, face à une catastrophe de cette ampleur, que toutes les options devraient être envisagées. De mon point de vue, la nationalisation est une carte sérieuse, crédible et potentiellement indispensable. À tout le moins, elle devrait faire l’objet d’une discussion approfondie avec vous, les premiers experts de votre outil de travail, ainsi qu’avec le Parlement.
Je suis également consterné par le silence de l’État et du Gouvernement sur les centaines de millions d’euros d’argent public versés annuellement et depuis des années à ArcelorMittal sans contrepartie, sans contrôle et sans transparence sur l’usage qui en est fait. Parallèlement, l’entreprise a distribué 919 millions d’euros de dividendes en 2023 et devrait distribuer 1,34 milliard d’euros de dividendes en 2024, l’année même où sont fermés les sites de Denain et Reims.
En ce qui concerne la mobilisation de ce matin devant le siège d’ArcelorMittal, à laquelle certains d’entre vous ont participé, pouvez-vous nous indiquer si vous avez été reçus par la direction et, le cas échéant, quelle a été la teneur de vos échanges ? Existe-t-il des éléments nouveaux dont nous devrions avoir connaissance ? Pouvez-vous nous éclairer sur l’état du dialogue social chez ArcelorMittal ces dernières années ?
En outre, comment avez-vous perçu les réponses du Gouvernement aux interpellations de nos collègues sur votre situation ?
Enfin, cette commission d’enquête s’intéresse à l’action des pouvoirs publics. Pouvez‑vous nous indiquer si, depuis notre rencontre du 1er mai, date à laquelle vous n’aviez pas eu d’échanges avec le ministre de l’industrie ou le Gouvernement, des contacts directs se sont noués ? Si oui, le Gouvernement a-t-il pris des engagements auprès de vous, et lesquels ?
M. Gaëtan Lecocq. Ce matin, la CGT a appelé à la mobilisation à l’occasion de la première réunion autour du PSE. Nous nous sommes réunis avec des camarades de différents sites français, notamment Fos-sur-Mer, Florange et Dunkerque. L’accueil qui nous a été réservé était particulièrement choquant : nous avons été traités comme des terroristes, certains allant jusqu’à nous demander si nous portions des fumigènes ou des armes. Cette réception indigne s’est accompagnée de manœuvres dilatoires, la direction jouant manifestement la montre en sachant que nous étions attendus l’après-midi à l’Assemblée nationale. Nous avons assisté à la séance publique depuis les tribunes et nous avons été témoins du mépris affiché par le Gouvernement devant la situation. Son attitude laisse penser qu’il est complice de la famille Mittal.
Quant au dialogue social dans notre entreprise, il est inexistant. En tant que représentant de la première organisation syndicale du site de Dunkerque, je peux en témoigner. Le directeur d’établissement ne daigne même plus répondre à mes appels et les questions posées lors des instances restent sans réponse. Nous sommes confrontés à plus de 600 suppressions de postes sans obtenir de détails de la part de la direction et nous en sommes réduits à glaner des informations auprès de salariés qui nous transmettent des courriels ou des captures d’écran. Il est évident que la stratégie de la direction vise à nous abattre.
Face à cette situation alarmante, qui va engendrer un véritable drame social et industriel pour toute la population, je ne peux comprendre l’inaction gouvernementale. Lors de l’entretien en visioconférence organisé avec M. Marc Ferracci mardi dernier, il a annoncé sa venue dans quelques mois pour chercher des solutions. Je lui ai fait part de l’urgence : ce ne sont pas des mois que nous avons devant nous mais des semaines. Une fois nos compétences industrielles et notre savoir-faire perdus, il sera trop tard. J’ai le sentiment que le Gouvernement n’est pas à la hauteur de l’enjeu ; je me demande même s’il n’est pas complice, connaissant les relations cordiales entre MM. Macron et Mittal.
M. Jean-Marc Vecrin. Je confirme que M. Ferracci n’a pris aucun engagement ferme au terme de notre échange. J’ai même eu l’impression qu’il était plutôt favorable à la position de Mittal. Sans m’engager sur le terrain politique, je dois souligner que le président de la région, M. Xavier Bertrand, a adopté une posture plus offensive lors de cette réunion, déclarant qu’il fallait passer à l’action en convoquant Mittal pour qu’il expose son projet. Il a également insisté sur la nécessité d’un véritable plan de décarbonation accompagné d’investissements concrets. M. Ferracci, en revanche, est resté évasif, sans prendre de position claire. Du point de vue de la CFDT, son intervention n’a apporté aucun engagement.
M. Xavier Le Coq. Bien que je n’aie pas participé directement à cette visioconférence, à laquelle la direction n’était d’ailleurs pas présente, j’ai eu de longs échanges avec mes collègues à son sujet. Il semblerait que le ministre ait annoncé son intention de se rendre à Dunkerque et d’organiser une réunion.
Je partage pleinement l’avis selon lequel il est désormais indispensable de réunir autour d’une même table l’ensemble des parties prenantes que sont les pouvoirs publics, les syndicats, les élus locaux ainsi que les représentants de la direction. Si M. Mittal lui-même ne peut pas se déplacer à Paris, il est impératif qu’au moins l’un des hauts dirigeants du groupe soit présent, qu’il s’agisse du responsable européen ou de celui en charge du segment des aciers plats. Nous avons besoin d’un véritable décideur à la table des discussions. Il faut bien comprendre que les centres de décision ne sont plus situés en France. Nos interlocuteurs doivent systématiquement se référer au siège pour la moindre validation.
J’ai cru comprendre que le ministre envisageait d’organiser une telle rencontre. Il est essentiel de maintenir une pression constante pour que cette initiative se concrétise dans les meilleurs délais.
M. Paul Ribeiro. En tant que députés, vous êtes les représentants du peuple français et vous incarnez la voix des citoyens. Mes camarades et moi-même n’avons pas honte de rappeler les nombreuses alertes lancées tout au long de notre parcours syndical. Ces avertissements, basés sur des faits concrets, pointaient déjà les dangers qui menaçaient notre industrie. Nous pouvons remonter à 2006, année où le Groupe Arcelor a été racheté par Mittal alors même qu’il connaissait sa meilleure année financière. De nombreux rapports parlementaires, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, ont depuis corroboré nos inquiétudes.
Aujourd’hui, le contexte est encore plus préoccupant qu’il ne l’était à l’époque. Chaque fois qu’un nouvel emploi disparaît, chaque fois qu’un pan de notre industrie s’effondre, c’est un peu de notre souveraineté et de notre richesse nationale qui s’évapore. Des députés et d’autres élus du peuple ont certes accompli une partie de leur devoir, mais certaines décisions ont eu des conséquences désastreuses. Je pense notamment à Pechiney, fleuron industriel dont il ne reste aujourd’hui que des vestiges, malgré sa position de champion mondial dans son domaine technologique.
Je ne souhaite pas que mes propos soient interprétés comme une attaque contre Mittal ou une critique des députés. Mon intention n’est pas de faire le procès de qui que ce soit mais je crois qu’il est temps de prendre des décisions courageuses, d’admettre nos erreurs passées et d’avoir l’audace de changer de cap. Certains m’accuseront peut-être de défendre les pollueurs. Ce n’est pas le cas. Je constate que les politiques de ces dernières décennies, en particulier les mesures contraignantes récemment appliquées, risquent de porter le coup de grâce à nos industries. Sommes-nous capables d’affirmer notre volonté de justice et de progrès social tout en cherchant à les diffuser le plus largement possible ? Sommes-nous capables de choisir judicieusement nos partenaires économiques et de repenser notre approche pour préserver notre tissu industriel tout en progressant vers une économie durable ? Longtemps, les divisions géopolitiques et économiques mondiales ont empêché les investissements massifs dans certains pays, préservant nos emplois et nos infrastructures. Aujourd’hui, nous devons réfléchir attentivement à l’opportunité et à la pertinence de nos décisions économiques.
Le bien-fondé de la nationalisation reste à démontrer. Nous devons veiller à éviter le piège d’une socialisation des pertes suivie d’une privatisation des bénéfices, que l’on a connu par le passé. Cette approche soulève des interrogations légitimes sur l’équité et l’efficacité de notre système économique.
Il convient par ailleurs de s’interroger sur l’impact réel de nos efforts de réduction des émissions de CO2. Les 240 millions de tonnes que nous cherchons à économiser pèseront-elles véritablement dans la balance écologique face au 1,8 milliard de tonnes de capacité mondiale ? Est-il judicieux de sacrifier notre modèle social et un savoir-faire industriel accumulé au fil des décennies pour un gain environnemental marginal à l’échelle globale ? Bien que nous respections profondément les préoccupations climatiques et que nous souhaitions tous léguer une planète vivable à nos descendants, nous devons agir avec discernement et mesure. Nos décisions auront des conséquences majeures sur notre avenir économique et social.
M. Julien Gokel (SOC). Je tiens à saluer votre engagement collectif. J’étais présent à vos côtés ce matin, comme d’autres parlementaires, et je rappelle mes nombreuses interventions à l’Assemblée nationale au cours de ces derniers mois sur ce sujet crucial. J’ai régulièrement interpellé le Gouvernement, qui s’est montré prodigue en bonnes intentions, mais malheureusement avare en actions concrètes.
Nous avons assisté à une évolution préoccupante de la situation. Avec l’annonce au premier semestre 2024 d’un projet de décarbonation pour un investissement total d’1,8 milliard d’euros, soutenu par l’État à hauteur de 850 millions d’euros, nous espérions que la pérennité d’ArcelorMittal serait garantie pour les cinquante prochaines années. Nous constatons une détérioration rapide. Cette promesse semblait assurer notre capacité à répondre aux objectifs de France 2030 et 2050 en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour cette entreprise, dont l’empreinte carbone est considérable. Nous observons cependant, aujourd’hui, une inquiétante désescalade, marquée par des indicateurs extrêmement négatifs en termes de fonctionnement et de stratégie. Les déclarations du président du groupe, qui annonce des projets majeurs au Liberia, en Alabama et au Brésil tout en écartant Dunkerque et la France de ses ambitions stratégiques, soulèvent de sérieuses interrogations sur sa volonté de désengagement.
Vous avez raison de souligner qu’il ne faut pas faire le procès du Groupe Mittal. Notre priorité immédiate doit être d’établir un dialogue constructif et d’obtenir une communication claire sur ses ambitions stratégiques en France et en Europe. Permettez-moi de rappeler que, pendant des mois, le groupe a plaidé pour des mesures protectionnistes, des clauses de sauvegarde et une limitation des quotas d’importation. La Commission européenne a répondu favorablement le 19 mars, présentant des mesures saluées par les sidérurgistes, dont ArcelorMittal. Paradoxalement, quelques semaines plus tard, le groupe annonce des suppressions de postes, notamment dans la production et la maintenance, laissant transparaître une volonté de désengagement, sans dialogue social ni respect pour les élus du territoire. Cette attitude est d’autant plus choquante que nous leur accordons des garanties financières et des aides publiques conséquentes, tant au niveau de l’État que des collectivités territoriales. Nous sommes face à un enjeu majeur pour notre territoire car ArcelorMittal est l’un de ses poumons économiques avec 3 200 salariés directs et plus de 10 000 emplois induits. L’impact d’un éventuel désengagement serait considérable.
La situation actuelle est marquée par un manque de communication alarmant de la part du groupe. L’absence de dialogue social avec les représentants syndicaux et le manque d’informations fournies au Gouvernement sont préoccupants, d’autant que le groupe continue de solliciter des engagements de la part de l’Europe. J’ai récemment échangé avec M. Stéphane Séjourné, qui m’a assuré de sa volonté d’accélérer le processus législatif concernant la clause de sauvegarde pour 2026. Cependant, cette mesure seule ne suffira pas à garantir l’engagement à long terme d’ArcelorMittal. La démission de M. Matthieu Jehl, directeur général d’ArcelorMittal France, est un signal négatif supplémentaire, étant donné son implication dans les projets de décarbonation et d’investissement. Ces éléments convergent vers un désengagement progressif.
Face à cette situation, le Gouvernement semble malheureusement spectateur. Nous manquons cruellement d’outils pour protéger nos emplois, maintenir l’activité et préserver notre souveraineté industrielle. En tant que député et élu local, je constate avec frustration la répétition des mêmes réponses depuis des mois : les appels à une action forte sont nombreux mais ne donnent lieu à aucune action concrète. Il est temps que le Groupe Mittal clarifie ses intentions. Nous ne pouvons plus nous contenter de promesses vagues ou d’attentes indéfinies. L’avenir de notre industrie sidérurgique et de milliers d’emplois est en jeu. Nous exigeons des réponses claires et des engagements fermes pour l’avenir de notre territoire et de notre industrie nationale.
Nous devons obtenir une réponse claire d’ArcelorMittal dans les plus brefs délais, en organisant une table ronde réunissant les acteurs, durant laquelle le groupe devra expliciter ses ambitions. Nous devons savoir s’il envisage de se retirer ou s’il compte maintenir sa production en Europe. Dans l’éventualité d’un désengagement, il est impératif d’identifier les leviers d’action dont dispose la France. De même, nous devons déterminer les mesures que l’Europe peut prendre, en complément de celles déjà lancées. Il est également essentiel d’arrêter un calendrier.
Aussi, comment les organisations syndicales évaluent-elles les actions des pouvoirs publics ? Quelle est votre perception du manque d’anticipation du Gouvernement ? Que pensez‑vous de l’absence d’un véritable dialogue social, les ministres ayant tardé à prendre en compte vos avis et à mesurer pleinement la gravité de la situation ?
Nous nous dirigeons tout droit vers une catastrophe économique et sociale, au vu de la situation actuelle et des échéances à venir. Je suis particulièrement préoccupé par l’absence de mesures concrètes, tant au niveau national qu’européen, ainsi que par la faiblesse des contreparties aux financements publics. Même si l’État n’est pas resté totalement passif face aux choix stratégiques du groupe, nous sommes néanmoins confrontés à une concurrence déloyale manifeste. Il est urgent de limiter les importations, sachant que l’Europe achemine actuellement entre 28 % et 30 % de son acier de l’extérieur.
Le coût de l’énergie est un autre enjeu stratégique, qui ne concerne pas uniquement la sidérurgie mais également d’autres secteurs tels que la chimie. À titre d’exemple, Aluminium Dunkerque rencontre des difficultés similaires en ce qui concerne son approvisionnement. Il incombe à l’État d’accélérer les négociations avec EDF.
La nationalisation doit être mise sur la table, avec les autres leviers à disposition. En tant qu’élu local, et au nom de mes collègues des territoires concernés, je m’inquiète du manque de visibilité et d’efficacité des leviers disponibles. Notre objectif consiste à préserver notre souveraineté industrielle, notre production d’acier, nos outils de production et, surtout, nos emplois. Le savoir-faire est présent. Nous devons le valoriser. Je souhaite connaître votre ressenti sur ces questions.
Pour conclure, je pense qu’une intervention du Président de la République est nécessaire. L’enjeu se situe désormais au plus haut niveau.
M. Philippe Avocat, délégué syndical central CFE-CGC. Je souhaite exposer la situation du site de Fos-sur-Mer, qui fait partie d’ArcelorMittal Méditerranée. Sur les deux hauts fourneaux de notre site, un seul est actuellement en activité. Cette réduction de la production est due à la baisse de la consommation d’acier en Europe ainsi qu’à l’impact des quotas de CO2 sur nos coûts de fabrication. En diminuant notre production, nous parvenons à rester en dessous des seuils de la taxe carbone, ce qui nous permet de maintenir notre activité pour le moment. Cependant, la diminution prévue des quotas à l’horizon 2030 rendra impossible le fonctionnement de nos hauts fourneaux. Notre projet consiste donc à installer un four électrique pour une production décarbonée. Nous avons sollicité un cofinancement de l’État pour cet investissement dans le cadre des projets France 2030, pour lequel nous attendons toujours une réponse.
Le contexte n’est pas le même qu’à Dunkerque car nous avons opté pour une technologie maîtrisée de four électrique, qui garantirait la pérennité du site. Nous attendons de l’État qu’il valide ce projet rapidement afin d’assurer la continuité de notre production malgré les contraintes liées à la taxe carbone et l’obligation d’arrêter les hauts fourneaux. De plus, étant donné que notre activité deviendra encore plus électro-intensive, nous avons besoin d’un tarif électrique qui permette la survie du site.
M. Jean-Marc Vecrin. M. Gokel était effectivement présent lors de cette réunion cruciale. Il a défendu notre cause auprès de M. Ferracci comme il vient de le faire à l’instant. Je suis moi-même originaire de Florange, où je travaille depuis trente ans. J’ai vécu les différentes phases de restructuration, d’abord à Gandrange sous la présidence de M. Sarkozy, puis à Florange sous celle de M. Hollande. Aujourd’hui, l’absence totale d’implication de M. Macron nous interpelle. Nous avons récemment tenté de le rencontrer à Nancy, sans succès. Nous ne baisserons pas les bras car il est impératif qu’il s’engage personnellement dans les négociations et qu’il s’entretienne directement avec M. Mittal.
La situation actuelle nous inquiète profondément car nous avons l’impression d’avoir franchi un cap critique. En 2012, malgré la fermeture des hauts fourneaux, nous avions réussi à obtenir une deuxième ligne de galvanisation et à reclasser tous les salariés, bien que cela ait eu des conséquences désastreuses pour les sous-traitants et les intérimaires. Aujourd’hui, le défi est d’une tout autre ampleur et j’ai le sentiment que les responsables politiques sont déconnectés de la réalité.
M. Mittal semble avoir carte blanche, sans aucune contrainte ni obligation. Le fait qu’il ne réponde même pas aux invitations est tout simplement choquant. Comme l’a proposé la CFE‑CGC, si nous ne parvenons pas à rencontrer M. Mittal en personne, nous devrions au moins pouvoir nous entretenir avec l’un de ses lieutenants. Il est en tout cas urgent d’exiger des comptes à la direction du groupe. Je suis extrêmement préoccupé car j’ai l’impression que nous nous engageons dans une voie aux conséquences désastreuses et que nous n’en sommes qu’au début. Il est impératif d’agir rapidement pour enrayer cette dynamique négative.
Mme Aline Baron, secrétaire générale adjointe CGT sur le site de Dunkerque. Au nom des salariés dont l’emploi est menacé de suppression, dont je fais partie, je dois dire que le temps nous est compté. Si ce PSE est mis en œuvre, dans quatre mois, mon poste d’informaticien disparaîtra tout comme les postes du service client, du service achat et des services financiers, qui ont déjà subi de nombreuses coupes. Après la délocalisation d’une partie des équipes en Pologne, c’est l’Inde qui est envisagée. Nous refusons d’être les premières victimes de ce processus dont nous pressentons qu’il n’en est qu’à ses débuts. Si le site ne parvient pas à décarboner et si la filière à chaud est coupée, ce sont 1 500 personnes qui perdront leur emploi.
Sans une mobilisation des responsables politiques et des salariés, nous n’obtiendrons rien. En tant que représentante de ceux dont les emplois sont menacés, je refuse catégoriquement que nous soyons considérés comme une variable d’ajustement.
M. Paul Ribeiro. Comme l’a indiqué Mme Baron, l’enjeu fondamental concerne les salariés : ceux qui risquent de perdre leur emploi, mais également les générations futures qui devraient pouvoir accéder au marché du travail. L’expérience montre que chaque poste supprimé n’est jamais véritablement recréé. Notre objectif est donc de préserver, maintenir et même développer ces emplois, essentiels à l’économie nationale. Nous nous efforçons de conserver une approche rationnelle malgré la gravité de la situation, car nous devons penser sur le long terme. Les investissements dans l’acier ne s’amortissent pas sur deux ans, mais sur une décennie, particulièrement avec des exigences de rentabilité à 20 % comme celles de Mittal.
L’hypothèse de la nationalisation des hauts fourneaux soulève des interrogations car continuer à émettre du CO2 semble contradictoire avec les objectifs environnementaux. Soit nous abandonnons complètement la production d’acier primaire au profit du recyclage, soit nous optons pour la technologie de réduction directe du fer. Actuellement, 120 millions de tonnes sont produites dans le monde, principalement en Inde, où le bouquet énergétique repose sur le charbon à 40 % voire 50 %. Cela soulève des questions de cohérence et de lucidité.
Même avec une production comptant 60 % à 70 % d’acier recyclé, nous serons confrontés à des défis majeurs d’organisation et d’approvisionnement en ferraille. Aujourd’hui, une grande partie de celle-ci est exportée et refondue à l’étranger, notamment en Turquie avec une électricité souvent produite à partir de charbon, puis réimportée en Europe. Quelle est notre stratégie réelle ? Nationaliser pour maintenir une production traditionnelle ou investir massivement dans une technologie encore peu éprouvée à l’échelle mondiale avec les incertitudes financières que cela comporte ?
Il faut également considérer l’impact sur l’emploi. Une installation de production d’acier vert, utilisant la réduction directe du fer ou le fer briqueté à chaud, nécessite beaucoup moins de main-d’œuvre que les sites de Dunkerque ou Fos-sur-Mer, qui occupent, sans compter les emplois indirects, respectivement 3 000 et 2 000 personnes. L’avenir de ces emplois est en jeu à très court terme.
Mme Estelle Mercier (SOC). Je suis députée de Meurthe-et-Moselle. Bien que le site de Florange ne soit pas situé dans mon département, mais en Moselle, j’ai grandi dans la sidérurgie lorraine. La Lorraine, c’est Florange, Hayange, et je garde en mémoire le fleuron industriel qu’était Sollac, sur lequel j’ai beaucoup travaillé en tant qu’universitaire, notamment en étudiant ses méthodes de management innovantes. Mon attachement à ce territoire industriel, qui a tant souffert, est profond.
Ce qui me sidère constamment, avec cette commission d’enquête, c’est ce sentiment d’impuissance que nous ressentons en tant que parlementaires. Nous sommes confrontés à différents types de situations : certaines sont bloquées, d’autres sont réglées – je pense à Vencorex ou Arkema. Le constat reste invariablement celui d’une absence totale de stratégie industrielle et d’un désengagement flagrant de l’État et du Gouvernement. Ces problèmes ne datent pas d’aujourd’hui ; ils sont identifiés depuis des mois, voire des années. L’inquiétude est palpable en ce qui concerne la préservation des savoir-faire, la pérennité de l’outil de production et la souveraineté industrielle. Comme vous l’avez souligné, le secteur métallurgique comprenant une multitude de métiers, nous sommes face à une potentielle catastrophe industrielle si nous n’agissons pas rapidement. Ma frustration est alimentée par un sentiment d’impuissance puisque nous ne disposons pas, en tant que parlementaires, de leviers d’action directe. Malgré nos alertes répétées, nous nous heurtons à une passivité gouvernementale extrêmement déconcertante.
Je souhaite appeler l’attention sur la question de la recherche. Je me souviens, en 2012, lors des négociations à Florange, des discussions sur le centre de recherche de Maizières‑lès‑Metz. Il emploie près de 700 chercheurs à la pointe de l’innovation dans le domaine de l’acier plat et ultrafin, une expertise unique d’ArcelorMittal. Si, demain, nous perdons ArcelorMittal et ces sites, nous serons non seulement dépossédés des emplois, mais également des brevets et de décennies de recherche industrielle. Cette perte serait inestimable. Je m’inquiète donc pour l’avenir du centre de Maizières-lès-Metz. Bien que je sois profondément préoccupée par l’outil de production dans son ensemble, je ne peux m’empêcher de souligner l’importance décisive de la recherche et de l’innovation, qui ont bénéficié de subventions importantes, notamment à travers le crédit d’impôt recherche (CIR). Pouvez-vous apporter des précisions sur ce point ?
M. Xavier Garat. Je suis en poste sur le site de Maizières-lès-Metz, qui compte actuellement 680 chercheurs. Notre budget s’élève à 105 millions d’euros, dont 43 millions d’euros consacrés à la masse salariale. Nous bénéficions également de 20 millions d’euros de CIR. Cette aide fiscale est importante pour nous car elle est comparable aux dispositifs de soutien à la recherche déployés dans d’autres pays européens. Sans ces 20 millions d’euros, il est fort probable que nos effectifs seraient déjà considérablement réduits.
Nous innovons constamment. Nous avons notamment développé des nuances d’acier de type Usibor pour l’industrie automobile, contribuant ainsi à réduire la mortalité routière. Nous élaborons en permanence de nouveaux aciers pour répondre aux besoins du marché. Tous les brevets issus de notre centre de recherche, soit quarante à cinquante par an, sont déposés au Luxembourg. Dans l’hypothèse d’une nationalisation, les droits afférents resteraient au Luxembourg, ce qui impliquerait le paiement de licences.
Notre activité de recherche ne se limite pas à ArcelorMittal France, près de la moitié de notre budget étant consacrée à des projets pour les différentes usines du groupe dans le monde. La présence de ce centre en France favorise les collaborations avec les universités et les écoles d’ingénieurs locales, permettant l’accueil de doctorants et de stagiaires. Cette synergie avec le milieu scientifique est un atout majeur.
Pour un groupe comme ArcelorMittal, disposer à la fois de centres de recherche et d’usines est déterminant. Si la présence d’usines en France est capitale, les échanges entre nos chercheurs et les équipes des sites de production, comme Florange ou Dunkerque, sont également essentiels pour faire progresser nos travaux et optimiser nos processus.
M. Charles Fournier (EcoS). Permettez-moi d’exprimer notre solidarité et notre soutien. J’étais également présent ce matin devant le siège à Saint-Denis. Cette catastrophe industrielle se reproduit malheureusement dans de nombreux secteurs. Je pourrais évoquer le cas de STMicroelectronics, qui s’apprête à supprimer 1 000 emplois à Tours et à Grenoble, dans ma région, suivant un schéma tristement similaire. Ce scénario, évidemment condamnable, se répète invariablement : des bénéfices considérables, des subventions importantes, puis des réorganisations dans lesquelles les salariés deviennent des variables d’ajustement. La question est de savoir quelles réponses publiques apporter. Comment faire face à cette apparente impuissance ou à ce refus de recourir à des outils juridiques existants ? Car notre droit offre des possibilités d’intervention, peut-être insuffisantes, dont nous ne faisons pas un usage optimal.
Je souhaite vous poser quatre questions. Premièrement, quel est votre point de vue sur la loi d’urgence votée en Angleterre ? Elle permet une prise de contrôle, une mise sous tutelle, avant une possible nationalisation. Comment avez‑vous accueilli cette réaction du Gouvernement britannique, qui s’est substitué à la direction en estimant que les décisions prises étaient mauvaises ? Je pense que nous devrions étudier sérieusement cette option, qui permettrait d’agir promptement dans des situations similaires.
Deuxièmement, quelles mesures concrètes préconisez-vous en matière de protectionnisme ? Au-delà des barrières douanières, la question des normes me semble centrale. Contrairement à ce qui a été dit, l’établissement de normes exigeantes, si nous parvenons à les faire adopter par d’autres pays, pourrait être un levier de progrès. Je suis favorable à une décarbonation poussée, tout en reconnaissant les difficultés soulignées.
Ma troisième question porte sur la stratégie à adopter en cas de nationalisation car, bien que je sois favorable à cette option, je suis conscient qu’elle ne résout pas tous les problèmes. Quels éléments stratégiques concrets devrions-nous envisager dès maintenant pour assurer le succès d’une éventuelle nationalisation ?
Enfin, je souhaite questionner la représentation des salariés dans les conseils de surveillance et d’administration. Je suis convaincu que votre présence accrue permettrait d’éviter certaines erreurs stratégiques. Votre attachement à l’outil de travail est plus fort que celui des investisseurs, souvent davantage préoccupés par le court terme que par la pérennité de cet outil. Je déposerai prochainement une proposition de loi sur la codétermination, qui pourrait contribuer à prévenir ces situations et ces décisions hasardeuses.
M. Xavier Le Coq. La situation de British Steel diffère considérablement de celle de nos usines, l’entreprise étant au bord de la faillite et incapable de payer ses fournisseurs. La loi votée en urgence a permis au cabinet britannique de nommer un dirigeant exécutif et de s’engager à financer les matières premières pour éviter l’arrêt de la production. Nous sommes loin de cette situation. Il n’est d’ailleurs pas certain que ces mesures suffisent pour sauver British Steel, dont les clients n’ont pas attendu.
Quant à votre dernière question, nous sommes évidemment favorables à une plus grande représentation des salariés. Lors de la création d’ArcelorMittal, en 2006, le conseil d’administration au Luxembourg comptait un administrateur représentant les salariés espagnols, un représentant français et un représentant luxembourgeois. Cette pratique, peu conforme à la philosophie anglo-saxonne, n’a malheureusement perduré que deux ou trois ans. Votre proposition de loi, pour les entreprises ayant leur siège en France, va dans le bon sens, et nous la soutenons depuis longtemps. Cependant, pour notre groupe, dont le conseil se réunit à Londres ou au Luxembourg, la mise en œuvre serait plus complexe.
M. Xavier Garat. Les fours électriques ne permettront pas de produire toutes les nuances d’acier actuellement produites. Pour une véritable décarbonation, il sera nécessaire de remplacer les hauts fourneaux par des unités de réduction directe du fer. Cette nouvelle technologie engendrera inévitablement des coûts supplémentaires. Elle nécessitera probablement un accompagnement, notamment par le biais d’une taxation des aciers plus émetteurs de CO2 afin de compenser ce surcoût. Si nous imposons aux constructeurs automobiles européens de prendre en compte les émissions de dioxyde de carbone non seulement à l’échappement, mais également lors de la production, nous pourrions atteindre une rentabilité satisfaisante. Il s’agit d’une réflexion globale à mener.
M. Gaëtan Lecocq. Au cours de ces derniers mois, nous avons collaboré avec deux économistes sur un projet de nationalisation de l’industrie sidérurgique française, qui concerne environ quarante sites industriels. Notre analyse démontre qu’il serait financièrement plus avantageux pour l’État de nationaliser plutôt que de laisser disparaître cette industrie. Nous estimons le coût de la nationalisation de l’ensemble des sites français d’ArcelorMittal à un milliard d’euros pour indemniser les actionnaires. Bien que cette somme puisse paraître élevée au vu de l’état de nos installations, nous pouvons prouver la rentabilité de cette opération.
S’agissant des marchés publics, il suffirait d’inclure dans les appels d’offres l’obligation d’utiliser de l’acier français décarboné. La transition écologique, notamment dans le domaine des transports collectifs, nécessite une quantité importante d’acier, à l’image des rails qui en sont intégralement composés. Certes, des investissements seront nécessaires pour moderniser nos outils de production vieillissants. Mais si l’État était prêt à investir 850 millions d’euros dans la décarbonation du site de Dunkerque, nous pourrions envisager de doubler cette somme pour faire de l’acier un bien public au service de nos industries. Je suis convaincu que si les services de l’État prennent conscience des enjeux et manifestent une réelle volonté de sauver notre activité, ce qui n’est pas le cas actuellement, tout devient possible.
Mme Agnès Laurent. Si je peux comprendre l’intérêt de la proposition de nationalisation, je m’interroge sur le devenir des sites déjà condamnés, comme celui sur lequel je travaille. Qu’adviendra-t-il d’eux ? Que deviendront les machines destinées au démantèlement, les salariés sans emploi, toute l’expérience et les connaissances que nous risquons de perdre ? Si une nationalisation était envisagée, récupéreriez-vous ces éléments ? Quelles sont les propositions à ce sujet ?
M. le président Denis Masséglia. À titre personnel, je ne formule pas de proposition sur la nationalisation. Je laisse ce débat ouvert. Cependant, dans l’hypothèse d’une nationalisation, je me demande qui serait responsable de la partie commerciale et de la vente des produits d’ArcelorMittal France ? J’ai du mal à imaginer l’État se lancer dans la vente de pneus en France et dans le monde. Si je ne suggère pas d’écarter complètement cette piste, je pense qu’une vision globale de la question est nécessaire. En réalité, la nationalisation d’une production intégrée à l’échelle mondiale soulève de nombreuses interrogations.
M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). Je tiens à vous réaffirmer, même si j’ai déjà rencontré certains d’entre vous, mon soutien et celui de mon groupe politique. J’ai une pensée non seulement pour les salariés d’ArcelorMittal, mais également pour l’ensemble des personnes dont l’activité dépend de cette entreprise, qu’il s’agisse des sous-traitants ou d’autres opérateurs impliqués dans la chaîne de production. En cas de fermeture de sites, ces acteurs auraient inévitablement à en subir les conséquences.
Nous devons garder à l’esprit que, derrière les questions touchant à la souveraineté et aux intérêts supérieurs de la nation, se cachent des milliers de vies. Ce qui est en jeu représente un drame social. À ce sujet, pouvez‑vous nous décrire l’état d’esprit des salariés et la manière dont ils vivent cette situation ? En effet, lorsque des fermetures d’usines sont annoncées, nous sommes malheureusement confrontés à des réalités dramatiques, qui peuvent inclure des tentatives de suicide. En tant que législateurs, nous ne pouvons rester indifférents à ces aspects.
Pensez-vous que Mittal et la direction organisent délibérément les conditions propices à des fermetures ? Avez-vous l’impression que des décisions ont déjà été prises ? Observez‑vous des signes avant-coureurs ou des actions concrètes qui annonceraient ces fermetures ? Lorsque j’entends parler de la nécessité de décarbonation pour respecter les règles européennes d’ici 2030, et que j’entends parallèlement dire que la décarbonation du site de Dunkerque nécessiterait quatre ans, je m’interroge. Dans quatre ans, nous serons presque en 2030. Donc, soit ce processus doit être engagé immédiatement, soit il risque de ne pas avoir lieu.
Qu’avez-vous observé en termes d’investissements ou d’absence d’investissements de la part de Mittal ? Quel est l’état actuel de l’appareil productif ? J’ai entendu parler d’accidents particuliers à Dunkerque. Pouvez-vous décrire l’état des machines, des fours sur les différents sites où vous êtes présents ? Depuis combien de temps constatez-vous un sous-investissement, si tel est le cas ? Y a-t-il une volonté de laisser la situation se dégrader ?
J’ai observé qu’ArcelorMittal faisait des bénéfices et versait des dividendes ou procédait à des rachats d’actions. Dans ce contexte, quelle est la politique de rémunération des employés ? Il est important que ces informations soient données dans le cadre de cette commission d’enquête, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un groupe qui bénéficie d’aides financières de l’État. La présidente de la commission des affaires économiques et le président de la commission des finances, accompagnés du rapporteur général du budget, se sont rendus à Bercy hier. Ils ont normalement pu obtenir, auprès des services du ministère de l’économie et des finances, des éléments précis sur les aides publiques versées.
Je m’interroge sur l’efficacité des mesures européennes envisagées, telles que le plan d’action pour l’acier et les métaux, pour garantir l’activité et les emplois en France. Il semble que certaines décisions de Mittal soient déjà prises, notamment en termes de sous‑investissements. En outre, la recherche constante de profits pourrait pousser le groupe à délocaliser, même en présence de mesures protectionnistes européennes. Ainsi, bien que La France insoumise considère que ces mesures de protectionnisme européen sont nécessaires, sont-elles suffisantes pour préserver l’intégralité des emplois ?
Enfin, j’aimerais poser une dernière question à la CGT. Dans l’hypothèse d’une nationalisation, disposez-vous d’éléments concernant la politique commerciale et le devenir des salariés qui en sont actuellement chargés chez ArcelorMittal ? Seraient-ils en mesure de poursuivre leur travail sous un statut différent ? Comme vous le savez, nous sommes favorables à une nationalisation.
M. Louis Boyard (LFI-NFP). Au fil des auditions, y compris celle d’ArcelorMittal, nous constatons que de nombreuses entreprises sont dans une situation similaire à la vôtre, et que le cabinet de M. Ferracci est soit absent, soit inefficace. Nous entendons par ailleurs régulièrement les entreprises justifier l’augmentation des versements de dividendes par la pression concurrentielle du marché.
Face à cette situation, nous proposons d’interdire les rachats d’actions et les versements de dividendes pour les entreprises engagées dans des plans de sauvegarde de l’emploi. Quelle est votre position sur cette proposition ? Comment analysez-vous cette dynamique économique dominée par quelques oligarques qui désindustrialisent les territoires, et ses conséquences sur l’industrie ? Avez-vous d’autres suggestions pour inverser cette tendance économique ?
M. Gaëtan Lecocq. Les signes avant-coureurs de la fermeture des sites sont effectivement présents, à l’image de l’absence d’augmentation salariale générale en décembre dernier. Si l’entreprise n’investit plus dans ses salariés, c’est qu’elle ne croit plus en l’avenir. Les récentes démissions de notre directeur industriel et du directeur d’ArcelorMittal France sont également des signaux inquiétants. Ce dernier avait pourtant, quelques mois auparavant, exhorté les salariés à se mobiliser pour sauver notre industrie. Ils se retirent sans doute pour ne pas avoir à assumer le coût des décisions à venir. Nos ressources humaines sont également en difficulté, avec des démissions ou des cas d’épuisement professionnel.
Quant aux mesures de protection européennes, je suis convaincu que Mittal a déjà prévu de se retirer et que son plan est prêt. La différence de rentabilité entre nos activités et celles envisagées ailleurs est trop importante. Mittal pratique depuis des années les rachats d’actions et les versements de dividendes à hauteur de centaines de millions d’euros, pour faire grimper les cours. Les dividendes sont distribués généreusement, particulièrement après la pandémie, période durant laquelle l’entreprise a engrangé des profits records.
En conclusion, nous appelons les responsables politiques à l’action. Nous ne voulons plus de paroles, mais des actes concrets.
M. Paul Ribeiro. Des décisions prises par le passé par d’autres groupes parlementaires ont contribué à la situation actuelle d’ArcelorMittal, car le temps politique n’est pas toujours en phase avec les réalités économiques.
Il faut comprendre que les entreprises, et pas uniquement ArcelorMittal, cherchent à optimiser leurs profits partout où cela est possible, dans la maintenance, les investissements reportés ou les suppressions d’emplois. C’est une réalité choquante contre laquelle nous nous battons quotidiennement. Pour nous, l’essentiel est de trouver l’option la plus pertinente pour pérenniser l’activité sidérurgique et toutes les activités industrielles en aval sur notre territoire, avec les emplois associés. Par exemple, le projet de décarbonation, bien que coûteux, est nécessaire à la continuité de l’activité. Notre objectif est de maintenir nos activités industrielles, nos savoir-faire et les emplois qui y sont liés dans notre pays, quelle que soit la solution retenue. L’enjeu fondamental est de déterminer si nous souhaitons une production d’acier sur le territoire français, avec les emplois qui y sont associés. C’est à cette problématique qu’il faut apporter la réponse la plus pertinente possible.
Les entreprises de plus de 10 salariés disposent d’un CSE. Ne pourrions-nous pas envisager que le contrôle des aides s’exerce à ce niveau, avec un pouvoir décisionnel plus important et non un simple rôle consultatif ?
La majorité d’entre vous siège dans l’opposition, et je comprends cette situation politique. Cependant, il est essentiel que les propos tenus aujourd’hui ne se transforment pas en un énième rapport sans suite. Les conséquences concrètes de l’inaction seront la perte d’emplois pour de nombreuses personnes.
M. Xavier Le Coq. À ce jour, nous estimons que le groupe n’a pas pris la décision de quitter la France ou l’Europe. Prenons l’exemple de l’entité ArcelorMittal Méditerranée dans laquelle, malgré des pertes importantes depuis cinq ans, le groupe a procédé à une recapitalisation de 425 millions d’euros sur les quatre dernières années et prévoit d’injecter près de 400 millions d’euros supplémentaires cette année. Si la décision de quitter la France était arrêtée, il est peu probable que ces sommes auraient été investies dans la recapitalisation.
En ce qui concerne les conditions nécessaires aux investissements, si l’Europe va au bout de ses engagements, nous sommes convaincus qu’elles sont indispensables, sans pouvoir toutefois affirmer avec certitude qu’elles seront suffisantes. Nous attendons désormais des investissements concrets, notamment dans les fours électriques, pour démontrer un réel engagement dans la pérennisation de la production d’acier.
Je rappelle que cette attente dure depuis longtemps et que les conditions requises ne semblent jamais pleinement satisfaites. Nous espérons vivement qu’elles seront enfin réunies, ne laissant plus à Mittal la possibilité d’invoquer de nouveaux prérequis. C’est dans cette optique que nous réitérons l’importance de réunir tous les acteurs, un point que nous développerons dans notre réponse écrite.
M. le président Denis Masséglia. Avant de conclure, je souhaite adresser une requête à mes collègues, tous partis confondus. Je vous prie de cesser d’utiliser l’expression « acier décarboné » – cela s’appelle le fer ! – et de lui préférer l’expression « acier vert ». Cette précision terminologique me tient à cœur.
Je tiens à exprimer ma sincère gratitude à l’ensemble des intervenants pour leur participation. La représentation nationale apporte son soutien inconditionnel à tous les salariés, à leurs familles, ainsi qu’aux sous-traitants affectés par les difficultés passées et actuelles.
Je vous propose de compléter nos échanges en répondant par écrit au questionnaire que nous vous avons transmis. Je vous remercie.
La séance s’achève à dix-huit heures trente-cinq.
Présents. – M. Anthony Boulogne, M. Louis Boyard, M. Charles Fournier, M. Benjamin Lucas-Lundy, M. Denis Masséglia, Mme Estelle Mercier
Assistaient également à la réunion. – M. Julien Gokel, M. Aurélien Le Coq