Compte rendu
Commission d’enquête sur
les défaillances des
pouvoirs publics face à la multiplication des plans
de licenciements
– Audition, ouverte à la presse, de M. Alain Le Grix de la Salle, président d’ArcelorMittal France, M. Bertrand Chauvet, directeur de la coordination des ressources humaines, M. Stéphane Delpeyroux, directeur des affaires publiques, et Mme Audrey Gies, directrice fiscale 2
– Présences en réunion................................21
Mardi
20 mai 2025
Séance de 11 heures 15
Compte rendu n° 40
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Denis Masséglia, président
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La séance est ouverte à onze heures vingt.
Présidence de M. Denis Masséglia, président.
La commission d’enquête auditionne M. Alain Le Grix de la Salle, président d’ArcelorMittal France, M. Bertrand Chauvet, directeur de la coordination des ressources humaines, M. Stéphane Delpeyroux, directeur des affaires publiques, et Mme Audrey Gies, directrice fiscale.
M. le président Denis Masséglia. Nous recevons M. Alain Le Grix de la Salle, président d’ArcelorMittal France, accompagné de M. Bertrand Chauvet, directeur de la coordination des ressources humaines, M. Stéphane Delpeyroux, directeur des affaires publiques, et Mme Audrey Gies, directrice fiscale.
Comme je l’ai indiqué la semaine dernière à l’occasion de l’audition des organisations syndicales présentes chez ArcelorMittal, l’entreprise a récemment annoncé la suppression de 636 postes relevant de différents services, des lignes de production aux fonctions « support », répartis sur un peu moins de dix sites en France, parmi lesquels Dunkerque et Florange, les plus touchés.
Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, Madame, Messieurs, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Alain Le Grix de la Salle, M. Bertrand Chauvet, M. Stéphane Delpeyroux et Mme Audrey Gies prêtent serment.)
M. Alain Le Grix de la Salle, président d’ArcelorMittal France. Je vous remercie de cette occasion d’échanger avec vous au sujet des difficultés de l’industrie et de leurs conséquences sur nos effectifs. Mon intervention s’organisera autour des points suivants : la dégradation de la compétitivité de nos entreprises, l’évolution de nos personnels, la situation d’ArcelorMittal France Nord et le projet de réorganisation en cours. Enfin, je ferai quelques commentaires sur le rôle des pouvoirs publics. Nous avons par ailleurs préparé toutes les réponses aux questions posées avant cette réunion et nous vous les adresserons par la suite en y ajoutant, si nécessaire, des compléments en fonction de nos discussions.
Laissez-moi d’abord vous parler d’ArcelorMittal, un acteur industriel majeur dans notre pays. La France est et reste un pays clef pour le groupe. En effet, ArcelorMittal y compte 15 400 salariés, soit 25 % des effectifs européens. Nous avons une quarantaine de sites de production ou de transformation sur l’ensemble du territoire, mais également des centres de recherche et développement qui abritent 850 chercheurs, soit la moitié des effectifs du groupe dans ce domaine. Les trois quarts de notre production d’acier sont livrés hors de France, en Europe majoritairement. Malheureusement, du fait de la diminution de la demande, notre production est en baisse continue. Nous produisons à l’heure actuelle 30 % à 40 % de moins que ce que nos capacités permettent, soit 6,8 millions de tonnes en 2024 pour une capacité de production de 10 millions de tonnes.
En termes de débouchés, l’acier est pourtant partout autour de nous, qu’il s’agisse des voitures, des appareils ménagers, des bâtiments, des canettes, des navires construits à Saint‑Nazaire, de notre industrie nucléaire ou de nos armements. Nous livrons en France et en Europe tous les secteurs d’activité.
En France, ArcelorMittal est un acteur important en termes d’investissements. Sur les cinq dernières années, nous y avons consacré environ 1,7 milliard d’euros. Ce chiffre ne prend pas en compte nos projets de décarbonation à venir. Cela représente une moyenne de 350 millions d’euros par an et 25 % des investissements européens du groupe. Nous sommes une entité mondiale : nous investissons et nous produisons au départ des marchés que nous souhaitons livrer. Les délocalisations dont il est question concernent des fonctions « support ». Elles s’inscrivent dans la continuité du modèle développé depuis plusieurs années en Europe de l’Est pour une partie de ces métiers. Ces transferts sont nécessaires à la compétitivité. Ils ne concernent en aucun cas les opérations industrielles.
À présent, je souhaite évoquer la dégradation de la compétitivité de nos entreprises. La demande d’acier en produits plats, sur la base d’un index 100 en 2007, a atteint en 2023 une valeur de 45 pour la France, de 70 pour l’Allemagne, de 80 pour l’Italie.
La demande d’acier en France en 2007 était de 9 millions de tonnes contre seulement 3,8 millions de tonnes en 2024. L’automobile et la construction représentent deux tiers de la demande. Les effets des importations sont notables. Le prix moyen en Europe du Nord d’une bobine à chaud, d’après l’index Platts, est passé de 750 euros par tonne début 2024 à 550 euros par tonne fin 2024. Cette baisse de prix de 25 % ne s’explique que par la pression et la destruction de notre marché, du fait des importations, qui ont quasiment doublé en part relative entre 2018 et 2024.
Nos grands sites industriels sont sur l’eau, à Dunkerque et à Fos-sur-Mer. Aujourd’hui, nous ne pouvons plus compenser par l’exportation la baisse d’activité en France et en Europe. Même si nous disposons de quotas de CO2, ceux-ci ne couvrent pas la totalité de nos émissions. En conséquence, nous acquittons des droits. Il est devenu quasiment impossible pour nous d’exporter du fait de la structure de nos coûts et des surcapacités mondiales. Nous payons le carbone, ce qui n’est pas le cas des autres pays. Les règles ne sont pas homogènes.
Nos fonctions « support », c’est-à-dire les équipes « informatique », « finance », « ressources humaines » et « achats », représentent près de 7 000 personnes en Europe. Leur coût est passé de 700 millions d’euros en 2020 à 1 milliard d’euros en 2024 pour ArcelorMittal Europe. Il est normal que nous nous penchions sur ce sujet. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé le transfert d’une partie de ces fonctions vers l’Inde, comme de grands groupes l’ont déjà fait.
Les réorganisations industrielles – que ce soit dans la distribution fin 2024 à Reims et Denain ou à Dunkerque aujourd’hui – ont toutes les mêmes origines : la chute de la demande, aggravée par la pression des importations. Dans ce cadre, adapter nos organisations à nos marchés est une nécessité. Nous ne pouvons pas maintenir des capacités ou des outils ouverts alors que la demande n’est pas au rendez-vous. De fait, ne pas nous adapter reviendrait à reporter et amplifier un problème tout en perdant en compétitivité. À un moment où le groupe doit décider d’investissements majeurs dans la décarbonation en Europe, nous ne pouvons pas laisser nos unités en France se dégrader en termes de résultats.
Nos effectifs ont évolué en conséquence lors des dix dernières années. En 2014, ArcelorMittal comptait 17 200 salariés. Ils sont 15 400 en 2024, soit une baisse d’environ 10 %. Lorsque l’on extrait les variations de périmètre, la réduction réelle de nos effectifs est de 900 personnes, soit 5 %, quand le marché a reculé de plus de 50 % en France. Nos effectifs n’ont pas suivi la baisse du marché français car nous faisons partie d’un groupe. En Europe, nos sites sont tous optimisés grâce à une seule organisation transversale, une seule organisation informatique, un seul carnet commercial et des commandes clients gérées de manière centralisée et non pas par usine. Les commandes sont distribuées à toutes nos usines en fonction de critères spécifiques. Par conséquent, les sites français arrivent à compenser la baisse d’activité locale par des expéditions vers le continent, en raison de notre organisation européenne.
Pour Dunkerque et Fos-sur-Mer, 20 % à 25 % des expéditions s’effectuent en France. Plus de 60 % sont à destination de l’Europe, l’export international représentant le solde – 10 % à 15 %. Sur ces dix dernières années, en dehors de la fin 2024, nous avons mis en œuvre quatre plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) pour un total de 143 salariés : deux plans en 2016, dont un à Manois pour 45 salariés et un autre chez ArcelorMittal Construction pour 43 salariés ; un plan en 2017 à La Réunion pour 40 salariés et un autre en 2023 à Fresnoy-le-Grand pour 15 salariés. Je souhaite faire une remarque concernant l’arrêt des hauts fourneaux de Florange en 2012, qui a touché 629 salariés. Cette opération n’a pas donné lieu à un PSE car les salariés ont tous été repositionnés dans l’entreprise. Il en a été de même pour l’arrêt de la cokerie de Florange en 2020, qui a affecté 163 salariés.
À ces chiffres, il convient d’ajouter les PSE intervenus à la fin de l’année 2024 et au début de l’année 2025 chez ArcelorMittal Distribution Solutions – 28 salariés –, ArcelorMittal Centres de Services, avec notamment Reims et Denain – 131 salariés –, et ArcelorMittal Construction – 9 salariés –, soit un total de 169 salariés. Nous avons également connu, en 2024, sur notre site de Fos-sur-Mer, un arrêt durable d’un haut fourneau, encore une fois en raison du niveau d’activité : 140 salariés ont été concernés, mais aucun plan n’est intervenu grâce à des reclassements internes.
J’aimerais maintenant dresser l’état des lieux du projet annoncé à Dunkerque. Le 23 avril dernier, ArcelorMittal France Nord a informé les partenaires sociaux d’un projet de réorganisation qui entraînerait la suppression de 636 postes sur ses sept sites industriels. Ce projet comporte deux dimensions : une partie est liée à l’amélioration de la productivité sur les sites et une autre à des transferts de fonctions « support » en Inde, comme je l’ai évoqué précédemment. La situation d’ArcelorMittal France Nord se caractérise par trois données : un effectif stable, une baisse des volumes de production de 30 % et une augmentation des coûts de production de 32 %. ArcelorMittal France Nord a déjà mis en œuvre toutes les adaptations possibles à court terme, mais il faut maintenant envisager une réorganisation pour adapter l’activité au nouveau contexte du marché et assurer la compétitivité future. Les informations délivrées aux partenaires sociaux les 30 avril et 13 mai ont porté sur les conséquences détaillées par site et le projet d’accord quant aux mesures sociales d’accompagnement, qui fera l’objet d’une négociation. Les suppressions de postes et les licenciements, lorsqu’ils ont lieu, interviennent en dernier recours, lorsque tous les outils dont nous disposons ont été utilisés. Il s’agit toujours de décisions difficiles à prendre car elles frappent des collaborateurs et des familles.
Je conclurai mon intervention en évoquant le rôle des pouvoirs publics. Nous sommes en contact permanent avec les services de l’État à tous les niveaux. Nous sommes totalement transparents sur nos enjeux et difficultés ; nous recherchons toujours les solutions ensemble. Il est possible de considérer que les pouvoirs publics n’en font pas assez. Peut-on pour autant parler de défaillances ? De même, il est possible de critiquer les lourdeurs administratives ou le manque de simplification. Toutefois, les acteurs publics compétents, aux niveaux national, régional ou local, sont bien présents pour nous soutenir. Laissez-moi vous donner quelques exemples.
En 2023, les aides liées à l’activité partielle de longue durée (APLD) pour l’ensemble de notre périmètre français se sont élevées à 6 millions d’euros. Elles permettent de passer les creux d’activité en préservant l’emploi. Ces 6 millions d’euros sont à mettre en regard des 760 millions d’euros de masse salariale et des 432 millions d’euros de charges de personnel. Nos conventions d’APLD ont toujours été validées ou homologuées, selon qu’elles reposaient sur un accord ou une décision unilatérale. La direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets) a exercé son contrôle sur le respect de la réduction maximale de l’horaire de travail, sur nos engagements en matière d’emploi et de formation, sur le diagnostic économique et les perspectives d’activité.
Au-delà des stricts aspects de validation ou d’homologation, et en prenant l’exemple récent des PSE à Reims et Denain, nous avons conduit plusieurs réunions avec la Dreets ou en préfecture. Les représentants de ces services participent effectivement aux réunions des commissions de suivi, avec nos partenaires sociaux, sur les possibilités de reprise de site ou le reclassement des salariés. Nos PSE ont donné lieu à des accords signés avec les partenaires sociaux. Tous ont été validés par la Dreets. Enfin, le plan acier européen, vital pour la pérennité de notre industrie en Europe et en France, n’aurait jamais vu le jour et ne pourrait pas se concrétiser sans l’engagement dont a fait preuve le Gouvernement français depuis des mois.
Le Groupe ArcelorMittal accorde une importance essentielle à la France. Je peux comprendre les inquiétudes liées au plan social annoncé à Dunkerque. Mais en confirmant notre intention d’y investir 1,2 milliard d’euros dans un premier four électrique afin de lancer la décarbonation de nos sites industriels, nous montrons que nous croyons en l’avenir et que nous sommes prêts à nous engager à long terme. Nous sommes confiants dans le fait que la Commission européenne mette prochainement en place des mécanismes efficaces de défense commerciale et d’ajustement carbone aux frontières, grâce au volontarisme du Gouvernement français.
Le sujet de la décarbonation nous projette dans l’avenir. Il diffère de celui de la réorganisation en cours. Comme je l’ai dit, adapter nos organisations à nos marchés constitue une nécessité. Si le groupe ne croyait pas en l’Europe ou en la France, s’il pensait délocaliser ses opérations industrielles, nous n’aurions pas lancé les investissements annoncés, c’est-à-dire 254 millions d’euros à Dunkerque et 53 millions d’euros à Fos-sur-Mer. Une nouvelle unité de production est attendue d’ici la fin de l’année à Mardyck, dont le coût s’élève à 500 millions d’euros. Ces dernières années, aucun autre investissement d’une telle ampleur n’a été réalisé en Europe, en dehors des investissements liés à la décarbonation.
M. le président Denis Masséglia. Vous avez évoqué de manière claire la baisse de la demande dans certains pays de l’Union européenne. Vous avez également souligné que l’organisation de votre entreprise était établie à l’échelle continentale. Pouvez-vous nous fournir des éléments sur l’évolution de la demande à cette échelle, notamment en Slovénie ou en Pologne ? Certes, la demande baisse dans certains pays, mais elle pourrait augmenter ailleurs.
M. Alain Le Grix de la Salle. Lors des cinq dernières années, la demande de produits plats a diminué de 20 % en Europe. En 2007, cette demande était de 100 millions de tonnes ; en 2024, elle n’est plus que de 76 millions de tonnes. Le phénomène est structurel. Il frappe plus ou moins tous les pays. La France subit davantage les effets de la désindustrialisation que d’autres pays, comme l’Italie, mais le mouvement de contraction de la demande est général, permanent et régulier.
M. le président Denis Masséglia. Les chiffres que vous évoquez ne concernent que les produits plats. Il s’agit donc de profilés et de plaques.
M. Alain Le Grix de la Salle. Il s’agit essentiellement des bobines, qui sont déroulées en produits plats. Cela ne concerne pas les produits longs, comme les poutrelles ou le fil machine, essentiellement destinés à la construction. Les produits plats sont notamment utilisés pour l’emballage et les tôles fortes pour la construction des bateaux.
M. le président Denis Masséglia. Vous parlez donc d’un domaine spécifique. Il serait intéressant que nous connaissions l’ensemble de la demande d’acier, indépendamment de l’usage qui en est fait.
M. Alain Le Grix de la Salle. La baisse de 20 % de la demande concerne tous les produits. La tendance générale touche tous les segments de marché.
M. le président Denis Masséglia. Les chiffres que vous évoquez portent sur les cinq dernières années. Qu’en est-il sur une période plus longue, c’est-à-dire dix à vingt ans ?
M. Alain Le Grix de la Salle. La tendance est la même : la demande est en baisse structurelle, tous produits confondus.
M. le président Denis Masséglia. Vous avez également rappelé votre investissement de 1,2 milliard d’euros. Pour les élus que nous sommes, l’annonce simultanée de cet investissement et d’une réduction de 636 postes pose question. Des salariés qui travaillent depuis des années dans votre entreprise perdront leur emploi. Pouvez-vous nous assurer que les efforts demandés et les baisses d’effectifs ne sont que ponctuels ? À la lumière des investissements concomitants à cette réduction d’effectifs, il est loisible de se demander si dans six mois, un an ou deux ans, les effectifs d’ArcelorMittal ne seront pas encore réduits.
M. Alain Le Grix de la Salle. L’investissement dans la décarbonation porte sur un plan de trois à quatre ans. Nous devons nous adapter à la réalité des marchés sur lesquels nous opérons. Ces phénomènes sont structurels, pas uniquement conjoncturels. Il est difficile de prévoir l’activité à venir et de déterminer l’évolution des grands secteurs que nous livrons, notamment l’automobile et le bâtiment. Pour préserver la compétitivité de nos sites, nous devons parfois prendre des décisions difficiles pour adapter nos outils industriels à la demande et aux marchés que nous livrons. Tout dépendra de la reprise de la demande en Europe et donc de la situation de nos entreprises, de la nécessité de conserver un tissu industriel compétitif.
Nous évoluons dans un environnement mondial très difficile. Les surcapacités sont astronomiques, de l’ordre de 550 à 600 millions de tonnes à l’échelle du globe. Ce phénomène est structurel et il n’est pas près de s’arrêter. En outre, plus de 150 millions de tonnes de capacités sont actuellement en construction en Asie du Sud-Est, dont 80 % d’origine chinoise.
M. le président Denis Masséglia. Je rappelle que vous êtes auditionné par une commission d’enquête. Vous avez prêté serment de dire la vérité et vous êtes dans l’obligation d’apporter des réponses à nos questions. À l’heure actuelle, des études, des réflexions ou des travaux sont-ils conduits à propos de réductions d’effectifs ou de fermetures de sites à l’échelle nationale ou européenne à long terme ?
M. Alain Le Grix de la Salle. Actuellement, il n’existe pas de projet de fermeture de sites en France.
M. le président Denis Masséglia. Ma question est plus large et concerne l’ensemble d’ArcelorMittal. Avez-vous connaissance de travaux concernant l’évolution des effectifs et des structures à l’échelle française et européenne ?
M. Alain Le Grix de la Salle. Il existe à l’échelle européenne des sites en difficulté et il est normal de se poser des questions. Mais je n’ai pas connaissance de dossiers en cours sur des fermetures de sites en Europe. Je précise que le périmètre de mes fonctions est limité à la France.
M. le président Denis Masséglia. Vous avez évoqué des dispositifs qui entreront bientôt en vigueur, comme le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Aujourd’hui, il concerne uniquement des produits bruts, qui ne sont pas transformés. Dans le cas présent, il s’agit de tôles et non de voitures. Pensez-vous que le dispositif tel qu’il existe peut protéger la production européenne de matières premières ? Faudrait-il le faire évoluer afin qu’il ne concerne pas uniquement les matières premières, mais l’ensemble des produits transformés qui utilisent ces matières premières ?
M. Alain Le Grix de la Salle. Nous demandons une évolution du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières afin qu’il intègre notamment les produits dits « aval ». L’usine en cours de construction à Mardyck fabriquera des tôles électriques pour l’automobile, soit un investissement de 500 millions d’euros. Actuellement, nous subissons une double peine. Il s’agit d’abord de l’impact des importations de tels produits, en provenance d’Asie du Sud‑Est, qui provoquent une forte chute des prix de vente. Ensuite, nos clients souffrent également des importations de moteurs et de composants en provenance d’Asie du Sud-Est. Tout ceci fait chuter la demande. Nous demandons donc que ledit mécanisme ne se limite pas à nos produits, mais qu’il concerne aussi les éléments de la chaîne d’approvisionnement.
M. Benjamin Lucas-Lundy, rapporteur. Je souhaite en préambule évoquer le contexte de cette audition, qui me semble importante si j’en juge par la présence du rapporteur général du budget et de la présidente de la commission des affaires économiques. L’actualité est brûlante puisque des centaines de familles vivent dans l’angoisse.
Je pense à Philippe, 61 ans et trente-cinq ans d’ancienneté, conducteur de ligne à Mardyck, qui évoque « une gifle » quand il a entendu l’annonce de ce plan de licenciement. Je pense à Loïc, 42 ans, responsable de maintenance à Dunkerque, pour qui : « On nous parle de concertation, mais on nous impose un calendrier de mort industrielle. » Je pense à Catherine, 50 ans, cariste depuis vingt et un ans, qui témoigne : « J’ai tout donné à cette boîte, j’ai fait des heures, j’ai tenu pendant le covid et aujourd’hui, on nous jette comme des pièces usées. » Je pense à Hervé, 48 ans, technicien logistique. Je pense à Nadia, 39 ans, sous-traitante dans le nettoyage industriel, qui déclare : « Nous, on n’a pas de lettre officielle, juste l’angoisse. On est invisibles, mais on sera les premiers à tomber. » Nous parlons de 636 noms, visages ou métiers, mais aussi de territoires entiers qui dépendent de l’activité sidérurgique.
Cette audition est essentielle parce que nous touchons à la souveraineté industrielle de la France et à l’avenir d’une filière stratégique. Mais elle est également l’exemple de tout ce que nous étudions dans cette commission d’enquête et que nous cherchons à mettre en lumière. Les failles de la puissance publique face aux licenciements massifs, l’absence de conditionnalité des aides publiques, l’impuissance administrative à encadrer les restructurations, la défausse politique sur les multinationales et l’effacement des exigences démocratiques dans l’entreprise sont poussés à leur paroxysme. ArcelorMittal cristallise ces travers. Dès lors, notre devoir consiste à faire la lumière sur ce cas emblématique pour en tirer des leçons plus larges sur la nécessité d’un État stratège, protecteur et exigeant.
Cette audition concerne plusieurs sites industriels essentiels à la sidérurgie française : Dunkerque, Florange, Montataire et bien d’autres. Vous avez annoncé en 2024 des fermetures à Denain et à Reims ; un doute existe, compte tenu du sous-investissement, à Fos-sur-Mer. Je pense aussi à l’impact de vos décisions sur des milliers de sous-traitants, les tissus économiques locaux, les réseaux de chaleur, les ports, c’est-à-dire sur l’écosystème qui accompagne vos activités dans les territoires où elles sont implantées.
Nous auditionnons ArcelorMittal France, conscients que les décisions se prennent également ailleurs. Nous voulons vous interroger sur la captation massive d’aides publiques sans contrepartie, le mépris du dialogue social, l’externalisation des décisions vers des sièges étrangers et la mise en danger de bassins d’emplois entiers. Nous avons auditionné la semaine dernière les organisations syndicales. Elles ont indiqué alerter depuis des mois et des années, dénoncer une stratégie d’étouffement progressif des sites français par manque d’investissement, retard technique et contournements sociaux. En outre, nous échangeons dans un contexte où le Président de la République a écarté d’un revers de main à la télévision, la semaine dernière, toute perspective de nationalisation. Pourtant, plusieurs voix syndicales, politiques ou locales posent la question de la reprise publique, au moins provisoire, d’un outil industriel vital pour la Nation. J’y vois là une forme de haute trahison industrielle de la part du chef de l’État. À l’issue de cette audition, nous ne devrons pas exclure de préconiser nous-mêmes la nationalisation d’ArcelorMittal, comme nous l’avons évoqué précédemment avec l’ancien ministre du redressement productif.
Ma première question est simple. Votre venue intervient à la suite d’une longue série d’auditions de responsables industriels qui mettent en place des plans de licenciement mais qui, à chaque fois, reprennent le même refrain : les impôts sont trop élevés, le coût du travail est trop cher, les normes sont trop contraignantes. Toutefois, ils omettent de nous informer sur les dividendes qu’ils distribuent. S’agissant d’ArcelorMittal, les dividendes versés en 2024 ont atteint 1,34 milliard de dollars. Cette somme était-elle destinée à rassurer les actionnaires plutôt qu’à maintenir l’emploi ? Puisque vous connaissiez des difficultés pour l’exercice 2024, pourquoi avez-vous malgré tout choisi de verser des dividendes records alors que vous avez décidé cette même année la fermeture des sites de Denain et de Reims ?
M. Alain Le Grix de la Salle. Nous faisons partie d’un groupe international dont les résultats sont dégagés au niveau mondial et non au niveau français. Sur les dix dernières années, la moyenne des dividendes s’établit à 226 millions d’euros par an. Il faut y ajouter les rachats d’actions. À l’exception des deux à trois dernières années, du fait des résultats constatés, la politique de dividendes du groupe est stable.
Mme Audrey Gies, directrice fiscale d’ArcelorMittal France. Nous rémunérons nos actionnaires, qui viennent aussi en soutien du groupe en cas de besoin : entre 2009 et 2020, ils ont procédé à des augmentations de capital à hauteur de 13 milliards de dollars. Par ailleurs, la rémunération des actionnaires intervient après les décisions relatives à l’investissement.
M. le rapporteur. Je constate cependant qu’en 2024, vous avez privilégié la rémunération des actionnaires au maintien de sites industriels, notamment à Reims ou à Denain.
M. Alain Le Grix de la Salle. Encore une fois, il faut s’adapter au marché sur lequel nous intervenons. Les huit sites de distribution en France étaient chargés à moins de 60 % dans un marché en baisse structurelle. Nous avons envisagé toutes les solutions possibles et nous avons finalement été contraints de prendre cette décision difficile à Reims et Denain. Si nous ne l’avions pas prise, nous aurions mis en danger l’ensemble des sites. Je suis conscient de l’impact social, de la dimension et du rôle d’ArcelorMittal dans ces régions, mais il est essentiel d’adapter nos outils pour rester compétitifs. Si tel n’est pas le cas, tout l’édifice s’écroule. La France n’est pas une zone en forte croissance. Quand les carnets de commandes chutent, des mesures s’imposent.
Il est toujours question des difficultés. On ne communique jamais sur les succès d’ArcelorMittal. En France, nos usines sont de plus en plus spécialisées grâce à notre recherche et développement. À Florange, nous produisons un acier ultra haut de gamme pour l’automobile. À Uckange, ArcelorMittal Tailored Blanks produit également des composants pour l’automobile. Ces sociétés se développent, y compris en termes d’effectifs. Tout n’est pas négatif. Mais je comprends les remarques qui opposent les dividendes aux licenciements.
M. le rapporteur. Vous avez indiqué que tous vos sites étaient « optimisés » en Europe. Or, les organisations syndicales alertent sur le sous-investissement, notamment à Florange et à Fos-sur-Mer. De sérieuses inquiétudes pèsent sur ces deux sites. Faites-vous réellement tout pour éviter leur fermeture ?
M. Alain Le Grix de la Salle. Nous faisons toujours tout pour éviter d’en arriver à une telle décision. Soyez convaincus qu’il n’y a rien de pire pour un industriel que de fermer une usine. Notre rôle est de créer et développer nos unités et donc l’emploi. Le manque d’investissement en maintenance est réel, mais cela ne signifie pas que nous n’agissons pas. Pour investir en maintenance, encore faut-il dégager des résultats. Aujourd’hui, c’est notre appartenance à un groupe mondial qui nous permet d’agir en France et en Europe. La France reçoit à peu près 25 % des dépenses d’investissement du groupe. Lors des deux à trois dernières années, en Europe, ArcelorMittal a réinvesti plus de 80 % de son bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement. En règle générale, les sociétés le font à hauteur de 40 %.
Certains pourront toujours considérer que les investissements en maintenance sont insuffisants, mais il faut prendre en compte nos résultats qui ne permettent pas de continuer à les alimenter à des niveaux très élevés. Si nous n’appartenions pas à un groupe, nous ne pourrions pas engager 350 millions d’euros d’investissement chaque année en France. J’ai eu l’occasion d’expliquer récemment devant une autre commission que les investissements sur nos sites se répartissent entre des dépenses pour l’environnement – un sujet essentiel pour nous –, la maintenance, la croissance et le développement.
M. le rapporteur. Je reviens brièvement sur les alertes des organisations syndicales. Cette commission d’enquête s’intéresse évidemment à des cas particuliers qui font l’actualité, mais elle a également vocation à produire des recommandations d’ordre général. De quelle manière les alertes émises par les organisations syndicales sont-elles traitées ? Quelles réponses y apportez-vous ? Notre commission pourrait-elle recevoir par écrit les documents qui témoignent de l’analyse qu’ArcelorMittal effectue lorsque de telles alertes lui sont adressées ? Ces documents pourraient, le cas échéant, rassurer les organisations syndicales.
M. Alain Le Grix de la Salle. Nous avons traité ce point dans le questionnaire. Nous y ajouterons des exemples concrets pour documenter notre réponse.
M. Bertrand Chauvet, directeur de la coordination des ressources humaines d’ArcelorMittal France. Si l’on prend l’exemple d’ArcelorMittal France, qui couvre Dunkerque et Florange, il existe de nombreuses occasions de partager le diagnostic et les réponses avec les partenaires sociaux, à travers les réunions de comités d’établissement ou du comité social et économique central, qui comprend en son sein une commission économique. En amont de la procédure qui s’ouvre actuellement sont intervenus un droit d’alerte et l’appel à un cabinet extérieur qui conseille les partenaires sociaux.
De fait, les alertes sont évidemment portées au travers de ces différentes instances et discutées avec la direction, ensuite chargée de prendre sa décision en fonction des priorités de l’entreprise et de ses moyens.
M. le rapporteur. Notre commission d’enquête s’intéresse aux pouvoirs publics et à leur rôle face aux plans de licenciements. À ce sujet, vous avez déclaré un peu plus tôt : « Les acteurs publics compétents, aux niveaux national, régional ou local, sont bien présents pour nous soutenir. » Ce sont des mots forts, que nous n’avons pas l’habitude d’entendre.
Le premier soutien des pouvoirs publics passe par les aides publiques aux entreprises. Pouvez-vous nous confirmer avoir reçu 298 millions d’euros en 2023 et approximativement 850 millions d’euros sur dix ans ? Pouvez-vous nous faire connaître d’éventuelles autres aides indirectes que vous auriez reçues et signaler de possibles aides des collectivités territoriales ? Enfin, pouvez-vous nous indiquer si ces aides publiques ont fait l’objet de contreparties ou au moins d’engagements en matière d’emploi et de développement de l’outil industriel ?
M. Alain Le Grix de la Salle. J’ai eu l’occasion, dans une audition récente, de communiquer tous les chiffres en toute transparence. Nous avons reçu 300 millions d’euros d’aides en 2023, dont 200 millions d’euros sur des sujets d’énergie liés à des règles européennes et applicables dans tous les États membres. Sur les 100 millions d’euros restants, 80 % sont liés au crédit d’impôt recherche et aux allègements de charges.
Quant aux aides à l’investissement, nous avons reçu, sur les cinq dernières années, un total de 75 millions d’euros. Cela représente 5 % des investissements d’ArcelorMittal en France. Les 850 millions d’euros dont il est question sont liés à la décarbonation du site de Dunkerque, un dossier spécifique sur lequel ArcelorMittal n’a pas touché le moindre euro. Les aides régionales sont liées au Fonds européen de développement régional, à hauteur de 6 millions d’euros en 2023.
M. le rapporteur. Sur le plan moral, ne vous sentez-vous pas redevable vis-à-vis de la puissance publique et des contribuables français qui vous ont permis de développer cet outil industriel ? Vous comprenez que ceux qui nous regardent sont soucieux de l’intérêt général et de la souveraineté industrielle de notre pays. Ils constatent que des centaines de milliers d’euros d’argent public ont été distribués à une entreprise qui a continué de verser des dividendes à ses actionnaires tout en annonçant la suppression de 636 emplois. Ne pensez-vous pas qu’un engagement moral vous lie à la puissance publique, qui vous oblige à tout faire pour maintenir ces 636 emplois ?
M. Alain Le Grix de la Salle. D’abord, s’il est question de 636 emplois, 380 personnes sont effectivement concernées par le plan social. Ensuite, nous sommes conscients de notre responsabilité sociétale. En 2023, nous avons acquitté 430 millions d’euros d’impôts et de charges patronales. Lors des dix dernières années, ArcelorMittal n’a pas complètement périclité en France malgré l’évolution de la demande : le marché français a baissé de 20 %, mais nos effectifs n’ont pas diminué d’autant. Encore une fois, nos sites sont de plus en plus performants parce qu’ils sont spécialisés pour rester compétitifs dans des marchés excessivement difficiles.
M. le rapporteur. Votre groupe est connu. Nous nous intéressons à l’influence qu’exerce la puissance publique, même quand elle ne cherche pas des contreparties aux aides qu’elle fournit. Depuis l’annonce des licenciements touchant plusieurs sites emblématiques de notre pays, avez-vous échangé avec le Président de la République ou le Premier ministre ? Si tel est le cas, à quelle date ? Vos interlocuteurs ont-ils cherché à vous dissuader ? Ont-ils évoqué avec vous des alternatives aux suppressions d’emplois ?
M. Alain Le Grix de la Salle. Je n’ai pas eu de contact avec le Premier ministre. J’ai participé à une réunion avec le Président de la République et M. Mittal, à la mi-mars. Elle avait pour objet de remercier la France de son soutien auprès de la Commission européenne pour le fameux plan acier. Nous avons fait état de nos difficultés en France, notamment à Fos-sur-Mer. Il ne s’agit pas d’influence, mais d’échanges.
Comme je l’ai dit précédemment, nous travaillons en toute transparence avec le ministre de l’industrie, la direction générale des entreprises, au travers de relations et de contacts permanents.
M. le rapporteur. Si je comprends bien, vous avez donc eu un rendez-vous avec le Président de la République à la mi-mars. Les annonces du PSE datent du 23 avril. À la mi-mars, avez-vous évoqué ce plan ainsi que le nombre d’emplois et de sites concernés ? Si tel a été le cas, quelle a été la réaction du Président de la République ?
M. Alain Le Grix de la Salle. Le sujet n’a pas été évoqué.
M. le rapporteur. Pourtant, ce plan devait bien être à l’étude.
M. Alain Le Grix de la Salle. Oui, mais la réunion portait sur la sidérurgie en Europe et l’absence de décision de la part de la Commission européenne. Il s’agissait donc d’insister auprès du Gouvernement pour qu’il s’efforce d’aligner les autres pays européens afin de convaincre la Commission de prendre une décision. Au cours de la réunion, nous avons évoqué d’autres sites qui posent problème en France, mais pas Dunkerque.
M. le rapporteur. Cette situation est saisissante. Alors que vous prépariez un plan de licenciements massif, vous ne l’avez pas mentionné au Président de la République. Celui-ci n’a-t-il pas manifesté son mécontentement lorsqu’il a ultérieurement appris la suppression de 636 emplois ?
M. Alain Le Grix de la Salle. Je répète qu’à l’occasion de cet échange avec le Président de la République, il n’a pas été question de sujets opérationnels français, mais du rôle de la France auprès de la Commission européenne. Le cas de Dunkerque n’a pas été abordé.
M. le rapporteur. À partir de quelle date ce plan de licenciement a-t-il été étudié ? Quand a-t-il été décidé ? Quand en avez-vous informé le Gouvernement ? L’a-t-il appris par communiqué de presse ?
M. Alain Le Grix de la Salle. Le plan est lié à la détérioration des résultats d’ArcelorMittal France Nord au quatrième trimestre 2024 et au premier trimestre 2025. Nous espérions initialement une amélioration au premier trimestre 2025, mais en réalité les résultats ont continué à se dégrader. Par conséquent, la direction générale a demandé à la direction de France Nord un plan pour corriger la situation. Ce travail a débuté au milieu du premier trimestre, fin février ou début mars. Je vous confirmerai les dates.
M. Charles de Courson (LIOT). Avec ma collègue présidente de la commission des affaires économiques, nous nous sommes intéressés à la convention que vous avez établie avec l’Agence de la transition écologique (Ademe) consacrée à l’immense investissement de 850 millions d’euros. Je confirme les propos du président : aucun euro n’a été voté. À la lecture des notes internes que nous avons obtenues, il semblerait que vous vous orientiez vers un autre calendrier pour la construction d’un four électrique. Dès lors, cette convention risque fort de tomber à l’eau, au profit peut-être d’une aide de l’État sous une autre forme.
Cette commission d’enquête a pour objet l’examen des éventuelles défaillances des pouvoirs publics face à la multiplication des plans de licenciements. Aussi, l’action du Gouvernement a-t-elle été assez forte et assez précoce compte tenu de la situation de la sidérurgie en France ? Vous êtes confrontés à un problème de négociation avec EDF sur votre approvisionnement électrique. Les négociations, qui n’ont toujours pas abouti, n’handicapent‑elles pas la compétitivité ?
Y a-t-il eu défaillance dans l’extrême lenteur de la mise en place des mécanismes d’ajustement carbone aux frontières ? On ne peut pas demander à l’industrie de se décarboner et mettre fin aux quotas gratuits de CO2 sans avoir simultanément instauré ce mécanisme. Les taux de pénétration des importations sont de l’ordre de 30 % – il me semble – et la profession demande à la Commission européenne de réduire de moitié ses quotas pour essayer de soulager la pression sur l’ensemble des sidérurgistes européens.
Enfin, vos concurrents déploient-ils également des plans de licenciement en masse ?
M. Alain Le Grix de la Salle. Nous avons signé une lettre d’intention avec EDF au début de l’année 2024. À ce jour, les clauses du contrat sont à peu près finalisées. Nous avons bon espoir de conclure d’ici peu, sachant que le dispositif d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique arrive à échéance en fin d’année. Mais toutes les clauses ont été discutées ; on ne peut pas parler de défaillance de l’État dans ce domaine. J’ajoute que, dans notre discussion avec EDF, nous n’avons pas été confrontés à des sujets majeurs bloquants.
La mise en place du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières est effectivement marquée par une lenteur évidente. Mais ce sujet est européen et non français. Comme j’ai eu l’occasion de le dire auparavant, la France et le ministre Marc Ferracci sont intervenus pour convaincre les autres pays européens d’agir auprès de la Commission européenne. Nous demandons par ailleurs le retour aux quotas d’origine, établis à 15 % en 2018. Nous ne sommes pas opposés aux importations, mais il faut en limiter les effets, particulièrement dans un marché en décroissance.
Thyssen a annoncé le licenciement de 11 000 personnes, soit 30 % de ses effectifs. En Europe, à l’exception de deux à trois sidérurgistes très spécialisés, tous les autres affichent des pertes et n’ont pas d’avenir. Le modèle d’ArcelorMittal en Europe et son adossement à un groupe mondial unique – seule entreprise intégrée depuis les mines jusqu’aux clients finaux et disposant d’une couverture géographique sur tous les continents – permettent de soutenir les entités lorsque l’activité souffre. Or, en Europe, la situation de la sidérurgie est dramatique.
M. Julien Gokel (SOC). Dévoilée jeudi dernier, votre annonce d’un investissement de 1,2 milliard d’euros pour la décarbonation du site de Dunkerque constitue un signal positif. Néanmoins, vous annoncez aujourd’hui la construction d’un seul four électrique quand le projet initial en comportait deux.
Je salue l’action conjointe des salariés, des organisations syndicales et de l’ensemble des élus et parlementaires qui ont formé une union sacrée en faveur de notre industrie. Sans leur mobilisation, cette annonce n’aurait peut-être pas eu lieu, en l’absence de dialogue social. Néanmoins, le compte n’y est pas. Si la décarbonation est primordiale à Dunkerque, vous ne nous rassurez pas à propos de vos intentions sur les suppressions de postes annoncées il y a un mois, sur l’ensemble des sites et plus particulièrement Dunkerque, non seulement sur les fonctions « support », mais aussi sur la maintenance et la production. Nous avons besoin de garanties sur la pérennité de tous les postes. Derrière chaque emploi, des familles, une stabilité économique et un savoir-faire stratégique doivent être préservés.
Pouvez-vous garantir que la transformation industrielle engagée à Dunkerque ne se traduira pas par des suppressions de postes ? Quelles sont vos perspectives en matière d’emploi à Dunkerque à l’horizon 2030 ? Quelles discussions allez-vous engager avec les représentants syndicaux sur l’emploi ? Quels sont les engagements concrets envisagés ?
J’en viens à un autre sujet de préoccupation : le transfert de fonctions « support » de l’Europe vers l’Inde que vous projetez, bien que jugé risqué et peu efficace par le cabinet de conseil que vous avez vous-même mandaté. Avez-vous revu votre position sur ce projet qui pourrait à la fois affaiblir la situation des salariés, la cohérence industrielle des territoires, mais aussi la compétitivité du groupe face à ses concurrents ?
L’annonce de votre investissement est intervenue dans le contexte plus large du plan d’action de la Commission européenne pour renforcer la compétitivité de l’industrie sidérurgique et métallurgique – le plan acier européen. Après la suspension du projet de décarbonation en novembre 2024, vous avez déclaré en janvier que votre décision d’investissement dépendait de ce plan acier. En mars, il a été dévoilé à la satisfaction de l’ensemble des sidérurgistes, dont ArcelorMittal. En avril, vous avez annoncé la suppression de 636 postes en France et, en mai, vous promettez un investissement d’environ 1,2 milliard d’euros à Dunkerque. Cette chronologie soulève des interrogations. Quels changements sont intervenus entre la fin du mois d’avril et le début du mois de mai ? Votre groupe conditionne‑t‑il toujours sa décision d’investissement à la concrétisation du plan acier européen ? Pouvons-nous espérer des engagements fermes dès le mois de septembre ? Plus largement, envisagez‑vous de produire encore de l’acier en France et en Europe ?
Enfin, je veux dire notre satisfaction malgré tout mesurée après l’annonce de cet investissement, mais également vous faire part de notre vigilance. Nous attendons des actes concrets et nous sommes en droit de considérer qu’un cas aussi stratégique que Dunkerque ne peut être laissé à la seule main du marché, sans le savoir-faire des travailleurs. Notre outil industriel et nos emplois ne peuvent être les variables d’ajustement de stratégies financières à courte vue, alors même que vous bénéficiez d’aides publiques conséquentes.
M. Alain Le Grix de la Salle. Le four électrique devrait être confirmé après l’été. Si tel est le cas, cela se traduira par des besoins en ressources à Dunkerque durant les phases de construction et de développement. À l’heure actuelle, nous n’envisageons pas d’impact majeur sur les effectifs de Dunkerque à l’horizon 2030. Le principal défi porte sur les compétences. L’usine dont il est question sera très fortement numérisée. Nous devrons faire évoluer une partie de nos salariés vers de nouveaux métiers. Sur un tel sujet, il convient de travailler ensemble, y compris avec les partenaires sociaux.
Le plan acier constitue une avancée. Mais nous ne connaissons pas les décisions qui doivent suivre. Nous avons bon espoir que la Commission européenne se prononce dans les mois à venir sur des sujets critiques comme la protection aux frontières ou le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Une fois le plan acier traduit en actes, nous serons en mesure de confirmer notre investissement, qui s’effectuera par étapes.
Mme Aurélie Trouvé (LFI-NFP). Monsieur Le Grix de la Salle, nous vous avons auditionné en commission des affaires économiques il y a quelques semaines. Nous constatons année après année une forte baisse des livraisons d’ArcelorMittal France : elles sont passées de 6,5 millions de tonnes à 3,5 millions de tonnes en cinq ans. Les cinq hauts fourneaux en France, à Fos-sur-Mer ou à Dunkerque par exemple, tournent à 50 % de leurs capacités depuis six mois. En parallèle, il y a des investissements importants dans d’autres pays. Par exemple, vous avez affecté 900 millions d’euros à l’électrification de sites aux États-Unis. Ces investissements interviennent également en Inde et en Europe : lorsque nous avons consulté des documents à Bercy en compagnie du rapporteur général du budget et du président de la commission des finances, nous avons appris qu’une commande pour un four électrique a été passée en Espagne. Nous redoutons que les investissements et la production s’intensifient ailleurs, au détriment de la France.
Si toute la décarbonation n’est pas effectuée d’ici fin 2029, nous allons avoir un problème. En 2030, il y aura une échéance majeure : la taxation du carbone. La production en France et en Europe ne sera donc plus rentable. Or, quatre ans sont nécessaires pour parvenir à une production complètement décarbonée. Dans ces conditions, les mois à venir seront cruciaux. En parallèle, vous supprimez 636 emplois, dont les deux tiers dans la production. Dès lors, nous sommes conduits à penser qu’une délocalisation qui ne dit pas son nom se prépare. D’ailleurs, vous aviez indiqué en commission des affaires économiques que des importations de brames indiennes étaient envoyées à Dunkerque pour y être laminées. Vous aviez à l’époque signalé qu’il s’agissait d’une expérimentation. Je crains qu’elle ne se transforme en une délocalisation.
Mes questions concernent les 15 000 salariés de l’ensemble des sites de France et la souveraineté française en matière de production d’acier. Cet aspect est tellement important qu’il a conduit d’autres pays à nationaliser cette production, au moins temporairement. Le contrat de décarbonation d’ArcelorMittal avec l’État et l’Ademe prend fin le 30 juin. Vous engagez-vous à signer un avenant pour rendre possible une décarbonation totale ?
Ensuite, l’investissement de 1,2 milliard d’euros concerne un seul four. Cela signifie‑t‑il que vous abandonnez la décarbonation totale avec deux fours et une unité de réduction du fer ? En outre, si je comprends bien, cet investissement est conditionné à des annonces en matière de protection aux frontières européennes. Est-ce bien le cas ? Si néanmoins cette perspective d’investissement – sous conditions – dans un seul four, voire dans une décarbonation totale, est réelle, pourquoi envisager la suppression de 636 emplois ? Enfin, qu’en est-il de Fos-sur-Mer, où un haut fourneau sur deux n’est pas en production actuellement ?
M. Alain Le Grix de la Salle. S’agissant du contrat avec l’Ademe, nous avons un accord tacite pour un renouvellement à l’échéance, qui intègre la réduction du fer et les deux fours électriques. À l’heure actuelle, nous ne sommes pas en mesure de lancer la réduction du fer, qui n’a pas de justification économique en raison du coût du gaz. Nous avons donc demandé au Gouvernement de rééchelonner l’échéance du contrat pour la faire passer du 30 juin au 31 décembre.
L’annonce de l’investissement de 1,2 milliard d’euros traduit un optimisme plus marqué qu’il y a deux mois, dans la mesure où la Commission européenne évolue de manière positive sur le plan acier. Il est cependant exact que la décision reste conditionnée au fait que la Commission mette en place ce qui est prévu. Nous avons bon espoir que des décisions concrètes interviennent dans les mois à venir concernant le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières et la limitation des importations. À ce moment-là, disposant de visibilité, nous pourrons clarifier nos projets d’investissement et nous communiquerons sur nos plans de décarbonation au niveau européen – cela concerna notamment Fos-sur-Mer et le deuxième four électrique à Dunkerque.
Nos projets en Europe ont tous été mis en suspens. L’investissement dans le four électrique espagnol que vous mentionnez concerne les produits longs et il avait déjà été lancé.
M. Stéphane Delpeyroux, directeur des affaires publiques d’ArcelorMittal France. L’intention d’investissement annoncée la semaine dernière avait pour objet d’indiquer que le premier four électrique dédié à la décarbonation serait bien implanté à Dunkerque.
Mme Aurélie Trouvé (LFI-NFP). Je précise que le contrat de 850 millions d’euros est conditionné à votre engagement sur deux fours électriques et la réduction du fer. Si tel n’est pas le cas, ces aides publiques ne seront pas accordées. Je redoute que vous abandonniez ce contrat, comme le laisse présager votre choix d’installer un seul four électrique. Encore une fois, le temps presse. Aussi, des engagements sur l’installation de l’unité de réduction du fer et du deuxième four électrique sont-ils envisageables d’ici la fin de l’année 2025 ?
M. Alain Le Grix de la Salle. Compte tenu du contexte et du coût du gaz, ArcelorMittal ne sera pas en mesure de régler le problème de la réduction du fer d’ici la fin de l’année. Les décisions relatives au deuxième four électrique interviendront ultérieurement, lorsque nous préciserons le cadre européen de nos investissements en termes de décarbonation, une fois que la Commission européenne aura mis en place des mesures.
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Des salariés d’ArcelorMittal nous écoutent certainement et ils sont angoissés par la situation. Nous leur apportons notre entier soutien. Je pense notamment à M. Gaëtan Lecocq, secrétaire général de la CGT sur le site de Dunkerque, et à ses camarades.
Entre 2013 et 2023, votre entreprise a reçu 392 millions d’euros de fonds publics, puis 300 millions d’euros en 2023, dont 195 millions d’euros d’aides consacrées à l’énergie. ArcelorMittal a reçu près de 850 millions d’euros d’aides de l’État pour son projet de décarbonation des deux hauts fourneaux, projet dont le montant total s’élève pour le moment à 1,8 milliard d’euros mais qui n’a toujours pas débuté. Parmi ces aides, 35 à 40 millions d’euros sont destinés à la recherche. Au-delà des subventions de l’État, vous recevez aussi un soutien des collectivités territoriales, notamment de la part de la région Hauts‑de-France, qui prévoit de verser, pour l’année 2025, près de 3,5 millions d’euros qui s’ajoutent aux 4,4 millions d’euros perçus en 2023. À l’échelle mondiale, votre groupe enregistre des bénéfices colossaux de 36 milliards d’euros depuis 2019. Vous vous illustrez par des versements de dividendes records. Entre 300 et 400 millions d’euros par an sont versés aux actionnaires.
Entreprise indispensable pour notre souveraineté puisqu’elle fabrique de l’acier et emploie des travailleurs dotés d’un savoir-faire unique, ArcelorMittal a perçu des centaines de millions d’euros d’argent public depuis 2013, est très rentable, engrange des profits conséquents et gave ses actionnaires de dividendes. Comment une telle entreprise peut-elle licencier 636 personnes cette année et envisager d’en licencier 15 000 d’ici 2030, puisque vous voulez en réalité quitter le continent européen ? Qu’avez-vous fait précisément de toutes ces aides publiques depuis 2013 ?
Cela n’est un secret pour personne : nous sommes favorables à la nationalisation d’ArcelorMittal et nous avons déposé une proposition de loi en ce sens à l’initiative de ma collègue Aurélie Trouvé. Ce sont les salariés qui produisent les richesses avant tout. Mais je remarque que, dans votre propos liminaire, vous n’avez eu aucun mot de compassion à leur égard. Comment dormir tranquille quand 636 personnes vont perdre leur emploi et quand 636 familles vivent avec la peur d’être plongées dans la précarité ?
M. Alain Le Grix de la Salle. Comme je l’ai indiqué précédemment, il est extrêmement difficile de prendre une décision de restructuration. Au cours de ma carrière, j’ai géré ArcelorMittal Downstream Solutions. Je connais personnellement certains employés. Soyez assurés qu’une telle décision n’est prise qu’en dernier recours. Ne croyez pas que l’on dorme bien chaque nuit.
Nous appartenons à un groupe mondial qui réalise des bénéfices, ce qui n’est pas le cas en France. Nous avons envisagé toutes les solutions pour corriger la situation, mais nous avons été conduits à prendre cette décision lourde de conséquences. Nous nous levons tous les matins pour défendre notre industrie, nos usines et nos emplois. Cela n’est pas facile dans un contexte européen et français marqué par une baisse continue de la demande, mais nous y croyons. Nous sommes persuadés qu’il existe un futur pour la sidérurgie en Europe.
ArcelorMittal ne poursuit pas une stratégie de délocalisation. Nous développons nos bases industrielles sur les continents où nous voulons être présents pour servir les marchés que nous souhaitons servir. L’Europe étant un marché de 460 millions d’habitants, nous devons y disposer d’une base industrielle solide, notamment en France. Je rappelle que nos sites sont ultra spécialisés en termes de gammes de produits. Nous sommes là pour nous battre et développer nos entreprises. Mais je comprends les réactions que notre annonce suscite.
Les expéditions de brames sont exceptionnelles. Par exemple, il y a actuellement des expéditions du Brésil vers Dunkerque pour que ce site continue de tourner pendant la rénovation des hauts fourneaux. Comme j’ai eu l’occasion de le dire, les volumes de brames expédiés d’Inde à Dunkerque ont pour objet de tester et valider nos sites en Inde. J’ai signé ces commandes d’expédition, de deux fois 800 tonnes, lorsque j’étais en Inde.
M. Anthony Boulogne (RN). Cette commission d’enquête s’intéresse aux défaillances des pouvoirs publics face aux plans de licenciements. La première défaillance consiste peut-être à mal protéger le tissu économique national. Elle n’exonère en rien vos plans de licenciements brutaux alors même que l’entreprise fait des bénéfices massifs. Mes pensées vont naturellement aux milliers de salariés sacrifiés depuis vingt ans chez ArcelorMittal. Les aides publiques pourraient être investies dans la santé ou dans l’éducation. Mais l’État a choisi de vous les donner, vous rendant de fait comptable de vos actions devant nous. Nous parlons de l’argent des Français et d’un groupe qui déclare un bénéfice net de plus de 1 milliard d’euros.
L’Union européenne a été fondée sur le mythe du libre-échange, c’est-à-dire la circulation sans entrave des marchandises à travers le monde. Or, l’absence d’entrave en matière commerciale signifie l’exposition de l’industrie nationale à une concurrence internationale déloyale. Le secteur de l’acier est exemplaire à cet égard. Les surcapacités chinoises inondent un marché européen devenu en 2023 le principal importateur net au monde, avec 23 millions de tonnes. Du côté chinois, les exportations ont augmenté de 208 % entre 2020 et 2024, avec des prix cassés défiant toute concurrence. Dans ces conditions, il n’est guère étonnant que la métallurgie européenne, et notamment ArcelorMittal, se trouve en grande difficulté. La multiplication des annonces de suppression de postes résulte d’un manque de vision à long terme, d’anticipation et parfois même de patriotisme.
J’aimerais connaître votre avis sur l’objectif fixé par la Commission européenne de réduire de 15 % les importations d’acier en provenance de l’étranger. Sera-t-il en mesure de protéger efficacement la métallurgie française ? Quelles actions, notamment douanières, préconisez-vous afin de protéger le marché de l’acier et les emplois en France contre la concurrence déloyale ?
M. Alain Le Grix de la Salle. Vous avez parlé de milliers de salariés sacrifiés. Durant les dix dernières années, l’effectif d’ArcelorMittal n’a diminué que de 900 personnes en France alors que le marché baissait de 20 %. Même si la conjoncture reste compliquée, j’estime que le terme « sacrifiés » est un peu fort. De même, je ne partage pas votre impression d’un manque de vision à long terme. En tant que groupe, nous sommes au clair sur notre stratégie : le développement dans les pays en croissance, comme le Brésil et l’Inde, et la décarbonation en Europe. S’agissant du patriotisme, je suis fier d’ArcelorMittal en France, comme tous les collaborateurs, même si nous sommes confrontés à des difficultés. Nous avons investi dans une base industrielle très solide.
Vous avez évoqué l’objectif de la Commission européenne de réduire de 15 % les importations d’acier en provenance de l’étranger. Face au phénomène massif et durable de surcapacités mondiales, l’Europe doit se protéger. Cela vaut aussi bien pour la sidérurgie que pour tous les segments de marché. Il ne s’agit pas d’éliminer toutes les importations, mais de les limiter. À ce titre, le taux de 15 % nous semble pertinent.
M. François Ruffin (EcoS). Votre entretien avec M. Emmanuel Macron colore d’un ton particulier nos échanges de ce jour puisqu’en mars, vous n’avez pas prévenu avec franchise le Président de la République que vous annonceriez le mois suivant un plan de licenciement touchant 600 postes. De son côté, il a manifestement manqué de curiosité et n’a pas posé la question.
Le nord de la France souffre depuis des décennies de la désindustrialisation. Or, les voyants d’ArcelorMittal France sont au rouge puisque votre groupe accroît sa production en Inde et au Brésil, déménage des fonctions « support », investit aux États-Unis, quand la demande chute en Europe. La principale défaillance des autorités françaises et européennes réside dans la mauvaise protection de l’industrie au cours des dernières décennies. Les délégués syndicaux de Montataire, Florange, Fos-sur-Mer, Basse-Indre, Dunkerque ou Mardyck évoquent par ailleurs des carences en matière d’entretien. Ils mentionnent des poutres cassées, des cuves percées, parfois des toits ouverts ou des sols affaissés. Je souhaite profiter de cette commission d’enquête pour demander un audit des installations d’ArcelorMittal, de leur entretien et de leur maintenance.
Vous avez manifesté la semaine dernière l’intention d’investir 1,2 milliard d’euros. Il est loisible d’en douter. En mars 2021, vous annoncez un projet de réduction du fer et l’installation d’un four électrique à Dunkerque. En février 2022, vous modifiez le projet en ajoutant un four électrique à Fos-sur-Mer. En janvier 2024, le four électrique de Dunkerque est maintenu, mais pas celui de Fos-sur-Mer. Puis vous renoncez à tous les projets en novembre 2024, avant d’envisager en mai 2025 l’installation d’un four électrique à Dunkerque, mais sans réduction du fer. Or, l’engagement de l’État à vos côtés à hauteur de 850 millions d’euros implique l’installation de deux fours électriques et d’une unité de réduction du fer.
M. Alain Le Grix de la Salle. Notre environnement évolue. Nos entreprises doivent s’adapter aux surcapacités mondiales et aux décisions des États-Unis de limiter toutes les importations. Si nous n’avions pas mis en suspens nos plans de décarbonation ces deux dernières années, notre situation serait très difficile aujourd’hui. Nous sommes réactifs. Nous nous adaptons en permanence.
La première préoccupation d’ArcelorMittal porte sur la santé-sécurité. Je comprends vos préoccupations, mais des processus sont en place pour ne pas exposer nos salariés à des risques. Ce sujet est notre ligne de conduite, qui définit tous nos plans d’action.
M. François Ruffin (EcoS). Je pose la question de l’entretien et de la maintenance indépendamment de la sécurité, en pensant au maintien des capacités de production dans la durée, notamment dans le cas où, comme c’est notre souhait, l’État récupérerait l’outil de production. Les syndicats soulignent que, depuis que Mittal est à la tête d’Arcelor, l’outil de production se dégrade faute d’investissement.
Par ailleurs, qu’en est-il du projet à Fos‑sur‑Mer ?
M. Alain Le Grix de la Salle. Le groupe a décidé de mettre en suspens les projets de décarbonation en France, mais aussi en Allemagne, en Belgique et en Pologne. Nous communiquerons sur nos plans pour Fos-sur-Mer d’ici la fin de l’année, une fois que nous aurons une vision plus claire des choses. Ensuite, nous avons investi plus d’un milliard d’euros dans ArcelorMittal France lors des cinq dernières années. Je communiquerai plus de détails mais, de mémoire, plus de 30 % des investissements sont liés à la maintenance. Par ailleurs, l’enveloppe consacrée chaque année aux investissements dépend des résultats. Si nous n’étions pas adossés à un groupe mondial, nous ne pourrions pas consacrer 350 millions d’euros par an à l’investissement en France.
M. Julien Gokel (SOC). À Dunkerque, les salariés et les organisations syndicales m’indiquent que la suppression de postes dans la maintenance crée un sentiment d’abandon de l’outil de production. Vous dites que vous faites des investissements. Je l’entends. Mais il y a un delta entre ce qui est dit et ce que l’on constate. Pourquoi prenez-vous ces décisions de suppression de postes à Dunkerque ? Ensuite, vous avez évoqué la transformation des missions et des métiers en lien avec le projet de décarbonation. Ma question est simple : que faites-vous de celles et ceux qui sont concernés par les suppressions de postes ?
M. Alain Le Grix de la Salle. Parmi les personnes concernées par le plan, 154 sont à Dunkerque. Des discussions sont en cours avec les partenaires sociaux pour identifier les volontaires pour des créations d’entreprise ou des projets personnels. La mobilité interne et la mobilité externe font l’objet de discussions. Des cellules de mobilité sont mises en place pour aider les salariés à retrouver un emploi. Comme cela a été le cas à Reims, l’entreprise va s’efforcer, avec les partenaires sociaux et les élus, de prévenir la création de problèmes sociaux.
M. Julien Gokel (SOC). Les élus du Dunkerquois demandent une table ronde pour clarifier des éléments. Vous êtes attendus.
M. Alain Le Grix de la Salle. J’ai échangé avec le maire de Dunkerque et avec nos clients. Nous sommes responsables et nous tenons à assumer cette responsabilité jusqu’au bout afin de limiter au maximum l’impact du plan pour les salariés.
M. Bertrand Chauvet. Le chiffre de 636 suppressions de postes a été révisé à la baisse au cours d’une réunion avec les instances représentatives du personnel, la semaine dernière ; il est passé à 610. Cela se traduit par 380 suppressions d’emplois. Nous sommes extrêmement attentifs à la qualité du plan qui sera négocié. Une réunion aura lieu le 2 juin. Il est difficile d’anticiper l’issue des négociations, mais nous les abordons avec la volonté d’aboutir à un accord avec les partenaires sociaux, comme cela a été le cas à Reims et à Denain.
M. le rapporteur. Cette commission d’enquête s’intéresse à la responsabilité des pouvoirs publics. Lorsque vous avez rencontré le Président de la République, le plan de licenciement était déjà anticipé. Puisque ce rendez-vous avait pour objet d’évoquer les difficultés que vous rencontrez, je n’imagine pas le chef de l’État ne pas demander si vous envisagez des suppressions d’emplois. Soit l’État s’est laissé tromper, soit il est complice des décisions que vous avez prises. Dans les deux cas, il s’agit d’une grave faute morale, démocratique et économique du Président de la République. Vous a-t-il demandé si vous envisagiez des suppressions de postes ? Quelles étaient les personnes qui l’accompagnaient lors de ce rendez-vous ?
M. Alain Le Grix de la Salle. Comme je l’ai indiqué, cette réunion a eu lieu à la mi‑mars, mais le plan a été décidé le 23 avril. En raison de la forte dégradation des résultats de la société, nous avons demandé durant le premier trimestre à nos équipes de Dunkerque de concevoir un plan pour rectifier la situation. Lorsque je suis allé à l’Élysée à la mi-mars, je n’avais pas connaissance d’un plan finalisé concernant Dunkerque.
M. le rapporteur. Le Président de la République et ceux qui l’accompagnaient ont-ils demandé si des suppressions d’emplois étaient envisagées ? Qui était présent à ce rendez-vous ?
M. Alain Le Grix de la Salle. Nous avons discuté de deux autres dossiers sur lesquels nous rencontrons des difficultés. Le dossier relatif à Dunkerque n’a pas été évoqué. Étaient présents à cette réunion le secrétaire général de l’Élysée, M. Alexis Kohler, et le conseiller économique du Président, M. Matthieu Landon.
M. le rapporteur. J’imagine que le Président de la République connaît le dossier de Dunkerque, d’autant que le maire de la ville a fait partie du Gouvernement. Il me paraît curieux que ni lui ni ses conseilleurs n’aient évoqué ce dossier.
Monsieur le président Masséglia, il me semblerait utile de convoquer M. Landon pour obtenir des explications. Encore une fois, soit l’État s’est laissé tromper et il est complice, soit l’État a été trompé et il est nul. Dans les deux cas, se pose un problème en termes d’efficacité de l’action des pouvoirs publics. Il est impensable de ne pas avoir eu de considération entre mi‑mars et mi-mai pour les salariés de ces sites et les territoires concernés.
M. Alain Le Grix de la Salle. À cette époque, le sujet de Dunkerque n’avait pas le caractère critique qu’il a revêtu à partir du moment où ArcelorMittal a demandé à la direction d’ArcelorMittal France Nord de prendre des décisions.
M. le président Denis Masséglia. Monsieur le rapporteur, le président de la commission des finances, M. Éric Coquerel, a eu la même idée que vous et sa demande a recueilli une fin de non-recevoir. Il existe une séparation des pouvoirs. Une commission parlementaire ne peut convoquer ni le Président de la République, ni ses collaborateurs directs. La Constitution m’interdit de répondre favorablement à votre requête.
M. le rapporteur. Il est toujours possible de l’inviter.
M. le président Denis Masséglia. Je sais que le Nouveau Front Populaire a pris l’habitude de vouloir auditionner des personnes alors même que la Constitution ne permet pas de le faire.
M. le rapporteur. Je tiens à votre disposition des exemples de commissions d’enquête devant lesquelles des conseillers du Président de la République ont témoigné. Il y a une différence entre le secrétaire général de l’Élysée et le conseiller économique du Président de la République. À tout le moins, puisque personne n’a quoi que ce soit à cacher, invitons ce conseiller à échanger informellement avec nous – le président et le rapporteur – pour faire la lumière sur l’impréparation de ce rendez‑vous de la mi-mars.
M. le président Denis Masséglia. Je suis très attaché, comme vous le savez, à la Constitution.
Madame, Messieurs, je vous remercie et vous propose de compléter nos échanges en répondant par écrit au questionnaire que nous vous avons transmis.
La séance s’achève à treize heures vingt.
Présents. – M. Anthony Boulogne, Mme Gabrielle Cathala, M. Benjamin Lucas‑Lundy, M. Denis Masséglia
Assistaient également à la réunion. – M. Charles de Courson, M. Julien Gokel, M. François Ruffin, Mme Aurélie Trouvé