Compte rendu
Commission d’enquête sur
les défaillances des
pouvoirs publics face à la multiplication des plans
de licenciements
– Audition, ouverte à la presse, de Mme Myriam El Khomri, ancienne ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social 2
– Présences en réunion................................19
Mercredi
14 mai 2025
Séance de 17 heures
Compte rendu n° 36
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Denis Masséglia, président
— 1 —
La séance est ouverte à dix-sept heures cinq.
Présidence de M. Denis Masséglia, président.
La commission d’enquête auditionne Mme Myriam El Khomri, ancienne ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
M. le président Denis Masséglia. Nous recevons Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social entre septembre 2015 et mai 2017, accompagnée de M. Patrice Ivon, ancien conseiller en charge des mutations économiques et des restructurations.
Madame la ministre, vous avez porté, au nom du Gouvernement dirigé par Manuel Valls, le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs, devenu la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.
De nombreuses personnes auditionnées par la commission d’enquête ont évoqué les dispositions de cette loi, notamment celles qui ont modifié les règles relatives à la procédure de licenciement pour motif économique. Il a donc semblé nécessaire que ses membres puissent vous entendre.
Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, Madame la ministre, Monsieur, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mme Myriam El Khomri et M. Patrice Ivon prêtent serment.)
Mme Myriam El Khomri, ancienne ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Je ne reviendrai pas sur le pourcentage de ruptures de contrat à durée indéterminée (CDI) pour motif économique, ni sur les difficultés économiques que notre pays rencontre actuellement, car ces sujets ont été largement évoqués lors des précédentes auditions – j’ai eu l’occasion d’en écouter quelques-unes. Je dirai simplement, en guise de propos liminaire, que je ne mésestime absolument pas les difficultés sociales que ce type de procédure peut entraîner pour certains de nos concitoyens et leurs familles.
Je présenterai une vision globale de la loi « travail » que j’ai défendue – je la nomme ainsi car je n’ai pas l’habitude de parler de moi à la troisième personne.
Ce texte s’est inscrit dans un mouvement de transformation au long cours de notre système de relations professionnelles, qui visait notamment à donner davantage de marges de manœuvre à la négociation collective, au plus près du terrain. Ce mouvement a été historiquement soutenu par une grande partie des organisations syndicales et patronales, qui en ont d’ailleurs souvent été à l’initiative : en témoignent l’accord national interprofessionnel (ANI) de 1995, l’accord de 2001, qui a servi de base à celui de 2004, la déclaration commune de 2008, ou encore l’accord national interprofessionnel de 2013. En assurant une forte différenciation entre les secteurs, ce cheminement législatif visait à donner aux acteurs de terrain, par la négociation collective, plus de moyens pour s’adapter à un environnement spécifique. En dépit des alternances politiques, ce processus a d’ailleurs été constamment approfondi, sans avoir jamais été remis en cause depuis près de quarante ans.
La loi « travail » a donc été élaborée dans ce contexte, et alors que le niveau de chômage restait invariablement élevé. En 2015, l’évolution de l’emploi était certes favorable, puisque les créations d’emplois étaient particulièrement dynamiques, mais le taux de chômage demeurait tout de même élevé et n’était pas orienté à la baisse – il a fallu attendre la fin de l’année 2016 pour percevoir ce mouvement.
Mon prédécesseur, François Rebsamen, avait défendu un projet de loi, adopté début août 2015, qui faisait suite à l’échec de la négociation interprofessionnelle et comportait un certain nombre de réformes importantes visant à conforter le dialogue social de branche et d’entreprise. Je pense notamment au renforcement des obligations de négociation, à la création des commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI), à la valorisation des parcours syndicaux, ou encore aux mesures relatives à l’assurance chômage des intermittents du spectacle. Toutefois, cette réforme n’avait pas paru donner aux partenaires sociaux suffisamment de moyens pour construire, par le dialogue, dans les entreprises et dans les branches, de nouveaux équilibres gagnant-gagnant. Force était de constater que, sur ce point, le dialogue social interprofessionnel était dans une impasse et qu’il nous fallait reprendre l’initiative.
C’est dans ce contexte que le Gouvernement a confié à Jean-Denis Combrexelle, le 1er avril 2015, la mission d’animer les travaux d’une commission chargée de réfléchir à la manière d’« élargir la place de l’accord collectif dans notre droit du travail et la construction des normes sociales ». Il s’agissait de « faire une plus grande place à la négociation collective, en particulier à la négociation d’entreprise, pour une meilleure adaptabilité des normes aux besoins des entreprises ainsi qu’aux aspirations des salariés ». Ce rapport a été remis au Premier ministre et à moi-même une semaine après ma nomination au ministère du travail, le 2 septembre 2015. Son objet était simple : il visait à faciliter la négociation collective en favorisant le dialogue social de proximité dans l’entreprise.
La tendance de fond, en Europe, notamment dans les pays du Nord, était de considérer que c’est au niveau de l’entreprise qu’il est le plus judicieux de décider de l’organisation du travail, en s’appuyant sur un fort consensus. Aussi la loi que j’ai défendue a-t-elle prévu le passage au principe majoritaire pour la signature des accords.
Voilà donc le point de départ de la future loi « travail », sur laquelle j’ai mené, pendant plusieurs mois, des concertations avec les syndicats et les organisations patronales. Personne n’avait anticipé le moindre embrasement sur ces dispositions plutôt consensuelles chez les syndicats dits réformistes, qui s’inscrivaient dans la lignée des lois votées au cours des précédents quinquennats.
Le chômage ne s’inversant que timidement et lentement, il a été décidé d’introduire dans le texte que je défendais – et que j’assumais de défendre – deux mesures qui auraient dû constituer l’ossature d’une loi « Macron 2 » qui n’existera jamais. Je veux parler tout d’abord de la « barémisation » des indemnités prud’homales, qui avait été invalidée dans la loi de 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, et à laquelle nous avions jusqu’alors renoncé, compte tenu de la concertation ouverte avec les organisations syndicales et patronales en mars 2016. L’autre mesure était une disposition relative aux licenciements économiques, sur laquelle je reviendrai plus précisément tout à l’heure.
Le troisième étage de la loi « travail » était la création du compte personnel d’activité (CPA), reprenant une vieille revendication des organisations syndicales – CFDT en tête – sur la sécurisation des parcours professionnels. Il s’agissait d’une sorte de sac à dos de droits, regroupant notamment le droit à la formation tout au long de la vie, le compte d’engagement citoyen et le compte pénibilité, que l’on attachait à la personne tout au long de sa vie, indépendamment de son statut et de son employeur. Ces dispositions prévoyaient notamment la portabilité des droits à la formation, modulée selon les profils mais applicable à tous – indépendants, salariés, demandeurs d’emploi ou fonctionnaires –, ce qui constituait une nouveauté importante.
À ces mesures s’ajoutaient la création de droits supplémentaires, au profit notamment des travailleurs des plateformes, l’instauration d’un droit à la déconnexion, la généralisation de la garantie jeunes et des dispositions relatives aux contrats saisonniers.
La loi « travail » ainsi reconfigurée incarnait notre volonté d’instaurer une flexisécurité à la française reposant sur le triptyque suivant : le renforcement de la place des syndicats et l’avènement de l’accord majoritaire ; l’accroissement de la lisibilité pour les entreprises ; la création de nouveaux droits pour les salariés. Ainsi, nous considérions ce texte comme une vraie loi d’équilibre, fruit d’un compromis social au sens noble du terme.
M. le président Denis Masséglia. Dans le cadre de la loi de 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi « Pacte », qui fait suite aux différents textes que vous avez fait adopter par le Parlement, nous avons tenté de favoriser une meilleure représentation des salariés au sein des conseils d’administration. Tout comme vous, je crois qu’un dialogue positif dans l’entreprise bénéficie à tous – à l’actionnaire, à la direction et aux salariés. Faudrait-il renforcer encore la présence des syndicats ou des représentants du personnel au sein des conseils d’administration ? Si les difficultés sont anticipées et font l’objet de débats en amont, on peut en effet espérer une meilleure acceptabilité des décisions qui seront prises, collectivement, pour les surmonter.
Mme Myriam El Khomri. Votre question rejoint l’une de celles que le rapporteur m’a posées par écrit : pourquoi, dans la loi « travail » de 2016, n’avons-nous pas augmenté la place des salariés au sein des instances de gouvernance des entreprises ?
Si ce sujet n’a pas été traité dans la loi du 8 août 2016, c’est parce que l’encre de la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, qui comportait plusieurs dispositions importantes en la matière – l’élargissement du champ des entreprises soumises à l’obligation de nommer des administrateurs salariés, l’augmentation du nombre de représentants du personnel au sein des conseils, l’obligation de former ces représentants –, était alors à peine sèche.
À l’époque, il ne nous avait pas paru nécessaire d’aller plus loin. Nous préférions nous concentrer sur la mise en œuvre de ces mesures très récentes, d’autant que la loi de 2015 laissait aux entreprises un délai de deux ans pour se conformer aux nouvelles règles. Les assemblées générales devaient adopter une délibération modifiant les statuts des entreprises, et il nous fallait attendre la mise en œuvre de ces mesures pour en juger les effets.
Les précédentes auditions de votre commission d’enquête ont montré que ce débat reste entier. Le développement d’une culture du dialogue social ne se décrète pas. Ce dialogue doit être loyal et reposer sur une confiance qui, là encore, ne se décrète pas au moment où l’entreprise rencontre des difficultés. Il faut investir dans les représentants des salariés. Les consultants prônent souvent une symétrie des attentions entre les clients et les collaborateurs : cette même symétrie est nécessaire entre les acteurs du dialogue social. La loi permet d’organiser des formations communes aux membres de la direction et aux représentants du personnel, mais cette possibilité est peu utilisée. Par ailleurs, la négociation nécessite le développement d’une certaine expertise, et donc du temps, qui manque souvent.
Au terme des Assises du Travail, Sophie Thiéry et Jean-Dominique Senard ont publié un rapport préconisant de revivifier, après les « ordonnances Macron », la culture du dialogue social, notamment sur des sujets de proximité tels que la santé et la sécurité au travail. Je fais miennes leurs recommandations.
M. le président Denis Masséglia. Le sujet de la conditionnalité des aides a été très souvent abordé lors des précédentes auditions. L’accompagnement de l’État concerne toujours un domaine spécifique : par exemple, le crédit d’impôt recherche (CIR) est forcément lié à des dépenses de recherche, de même que certaines aides ou baisses de cotisations sont liées à des dépenses engagées par les entreprises bénéficiaires. Ainsi, on peut dire que ces aides sont déjà conditionnées et soumises au contrôle de l’État. Cependant, pensez-vous qu’il faille aller plus loin en la matière ? Faut-il, en particulier, demander le remboursement des aides accordées si des licenciements ou un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) surviennent dans les années suivant leur versement ?
Mme Myriam El Khomri. J’entends bien que vous voulez connaître mon opinion sur ce sujet, mais je resterai factuelle. La question se posait déjà en 2009, puisque la conditionnalité du pacte de responsabilité et de solidarité était discutée : l’impact de ces mesures sur l’emploi devait faire l’objet de rapports au niveau des branches professionnelles et être étudié par une commission, mais il s’agissait davantage d’un suivi a posteriori que d’une conditionnalité réelle. Avec le ministre de l’économie, qui attribuait un grand nombre de ces aides – les procédures de licenciement posent souvent la question de la revitalisation du bassin d’emploi –, j’ai pris la décision, que j’assume devant vous, de ne pas conditionner les aides octroyées. Cela ne nous semblait pas nécessaire. L’enjeu, à l’époque, était de favoriser les investissements dans l’outil de production et les créations d’emplois ; or force est de constater qu’à partir de la fin de l’année 2016, la situation économique s’est améliorée, les créations d’emplois ont été dynamiques et le taux de chômage a commencé à baisser.
Au-delà de la question de la conditionnalité des aides, nous savons que dans certains secteurs davantage touchés que d’autres par les difficultés, les défaillances d’entreprises sont très nombreuses et la situation de bon nombre de petites et moyennes entreprises (PME) – ainsi que de leurs salariés – inquiétante. C’est pourquoi je m’interroge toujours sur la question de l’anticipation et du rapport au temps. Des outils existent dans notre droit : je pense par exemple à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), ou aujourd’hui à la gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP), qui prévoit une obligation triennale de négociation. Ne pourrait-on pas, dans certains secteurs ou face à certaines conjonctures, aller au-delà de cette obligation et essayer de négocier plus régulièrement ? Par ailleurs, le délai de deux mois pour trouver un repreneur ne me paraît pas suffisant, car cette recherche, qui se fait bien souvent à l’échelle internationale, nécessite un certain accompagnement et des expertises fortes.
Pour revenir à la conditionnalité des aides, la question avait donc été posée lors de l’élaboration du pacte de responsabilité et de solidarité, et elle avait suscité des débats très animés au sein du parti socialiste, auquel j’appartenais à l’époque.
M. le président Denis Masséglia. Il est vrai que le délai accordé pour la recherche d’un repreneur est relativement court. Nous devrions d’ailleurs réfléchir au bien-fondé de la règle selon laquelle ce repreneur doit opérer dans le même secteur d’activité que l’entreprise à céder. Pour ma part, je crois en la capacité des salariés à se former à des domaines d’activité différents : aussi pourrions-nous élargir la recherche aux repreneurs exerçant leur activité dans des secteurs que je qualifierais de proches.
M. Benjamin Lucas-Lundy, rapporteur. Avant de vous interroger sur le bilan que l’on peut dresser de votre loi, j’aimerais m’arrêter quelques instants sur la confiance de nos concitoyens dans l’action des pouvoirs publics pour faire face aux grands défis économiques et aux catastrophes sociales que constituent les plans de licenciements. En effet, cette confiance est au fondement de notre capacité à « faire démocratie ». Cette question, certes un peu éloignée de la politique de l’emploi, est aussi au cœur des réflexions de notre commission d’enquête.
Vous avez évoqué des événements anciens, datant de presque une décennie, et des débats auxquels j’ai moi aussi participé, à l’époque, au sein du parti socialiste. Vous m’aviez fait l’honneur de me recevoir, avec des camarades, dans votre ministère : vous m’aviez alors dit, de mémoire, qu’il fallait laisser du temps au temps et que l’on pourrait juger la politique que vous meniez au bout de quelques années. Il faut bien reconnaître que vos propositions avaient provoqué un choc au sein de la gauche militante, car elles apparaissaient en décalage avec les positions que nous avions précédemment défendues. Ma première question portera donc sur le contexte de votre action – un point par lequel vous avez d’ailleurs vous-même choisi de commencer votre intervention. Pour ma part, je remonterai à l’alternance de 2012, lorsque la gauche est revenue au pouvoir après dix années de politique de droite marquées notamment par le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Considérez-vous que la loi « travail » – appelons-la comme cela, car c’est effectivement une œuvre collective, réalisée avec un Président de la République, un Gouvernement et une partie de la majorité de l’époque – était conforme ou fidèle aux engagements que le candidat François Hollande avait pris devant les Français et inscrits dans son programme électoral ?
Mme Myriam El Khomri. Notre volonté de développer la culture du compromis et du dialogue social était tout à fait conforme au projet social-démocrate qui a toujours inspiré François Hollande. Cela ne pose aucune difficulté.
Pour revenir au contexte, j’aimerais mentionner la loi de 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, qui est également importante et qui a précédé la loi « Rebsamen ». Je suppose que vous interrogerez Michel Sapin à ce sujet. Le contexte était aussi marqué par la situation économique du pays, ainsi que par une ambiance de fin de quinquennat, car ce n’est pas la même chose de défendre une réforme sociale à ce moment-là ou en début de mandat. Le contexte était donc particulièrement inflammable, car le syndicalisme montrait un aspect caricatural – rappelez-vous la situation chez Air France, à l’automne 2015, et ce moment où le directeur des ressources humaines du groupe a vu sa chemise déchirée, qui a beaucoup pesé dans le débat et ne nous a pas aidés à rallier le patronat aux principes de la négociation collective et des accords majoritaires. Les tensions étaient également vives entre les organisations patronales, qui s’opposaient sur la question de la représentativité patronale. Quant à la gauche, elle était très abîmée, alors que l’on sortait à peine du débat sur la déchéance de nationalité. Il y avait aussi des dissensions entre les organisations syndicales : la CFDT avait signé un accord sur l’Unédic, et Laurent Berger et Jean-Claude Mailly ne se parlaient plus ; la CGT boycottait les conférences sociales ; bon nombre d’organisations syndicales étaient focalisées sur des questions internes et la préparation de leur congrès. Force ouvrière faisait preuve d’une grande constance dans son attachement aux branches, puisque même André Bergeron avait critiqué, à l’époque, les lois « Auroux ». Deux lignes différentes, celle de Force ouvrière et celle de la CFDT, traversaient d’ailleurs le parti socialiste. Le fait que l’avant-projet de loi ait fuité dans la presse avant même sa présentation en Conseil des ministres n’a pas non plus contribué à la clarté du débat. Nous avons donc pâti de multiples facteurs défavorables.
Puisque vous avez posé la question du débat démocratique, j’aimerais insister sur une deuxième chose, qui a influé sur la façon dont cette loi a été perçue par les Français. Au départ, le texte que j’ai défendu devait être une loi « travail » portant sur les conditions de la négociation collective. Or l’introduction des deux dispositions que j’ai évoquées tout à l’heure, dont l’une avait été précédemment invalidée par le Conseil constitutionnel, a suscité un certain émoi : en effet, en voulant accroître la visibilité des entreprises sur la question des licenciements économiques, faciliter le recrutement en CDI et lutter contre l’emploi précaire – notamment contre les contrats à durée déterminée (CDD) –, on transformait cette loi « travail » en une loi « emploi ». Ce changement d’orientation a troublé les uns et les autres, qui se sont demandé si nous savions réellement ce que nous voulions, si bien que nous avons dû rouvrir, en mars 2016, une concertation avec les organisations patronales et syndicales qui acceptaient d’échanger avec le Gouvernement.
Enfin, même si 900 amendements ont été intégrés dans le texte final, la loi a été adoptée en recourant à la procédure prévue à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, ce qui n’a pas permis de débattre de la totalité des mesures. J’ajoute que l’opinion publique a été d’une grande constance : du début à la fin, 70 % des Français étaient opposés à ce texte.
La politique est souvent faite de violence, mais aussi d’ironie, car à en croire les sondages, qui valent ce qu’ils valent, 70 % des Français ignoraient le contenu précis de la loi. Et pour cause : le texte comportait mille mesures éminemment complexes – 123 articles, pour être précis. Je n’ai pas été capable de montrer la complémentarité et la cohérence de cet ensemble.
Ironie encore : alors que tous les candidats à l’élection présidentielle de 2017 avaient promis d’abroger cette loi « travail », les Français ont choisi le seul homme qui revendiquait ce texte et projetait même de le compléter. Ironie toujours : les syndicats les plus virulemment opposés à la loi à l’époque, notamment Force ouvrière, se sont montrés plutôt conciliants lors de la promulgation, en 2017, des ordonnances portées par Muriel Pénicaud. Cela rejoint ce que je soulignais tout à l’heure : un Gouvernement n’a pas la même légitimité ni la même autorité en début de quinquennat qu’en fin de mandat.
« Gouverner, c’est choisir », disait Pierre Mendès France. Mais gouverner, c’est aussi parfois déchoir. On peut trouver cela ingrat ; pour ma part, je continue de trouver cela noble.
J’assume complètement le texte que j’ai défendu. Il a permis une baisse du taux de chômage et un développement de la négociation collective – je ne reviendrai pas sur les chiffres qui témoignent de la dynamique qui s’est enclenchée. Bon nombre des accords trouvés sont signés par l’ensemble des organisations syndicales. Le principe de l’accord majoritaire pousse les parties à trouver les voies d’un compromis et responsabilise celles qui décident de signer.
La culture du dialogue social est-elle aboutie dans notre pays ? Non, je crois qu’il reste beaucoup à faire en ce qui concerne le dialogue social de proximité et les représentants de proximité. S’agissant de la santé et de la sécurité au travail, il faut que les choses avancent. La jurisprudence sur le livre IV du code du travail, l’impact des PSE et les risques psychosociaux (RPS) est aussi un élément extrêmement important.
Nous avons réellement tenté un compromis. On a tendance à voir celui-ci, dans notre pays, comme une compromission, comme si faire un pas vers l’autre en contrepartie d’un pas fait par ce dernier était synonyme non pas d’une avancée collective mais d’un recul pour soi‑même, comme si donner à celui qui donne était une perte nette. Je défends la culture du dialogue social, du compromis, même si elle semble toujours suspecte, ce qui me dérange. On préfère souvent l’affrontement, non sans des jeux de posture, du côté des patrons et parfois des syndicats, en s’enfermant dans une sorte de dialogue de sourds, où chacun hurle pour montrer la pureté de son combat. Or je ne crois pas que cela aide à construire le bien commun. La culture du dialogue social ne se décrète pas : il faut investir en elle.
M. le rapporteur. Quand tout se termine par le recours à la procédure prévue à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution et par des manifestations monstres, on peut s’interroger un peu sur la notion de dialogue.
Vous qui avez été en première ligne dans ce combat, imaginiez-vous début 2012 – vous étiez peut-être au Bourget, comme moi –, à l’époque où François Hollande déclarait que pour dissuader les licenciements boursiers, le coût des licenciements collectifs pour les entreprises qui versent des dividendes ou rachètent leurs actions serait accru, que vous défendriez une loi assouplissant les conditions du licenciement économique, en précisant les critères qui permettent à une entreprise de justifier de difficultés économiques ?
Quand François Hollande disait lors du débat de l’entre-deux-tours, en mai 2012, auquel vous avez dû assister, comme beaucoup d’entre nous, que la durée légale du travail resterait fixée à 35 heures – ce qui fut le cas, je ne vous accuse pas d’avoir supprimé cette disposition –, imaginiez-vous qu’on permettrait aux entreprises de négocier des accords modifiant le temps de travail et les majorations des heures supplémentaires, ce qui remet en question l’effectivité des 35 heures ? La perte de confiance de nos concitoyens dans les acteurs politiques pour relever les grands défis économiques s’explique aussi, je crois, par le non‑respect de la parole donnée. Vous avez évoqué le contexte, mais seulement quatre ans, et non une décennie, s’étaient écoulés depuis le début du quinquennat.
S’agissant d’un autre sujet majeur, François Hollande avait dit, reprenant en cela un vieil engagement de la gauche, que la loi devait rester la norme supérieure qui garantit les droits fondamentaux des salariés. C’était à Dijon, toujours en 2012. Or la loi « travail » a inversé la hiérarchie des normes en donnant aux accords d’entreprise la primauté sur les accords de branche et la loi dans plusieurs domaines, notamment le temps de travail. François Hollande avait également déclaré qu’il refusait « la flexibilité, qui précarise des salariés ». Là aussi, il y aurait beaucoup de choses à dire.
J’essaie de comprendre ce qui a conduit à juger qu’il était nécessaire de faire un virage à 180 degrés. J’ai retrouvé un discours prononcé le 1er mai de la même année par un autre candidat à l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy, qui avait organisé, contre les organisations syndicales, son propre rassemblement : je suis effaré de constater, quand je compare ce document et votre présentation de la loi « travail » à la tribune de l’Assemblée nationale, que des phrases sont quasiment identiques. Comment en est-on arrivé là ? Quelle a été, par exemple, l’influence du ministre de l’économie de l’époque, Emmanuel Macron, dont vous avez rappelé l’action ?
Mme Myriam El Khomri. Je n’étais pas au Bourget en 2012 : je n’ai donc pas eu la chance d’écouter le candidat François Hollande à ce moment-là.
Je réponds de ce qui relève de ma responsabilité. Lorsque vous êtes ministre, vous n’êtes pas là pour servir une famille politique, mais les Français – je pense que c’est un point important. Le rôle du ministre du travail est de mettre en œuvre le droit à l’emploi, de faire en sorte que les demandeurs d’emploi puissent reprendre rapidement un travail, de trouver les moyens de les former, dans les métiers en tension, et de répondre à la conjoncture économique. J’ai eu l’occasion de rappeler, dans mon propos liminaire, qu’il y avait alors des créations d’emploi, au nombre de 183 000 – la croissance était là ; mais ce n’était pas suffisant, parce que, compte tenu de la situation démographique, il fallait créer au moins 200 000 emplois pour faire reculer le chômage. Voilà quel était l’enjeu. Il faut aussi se rendre compte de l’impact que peuvent avoir, dans une économie mondialisée, les difficultés de certains secteurs d’activité. C’est également la réalité de l’exercice des fonctions de ministre du travail.
J’ai pu développer le compte personnel d’activité et généraliser la garantie jeunes – tous les rapports, ceux de la Cour des comptes comme ceux du ministère du travail, montrent qu’elle a eu un impact pour les jeunes. Au moment de la crise sanitaire, on a aussi découvert que la loi « travail » comportait un droit à la déconnexion, ce dont je suis très fière. Je me permets également de rappeler que la négociation collective s’est développée. Certains syndicats étaient extrêmement attentifs à cette question : même si nous avons la chance, dans notre pays, d’avoir des conventions collectives – peu de salariés n’en relèvent pas – et des branches professionnelles, vous vous souvenez de la tribune dans laquelle la CFDT, la CFTC et l’Unsa disaient craindre la mort du syndicalisme. Élargir l’objet de la négociation et pouvoir miser sur des contreparties, cela permettait de le renforcer. Pour moi, cette loi correspondait à la volonté de développer la flexisécurité à la française : la sociale-démocrate que je suis se retrouve dans ce texte.
Je ne fais plus de politique et ne compte pas en refaire, mais François Hollande est aujourd’hui député. Je vous suggère de l’inviter à s’exprimer devant vous et à répondre à vos questions. Pour ma part, je n’enlèverais rien de ce que j’ai pu faire pour répondre, notamment, à ce qu’étaient à l’époque le contexte économique et la situation de l’emploi – ils se sont améliorés par la suite.
Interrogez tout ministre qui a travaillé sur un projet de loi : le recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution vous retire évidemment la possibilité de faire de la pédagogie. J’ai eu l’occasion de défendre le texte au Sénat, devant une majorité de droite, et ce fut le seul moment de pédagogie. Quand vous êtes ministre, vous faites tout pour aboutir par la négociation. C’est d’ailleurs dans cette perspective que je vous avais reçu au ministère.
M. le rapporteur. Pour vous, si je comprends bien, ce ne sont pas les porteurs du projet politique de 2012 qui ont changé, mais le contexte, ce qui aurait justifié ce qui était, qu’on le veuille ou non, une sorte de revirement – c’est en tout cas ce qu’a perçu une grande partie de l’opinion publique.
Mme Myriam El Khomri. Je ne parlerais pas de revirement – je ne vois pas d’éléments allant dans ce sens. Ce que je peux dire, c’est que la réforme était soutenue par des organisations syndicales. La CFTC, la CFDT, l’Unsa et la CFE-CGC, avant le départ de Carole Couvert, défendaient, notamment lors de la remise du rapport de la mission pilotée par Jean‑Denis Combrexelle, le développement de la négociation collective au niveau de l’entreprise. En matière de représentativité, la CFDT était la première organisation syndicale de France quand j’ai quitté mes fonctions. C’est aussi un élément démocratique.
M. le rapporteur. Vous avez rappelé que vous n’étiez plus engagée politiquement : c’est également ce qui fait l’intérêt de cette audition. Nous travaillons beaucoup sur l’actualité, mais nous avons là du recul, comme vous, ce qui est précieux – c’est peut-être plus vrai que si nous interrogions un ministre actuel.
J’ai une dernière question à vous poser au sujet du contexte, avant de passer aux articles principaux de la loi et au bilan qu’on peut en tirer. Beaucoup d’articles de presse, qu’il faut évidemment prendre avec des précautions, évoquaient à l’époque l’influence du ministre de l’économie, Emmanuel Macron. Je pense, par exemple, aux fameux barèmes prud’homaux, qui ont été instaurés ensuite mais qui figuraient dans la première version de votre texte. Il ne s’agit pas de savoir ce qui se disait à la table du Conseil des ministres – je ne suis d’ailleurs pas certain qu’il s’y disait grand-chose –, mais de comprendre quelle a été l’influence, notamment idéologique, du ministre de l’économie. Avez-vous senti, à un moment, même si vous considérez qu’il n’y a pas eu de revirement, une petite pression, amicale, bienveillante, sur le plan politique, qui aurait un peu forcé la main, si je puis dire, d’un Gouvernement dont les membres ne se rattachaient pas forcément à l’histoire politique et sociale que vous décrivez et qui étaient peut-être, parfois, un peu mal à l’aise ou du moins avaient besoin d’être convaincus de l’importance de certaines dispositions du texte ?
Mme Myriam El Khomri. Lorsque ce type de travail de concertation est mené, des réunions se déroulent entre les différents services et il y avait, par ailleurs, des réunions régulières avec le Président de la République, auxquelles était évidemment présents le Premier ministre, Manuel Valls, le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, ainsi que Michel Sapin et moi-même. Le texte faisait notamment suite à une loi portée par Michel Sapin, qui avait aussi à l’époque des fonctions à Bercy.
J’avais mené pendant plusieurs mois une concertation, à partir du rapport de Jean‑Denis Combrexelle, sur la négociation collective. Nous avons eu un débat sur l’opportunité d’insérer dans le texte les deux mesures que vous avez évoquées – le barème prud’homal, qui a « sauté » par la suite, et les dispositions touchant aux licenciements économiques. Nous avons défendu, les uns et les autres, nos points de vue, puis un arbitrage a été rendu. Quand intervient un arbitrage du Président de la République ou du Premier ministre, soit vous démissionnez, si vous n’êtes pas d’accord, soit vous assumez. C’est ce que j’ai fait, même si ces nouvelles mesures n’étaient pas issues de la concertation initiale, ce qui se savait.
S’agissant du barème, le débat avait déjà eu lieu lors de l’examen de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, bien que la mesure ait ensuite été invalidée, et la demande de lisibilité et de visibilité me semblait importante. Néanmoins, nous avons fait une concession dans le cadre des échanges avec les organisations syndicales, parce qu’il était important de parvenir à une forme de compromis social. Quant à la mesure relative au licenciement économique, je pourrai peut-être y revenir plus précisément en réponse à des questions sur l’article 67 de la loi, mais je peux déjà vous dire qu’elle ne me posait pas de difficulté, puisqu’il s’agissait notamment de reprendre une jurisprudence constante. Et j’assume toujours ces dispositions.
M. le rapporteur. S’agissant des barèmes prud’homaux, quels arguments ont conduit à l’arbitrage final, qui était de ne pas faire figurer cette disposition dans le texte, et quelle était votre position à ce sujet ? Pourquoi a-t-on finalement considéré que cette mesure n’était pas opportune à ce moment-là ?
Mme Myriam El Khomri. Il s’agissait d’une loi « travail », et ces mesures visaient clairement à lutter contre l’emploi précaire. C’est dans ce cadre qu’on avait considéré qu’il fallait intégrer des dispositions dans le projet de loi.
Pour moi, le premier argument était le travail de concertation mené avec les organisations syndicales et professionnelles. Je rappelle aussi que l’arbitrage a eu lieu le jour où un avant-projet de loi a fuité dans la presse. Le démarrage n’a pas forcément eu lieu comme on pouvait le souhaiter.
La concertation qui s’est tenue en mars 2016, notamment avec les organisations syndicales et patronales, a permis d’enrichir le texte, parfois en réintroduisant des mesures qui avaient fait l’objet d’un arbitrage négatif quelques mois auparavant, comme la généralisation de la garantie jeunes.
Tout cela était une question d’équilibre. Le rapporteur à l’Assemblée nationale, Christophe Sirugue, a également fait un travail important, avec bon nombre de députés. Malgré le recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, 900 amendements ont été intégrés au texte.
M. le rapporteur. J’en viens au fond du texte, en commençant par la facilitation des licenciements au nom de la compétitivité de l’entreprise. En prétendant favoriser cette dernière, votre loi a flexibilisé le droit du travail – c’est ce que vous avez appelé la flexisécurité. Avec le recul, en quoi ces mesures ont-elles protégé les salariés contre les licenciements ? Ne s’agissait‑il pas plutôt, comme l’analysaient à l’époque les opposants au texte, de faciliter les ajustements d’effectifs ?
Mme Myriam El Khomri. Permettez-moi juste de rappeler ce qui figure dans la loi au sujet du licenciement économique, afin de poser clairement les termes du débat. La loi du 8 août 2016 ne comporte qu’une seule disposition relative au licenciement économique, son article 67, qui prévoit en particulier qu’une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires pendant une certaine durée et par rapport à l’année précédente peut constituer un critère pour apprécier les difficultés économiques d’une entreprise et justifier un licenciement économique. Cet article prévoit également, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, à l’époque, que la sauvegarde de la compétitivité peut constituer un motif de licenciement.
Il me semble important de redire que, contrairement à ce qu’ont parfois perçu ses opposants, la loi du 8 août 2016 comporte très peu de dispositions au sujet des licenciements économiques : elle se concentre principalement sur la question de la négociation collective. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, entre l’avant-projet de loi, qui a été publié dans la presse avant son adoption par le Conseil des ministres, le 24 mars 2016, et le projet de loi transmis au Parlement, le texte a énormément évolué, notamment pour tenir compte des concertations engagées avec les organisations syndicales et patronales – elles avaient d’ailleurs conduit la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC, au temps de Carole Couvert, à donner un avis favorable au projet de loi. Le barème prud’homal, par exemple, ne figurait pas dans le projet de loi.
À l’époque, l’objectif n’était pas d’élargir ou d’assouplir la définition du motif économique, mais de la rendre plus lisible, en conservant les deux motifs qui étaient inscrits dans le code du travail – les difficultés économiques et les mutations technologiques – et en codifiant deux autres motifs définis par la jurisprudence de la Cour de cassation. Ont ainsi été intégrées dans la loi la notion de réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité, dans les termes exacts qui étaient ceux de la jurisprudence – je pourrai les citer si vous le souhaitez –, ainsi que la notion de cessation d’activité, dans les termes de la jurisprudence de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel.
La question que vous posez, finalement, est de savoir si ces notions sont floues. Je ne le pense pas : nous avons renvoyé à la notion de sauvegarde de la compétitivité et non à celle d’une amélioration. Nous n’avions pas identifié de risque et je ne suis pas certaine que l’application de ce critère ancien, qui remonte à des arrêts de 1995, pose aujourd’hui de réelles difficultés. Nous n’avons pas constaté de progression particulière des licenciements économiques à la suite de l’adoption de cette loi. Elle a donné, en revanche, de la certitude et de la visibilité aux acteurs économiques. Il y avait là un débat, notamment avec les opposants au texte, mais je continue de penser que si la France reste le pays le plus attractif en Europe pour les investissements étrangers, on le doit aussi aux lois qui ont permis de susciter de la confiance à l’égard de notre pays – il ne faut jamais sous-estimer le rôle des incertitudes. Quand vous êtes ministre du travail, vous regardez la confiance des entreprises, les chiffres de l’intérim et ceux du chômage, et vous constatez, bien souvent, qu’il existe une corrélation entre ces courbes.
Sans changer la jurisprudence, nous avons vraiment contribué, avec ce texte, à donner de la visibilité aux acteurs, notamment dans les plus petites entreprises, en leur fournissant des repères sur ce qu’on appelle les difficultés économiques. Tel était l’objet de l’article 67 de la loi.
M. le rapporteur. Vous avez, sinon le privilège, du moins la chance d’être entendue alors que nos travaux nous ont déjà permis d’auditionner un peu de monde – des experts, des représentants d’organisations syndicales, des responsables patronaux et M. Combrexelle. Il ressort de beaucoup de nos auditions, pour ne pas dire presque toutes, qu’il y a un flou autour de la notion de sauvegarde de la compétitivité et qu’il est à présent assez difficile d’identifier des situations dans lesquelles un licenciement ne serait pas justifié en son nom. Est-ce un risque ou un écueil que vous aviez identifié à l’époque ? Pourquoi cela n’a-t-il pas été pris en compte ? Et quel est votre regard sur l’analyse quasi unanime, voire unanime – je n’ai pas le souvenir d’avoir entendu autre chose – selon laquelle, de fait, cette notion floue facilite plutôt les licenciements que la sauvegarde de l’emploi ?
Mme Myriam El Khomri. J’ai eu aussi l’occasion d’entendre certaines personnes que vous avez auditionnées.
Je considère que le rôle d’un ministre est également, lorsqu’une jurisprudence est constante depuis vingt ans, de dire le droit. L’idée importante était qu’il y ait une baisse significative du taux de chômage, et nous avons laissé une place au juge.
La loi, qui était fondée sur le rapport de Jean-Denis Combrexelle, était consacrée à la négociation collective. La mesure dont vous parlez a focalisé l’attention et fait oublier la question de la culture du dialogue social, qui constituait l’essentiel du texte. Le débat, les polémiques, les controverses ont ensuite tourné, après la concertation et la présentation du projet de loi au Conseil des ministres, autour de l’article 2 et du développement de la négociation collective, qui a cristallisé les oppositions.
Il ne me semble pas que la notion retenue soit floue, et le juge a encore un rôle majeur en la matière. Vous avez vu, par ailleurs, qu’il n’y a pas eu d’augmentation du nombre des PSE, bien au contraire, après l’adoption de la loi. Je n’ai pas le sentiment, pour avoir entendu certains avocats et professeurs de droit qui sont intervenus devant votre commission, que l’idée selon laquelle la notion serait floue fasse l’unanimité. Nous avons repris, au mot près, une jurisprudence qui était constante.
M. le rapporteur. M. Combrexelle nous a dit que la modification du cadre juridique du licenciement économique et le plafonnement des indemnités prud’homales, intervenu par la suite, avaient profondément altéré l’équilibre du projet de loi initial. Avez-vous le sentiment que vous auriez pu, sur certains points, être plus fidèle au rapport de M. Combrexelle et à vos ambitions initiales ? Pour être clair, si vous deviez refaire le texte aujourd’hui, quels éléments garderiez-vous et lesquels modifieriez-vous, soit parce que vous n’étiez pas forcément convaincue à l’époque – mais il a fallu faire des compromis –, soit parce que vous auriez constaté par la suite un manque d’efficacité ou le fait qu’un objectif n’était pas atteint ?
Mme Myriam El Khomri. Je pense que Jean-Denis Combrexelle faisait allusion aux discussions de l’hiver 2015, au sein du Gouvernement et avec le Président de la République, au sujet du contenu du projet de loi et du contexte économique – la croissance redémarrait, des créations d’emploi avaient lieu, mais le chômage ne baissait pas. Je comprends qu’il y ait une certaine frustration, notamment parce que le rapport de M. Combrexelle était la base de plus de 90 % du texte, grosso modo – je n’ai pas vérifié et je sais que je suis sous serment. Au départ, il est vrai que c’était un projet de loi principalement centré sur le développement de la négociation collective.
Ai-je des regrets en ce qui concerne les 123 articles de la loi promulguée en août 2016 ? Non. J’ai des regrets en ce qui concerne la communication et le sentiment de trahison éprouvé par les partenaires sociaux, avec lesquels je menais des concertations, du fait de l’introduction dans le texte des deux mesures dont nous parlons. Mais on ne refait pas l’histoire. Par ailleurs, je peux comprendre qu’il y ait une certaine frustration chez quelqu’un qui a mené une mission sur un sujet aussi central que le développement de la négociation collective, dans la perspective d’une loi « travail » et non « emploi ».
D’autres éléments ont été intégrés dans le texte – le compte pénibilité, qui était un sujet en soi ; le compte personnel d’activité ; le compte personnel de formation (CPF) ; les fraudes au détachement des travailleurs, qui cristallisaient aussi beaucoup de discussions, notamment entre la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) et le Medef ; le droit à la déconnexion, notamment sur la base du rapport de Bruno Mettling ; les licenciements économiques, qui ont été au cœur de la contestation, alors que la grande majorité des articles portaient sur la négociation collective. C’était là un vrai débat qui aurait mérité de se poursuivre, sur le principe de l’accord majoritaire ou sur ce qu’il faut laisser au niveau de l’entreprise ou de la branche. Le débat sur la place du contrat et de la loi n’est pas honteux – il existe aussi au sein de la gauche et du parti socialiste.
Certains économistes soutenaient le texte, d’autres non ; celui-ci a suscité beaucoup de controverses. Il est vrai que la suppression de certaines des mesures relatives aux licenciements économiques nous a permis de recevoir le soutien de la CFDT et de la CFTC. Mais les éléments d’équilibre du texte initial et son évolution n’ont pas permis de renverser les perceptions, qui s’étaient cristallisées sur l’avant-projet de loi. C’est donc un échec. Aucun ministre ne peut prétendre le contraire lorsque 70 % des Français demeurent opposés à son texte et que la même proportion n’est pas en mesure d’évoquer son contenu. Cependant, certaines oppositions m’ont paru caricaturales : je ne crois pas que le retour au XIXe siècle qui était dénoncé alors se soit produit. Par ailleurs, le droit à la déconnexion, que l’on a découvert au moment de la crise sanitaire, est passé complètement inaperçu à l’époque.
M. le rapporteur. Comprenez-vous toutefois qu’une grande partie de la société française ait été attachée à la hiérarchie des normes sur laquelle est fondée notre république sociale ? Du reste, cette question a-t-elle fait débat, sur le plan idéologique, lors de l’élaboration du texte ? Aviez-vous conscience – vous, les ministres concernés, le Président de la République et le Premier ministre – de toucher à un élément important, notamment sur le plan symbolique, de notre construction républicaine ?
Mme Myriam El Khomri. Bien entendu, puisque l’on touchait au travail, qui occupe une place centrale dans la vie de tous les Français. Mais nous ne souhaitions absolument pas toucher aux 35 heures. Cependant, je continue de considérer que l’élargissement de l’objet de la négociation permet de travailler à l’obtention de contreparties. La mesure qui a suscité des réflexions – nous en avons beaucoup débattu avec Christophe Sirugue lors de la préparation de la loi – est celle qui avait trait à la modulation des heures supplémentaires. À l’époque, un accord avait été conclu dans la branche de l’audiovisuel, qui prévoyait une modulation à hauteur de 10 % contre des frais de garde. Tout l’enjeu était là : l’organisation du travail et les contreparties.
Pour moi, le verrou, l’élément important, résidait dans le caractère majoritaire de l’accord. Avant la loi « travail », je le rappelle, l’accord majoritaire n’existait pas : le compromis était moins fort. Cette disposition était un élément d’équilibre, voulu par des organisations syndicales. La loi traitait de l’organisation du travail : cela avait du sens d’en décider au sein de l’entreprise, au plus près du terrain.
Il est caricatural de dire, comme je l’ai entendu, que le renforcement de la négociation collective au niveau des branches et de l’entreprise affaiblit les droits des salariés. Je suis désolée de persister dans cette voie, mais je le pense profondément : il s’agit, au contraire, de leur offrir la possibilité de peser davantage, par l’intermédiaire de leurs représentants, dans la vie de l’entreprise. Ainsi, les mesures relatives aux parcours syndicaux, au renforcement de la culture du dialogue social – qui avait fait l’objet d’un rapport du Conseil économique, social et environnemental (Cese) – et aux moyens des organisations syndicales, notamment le temps dont elles ont besoin pour réaliser leurs expertises, me semblaient être des éléments très importants de l’équilibre que nous avions cherché à construire dans le projet de loi.
Je ne partage pas non plus l’idée selon laquelle le dialogue social ne fonctionnerait pas dans notre pays. Il n’est pas simple de négocier, de construire des compromis. Dans la pétition contre la loi « travail », il était écrit : « Il suffit d’un accord. » Non, l’accord doit être majoritaire, et il n’est pas facile d’y parvenir.
Depuis 2013, le nombre des accords d’entreprise a doublé sans – contrairement à ce que certains opposants affirmaient à l’époque – que celui des accords de branche diminue. Je suis convaincue que la loi a contribué à cette évolution. Plutôt que sur la valeur ajoutée de la négociation, il faudrait s’interroger sur les leviers à actionner pour consolider davantage encore la culture du dialogue social. Les préconisations de Sophie Thiéry et Jean-Dominique Senard me semblent précieuses à cet égard.
M. le rapporteur. La modulation des heures supplémentaires n’est donc pas, selon vous, sinon une remise en cause, du moins un affaiblissement de fait des 35 heures ?
Mme Myriam El Khomri. Non. Du reste, cette évolution a fait l’objet de peu de négociations, contrairement à ce qui était annoncé à l’époque. Par ailleurs, il me semble que Force ouvrière, qui y était opposée, a négocié, à la suite de la loi « travail », une modulation des heures supplémentaires dans la métallurgie – il faudrait préciser ce point. Je n’ai pas le sentiment que cette disposition ait conduit, comme l’affirmaient les opposants à la loi, à un détricotage du droit du travail. Actuellement, des accords sont conclus sur l’organisation du travail. Il faudrait interroger la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du travail sur le nombre de ceux qui ont porté sur la modulation des heures supplémentaires.
Pour répondre à votre question précédente : oui, nous avons eu des discussions, en particulier sur ce point.
M. le rapporteur. On se souvient de la communication du président du Medef, qui arborait un pin’s promettant un million d’emplois. Cette promesse était interprétée comme une contrepartie implicite à la politique de l’offre mise en œuvre sous le quinquennat de François Hollande. Le respect de cet engagement moral du patronat, pris devant les Français, leurs représentants et le Gouvernement, a-t-il fait l’objet d’un suivi, d’un contrôle, et, si oui, lequel ? Quels ont été le rôle et l’influence des organisations patronales dans la rédaction et la construction de la loi « travail » ?
Mme Myriam El Khomri. Je n’étais pas ministre du travail lorsque le président du Medef a commencé à porter ce pin’s. Un suivi était effectué au niveau de certaines branches professionnelles, mais il ne concernait pas cet engagement ; il portait sur les créations d’emploi dans le cadre du pacte de responsabilité et de solidarité. On dénombrait alors, chaque année, environ 600 000 départs à la retraite pour environ 800 000 entrées sur le marché du travail. Notre économie devait donc créer 150 000 à 250 000 emplois privés pour résorber le chômage – c’est l’objectif que nous avions en tête. C’est la raison pour laquelle j’avais mis en œuvre le plan « 500 000 formations supplémentaires » à destination des demandeurs d’emploi : à l’époque, seul un demandeur d’emploi sur dix accédait à une formation qualifiante et certifiante.
Le suivi était donc effectué, je le disais, au niveau de certaines branches, mais il n’a pas véritablement fonctionné, car la branche n’a pas d’existence en tant que telle : elle n’existe que par la convention collective. Ce n’est pas une personne que l’on peut convoquer.
Quant aux organisations patronales, elles manifestaient peu d’intérêt pour le développement de la négociation collective. Elles étaient surtout préoccupées par la question du détachement des travailleurs et celle de la représentativité patronale. La disposition visant à créer les accords de branche « à trous » – susceptibles de s’appliquer dans les plus petites entreprises où la représentation syndicale est absente – a également été beaucoup évoquée avec les organisations syndicales et patronales, car les plus petites entreprises devaient pouvoir s’en saisir. Les débats, nombreux, ont porté notamment sur la représentativité syndicale, les franchises, etc.
S’agissant de la négociation collective, nous menions des concertations, en cherchant à parvenir à un équilibre. Mais, je le rappelle, ces organisations avaient participé aux travaux qui ont abouti à la publication du rapport de Jean-Denis Combrexelle. Or de nombreuses dispositions de la loi sont issues de ce rapport.
M. Louis Boyard (LFI-NFP). Vous êtes une des personnes qui ont suscité mon engagement politique, puisque celui-ci a commencé lorsque je me suis opposé, comme beaucoup de jeunes gens de gauche, à votre politique et à votre loi.
Parmi ses dispositions, nous insistons, pour notre part, sur celles relatives à l’inversion de la hiérarchie des normes, aux visites médicales, aux licenciements économiques, à la flexisécurité… Beaucoup estiment qu’une telle loi ne relève pas d’une politique de gauche – mais certains, au sein de la gauche, la défendent. Toujours est-il que cette politique s’est poursuivie sous la présidence de M. Macron, qui pourrait, lui aussi, se réclamer de la flexisécurité. Cette commission d’enquête en examine le bilan : 300 plans de suppression d’emplois, 128 000 à 200 000 emplois menacés depuis septembre 2023. Comment pouvez‑vous encore défendre une politique dont l’échec est attesté par la situation actuelle de l’industrie française ?
Mme Myriam El Khomri. Je ne défends pas une politique mais une loi. Si vous me demandez, puisque c’est l’objet de la commission d’enquête, si l’article 67 de la loi « travail » a encouragé les licenciements économiques actuels, je vous réponds non – je me suis exprimée de manière précise à ce sujet. La situation actuelle est liée à la conjoncture économique et à des changements structurels. Prenons l’exemple du secteur du commerce. Le comportement des Français a changé : ils font de plus en plus leurs achats en ligne. Y a-t-il des éléments qui aggravent cette situation ? Le contexte économique mondial, notamment la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, et l’instabilité politique récente jouent sur la volonté des uns et des autres d’investir, de développer. Je ne mésestime pas pour autant les difficultés rencontrées par bon nombre de citoyens. Mais les PSE sont largement médiatisés, alors que les licenciements économiques représentent une part très faible des ruptures de CDI.
Pour résumer, je défends un texte de loi, et non une politique. Ce texte a-t-il eu des conséquences sur les PSE ? Ma réponse est non, et je l’assume. Les difficultés économiques actuelles sont très graves, les comportements changent. Par ailleurs, nous n’avons pas suffisamment anticipé le développement de l’intelligence artificielle. Les outils de régulation et d’anticipation sont-ils adaptés aux enjeux ? Le délai de deux mois pour trouver un repreneur est-il suffisamment long ? Ces différents éléments influent sur la situation actuelle, mais je ne suis pas aux responsabilités.
Lorsqu’on est ministre du travail, on reçoit, chaque vendredi, la liste des entreprises en difficulté, signalées par la direction générale du travail, les organisations syndicales, voire les directeurs des ressources humaines. Face à ces situations, le rôle du ministre est de solliciter les directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets) ou, le cas échéant, le comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri), de convoquer au ministère les organisations syndicales puis les employeurs et de tenter d’identifier ce qui peut être fait – la situation économique n’était pas facile non plus à l’époque. J’ai rempli ce rôle autant que faire se peut – Patrice Ivon, qui était mon conseiller en charge des mutations économiques et des restructurations, peut en témoigner –, avec les moyens qui étaient les nôtres mais de manière particulièrement engagée.
Encore une fois, si la question qui se pose est celle de savoir si certains PSE, particulièrement médiatisés en raison de leur impact sur les salariés et les territoires, ont un lien avec la loi « travail », ma réponse est non.
M. Louis Boyard (LFI-NFP). Je suis né en 2000. J’ai commencé à prendre conscience du monde qui m’entoure à l’âge de huit ans, au moment de la crise de 2008. Depuis, on ne cesse de nous dire que c’est la crise. Et on nous explique que, de ce fait, il faut renforcer la compétitivité, donc donner quelques gages au patronat pour qu’il maintienne les entreprises en France – c’était l’esprit de votre loi. Or le fait est qu’elles ne restent pas. C’est pourquoi je conteste cette politique ; elle est appliquée depuis très longtemps et ne fonctionne pas. Quel était votre état d’esprit, à l’époque ?
Mme Myriam El Khomri. Je comprends votre question, mais je ne peux pas vous laisser dire que, depuis 2008, nous n’avons connu que la crise. Celle-ci, nous serons d’accord sur ce point, se traduit notamment par le chômage. Or le taux de chômage a commencé à baisser à la fin de l’année 2016, et les créations d’emplois ont été particulièrement dynamiques. La France est le pays d’Europe qui accueille le plus grand nombre d’investissements étrangers.
La loi que j’ai défendue avait pour objet de développer le dialogue social. Vous dénoncez une inversion de la hiérarchie des normes parce que vous considérez que tout doit figurer dans le code du travail. Cette position est respectable. C’était celle de la CGT à l’époque. Force ouvrière, quant à elle, est attachée, depuis André Bergeron, au rôle des branches. D’autres organisations syndicales souhaitent avoir la possibilité de négocier au niveau de l’entreprise. La loi ou le contrat : c’est un beau débat. Il n’y a pas de bons ou de mauvais accords, il n’y a que des accords signés ou non. D’où ma volonté d’instaurer le principe majoritaire par la loi « travail ».
Certes, les défaillances d’entreprise sont très importantes depuis 2024. La politique dite du « quoi qu’il en coûte » a mis l’économie un peu sous cloche. Mais, ne l’oublions pas, notre pays a connu une dynamique de développement économique et de création d’emplois : nous ne nous sommes pas enfoncés dans la crise entre 2008 et 2024, comme en témoigne l’amélioration du taux d’emploi.
Peut-être faut-il aussi se pencher sur les difficultés que rencontrent certains secteurs. Comme je l’ai dit devant la commission des affaires sociales lorsque j’ai remis à la ministre des solidarités mon rapport sur le plan de mobilisation nationale en faveur de l’attractivité des métiers du grand âge, les métiers d’aide à domicile ou d’aide-soignant ont du sens, ils peuvent représenter 10 % de l’emploi en zone hyper-rurale et nous en avons particulièrement besoin. Or ils ne sont pas attractifs, du fait des conditions de travail – la sinistralité atteint des records dans les métiers du grand âge – et de la faible rémunération de ceux qui les exercent. Nous devrions donc les revaloriser, pour pouvoir créer des ponts entre ce secteur et ceux qui sont en plus grande difficulté, notamment celui du commerce de détail. Les partenaires sociaux avaient déployé le dispositif Transitions collectives, qui vise à favoriser les mobilités volontaires en les sécurisant, car il est difficile de changer de métier si l’on est privé de sécurité financière pendant sa formation.
Il me semble que l’on pourrait investir de manière à permettre aux salariés de secteurs dont le modèle a changé de se former à ces métiers-là. Ce n’est pas un propos hors-sol. Si les métiers de l’aide à domicile sont en tension, c’est parce que la rémunération y est trop faible et la sinistralité trop importante. Des améliorations sur ces deux points sont donc nécessaires pour faciliter la transition d’un métier à un autre.
M. Louis Boyard (LFI-NFP). Vous nous avez exposé votre conception du dialogue social. Je suis curieux de savoir si, pour vous, il existe une lutte des classes.
Mme Myriam El Khomri. Qu’appelez-vous la lutte des classes ? Soyez plus précis.
M. Louis Boyard (LFI-NFP). Pour le dire rapidement, d’un côté, les travailleuses et les travailleurs produisent la richesse ; de l’autre, les propriétaires des moyens de production tirent une rente de la richesse ainsi produite. De ce fait, il n’y aura jamais de consensus entre les premiers et les seconds. Lorsqu’on est de gauche, notamment socialiste, insoumis ou communiste, on doit prendre le parti des travailleuses et des travailleurs et concevoir le dialogue social comme un moyen pour ces derniers de regagner ce que la bourgeoisie leur a volé.
Mme Myriam El Khomri. Bien entendu, le rapport entre employeurs et salariés est déséquilibré, mais le principe majoritaire et le développement du dialogue social permettent de le rééquilibrer. Pour ma part, je fais confiance au dialogue social et aux organisations syndicales. Je crois – et, sur ce point, nos perceptions sont différentes – que les organisations syndicales peuvent négocier et protéger les salariés. Je ne crois pas que l’on puisse réaliser les adaptations rendues nécessaires par la mondialisation de l’économie en s’en tenant aux règles édictées dans le code du travail. La négociation collective peut aussi créer des droits pour les salariés. Ainsi, des accords sur le partage de la valeur ont été conclus – j’y crois beaucoup et peut-être pouvons-nous nous rejoindre sur ce point. Encore une fois, je fais confiance au dialogue social, car je crois en la capacité des organisations syndicales de défendre les intérêts des salariés.
M. le président Denis Masséglia. Madame la ministre, je vous remercie. Vous avez évoqué les caricatures dont votre loi a fait l’objet. Force est de constater qu’elles sont encore plus présentes à l’Assemblée nationale qu’à l’époque où vous étiez au Gouvernement. Certains croient que la solution passe par le combat et la virulence, d’autres qu’elle passe par le débat et le compromis. Nous devons, à l’Assemblée nationale, préférer le compromis au combat, qui ne doit être choisi qu’en ultime recours. Il en va de même dans l’entreprise. Ceux qui opposent les salariés au patronat se trompent : une entreprise se porte bien quand tout le monde tire dans le même sens. Il faut tout faire pour qu’elle se développe le mieux possible afin que la richesse produite puisse être répartie entre les différentes personnes qui ont participé à sa création, quelles que soient leurs responsabilités.
M. Louis Boyard (LFI-NFP). Vous dites cela parce que vous êtes un petit-bourgeois. Nous pourrons en débattre plus longuement en commission.
M. le président Denis Masséglia. S’il vous plaît.
Madame la ministre, vous pouvez adresser au rapporteur tout document ou toute information que vous jugeriez utile pour les travaux de notre commission.
La séance s’achève à dix-huit heures trente-cinq.
Présents. – M. Louis Boyard, M. Benjamin Lucas-Lundy, M. Denis Masséglia