Compte rendu
Commission d’enquête sur
les défaillances des
pouvoirs publics face à la multiplication des plans
de licenciements
– Audition, ouverte à la presse, de M. Marc Ferracci, ministre chargé de l’industrie et de l’énergie 2
– Présences en réunion................................33
Mercredi
4 juin 2025
Séance de 15 heures 15
Compte rendu n° 42
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Denis Masséglia, président
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La séance est ouverte à quinze heures quinze.
Présidence de M. Denis Masséglia, président.
La commission d’enquête auditionne M. Marc Ferracci, ministre chargé de l’industrie et de l’énergie.
M. le président Denis Masséglia. Nous recevons M. Marc Ferracci, ministre chargé de l’industrie et de l’énergie.
Au cours des semaines précédentes, la commission d’enquête a reçu des économistes, des juristes, des avocats, des représentants syndicaux, des dirigeants de société, des administrateurs judiciaires, des élus locaux, des agents de l’État ainsi que d’anciens ministres pour tenter de faire la lumière sur l’existence d’éventuelles défaillances des pouvoirs publics face à la multiplication des plans sociaux. Il s’agit aujourd’hui de notre quarante et unième et dernière audition.
La commission a convoqué les présidents ou les directeurs généraux de plusieurs sociétés dans lesquelles des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) ont récemment vu le jour : Michelin, Crédit commercial de France, AGCO, Arkema, Vencorex, ArcelorMittal, Auchan, ou encore Casino.
Elle a aussi reçu les syndicats présents dans ces sociétés.
Elle a interrogé les premiers comme les seconds sur l’origine des difficultés rencontrées, le bien-fondé des décisions prises pour y remédier, ainsi que la nature et la qualité de l’accompagnement proposé par les pouvoirs publics, qu’il s’agisse des services des collectivités publiques ou des responsables politiques, avant, pendant et après la mise en œuvre des projets de licenciements collectifs.
Monsieur le ministre, au regard de l’objet de ses travaux et des principales interrogations suscitées par ses investigations, il a semblé nécessaire à la commission de vous recevoir.
Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Marc Ferracci prête serment.)
M. Marc Ferracci, ministre chargé de l’industrie et de l’énergie. Je suis très heureux de l’occasion qui m’est donnée de m’exprimer devant vous dans le cadre de cette audition qui porte sur « les défaillances des pouvoirs publics face à la multiplication des plans de licenciements » si je reprends l’intitulé exact de la commission. Permettez-moi toutefois un propos liminaire.
Je salue la nuance que vous avez apportée en mentionnant d’« éventuelles » défaillances. En effet, à lire l’intitulé de la commission d’enquête, il m’avait semblé que la conclusion y figurait déjà. Or postuler l’existence de défaillances des pouvoirs publics, en particulier des services de l’État, c’est ignorer l’action des hommes et des femmes qui s’engagent sur le terrain pour sauver des emplois, lutter contre les licenciements et trouver des solutions industrielles. Je veux leur rendre hommage et ne laisserai pas ignorer, voire dégrader le travail des services de l’État, qui essaient de trouver des solutions réelles et efficaces, avec succès parfois, même si cela n’est pas toujours le cas, car il n’y a pas que des réussites.
Je pense aux équipes de Bercy, notamment au comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri) et à la délégation interministérielle aux restructurations d’entreprises (Dire), ainsi que, sur le terrain, aux commissaires aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises (CRP) et aux directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets).
Vis-à-vis des hommes et des femmes qui donnent de leur personne pour l’intérêt général, en particulier pour sauver des emplois, il faut d’ores et déjà dire que ce travail a de la valeur. De ce point de vue, j’ai été un peu surpris par l’intitulé de la commission d’enquête, mais je suis heureux d’entendre la nuance que vous y apportez. J’aborde toutes les auditions parlementaires dans un état d’esprit de dialogue et de rigueur, et je suis certain qu’il en ira de même pour les échanges que nous allons avoir, qui seront marqués du sceau de l’impartialité et de la bonne foi.
Cela étant dit, de quoi parle-t-on ici ? Nous parlons d’abord d’hommes et de femmes, d’histoires humaines. Les licenciements, notamment industriels – même si votre commission d’enquête a un périmètre plus large, puisqu’il s’agit de tous les plans sociaux –, sont toujours des histoires douloureuses, difficiles pour les salariés, pour leur famille et pour les territoires concernés. Des gens souffrent, des territoires souffrent. Nul ne saurait le nier.
En tant que ministre chargé de l’industrie, je veux toutefois rappeler que l’industrie crée des emplois dans les territoires, des emplois valorisants, des emplois qui ont du sens. Nous avons besoin d’attirer les talents vers ces emplois. Nous avons donc besoin de débattre de l’industrie avec lucidité, en identifiant ce qui va mal, mais aussi en valorisant ce qui va bien.
L’industrie, ce sont 140 000 créations nettes d’emplois depuis 2017 et, en 2024, 60 000 postes qui restent à pourvoir. Il me semble essentiel de redorer collectivement le blason de l’industrie, plutôt que de chercher, parfois, à noircir le tableau. Je n’aurai de cesse de répéter que l’industrie est une fierté.
Ces points liminaires posés, je vais à présent essayer de vous exposer notre méthode et nos résultats, en vous présentant des éléments qui soient les plus factuels possible et qu’il vous reviendra d’apprécier.
Tout d’abord, le nombre de plans de sauvegarde de l’emploi augmente. Toutefois, dans la période récente, le nombre d’emplois concernés baisse. À ce jour, 20 000 ruptures de contrats sont envisagées dans le cadre des 286 PSE en cours, soit une baisse de 22 % par rapport à 2024. Ce nombre est d’ailleurs un maximum puisque des reclassements ou des réductions de périmètre des PSE grâce aux négociations peuvent avoir lieu. En outre, entre le premier trimestre 2024 et le premier trimestre 2025, le nombre d’inscriptions à France Travail pour licenciement économique a été stable.
Je voudrais surtout insister sur le fait que les plans de licenciements ont pour contrepartie, si je puis dire, des créations d’emplois et d’usines, des ouvertures de sites. Les comparaisons chiffrées avec les années antérieures montrent que les destructions et les créations d’emplois sont la réalité du fonctionnement du marché du travail.
Cela ne signifie bien sûr pas qu’il n’est pas possible d’agir, mais mon travail de ministre consiste, dans le même temps, à lutter contre les suppressions d’emplois et à favoriser les ouvertures de sites et les créations d’emploi. Ainsi, il s’agit de valoriser les réussites et les rebonds industriels et de mettre en avant ce qu’il est convenu d’appeler les belles histoires de l’industrie. Il est important d’avoir cela en tête pour ne pas aborder le sujet de manière partielle.
Voici, à ce propos, quelques éléments pour apprécier les dynamiques à l’œuvre. Le baromètre industriel de l’État dénombre, depuis 2022, 450 ouvertures ou extensions nettes de sites industriels – c’est-à-dire nettes des fermetures et des réductions de sites –, dont 89 pour l’année 2024. L’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) a par ailleurs dénombré 140 000 créations nettes d’emplois industriels depuis 2017, dont 10 000, seulement, en 2024. J’insiste sur le terme « seulement » car il faut être lucide. Le ralentissement de la réindustrialisation est réel. La perspective pour certaines filières est en effet plus sombre aujourd’hui, en particulier dans les secteurs de l’automobile, de l’acier et de la chimie, qui sont confrontés à des difficultés profondes, à un environnement international incertain et à des équilibres politiques nationaux plus fragiles, lesquels n’ont pas aidé à soutenir ces filières ces derniers mois.
Notre combat consiste à amplifier les politiques lancées, qui ont produit des résultats depuis 2017 comme le montrent les chiffres que j’ai cités, et à agir sur d’autres leviers pour relever ces défis. Je tiens néanmoins à souligner ce bilan d’étape car, s’il vous faut juger l’action des pouvoirs publics, celle-ci peut s’apprécier à l’aune de ses résultats depuis 2017 et même de ses résultats en 2024, puisqu’il y a plus d’usines et plus d’emplois industriels. Si cela est considéré comme une défaillance, c’est que nous ne donnons pas la même acception à ce terme.
L’action de mon ministère s’exerce à trois niveaux : au niveau de l’entreprise quand une difficulté est identifiée, au niveau national et au niveau européen.
À propos de l’action menée au niveau de l’entreprise, je vous donnerai quelques exemples, en commençant par un exemple qui me semble assez emblématique. Il y a trois semaines, je suis allé à Caudan, dans le Morbihan, à la rencontre des salariés de la Fonderie de Bretagne, reprise par l’entreprise Europlasma. Ce dossier est emblématique d’une méthode, fondée sur le travail collectif. L’État n’est évidemment pas seul à la manœuvre. Les représentants des salariés et les élus ont été parties prenantes dans la lutte pour trouver une solution industrielle. Ce cas est aussi emblématique car la Fonderie de Bretagne est un acteur de la chaîne de sous-traitance automobile. Or la filière est en pleine transformation. Comme d’autres sites industriels, celui-ci était menacé de fermeture.
De ce dossier, je tire finalement l’enseignement qu’il n’y a pas de fatalité. Lorsqu’il y a une mobilisation collective pour trouver des solutions industrielles, on peut obtenir des résultats. En l’occurrence, 260 emplois ont été sauvés. L’État a joué son rôle, dans ce dossier comme dans d’autres. Il a négocié avec la direction de l’entreprise et le repreneur jusqu’à trouver une solution industrielle. Il a également contribué financièrement à la solution de reprise au moyen du Fonds de développement économique et social. L’État a assumé ses responsabilités.
Il y a aussi une dimension politique à tout cela, même si nous abordons ces sujets de manière rigoureuse et technique. Avant que je ne me rende à Caudan, des dizaines de responsables politiques et syndicaux sont venus expliquer que l’État ne faisait rien pour la Fonderie de Bretagne, que l’État démissionnait. Pendant ce temps-là, mes équipes, de manière discrète, se battaient et essayaient de trouver des solutions industrielles lors de multiples réunions avec de nombreux acteurs. Dire que l’État ne fait rien, ne peut rien, ne sert à rien, c’est se situer complètement à côté de la réalité des dossiers que nous traitons avec mes équipes et avec l’ensemble des services du ministère de l’industrie et du ministère du travail. Aux différents acteurs qui m’ont demandé de venir sur place, j’ai toujours répondu que je viendrai quand j’aurai des solutions à annoncer et des résultats à saluer.
Chacun doit prendre la mesure de ce qui se joue dans ce genre de dossiers, à savoir des histoires humaines, l’anxiété des salariés, les difficultés d’un territoire. Cela ne devrait souffrir aucune instrumentalisation politique. J’ai regretté qu’un certain nombre de parlementaires venus sur place et qui m’ont interpellé n’aient eu aucun mot pour saluer la reprise de la Fonderie de Bretagne. Je pourrais citer le nom de M. Ruffin, mais il n’est pas le seul à n’avoir eu aucune réaction quand l’entreprise a été sauvée. Cela n’est pourtant pas le fruit du hasard.
Je souhaitais faire cette incise car, au-delà de la personne du ministre qui est là pour assumer des responsabilités, il y a des gens qui se battent et qui perçoivent très mal la critique en impuissance et en inaction de l’État, qui est profondément infondée. Si vous m’y invitez, je pourrai détailler l’action du Ciri, de la Dire et de tous les acteurs que j’ai mentionnés.
L’action menée entreprise par entreprise a conduit ces derniers mois et ces dernières années à de nombreuses victoires dont nous n’entendons pas suffisamment parler, car beaucoup d’acteurs préfèrent parler des problèmes plutôt que des solutions.
J’en citerai quelques-unes pour les sortir de l’oubli. Je citerai pour commencer les Aciéries Hachette et Driout, à Saint-Dizier, en Haute-Marne – une des plus belles fonderies d’Europe, que j’ai visitée au début du mois de mars –, où 274 emplois ont été préservés.
Je citerai aussi la société Ascometal, spécialisée dans les métaux spéciaux, reprise par l’industriel italien Marcegaglia, que j’ai visitée fin mars à Fos-sur-Mer, dans les Bouches‑du‑Rhône, où 323 emplois ont été sauvegardés.
Je citerai également l’entreprise Verney-Carron, à Saint-Étienne, dans la Loire, spécialisée dans la production de fusils. On disait qu’elle n’avait pas d’avenir. Avec mes équipes, nous avons pris le dossier en main et travaillé avec les élus et les industriels. Aujourd’hui, nous avons déjà deux offres crédibles et pertinentes pour une reprise. Ce sont 50 emplois qui sont en jeu.
Je citerai enfin – mais la liste n’est pas exhaustive – la société Arc, fleuron industriel dans la fabrication de verre, dans le Pas-de-Calais, qui représente le plus gros site verrier d’Europe, voire du monde. Je me suis rendu à Arques en janvier dernier, aux côtés du président Xavier Bertrand. L’État y a joué son rôle, là aussi, grâce à un accompagnement financier. Il s’agit de 4 000 emplois sauvés. En a-t-on parlé ? Cela a-t-il fait la une des médias ? Ai-je été interpellé dans le cadre des questions au Gouvernement sur le sujet ? Non. Vous me direz que c’est le jeu, mais je suis aussi là pour mentionner les résultats et les solutions trouvées, et saluer le travail de ceux qui œuvrent dans l’ombre. C’est l’un des messages que je voulais mettre en avant aujourd’hui.
Ces exemples montrent qu’il y a des entreprises en difficulté, des entreprises qui rebondissent, parfois des échecs et des accidents de parcours, mais qu’il est possible de gagner la partie en se battant. Les vraies belles histoires de l’industrie, ce sont précisément les parcours marqués par les difficultés surmontées. Pour y parvenir, il faut non seulement des compétences et de l’expertise – j’ai rendu hommage aux agents de l’État – mais aussi beaucoup de détermination. Je sais qu’un certain nombre de parlementaires n’en manquent pas. Même si je ne partage pas les convictions de tous ceux qui sont sur les bancs de l’Assemblée, ma porte est toujours ouverte à ceux qui viennent me voir pour s’informer de la manière dont sont traités les dossiers industriels et trouver des solutions à propos de ceux de leur circonscription. Avec détermination, nous pouvons faire de belles choses et continuer à réindustrialiser notre pays.
Je serai plus rapide sur l’action menée au niveau national, car je n’ai pas vocation à tracer ici la feuille de route de mon ministère. Simplement, nous avons besoin d’une action macroéconomique pour renforcer la compétitivité de nos entreprises. Il nous faut poursuivre et amplifier la politique qui a montré ses résultats depuis 2017. Dans ce cadre, plusieurs leviers gagneraient à être actionnés, notamment la simplification. Nous examinons à ce propos en ce moment le projet de loi de simplification de la vie économique. Il s’agit aussi – et je verse cela au débat en sachant que le sujet, politiquement sensible, ne manquera pas de faire réagir – de financer notre protection sociale au moyen d’autres ressources que celles pesant sur le travail. Il s’agit également d’avoir une énergie compétitive. Pour cela, nous avons notamment donné à EDF une feuille de route extrêmement claire sur la nécessité de soutenir les prix de l’électricité de manière compétitive pour nos industriels. Il s’agit enfin d’investir dans les filières et les compétences stratégiques pour notre avenir. L’État y a pris sa part, notamment avec le plan France 2030. Je serai heureux de revenir sur ces éléments de stratégie si vous le souhaitez.
Enfin, si nous parlons de plans sociaux dans le domaine industriel, c’est notamment parce que certaines filières sont en proie à des difficultés particulières. Celles de la chimie, de l’acier et de l’automobile, que j’ai déjà citées, ont toutes comme point commun de faire face à une concurrence qui est principalement asiatique, et souvent essentiellement chinoise, de plus en plus agressive et déloyale, car massivement subventionnée. Face à cette concurrence, nous devons agir à l’échelle européenne et protéger nos intérêts. Je défends cette idée depuis le premier jour où j’ai été nommé ministre de l’industrie. Nous devons sortir d’une forme de naïveté en matière de politique industrielle.
Je pense notamment à la sidérurgie. À ce sujet, conformément à la méthode qui est celle du Gouvernement et de mon ministère, j’ai réuni dès la fin février une conférence ministérielle avec nos partenaires européens à Bercy. Celle-ci a permis d’aboutir à des propositions ambitieuses pour l’acier européen, reprises dès le 19 mars par le commissaire Stéphane Séjourné dans le cadre d’un plan d’urgence pour l’acier européen qui trace les jalons d’une action devant nous permettre de protéger notre industrie sidérurgique et de soutenir nos industriels et leurs investissements.
Dans le cas spécifique d’ArcelorMittal, j’ai reçu le 29 avril à Bercy la direction du groupe dès les annonces de plans sociaux pour comprendre les déterminants de leurs décisions, exiger une clarification de leurs perspectives en matière d’investissement et collecter les éléments qui devaient être portés au niveau européen par la France afin d’alléger les contraintes sur la filière sidérurgique. Pour ArcelorMittal, ainsi que pour d’autres sidérurgistes, il s’agit très concrètement d’accélérer la mise en œuvre de la stratégie européenne pour l’acier. J’ai ensuite rendu compte le 5 mai auprès des élus locaux et des organisations syndicales de cette action. Le 15 mai, ArcelorMittal a confirmé son intention d’investir 1,2 milliard d’euros dans l’avenir du site de Dunkerque.
Cela illustre la complexité de ces dossiers, qui ne peuvent être résolus en un claquement de doigts ni en une seule réunion. Il faut en effet mobiliser et informer tous les acteurs et savoir mettre la pression sur certains, quand cela se révèle nécessaire. Je pense en particulier aux acteurs européens. Au fond, il s’agit d’avoir une approche coordonnée. C’est le fil conducteur de notre stratégie industrielle.
Ce combat à mener au niveau européen pour protéger nos intérêts, nous le menons pour l’acier, la chimie et l’automobile, et nous gagnons des batailles. Des propositions inconcevables en Europe il y a encore quelques mois, qui étaient en contradiction profonde avec la doctrine de la Commission européenne, sont désormais sur la table et reprises par cette dernière. Je pense en particulier au principe de préférence européenne, qui donnera de l’oxygène à nos entreprises menacées d’asphyxie par le dumping chinois et par les droits de douane américains.
Je suis le premier à reconnaître que tout n’est pas simple et n’avance pas assez vite, que ce soit à l’échelon européen ou parfois au niveau français, mais l’Europe avance et c’est à nous, Gouvernement et élus, d’accélérer le mouvement. L’industrie européenne vit en effet un moment assez historique, comparable sans exagération à mon avis à la crise financière de 2008, et qui se traduit dans nos territoires par des restructurations. Le rapport de M. Draghi avait d’ailleurs identifié ces éléments avant même que ne surviennent les difficultés liées aux droits de douane.
Pour conclure, je dirai que, face à ce qui est présenté comme la multiplication des plans de licenciements, il faut d’abord rappeler les faits. La réalité, ces dernières années, est que l’on a connu un accroissement du nombre d’usines et d’emplois industriels. Je ne parlerai que de l’industrie, même si tout ne s’y résume pas. En outre, la situation est certes plus difficile qu’il y a quelques mois et quelques années, mais il ne faut pas être myope pour autant et ne regarder que le versant négatif, c’est-à-dire les destructions d’emploi. Il faut aussi voir les réussites, les entreprises sauvées, celles qui investissent et celles qui innovent.
La réindustrialisation est un objectif absolument essentiel, même si cela relève presque du registre du poncif que de le dire. Quand le combat pour la réindustrialisation n’est pas couronné de succès, comme nous en avons eu l’illustration entre 1980 et 2017, la désindustrialisation lacère nos territoires et affaiblit notre Nation. Il doit y avoir à mon sens un consensus politique, transpartisan, sur l’objectif de réindustrialisation, si ce n’est sur les moyens d’y parvenir. Depuis 2017, la situation a changé et la tendance s’est inversée. Si la défaillance des pouvoirs publics est d’avoir accru de 140 000 unités l’emploi industriel depuis 2017, nous avons un débat politique à avoir sur la finalité même de notre action. Elle me semble devoir être guidée par la volonté de réindustrialiser.
Je terminerai mon propos en précisant que dans beaucoup de dossiers, j’ai été interpellé en tant que ministre par des appels souvent caricaturaux à des nationalisations systématiques d’entreprises et de sites industriels et à des propositions comme des moratoires sur les licenciements.
Je vous ai rappelé les principes de notre action et pourrai par la suite entrer davantage dans le détail, mais je tiens à souligner que, face à la complexité des choses, il n’existe pas de solution simple. Laisser penser, en particulier à ceux qui sont sur le terrain, dans l’anxiété, qu’on peut apporter aux problèmes économiques de leur filière et de leur entreprise, des solutions simples qui résoudraient tous les problèmes, ce n’est ni regarder la réalité en face ni dire la vérité.
Il y aura toujours des voix pour transformer en argument politicien des difficultés industrielles. Sans vouloir polémiquer, l’intitulé de la commission illustre un peu à mon sens cette démarche, même si les auditions ont probablement permis de mettre sur la table des arguments beaucoup plus étayés et documentés. Toutefois, n’instrumentalisons pas ces problèmes et ne limitons pas nos arguments à des incantations. Certaines voix restent mutiques après avoir été extrêmement fortes pour dénoncer lorsque des redressements d’entreprises sont réussis, lorsqu’on ouvre des entreprises, lorsqu’on crée des emplois. Je le dis et je continuerai à le dire : ces voix ne respectent pas les salariés, en leur laissant faussement penser qu’on peut régler des problèmes complexes au moyen de solutions simplistes, parfois absurdes.
Je veux croire que nos débats auront bien plus de substance que cela, mais je tenais à contextualiser nos échanges, car il y a dans notre pays encore des progrès à faire dans la manière de traiter ces problèmes. Je suis certain que nos échanges permettront d’établir des propositions utiles pour l’action, pour l’emploi, pour nos territoires et surtout pour les salariés concernés.
M. le président Denis Masséglia. Je voudrais revenir sur l’expression « instrumentalisation politique », que vous avez employée. Sans vouloir faire d’un cas particulier une généralité, j’ai été confronté il y a quelques mois, en ma qualité de député, à l’annonce de la fermeture du site de Michelin dans ma circonscription, à Cholet. Michelin a permis à ce territoire de devenir la terre industrielle qu’on connaît aujourd’hui. C’est donc un profond traumatisme pour les habitants, quels qu’ils soient, car nous avons toutes et tous un oncle, un cousin, un frère ou une sœur qui a travaillé dans cette belle entreprise.
Les difficultés de Michelin étaient connues. Lorsqu’on travaillait sur ces questions, j’étais le seul député présent. Quand la fermeture du site a été annoncée, beaucoup de députés sont venus faire du tourisme. J’ai même eu l’impression que certains découvraient l’emplacement de Cholet sur la carte de France. Maintenant qu’il faut à nouveau travailler, tous mes collègues députés qui étaient venus créer du désordre sont partis. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, je tiens à remercier et à féliciter les syndicats qui ne se sont pas ralliés à la volonté de créer du désordre, encouragée par ces élus, et qui ont œuvré à trouver des solutions.
Lors de vos échanges avec des entreprises qui veulent s’installer ou se développer en France, constatez-vous que la volonté de quelques personnes de se livrer à de l’instrumentalisation politique et de créer du désordre, lorsqu’il existe des difficultés sur nos territoires, peut conduire à l’arrêt de dossiers pourtant bien avancés ?
M. le ministre. Nous partageons le diagnostic. Je ne souhaite pas polémiquer mais essayer de trouver des solutions et de faire en sorte que les élus qui s’impliquent le fassent sur la base de bonnes questions. La leçon que j’ai retirée du traitement des dossiers est que les investisseurs potentiellement porteurs d’une solution de reprise industrielle ne goûtent que très peu l’agitation et l’exposition médiatique autour d’une entreprise. Ils n’apprécient que très peu ce que j’ai qualifié d’« instrumentalisation politique ».
Évidemment, les situations ne durent pas et les personnes qui élèvent parfois fortement la voix le font beaucoup moins dès lors qu’une solution a été trouvée ou qu’une phase de travail commence, afin de reclasser les salariés ou de revitaliser un site. Il n’empêche que cela peut engendrer des dégâts.
Sans entrer dans le détail de dossiers qui demandent une certaine confidentialité, précisément pour éviter de dissuader des investisseurs qui seraient intéressés, les discussions que nous avons, mes équipes et moi-même, montrent que l’agitation n’est jamais un bon ingrédient pour parvenir à des solutions industrielles. Cela peut dissuader certains investisseurs.
Je ne parle même pas de certaines initiatives qui viseraient à la création de commissions d’enquête sur des entreprises qui nourrissent le projet de reprendre des sites ou des entreprises industrielles. Je ne juge pas, et le principe de la séparation des pouvoirs fait que je serai extrêmement prudent, mais, pour répondre à la question que vous me posez, je dirais que cela crée un contexte qui peut effectivement amener certains à hésiter.
M. le président Denis Masséglia. Il a été évoqué la possibilité de transférer certaines charges, par un dispositif que certains appellent « TVA sociale », afin d’éviter de faire peser l’intégralité de notre modèle social sur les personnes qui travaillent et de le financer en partie par la consommation. Un tel outil serait-il de nature à réduire le nombre de PSE ? Dans la mesure où les importations participeraient davantage au financement du modèle social, la compétitivité des entreprises situées sur le territoire national pourrait se trouver renforcée.
M. le ministre. D’abord, le débat sur le financement de la protection sociale ne se résume pas à la TVA sociale, c’est-à-dire au fait d’en faire peser une partie sur la consommation. Des propositions alternatives existent dans le débat public. Des économistes comme MM. Antoine Bozio et Étienne Wasmer préconisaient par exemple de financer la protection sociale en mettant plus de poids sur l’impôt foncier.
Ensuite, le coût du travail ne résume pas à lui seul la question de la compétitivité. Comme je l’ai dit, les coûts de l’énergie, la simplification, l’investissement, le soutien à l’innovation en sont des déterminants tout aussi essentiels et je ne me livrerai pas à une hiérarchisation.
Il n’en reste pas moins que nous avons un système dans lequel le coût du travail est élevé, notamment du fait des prélèvements, ce qui conduit d’ailleurs à de lourdes dépenses publiques sous forme d’exonérations de charges sociales. En 2023, dans cette même salle, j’ai eu l’occasion de présenter un rapport que j’avais coécrit avec M. Jérôme Guedj sur les exonérations de charges sociales, qui coûtent aujourd’hui environ 80 milliards d’euros au budget de l’État au titre de la compensation à la sécurité sociale.
À l’heure où nous sommes confrontés à des enjeux de finances publiques, un autre mode de financement de la protection sociale pourrait aussi permettre d’aborder la compensation de ce coût du travail élevé de façon plus vertueuse, c’est-à-dire en faisant des économies, sans pénaliser l’emploi ni le financement de nos services publics et de nos prestations sociales, car il ne s’agit pas de limiter les ressources.
M. le président Denis Masséglia. Vous avez longuement abordé le sujet de l’Europe. Or le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) est en train d’être mis en place ; il ne porte actuellement que sur les matières premières. Ne pensez-vous pas qu’il faudrait aller beaucoup plus loin en incluant les produits transformés au dispositif, afin d’éviter le principe de la double peine ? En effet, les entreprises françaises et européennes qui achètent les matières premières soumises au MACF ne peuvent pas exporter ensuite les produits transformés car ces derniers ne sont plus compétitifs. En outre, ces produits ne sont pas concurrentiels par rapport aux produits venant notamment de Chine, qui ne sont pas soumis au MACF.
M. le ministre. Non seulement je le pense, mais je le dis, l’ai écrit et l’ai défendu à Bruxelles. La proposition consistant à étendre le MACF aux produits transformés, plutôt que de l’appliquer aux seuls produits bruts comme l’acier, a été reprise dans le plan, que j’évoquais précédemment, qui a été présenté le 19 mars par la Commission européenne.
C’est une illustration de notre méthode, qui consiste à identifier les problèmes, à essayer d’apporter techniquement des solutions, à les défendre ensuite au niveau européen et à créer les conditions politiques pour que ces solutions soient reprises dans les faits. Nous sommes à présent dans la phase où il faut traduire d’un point de vue législatif les annonces politiques du 19 mars. Nous serons très vigilants quant au travail de la Commission européenne à ce sujet.
Au-delà du sujet du secteur aval, c’est-à-dire des produits transformés, d’autres modifications du MACF sont à introduire. Sans cela, le dispositif n’atteindra en effet pas son but : permettre à nos industriels de lutter à armes égales contre leurs concurrents chinois et indiens, qui produisent de manière très carbonée leur acier, leur ciment et leurs produits chimiques.
Il faut notamment lutter contre ce que l’on appelle le « resource shuffling », autrement dit l’orientation par certains pays comme la Chine de leur production décarbonée vers l’Europe, tout en conservant une production très carbonée par ailleurs. Les propositions que nous défendons auprès de la Commission européenne consistent à traiter l’ensemble de la production chinoise sous un même régime en appliquant des valeurs par défaut de MACF pour chaque pays, plutôt qu’en appliquant le MACF usine par usine. Nous essayons de faire en sorte que cela soit repris de manière très explicite par la Commission, car c’est un enjeu essentiel de compétitivité et de maintien de l’emploi.
Lors de mes échanges avec la direction France et Europe d’ArcelorMittal, il est en effet apparu que la demande pour continuer à investir, notamment dans la décarbonation, était une révision du MACF, selon les lignes que je viens d’indiquer et à un horizon proche, c’est‑à‑dire avant l’entrée en vigueur effective du dispositif le 1er janvier 2026.
M. le président Denis Masséglia. En un sens, la mise en place d’un PSE est toujours un échec de l’entreprise, qui n’a pas suffisamment anticipé certaines transformations économiques ou sociétales. Lors des échanges que nous avons eus, de nombreux syndicats et salariés ont souligné l’importance d’être impliqués bien plus en amont dans les discussions et décisions prises par l’entreprise et de renforcer le dialogue social en son sein. Pensez-vous qu’il serait judicieux de proposer une meilleure représentation des salariés dans les organes de direction, voire dans les conseils d’administration ?
M. le ministre. Je partage votre diagnostic car, sur le terrain, quand je suis allé à Cholet, les syndicats m’ont dit la même chose qu’à vous probablement, à savoir que le niveau d’information et d’anticipation de l’entreprise était insuffisant, sans parler même des modalités de l’information, qui n’étaient pas dignes. J’ai aussi entendu ce type de message à la Fonderie de Bretagne et dans différentes entreprises en difficulté. Nous avons aujourd’hui des progrès à faire sur la qualité du dialogue social et le niveau d’information que nous donnons aux salariés.
Je pense en outre que l’information de nature économique, qui doit normalement être transmise au comité social et économique, doit également passer par d’autres canaux. Pour ma part – et je m’exprime ici à titre personnel, sans donner la vision du Gouvernement, d’autant que le sujet est hors de mon portefeuille ministériel –, je suis partisan depuis de longues années d’une meilleure représentation des salariés dans les conseils d’administration, notamment pour résoudre ces problèmes d’anticipation face aux difficultés économiques.
M. Benjamin Lucas-Lundy, rapporteur. Monsieur le ministre, je me permets non pas une mise au point, mais une petite réponse, car j’ai eu le sentiment de vivre les choses à l’envers, c’est-à-dire que nous étions, nous, convoqués devant une commission d’enquête par le ministre qui pointait du doigt l’action des parlementaires sur le terrain. Si j’avais un peu d’humour, je dirais que le jour où l’on fera une commission d’enquête sur la revanche du macronisme, nous vous proposerons sans doute d’intervenir parmi les premiers.
Il faudra que vous étayiez votre propos, car vous lancez une accusation un peu gratuite en disant que, parce que des parlementaires vont aux côtés de salariés, souvent à leur invitation, et aux côtés d’organisations syndicales avec lesquelles ils travaillent – je ne connais pas un seul collègue, notamment parmi ceux que vous avez cités, qui aille sur un piquet de grève défendre une usine sans avoir travaillé son dossier avant et sans avoir échangé au préalable avec les organisations syndicales –, des emplois sont supprimés en France. Dire cela, c’est un peu grossier de la part de celui qui est en charge de l’industrie dans ce pays.
M. le ministre. J’ai dit cela ?
M. le rapporteur. Vous dites que l’agitation peut avoir certains effets et évoquez certains dossiers…
À propos de la Fonderie de Bretagne, je veux rendre hommage à notre collègue Damien Girard, qui s’est battu depuis le premier jour. Nous sommes plusieurs à nous être rendus sur place et à avoir suivi ce dossier avec lui. Il s’est battu sérieusement, parfois en haussant le ton, car malheureusement c’est souvent la seule chose que comprend ce Gouvernement.
Vous venez polémiquer ici avec nous, vous êtes dans votre droit – le jeu politique est ainsi fait. Je vous ai trouvé d’ailleurs assez sur la défensive. Je vais vous parler ensuite de cas très concrets, sans esprit polémique pour avoir des réponses factuelles à des questions que nous nous posons sur des situations précises. C’est ainsi que nous avons travaillé dans cette commission d’enquête depuis le début, et j’espère que nous continuerons ainsi.
Vous remettez en cause l’intitulé de la commission d’enquête, créée à l’initiative de mon groupe : je vais donc le défendre. Quand nous parlons de défaillances, nous ne visons pas, comme vous voulez le faire croire, des femmes et des hommes qui travaillent dans les administrations et les agences, sur le terrain. Nous préconiserons au contraire qu’on renforce leurs moyens et leurs prérogatives, et qu’on les accompagne mieux dans leurs missions.
C’est de vos défaillances dont nous parlons, de celles de M. Macron, qui est responsable de la politique économique de notre pays depuis 2014. Nous n’avons aucun a priori, même si – cela ne vous surprendra pas – nous pensons que vous ne faites pas bien votre travail. Nous arrivons au terme d’un grand nombre d’auditions qui ont démontré, de mon point de vue, des défaillances de votre part, vous et le Gouvernement auquel vous appartenez.
Il s’agit de défaillances en matière d’aides publiques et de laxisme dans l’utilisation de l’argent public, qui coule à flots sur les grandes entreprises sans contrôle ni contrepartie ni plafonnement, comme l’indique la Cour des comptes, dont vous conviendrez qu’elle n’est pas particulièrement une officine du Nouveau Front populaire.
Il s’agit de vos défaillances concernant les politiques menées et les réformes successives, dont des experts, des juristes nous disent qu’elles ont facilité les licenciements et non favorisé les embauches.
Il s’agit aussi de défaillances liées à votre dogmatisme. Vous parliez des nationalisations temporaires, mais contrairement à ce que vous avez dit, nous n’arrivons pas à chaque fois avec une proposition de nationalisation temporaire. Nous parlerons tout à l’heure, avec des collègues de l’Isère, de Vencorex. Une proposition de reprise sous forme de coopérative avait été formulée pour cette entreprise, que vous n’avez pas suffisamment soutenue, de l’aveu même des élus locaux et des représentants syndicaux sur place. Vous faites preuve de dogmatisme sur l’outil coopératif, dont beaucoup d’auditions montrent qu’il n’est pas suffisamment soutenu par la puissance publique, et sur les nationalisations temporaires, qui pourraient parfois être nécessaires.
Il s’agit enfin de défaillances du fait de votre attentisme sur différents sujets. Là aussi, cela a été étayé par différentes auditions.
J’en viens au cas d’ArcelorMittal. J’aimerais que l’on ne verse pas dans la polémique politicienne – je m’y efforcerai, pour ma part – et que l’on ne considère pas que l’opposition ne devrait peut-être pas exister, qu’un « 49.3 » pourrait s’appliquer devant les piquets de grève afin que personne n’aille défendre les salariés. Nous continuerons à les défendre, et vous continuerez à défendre votre politique : c’est ainsi, et c’est très bien.
Nous avons auditionné la direction d’ArcelorMittal France, qui nous a fait part sous serment d’un rendez-vous avec M. Mittal lui-même, le Président de la République et son conseiller économique, en avril, quelques semaines à peine avant l’annonce des 636 licenciements chez ArcelorMittal. La direction affirme, là encore sous serment, que la question des licenciements n’a pas été évoquée avec le Président de la République. Cette déclaration vous paraît-elle crédible au regard de votre connaissance de ce genre de dossiers ?
M. le ministre. Je ne rebondirai pas sur vos propos, mais souhaite revenir simplement sur un sujet qui me tient à cœur. Les gens qui travaillent sur le terrain, dans les services de l’État, ressentent une certaine émotion lorsqu’ils entendent que, quoi qu’on en pense, il y aurait des défaillances. Ce n’est pas une vue de l’esprit, mais bien ce qui nous est remonté. J’entends bien que ce ne soit pas votre but et je ne vous fais pas grief d’avoir voulu susciter cette émotion, mais elle est réelle et je voulais vous en faire part.
Puisqu’il faut aussi saluer les belles actions, comme vous l’avez fait pour M. Damien Girard, je dirai, à propos de la Fonderie de Bretagne, que, s’il y a un parlementaire qui mérite vraiment de voir son action saluée, c’est le président de la commission de la défense nationale et des forces armées, M. Jean-Michel Jacques, qui est à l’origine de la solution industrielle qui a été trouvée, en lien avec l’industrie de défense.
À propos d’ArcelorMittal, je n’ai malheureusement pas d’information à apporter au sujet d’une réunion à laquelle je n’ai pas assisté et qui concerne le Président de la République, alors que tout ce qui concerne la présidence de la République doit faire l’objet d’une césure très claire d’avec le Parlement, conformément à notre Constitution. Je suis désolé que ce soit la première réponse que je vous fasse. J’espère avoir des réponses plus précises à apporter à d’autres de vos questions.
M. le rapporteur. Ma question n’était pas, à ce stade, de vous demander quelles informations vous aviez, mais de vous faire réagir aux propos de la direction d’ArcelorMittal selon lesquels elle n’aurait pas informé de ses intentions en matière d’emploi le Président de la République, lequel n’aurait pas posé de question à ce sujet. D’un point de vue théorique, trouvez-vous crédible que le patron mondial d’une grande entreprise passe un moment, sans doute une heure et demie, voire plus, avec le Président de la République, et que ce dernier ne cherche pas à savoir si l’entreprise s’apprête à créer, maintenir ou supprimer des emplois ?
M. le ministre. Encore une fois, au moment de cette réunion, dont je ne connais pas la date exacte, je ne sais pas dire si ArcelorMittal avait pris sa décision, ni si l’entreprise était en capacité d’en informer le Président de la République, ni si les informations qu’elle lui aurait transmises étaient solides et robustes. C’est en cela que je dis que je n’avais pas d’informations, pas simplement sur ce qui s’est dit lors de cette réunion, mais aussi sur le contexte et sur le niveau de précision, de clarté des projets d’ArcelorMittal à ce moment-là.
M. le rapporteur. Je ne suis qu’un modeste parlementaire mais, dans ce genre de réunions auxquelles je n’ai jamais participé, quand un ministre de l’industrie ou le Président de la République reçoit un grand groupe industriel, ne lui demande-t-on pas quelles sont ses intentions en matière d’emploi ? En outre, vous semblez estimer qu’il est possible que, deux ou trois semaines avant l’annonce de la suppression de 636 emplois, un groupe ne soit pas au clair sur ce qu’il va annoncer et que les décisions soient prises au dernier moment. Est-ce ainsi que cela se passe ?
M. le ministre. Non, cela ne se passe pas ainsi, mais il y a un écart entre les dates et les décisions peuvent prendre du temps à être mûries.
Ce que je sais – ayant eu moi-même des échanges avec la direction d’ArcelorMittal, comme je vous le disais dans mon propos liminaire –, c’est que, dans ce genre de réunions, nous abordons des sujets comme la conjoncture du marché de l’acier, les difficultés que celle‑ci engendre, ainsi que les perspectives de moyen et de long terme de l’entreprise, qui doivent selon moi s’appuyer sur une stratégie de décarbonation et des investissements correspondants. Même si je ne peux pas en avoir la certitude, puisque je n’ai pas assisté à la réunion, je pense que les sujets abordés, qui sont suffisamment denses pour nourrir toute une réunion, ont nécessairement tourné autour de la situation du marché de l’acier, ainsi que du contexte des droits de douane, qui pénalisent nos industries – aujourd’hui même, l’administration américaine a augmenté ces droits à hauteur de 50 % pour l’acier et l’aluminium. La conjoncture, les investissements sont des sujets de discussion. Comment les participants ont-ils décidé d’orienter la discussion lors de cette réunion ? À mon avis, avec les sujets que je vous ai indiqués, il y avait déjà suffisamment à discuter.
M. le rapporteur. En tant que député, quand je discute avec un chef d’entreprise – j’en ai rencontré beaucoup ces trois dernières années – et que l’on aborde la conjoncture, on évoque souvent les conséquences de celle-ci. Cela dit, passons, j’entends votre esquive, ou du moins votre absence d’éléments concrets à nous apporter et ne vous en fais pas le reproche.
Avez-vous eu, avant le rendez-vous à l’Élysée, des discussions avec la direction d’ArcelorMittal qui auraient pu vous laisser penser, d’une manière ou d’une autre, que cette annonce de 636 suppressions de postes se préparait ?
M. le ministre. Nous avons des discussions constantes, non seulement avec ArcelorMittal mais, plus largement, avec toutes les filières industrielles, notamment avec la sidérurgie. Je n’avais pas eu de discussion indiquant, avant l’annonce officielle, la perspective de ces 636 suppressions d’emplois.
Comme je vous l’ai dit, dans les deux ou trois jours suivant l’annonce, j’ai organisé une rencontre avec les directions France et Europe d’ArcelorMittal. Ma préoccupation était non seulement de comprendre les déterminants de cette décision mais aussi et surtout les projets d’ArcelorMittal pour les mois et années à venir, les plans envisagés concernant l’accompagnement des salariés et leur reclassement, ainsi que le périmètre de la restructuration. Il était essentiel pour moi de savoir comment on maintenait l’activité en France. Notre préoccupation – celle du Parlement, du Gouvernement et des élus locaux – doit en effet être de garantir que l’on continue à produire de l’acier en France, en particulier dans ce que l’on appelle le cluster de Dunkerque.
Pour cela, la réponse, encore une fois, est très claire : la meilleure garantie pour maintenir l’activité en France est d’investir. Or quelles sont les conditions pour un tel investissement ? Une protection commerciale, une révision du MACF et un soutien à la décarbonation. Ce soutien est sur la table, même si, au moment où nous parlons, l’État n’a versé aucun euro au titre du projet de décarbonation d’ArcelorMittal, tout simplement parce que les investissements n’ont pas été réalisés.
M. le rapporteur. Nous, contribuables, Gouvernement, puissance publique, distribuons à ArcelorMittal des aides publiques, dont je ne discute pas le bien-fondé – c’est un autre débat et nous ne sommes pas opposés aux aides publiques aux entreprises –, pour un montant de 850 millions d’euros. Malgré cela, la direction ne passe pas un coup de téléphone au ministre de l’industrie quelques jours avant l’annonce de la suppression de 636 emplois ?
J’essaie de comprendre la chronologie. L’annonce des licenciements a eu lieu le 23 avril, le rendez-vous à l’Élysée à la mi-mars. Dans vos échanges, que vous dites fréquents et réguliers, ne vous a-t-on indiqué à aucun moment que cela pouvait arriver ? Cela vous paraît‑il logique et normal de ne pas être plus impliqué, compte tenu à la fois de ce que représente l’industrie sidérurgique dans notre pays, du symbole politique qu’elle constitue aussi dans le débat public et de son importance sociale, territoriale, industrielle ?
M. le ministre. En ce qui concerne les aides publiques, je souhaite être très clair et redire mon propos. Sur les 850 millions d’euros qui devaient être versés au titre du projet de décarbonation, pas 1 euro n’a été payé par l’État, car les investissements, au moment où nous parlons, n’ont pas été engagés. Il y a toujours une contrepartie au versement d’aides publiques.
Par ailleurs, les difficultés que rencontrent les industriels transparaissent dans les discussions que nous avons. J’ai été lucide à ce sujet dans mon propos liminaire. Nous ne sommes pas naïfs. Nous savons bien qu’il y a un risque de restructuration quand des industriels font part de leurs difficultés, quand ils disent à un ministre que le marché de l’acier est complètement surcapacitaire, notamment du fait de la production d’acier chinois, qui représente plusieurs fois la demande mondiale. Les messages sont ainsi transmis, de manière implicite, sans passer nécessairement par une annonce chiffrée. Comme vous l’avez dit, cette annonce a eu lieu le 23 avril.
M. le rapporteur. Aviez-vous donc implicitement un doute, une interrogation, une crainte, à propos du fait qu’une telle annonce intervienne dans les semaines précédant le 23 avril ?
M. le ministre. Du fait de ma fonction de ministre, j’ai perpétuellement des craintes, surtout pour les filières en difficulté.
Je vous ai exposé les difficultés des filières sidérurgique, chimique et automobile. Je sais donc que, demain, nous aurons peut-être des annonces d’un équipementier automobile qui ferme, d’un chimiste qui présente un plan de restructuration ou d’un sidérurgiste en difficulté. C’est la réalité de ces filières.
Mon métier – mon boulot, si je puis dire – est de m’attaquer aux raisons profondes qui conduisent ces filières à se trouver en difficulté. Je ne vais pas refaire l’inventaire à la Prévert des leviers sur lesquels on peut agir et que j’ai déjà énoncés. Je me réveille chaque matin et je m’endors chaque soir avec la préoccupation de ce que vont devenir les emplois industriels dans notre pays. Cette préoccupation constante est d’ailleurs aussi celle des élus pour leurs territoires et de mes équipes. Quand je dis que l’on se bat tous les jours, cela suppose qu’on soit en permanence dans la crainte de ce qui peut arriver ; la crainte ne doit pas paralyser, mais inciter à l’action.
M. le rapporteur. Vous craigniez donc des licenciements, notamment chez ArcelorMittal, en mars et en avril, avant l’annonce du 23 avril. Quels leviers activez-vous alors ? Quelles démarches entreprenez-vous auprès de la direction du groupe pour essayer d’envisager une solution alternative ? Avez-vous demandé à vos services une note, un travail préparatoire pour identifier le contenu possible d’une annonce d’ArcelorMittal et essayer de mettre en œuvre une autre solution ? Utilisez-vous certains leviers de pression ?
M. le ministre. La première étape consiste à identifier les raisons qui génèrent de la crainte, notamment la situation surcapacitaire du marché de l’acier, qui conduit certains sites sidérurgiques en France et en Europe à produire à 60 % ou 70 % de leurs capacités. L’acier chinois est en effet massivement subventionné et entre en Europe en quantité trop importante. Il n’est pas suffisamment taxé, dans la mesure où le MACF, qu’il faudrait par ailleurs réviser rapidement comme nous l’avons vu précédemment, n’est pas déjà entré en vigueur.
Après ce diagnostic, il faut trouver des solutions techniques, à l’échelon européen et à l’échelon français. J’en ai esquissé quelques-unes : les valeurs pays par défaut pour le MACF, des clauses de sauvegarde plus puissantes, à savoir des quotas d’importation sur l’acier chinois pour le dire plus clairement, une aide à la décarbonation… Nous défendons l’idée d’une telle aide et sommes prêts à la recalibrer en fonction des investissements envisagés par ArcelorMittal.
Une troisième étape, qui se joue au niveau européen, est celle de l’initiative politique pour faire bouger les lignes. Je vous ai décrit dans mon propos liminaire cette initiative politique. J’ai organisé en février le sommet sur l’acier à Bercy. J’ai par ailleurs mis en place une alliance des pays européens pour l’industrie lourde, qui regroupe à la fois l’acier et la chimie. Celle-ci s’est réunie pour la première fois à Bruxelles il y a quelques semaines. Son but est d’émettre des propositions et de peser sur les choix faits par la Commission européenne et le Conseil européen, afin de protéger nos industries.
Enfin, la quatrième étape, dans laquelle nous sommes à présent, est de s’assurer que tout cela se concrétise, que les conditions réglementaires, budgétaires, économiques évoluent effectivement. Nous continuons à être vigilants et à nous battre à ce sujet, notamment vis-à-vis des institutions européennes.
M. le rapporteur. Vous évoquez différents leviers d’action, si bien que j’ai du mal à comprendre pourquoi vous avez fait preuve d’un certain défaitisme, lundi 2 juin, sur France Info, lorsque vous avez déclaré que, nécessairement, il y aurait des suppressions de postes chez ArcelorMittal. N’est-ce pas là une marque de renoncement à une possible confrontation avec ArcelorMittal et à la mise en œuvre des solutions que vous évoquez ?
M. le ministre. On peut, d’un côté, avoir pour démarche systématique de se battre, et de l’autre, faire preuve d’un semblant de lucidité sur la situation. Quand je vous dis que des sites sidérurgiques en France et en Europe tournent à 60 % ou 70 % de leurs capacités, cela doit amener à considérer en toute lucidité que des restructurations sont possibles et parfois inévitables. L’ampleur de ces restructurations, en revanche, n’est pas acquise. Nous discutons d’ailleurs avec ArcelorMittal du périmètre de la restructuration.
En tant que ministre de l’industrie, lorsque j’apprends que ThyssenKrupp, en Allemagne, ferme des sites et annonce non pas 636 mais 11 000 suppressions d’emploi, je ne peux qu’apprécier avec lucidité la menace existentielle qui pèse sur la filière sidérurgique en Europe. Dans ce contexte, il est effectivement plus qu’à craindre qu’il y ait des restructurations. C’est quelque chose qu’il faut encadrer, accompagner et, surtout, surmonter en donnant des perspectives aux entreprises.
C’est pourquoi j’ai porté mon combat sur le soutien à l’investissement dans la décarbonation et sur la création des conditions rendant possible un tel investissement à l’échelon européen et français. Ce combat a d’ailleurs porté ses fruits puisqu’ArcelorMittal a annoncé des projets d’investissement à Dunkerque.
M. le rapporteur. Je reviens sur le rendez-vous entre M. Mittal et le Président de la République, car nous essayons de comprendre si les représentants des Français en font assez pour préserver l’emploi industriel, notamment dans des situations comme celle qui frappe les 636 salariés d’ArcelorMittal et leurs familles, lesquelles émeuvent l’ensemble de nos compatriotes, au-delà des enjeux économiques et stratégiques.
Étant donné le rendez-vous de la mi-mars à l’Élysée et l’annonce des 636 licenciements le 23 avril, soit le Président de la République a été informé de ces licenciements et en serait complice pour n’en avoir rien dit, pour n’avoir rien fait à ce sujet, pour ne pas avoir informé les salariés concernés, soit il n’a pas voulu savoir. En effet, je n’arrive pas à croire qu’il n’ait pas cherché à savoir si les emplois seraient maintenus. Si tel était le cas, cela relèverait de l’amateurisme ou de l’incompétence. Dans les deux cas, c’est une forme de trahison du mandat reçu par le Président de la République.
Je veux donc vraiment savoir si vous avez été informé, en amont, de la réunion à l’Élysée, ne serait-ce que pour avoir une note de vos services ou de vous-même, permettant au Président de la République de préparer sérieusement ce rendez-vous avec M. Mittal – dont on sait qu’il a des relations parfois difficiles avec certains chefs d’État ou de gouvernement.
En outre, après cette réunion, à laquelle a assisté le conseiller économique du Président de la République, avez-vous été tenu au courant de la réunion pour en tirer d’éventuelles conséquences, vous qui êtes un proche de M. Emmanuel Macron ? Je n’imagine pas que le ministre de l’industrie, qui se trouve appartenir à la même famille politique que le Président de la République, n’ait pas reçu ensuite une feuille de route ou au moins des indications de la part de ce dernier pour bien faire son travail de ministre.
M. le ministre. Vous avez parfaitement raison. C’est ce qu’il s’est produit. Ce qui a été évoqué, ça n’est pas du conditionnel. La conjoncture, les difficultés européennes, la nécessité d’activer les leviers de la politique commerciale et du MACF : tout cela a été plus que probablement évoqué, mais je n’y étais pas – je me permets de vous le redire. Je ne vais donc pas faire de politique-fiction.
Ce qui est certain, c’est qu’avant même la réunion, nous étions mobilisés. Mes services sont en lien constant avec ceux de l’Élysée, comme il est de rigueur, pour fournir des éléments d’information, des notes. Cela se fait de manière systématique. Il s’agit de notes sur la conjoncture, la situation de l’acier, l’état des négociations européennes en matière de sidérurgie… Le dialogue est constant, mais je vous redis que je n’étais pas à cette réunion. Je ne peux donc pas dire quelles questions ont été posées ni quelles réponses ont été apportées.
Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’à travers mes propres échanges avec la direction Europe d’ArcelorMittal, j’ai identifié très explicitement les raisons des difficultés menant à la restructuration et les leviers qui peuvent nous laisser envisager un avenir pour le site de Dunkerque, à savoir l’investissement dans la décarbonation.
Au-delà de cela, je laisse à votre commission le soin de tirer tous les enseignements des auditions que vous avez menées.
M. le rapporteur. Nous avons bien compris que vous n’étiez pas à la réunion à l’Élysée, que vous n’y avez pas été invité, mais vous nous dites, si je comprends bien, que vous n’avez à aucun moment été informé, avant ou après, des échanges entre le chef de l’État et la direction d’ArcelorMittal, ni disposé d’aucun élément à ce sujet vous aidant à faire votre travail. Est-ce le cas ? J’ai l’impression que vous changez un peu de lecture des choses. Vous évoquez des documents de travail préparatoires à cette réunion ou à d’autres. Nous serions ravis que vous puissiez nous les fournir, pour ce qui ne relève pas de la confidentialité.
M. le ministre. J’ai évoqué le dialogue constant qui existe entre les services des ministères, ceux du Premier ministre et ceux du Président de la République, sur tous les sujets de fond, en particulier sur la sidérurgie. Les services ministériels alimentent en notes de manière continue et à la demande leurs supérieurs hiérarchiques que sont le Premier ministre et le Président de la République. Cela a toujours été ainsi.
Il est possible de reposer la question sous d’autres formulations, mais si je comprends vos questions, j’en comprends moins bien la finalité. Que le Président de la République discute avec des chefs d’entreprise sur leurs perspectives d’investissement en France est dans l’ordre des choses depuis que le Président occupe son poste. La promotion de l’attractivité française, qui lui tient beaucoup à cœur, s’est notamment incarnée dans Choose France.
À propos de la réunion, n’y ayant pas assisté, je ne me livrerai à aucune spéculation sur les échanges qui y ont eu lieu.
Pour le reste, j’estime que les échanges que nous avons eus collectivement et que j’ai eus moi-même avec ArcelorMittal ont permis d’agir. C’est cela, le plus important.
Lors de mes échanges avec les représentants d’ArcelorMittal, le 5 mai, j’ai en effet constaté que ces derniers sont conscients que l’enjeu majeur est l’investissement dans la décarbonation. Les salariés aussi sont tout à fait conscients du fait que la meilleure garantie de la pérennité des sites passe par l’investissement.
Cela ne veut pas dire qu’ils ne se préoccupent pas des 636 suppressions de postes. À ce propos, je veux souligner qu’il ne s’agit pas de 636 mais de 385 licenciements, même si ce sont 385 licenciements de trop.
Si ArcelorMittal investit, comme il s’y est désormais engagé, cela signifie qu’il croit en la production d’acier en France. C’est cela que je veux retenir, et j’ai toutes les raisons de penser, mais sans aucune certitude encore une fois, que cela a été le sujet des échanges avec le Président de la République.
M. le président Denis Masséglia. Monsieur le rapporteur, vous avez posé à plusieurs reprises, sous différentes formulations, une même question. Dans cette commission, chacun doit certes pouvoir s’exprimer. Permettez-moi néanmoins de m’interroger sur le lien direct de votre question avec l’objet de la commission. J’ai eu l’impression – c’est une analyse personnelle – d’une volonté de votre part de chercher un sujet relativement annexe à l’objet de nos travaux. Ce cas de figure ne s’était pas présenté lors des quarante auditions précédentes.
M. le rapporteur. Nous avons auditionné la direction d’ArcelorMittal, à qui nous avons simplement demandé quelles étaient ses relations avec les pouvoirs publics. Elle nous a dit d’elle-même – je n’avais pas d’informations à ce sujet – qu’elle était allée voir le Président de la République.
Nous nous faisons l’écho des propos des salariés et des élus du territoire, qui s’étonnent de savoir que le Président de la République a reçu la direction d’ArcelorMittal quelques jours avant son annonce de 636 suppressions de postes, sans que le sujet ne soit évoqué. Je voulais savoir si le ministre de l’industrie avait eu cette information afin de mieux comprendre la situation.
En effet, nous cherchons à comprendre les mécanismes permettant à la puissance publique de prendre des initiatives pour construire des solutions alternatives, tout en étant lucides quant à la difficulté de la chose. Nous sommes nous-mêmes dépossédés de beaucoup de leviers, mais nous essayons de comprendre.
Je ne vous permets donc pas de mettre en cause l’intérêt des questions posées, ni pour les travaux que nous menons, ni pour les salariés d’ArcelorMittal qui ont le droit de savoir si l’annonce brutale qu’ils ont reçue par voie de presse était connue des représentants de la Nation.
M. le président Denis Masséglia. Je m’interrogeais uniquement sur le fait que la plupart de vos questions portaient sur cette thématique.
M. Charles Fournier (EcoS). Monsieur le ministre, j’ai été surpris par la manière dont vous avez abordé cette commission d’enquête. Je vous ai aussi trouvé assez sur la défensive. Nous savons bien sûr que des gens agissent, mais vous n’êtes pas le seul. Il n’y a pas que les services de l’État.
D’une certaine manière, vous avez laissé entendre que les parlementaires ne seraient là que pour instrumentaliser les problèmes. Je le prends assez mal, car ce n’est absolument pas ce que je fais. Comme vous le savez, je travaille sur les questions industrielles depuis longtemps et je vous ai sollicité sur plusieurs dossiers. J’attends d’ailleurs certaines réponses. À titre d’exemple, je ne sais pas ce qu’est devenu le dossier de la Chapelle Darblay depuis nos derniers échanges. Des questions ont d’ailleurs été posées au Président de la République.
Je regrette que vous ayez imprimé ce ton à la discussion car nous pouvons nous mettre d’accord sur le fait qu’il faut réindustrialiser le pays. À ce sujet, il n’y a aucun doute sur le fait que certains essaient de le faire, mais la question est celle de l’efficacité. Êtes-vous doté des outils pour y parvenir ? C’est peut-être à ce propos qu’il existe des désaccords profonds.
L’une de vos réactions a notamment suscité une interrogation de ma part. Juste après l’annonce par STMicroelectronics de 1 000 suppressions d’emplois, il y a un mois, vous avez dit – par voie de tweet – que vous alliez accompagner la stratégie du groupe. Cela a été très mal pris par les salariés. Dans vos interventions, il y a parfois le sentiment d’une bienveillance à l’égard des salariés, mais en même temps d’une impuissance, que j’interroge.
J’aimerais à ce propos évoquer plusieurs situations et avoir votre regard sur de nouveaux outils d’intervention dont pourrait se doter l’État.
J’ai déposé une proposition de loi à la suite de l’annonce d’ArcelorMittal. Vous avez caricaturé les choses en disant que tout le monde souhaitait la nationalisation. Je ne sais pas si vous avez eu l’occasion de lire cette proposition de loi, mais ce n’est pas ce que je mets en avant. À la manière de ce qu’ont fait les Anglais et les Italiens, je propose une mise sous gestion publique temporaire, avec la création d’un fonds souverain, pour disposer de temps pour prendre les bonnes décisions. Dans le cas de Vencorex, les salariés avaient par exemple un projet de reprise, qu’il n’a pas été possible de mettre en œuvre, notamment en raison du manque de temps. On pourrait citer de nombreux cas dans lesquels des solutions alternatives pourraient être creusées. Je suis pour un État stratège, capable d’intervenir et de laisser du temps pour prendre les bonnes décisions, que ce soit par une intervention ponctuelle ou par la nationalisation, même si ce n’est pas systématiquement la bonne voie. Je voudrais avoir votre avis sur cette proposition de loi. Ce qu’ont fait les Anglais avec British Steel vous paraît‑il pertinent ?
En outre, vous avez évoqué le fait que les salariés puissent être davantage représentés dans les conseils d’administration. Je partage cette idée et suis aussi à l’initiative d’une proposition de loi sur le sujet. Je mets peut-être la barre un peu haut, mais je propose que les conseils d’administration des entreprises de plus de 250 salariés soient composés pour moitié de salariés. Cela serait mieux-disant que la réglementation allemande et que la loi Pacte, laquelle est franchement insuffisante dans la mesure où elle prévoit la présence d’un salarié au conseil d’administration, voire de deux salariés au-delà de huit administrateurs.
Enfin, ne serait-il pas temps de se doter d’une loi de programmation en matière industrielle au service d’une vraie planification, qui ne soit pas dotée simplement d’ambitions floues mais de vrais moyens pour accompagner les filières ? Cela permettrait à l’État de jouer véritablement un rôle de stratège. Aujourd’hui, j’ai l’impression que vous faites ce que vous pouvez, mais que cela n’est pas efficace.
M. le ministre. Je vous remercie pour vos contributions et vos engagements. Même si nous ne partageons pas toujours les solutions envisagées, je préfère toujours avoir des interlocuteurs qui formulent des propositions.
Je savais que je susciterais de l’émotion en revenant sur l’intitulé de la commission, mais je ne pouvais pas ne pas évoquer l’émotion des personnes qui travaillent dans les services publics. Que vous soyez convaincu de la qualité de leur travail et que cela ait été dit ici me suffit. Je n’y reviendrai pas, mais je me devais de le dire.
Je n’ai jamais dit que tous les parlementaires faisaient de l’instrumentalisation politique. Certains en font.
À propos de STMicroelectronics, j’ai un doute et nous allons vérifier cela avec mon équipe. De mémoire, ma seule expression publique sur le sujet fut un message de soutien à la gouvernance de l’entreprise, qui est très particulière. En effet, STMicroelectronics est une entreprise franco-italienne dans laquelle il peut y avoir certaines tensions en matière de gouvernance. Cela n’avait aucunement vocation à porter un jugement sur les décisions annoncées.
Je n’ai aucune opposition de principe à la nationalisation. Lorsque ce Gouvernement ou le précédent annonce la nationalisation d’Alcatel Submarine Networks ou lorsque nous nationalisons EDF à 100 %, je soutiens pleinement ces décisions. Pour ce qui est d’EDF, qui est dans mon portefeuille, cela permet notamment de lui donner une feuille de route, dont j’ai parlé dans mon propos liminaire, qui s’inscrit dans la stratégie industrielle du pays, à savoir fournir de l’électricité aux industriels de manière compétitive.
Hier, nous avons aussi annoncé que nous nationalisions Atos. L’État rachète en effet ses activités stratégiques, en particulier celles de supercalculateur. Je n’ai donc pas d’opposition de principe à ce sujet. La question est de savoir quand la nationalisation a du sens. La notion de nationalisation temporaire n’a par ailleurs pas d’existence juridique.
La question de la nationalisation se pose légitimement dans trois cas : en présence d’une question d’indépendance nationale et de souveraineté, lorsqu’un risque systémique associé à la chute d’un acteur pèse sur l’ensemble d’une filière et lorsqu’il n’existe aucune solution industrielle.
Dans le cas d’ArcelorMittal, ces conditions ne sont pas remplies, car nous considérons qu’il existe une solution industrielle à même de garantir l’activité et les emplois sur le site, à savoir les investissements dans la décarbonation. British Steel n’était pas du tout dans la même situation. L’actionnaire chinois s’apprêtait à mettre l’entreprise en faillite, ce qui n’est absolument pas le cas d’ArcelorMittal, qui se propose d’investir sur ses sites.
La mise sous tutelle que vous proposez – dont j’avais pris connaissance avec attention – ne me semble ainsi pas transposable à la situation d’ArcelorMittal, parce qu’il existe des solutions industrielles et parce que la situation économique de l’entreprise n’est pas la même. ArcelorMittal a certes des sites en France qui ne sont pas aussi rentables que dans d’autres pays, mais, globalement, sa situation lui permet d’investir. Je pense donc que la nationalisation n’est pas la bonne solution.
En outre, je ne suis pas de ceux qui pensent que l’État est nécessairement un meilleur gestionnaire. Les nationalisations doivent être assorties de perspectives permettant de résoudre les problèmes de fond.
Je vous ai dit mon soutien de principe à une meilleure représentation des salariés dans les conseils d’administration. Dans une vie académique antérieure, je me suis beaucoup intéressé aux liens qui existent en Allemagne entre la présence des salariés dans les conseils d’administration et la performance des entreprises. Des études empiriques montrent qu’il existe des effets de seuil. Il faut faire en sorte que l’information transmise aux salariés pour anticiper les difficultés des entreprises soit suffisante pour leur permettre d’avoir du poids. Toutefois, cela peut avoir des effets contreproductifs au-delà de certains seuils. C’est le souvenir, assez lointain, que j’ai de ces études. Sur le principe, je pense donc que nous devons aller plus loin que le cadre existant, sans aller peut-être aussi loin que ce que vous proposez.
Enfin, la planification peut être entendue de différentes manières, et je sais que vous n’avez pas en tête une version qui se rapprocherait du Gosplan. À partir du moment où il ne s’agit pas d’une planification impérative, je souhaite insister sur le fait que la structuration des filières existe en France. Je l’anime, autant que je le puis, en tant que président du Conseil national de l’industrie, en accompagnant notamment la signature des contrats stratégiques de filière. Récemment, quelques-uns ont été signés, notamment à propos du numérique de confiance. Cela donne des perspectives et des objectifs, sans relever d’une planification impérative, qui ne correspond absolument pas, de mon point de vue, au contexte et aux besoins d’une économie de marché.
L’autre élément qui se rapproche d’un outil de planification concerne les investissements consentis par l’État pour des filières industrielles verticales précises et sur un horizon temporel très long. Je pense au plan France 2030, dont les 54 milliards d’euros ne peuvent être balayés d’un revers de la main, qui repose sur une stratégie industrielle, qu’il est certes possible de contester. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de répondre de cette stratégie au Parlement. Le fait est que la démarche existe. On ne peut pas dire que l’État ne fait rien dans une perspective de long terme.
M. Guillaume Kasbarian (EPR). Je m’étonne également de certaines questions que nous avons entendues. Monsieur le ministre, vous avez répondu de manière très factuelle : lorsqu’on vous interroge sur la réunion, vous répondez que vous n’y étiez pas. La question est ensuite posée quarante fois sous des formulations différentes pour essayer de remonter plus haut et tenter de mettre en difficulté le Président de la République. Tout cela est une démonstration éclatante du fait qu’il y a actuellement une instrumentalisation des commissions d’enquête au Parlement. J’ai été président et rapporteur de commissions d’enquête et, pendant huit ans, j’ai vu cela.
Le phénomène est même croissant. Les commissions d’enquête sont de plus en plus utilisées pour avancer des points politiques et ressentir une sorte de petite jouissance liée au fait de jouer au procureur. Or nous ne sommes ni des magistrats ni des procureurs. En tant que parlementaire, je trouve qu’il y a une dérive politique, un dysfonctionnement lié à l’instrumentalisation politique des commissions d’enquête – que vous dénonciez vous-même, hier, au sujet d’une demande liée à un droit de tirage.
Cela étant, les commissions d’enquête permettent d’avancer des propositions ; on en voit poindre certaines, par exemple, qui visent à restreindre la capacité à ajuster les effectifs et à revoir la masse salariale. Quel est votre avis sur ces propositions, qu’il s’agisse de l’interdiction des licenciements, des moratoires sur les licenciements ou des nationalisations ? A-t-on des exemples de pays où ce type d’instruments aurait été utilisé et aurait fonctionné ? L’interdiction de licencier a-t-elle déjà conduit par magie à l’absence de tout licenciement ? Il y a tout lieu de penser que la présente commission fera ce type de propositions.
Je voudrais vous remercier d’être venu à Chartres il y a quinze jours, non pour éteindre un incendie, mais pour inaugurer une ligne de production. Vous avez souvent le rôle assez ingrat de parler des sujets douloureux, mais on souligne assez peu les créations d’emplois industriels. Pourtant, comme vous l’avez dit, on recrée de l’emploi industriel dans notre pays, notamment grâce à notre politique économique. À Chartres, Novo Nordisk investit 2 milliards d’euros, avec des centaines d’emplois à la clé. Les médias en parlent peu et la commission d’enquête ne l’a pas évoqué.
Ces créations d’emploi ne résultent pas d’outils coercitifs ou collectivistes – tels que l’interdiction des licenciements et les nationalisations – inspirés par une vision administrée de l’économie : elles sont le fruit de l’attractivité et de la compétitivité économiques. Si l’on veut lutter contre les licenciements, la question est de savoir comment redonner de la compétitivité aux entreprises et aux investisseurs pour qu’ils aient envie d’investir et de créer des emplois sur le territoire.
Sur ce sujet, on a fait beaucoup de choses pendant huit ans, mais ma question porte sur l’avenir. Quels sont, selon vous, les domaines dans lesquels nous pouvons faire mieux pour rester dans la course de la compétitivité vis-à-vis de nos voisins européens et éviter, à la racine, les plans de licenciements ? Faut-il agir sur le coût du travail, les cotisations, la fiscalité… ?
M. le ministre. J’ai commencé à esquisser quelques pistes, en disant qu’il fallait se poser la question du coût du travail et du financement de la protection sociale en particulier, sans forcément privilégier une piste plutôt qu’une autre. Le sujet de la TVA sociale occupe beaucoup le débat, mais il existe d’autres options et il ne faut peut-être pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Sans faire aucune annonce, j’exprime ici simplement l’état des discussions, nourries notamment par le travail de chercheurs qui préconisent d’autres approches. Cela étant, basculer une partie du financement de la protection sociale vers d’autres assiettes aurait bien sûr des effets sur l’emploi en général, et sur l’emploi industriel en particulier.
S’agissant de l’attractivité, les impôts de production sont, du fait de leur ampleur, une spécificité française. Même s’ils ont baissé de l’ordre de 20 milliards d’euros depuis 2021, ils restent plus élevés que dans la plupart des pays. Ils sont même de deux à trois, voire quatre fois supérieurs à ceux de certains de nos partenaires. Or ils sont très pénalisants car ils s’appliquent indifféremment aux entreprises, y compris à celles qui sont en difficulté.
Je serai très clair au sujet de l’interdiction des licenciements ou du moratoire sur ceux‑ci. La France a renoncé au milieu des années 1980 à l’autorisation administrative de licencier. Nous avons d’ores et déjà constaté les effets que pouvait avoir une excessive rigidité en matière de licenciement – et nous en avons payé le prix. Or interdire ou appliquer un moratoire est une contrainte bien supérieure à l’autorisation administrative de licencier. Un moratoire a été introduit en France, mais c’était dans des circonstances particulières, à savoir pendant la crise sanitaire, afin d’éviter des effets irréversibles sur notre tissu économique et industriel. Chacun conviendra que la situation actuelle diffère de celle de 2020.
Une multitude d’études économiques, fondées sur des données réelles et l’analyse du marché du travail d’un grand nombre de pays, montrent que le fait d’accroître les contraintes en matière de licenciement – sans même aller vers les options radicales que sont l’interdiction ou le moratoire – a des effets négatifs sur les créations d’emploi. Je me suis livré dans le passé à des revues de la littérature sur le sujet, que je n’ai plus sous la main, mais que je vous mettrai volontiers à disposition si vous le souhaitez. Le sujet est ainsi bien documenté et les observations sont identiques, quel que soit le cadre institutionnel. Ce n’est pas spécifique à la France, à l’Italie ou à l’Allemagne. Interdire les licenciements, c’est s’assurer que les entreprises déjà en difficulté vont mourir et que celles qui licencient pour augmenter leur profitabilité – car cela existe et je ne suis pas là pour le nier – arrêteront d’investir et de s’installer en France. Cette conviction n’est pas dogmatique, mais documentée par un grand nombre d’études académiques sur la protection de l’emploi. Je pense donc que l’interdiction et le moratoire sur les licenciements ne sont pas de bonnes solutions.
En outre, mes interrogations à propos du moratoire sont similaires à celles que j’ai exprimées au sujet de la nationalisation temporaire. Je vois bien comment et quand on commence un moratoire, mais pas tellement sur la base de quels critères on l’arrête. Je serais heureux que celles et ceux qui le proposent mettent sur la table, de manière très documentée, des critères économiquement rationnels permettant, d’une part, de décider de son introduction et, d’autre part, de sa suspension. Cela conduirait, à mon avis, à une réflexion d’une complexité redoutable.
M. le rapporteur. Si M. Kasbarian était venu à l’une des quarante auditions que nous avons menées, peut-être saurait-il que personne, absolument personne, n’a suggéré l’interdiction des licenciements.
Nous avons évoqué dans cette commission la difficulté à apprécier la véracité du caractère économique des licenciements, l’abus du motif économique en la matière et les stratégies de contournement.
Plutôt que de caricaturer les positions et de nous dire que nous allons revenir au contrôle administratif des licenciements – et peut-être, bientôt, que nous sommes des Soviétiques –, pouvez-vous nous dire comment on pourrait mieux contrôler le motif économique du licenciement, lequel est apprécié trop tardivement et est objectivement détourné de son objet dans un certain nombre de situations ?
M. le ministre. Pardonnez-moi, mais j’ai répondu à la question de M. Kasbarian, qui a évoqué l’interdiction des licenciements et les moratoires sur ceux-ci. J’ai fait référence à l’autorisation administrative de licencier et vous avez rebondi là-dessus.
L’appréciation du motif du licenciement économique est un sujet très profond, qui ne relève pas de mon portefeuille ministériel. Même si j’ai quelques convictions et peut-être quelques connaissances à ce sujet, c’est une question de droit du travail.
Cela dit, le sujet mérite une réflexion collective et je suis très heureux que votre commission puisse y contribuer, si elle s’appuie sur des constats bien documentés, des faits et des comparaisons internationales.
M. Anthony Boulogne (RN). La perte de la souveraineté industrielle de la France est une réalité que personne ne peut nier. Selon l’Insee, 900 000 emplois industriels ont été détruits en vingt ans, soit un cinquième des effectifs du secteur. Derrière ces chiffres, il y a une réalité humaine, des ouvriers qui se retrouvent au chômage et des familles plongées dans l’angoisse du lendemain.
La filière automobile est un exemple édifiant. Dans ma circonscription, en Meurthe‑et‑Moselle, la Sovab, c’est-à-dire l’usine Renault qui fabrique les utilitaires Master, a décidé en mars la fin de 700 contrats d’intérimaires. Nous avons déjà évoqué ce dossier avec votre cabinet. Une épée de Damoclès pèse sur la tête des 1 900 salariés du site, qui est le premier employeur privé du département. Les difficultés de la Sovab se répercutent sur l’ensemble du territoire.
Pour décrire la situation, je reprendrai volontiers – une fois n’est pas coutume – les mots du commissaire européen en charge de l’industrie, M. Stéphane Séjourné, qui indiquait récemment que la filière automobile était « en danger de mort ». Le constat est juste, mais mériterait d’être complété, car si elle est en danger de mort, c’est en raison d’un étranglement réglementaire.
Dans une interview récente donnée au Figaro, le patron de Renault, M. Luca de Meo, alertait sur le fait que la centaine de réglementations européennes qui s’appliqueront d’ici à 2030 vont renchérir le prix des voitures de 40 %. La folie normative de Bruxelles menace la survie même de notre tissu industriel. À qui profite le crime ? Aux concurrents étrangers, qui ne sont soumis à aucune de ces réglementations et qui ont un accès libre au marché européen.
Nous enquêtons sur les défaillances des pouvoirs publics face à la multiplication des plans de licenciements. La première des défaillances, à mes yeux, est de continuer à étrangler nos industriels qui produisent de la valeur et créent de l’emploi.
À ce titre, quelles actions comptez-vous entreprendre afin de freiner ce délire normatif ? Plus spécifiquement, quelle est la position officielle du Gouvernement français sur la révision des directives européennes CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) et CS3D (Corporate Sustainability Due Diligence), symboles de cette surréglementation qui tue notre économie ?
M. le ministre. La désindustrialisation des dernières décennies est un fait qui n’a échappé à personne, mais je me permets de redire que l’évolution de l’emploi industriel, qui était orientée à la baisse, s’est inversée depuis 2017 : 140 000 emplois ont en effet été créés depuis lors. Est-ce pour autant suffisant, voire satisfaisant ? Non. Nous devons pouvoir aller plus loin en la matière.
Je partage aussi votre constat à propos de la filière automobile, qui est, comme je l’ai dit, en difficulté. C’est vrai, en particulier, pour ce qui concerne les équipementiers. Les réponses à ce sujet sont multiples. Je vais en esquisser quelques-unes qui ont déjà fait l’objet d’annonces et d’autres sur lesquelles nous travaillons actuellement, notamment avec la Commission européenne.
Je me trouvais, il y a quelques semaines, à Douai, aux côtés du commissaire Stéphane Séjourné. Les annonces faites à cette occasion ont repris certaines propositions portées par la France relatives à un plan d’urgence pour l’automobile européenne, notamment l’introduction de mécanismes de soutien à la demande.
En effet, il existe des contraintes réglementaires, notamment pour l’électrification des véhicules, mais les constructeurs et les équipementiers nous disent qu’ils ne souhaitent pas remettre en question l’horizon du passage aux véhicules électriques en 2035. J’ai beaucoup discuté avec M. de Meo et M. Elkann en particulier. Même s’ils n’étaient pas forcément d’accord avec la réglementation au début, ils ont investi massivement dans l’électrification de leur gamme. Les investissements sont derrière eux et ils sont à présent confrontés à un déficit de demande.
Les annonces relatives aux dispositifs de soutien à la demande reprennent certaines initiatives inscrites dans la loi de finances pour 2025, notamment celle consistant à électrifier les flottes professionnelles. Un véhicule sur deux vendu en France est en effet acheté par une flotte professionnelle, alors que seulement 10 % des véhicules sont électriques. Il existe ainsi une marge de progression considérable pour soutenir le marché et donner du travail à toute la chaîne de valeur, notamment aux équipementiers. Nous avons pris cette initiative et nous essayons de la décliner au niveau européen.
D’autres annonces concernent les assouplissements réglementaires. J’ai signé avec mes collègues Agnès Pannier-Runacher et Benjamin Haddad une tribune demandant que les amendes dues par les constructeurs au titre de la réglementation Cafe (Corporate Average Fuel Economy), relative aux émissions de CO2, ne soient pas acquittées en 2025. Cela aurait conduit un constructeur comme Renault à payer 1 milliard d’euros d’amendes et à prendre des décisions sur les quantités produites aux effets potentiellement délétères, comme le fait de mettre moins de véhicules thermiques sur le marché pour émettre, en moyenne, moins de CO2 par véhicule. Nous avons demandé et obtenu de la Commission que ces amendes soient lissées sur trois ans, comme cela a été annoncé par M. Séjourné. C’était une demande de la filière.
Les sujets réglementaires ne se limitent pas à la question des émissions de CO2. Vous faites référence à une interview que nous avons lue avec attention. Certaines contraintes réglementaires s’appliquent indifféremment, quels que soient la taille et le poids des véhicules. Or le marché de l’automobile en France et en Italie se distingue de celui de l’Allemagne par le fait que les véhicules plus petits, plus légers, se vendent mieux. Cela signifie qu’appliquer des réglementations aussi strictes pour des berlines que pour la R5 ou d’autres modèles de ce type limite la compétitivité de nos constructeurs sur ces marchés spécifiques. Pour élaborer une réponse commune sur ce sujet, j’ai engagé un dialogue avec mes homologues allemand et italien. Ce matin même, j’ai évoqué le sujet avec Mme Katherina Reiche.
Nous avons transposé la directive CSRD, mais il a été décidé au niveau européen d’en reporter la mise en œuvre et de ne l’appliquer qu’aux entreprises d’une certaine taille.
Par ailleurs, le Président de la République a affirmé très clairement, lors du sommet Choose France, que la directive CS3D, que nous n’avons pas encore transposée, devait être réexaminée, qu’il fallait en rediscuter au niveau européen – je ne me souviens plus de ses termes exacts, mais c’était l’idée.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Cela nous aurait intéressés de connaître votre stratégie globale en matière de réindustrialisation, car vous agissez ici et là, mais de manière impressionniste, par petites touches.
Nous souhaitons vous interroger précisément sur la situation de Vencorex et d’Arkema.
Sur le site de Vencorex, où nous regrettons que vous ne vous soyez pas rendu, la production est liée à des enjeux stratégiques, particulièrement en matière de défense et de nucléaire. Pouvez-vous nous garantir qu’un fournisseur de sel, réunissant les qualités nécessaires et validé, si je puis dire, par le délégué général pour l’armement, a été identifié ? Plus généralement, que pensez-vous des enjeux de souveraineté dans les secteurs de l’armement et du nucléaire ? Ne craignez-vous pas que la France se dépossède petit à petit de ses moyens en la matière ?
Les représentants des salariés nous ont souvent affirmé que vous entreteniez un lien étroit avec le président-directeur général (PDG) de Vencorex, qui est de surcroît actionnaire de l’entreprise, et que vous adhériez à sa vision de l’avenir de celle-ci. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
Pouvez-vous nous dire enfin, sans détour et de manière fort directe, pourquoi, au-delà du propos général que vous avez tenu sur ce sujet, vous n’avez pas creusé la question de la nationalisation de Vencorex ? Pourquoi avez-vous considéré qu’il ne valait pas la peine de prendre en considération le travail des députés, en particulier celui de Mme Cyrielle Chatelain ? Pourquoi n’avez-vous pas non plus davantage accompagné les salariés dans leur projet de société coopérative d’intérêt collectif (Scic) ?
Nous osons dire pas « davantage accompagné », car, comme vous le savez, les salariés n’ont pas pu avoir accès aux données de la data room dans des délais raisonnables. C’est une source d’iniquité entre les porteurs de projet qui pénalise les salariés. Vous pouvez pourtant mesurer l’effort majeur que leur a demandé l’élaboration du projet de Scic. Quelques jours de plus auraient suffi, selon nous, pour qu’ils puissent le parfaire. Vous nous direz certainement que c’était entre les mains du tribunal, mais nous croyons à l’action publique et nous considérons avec les salariés que, s’agissant de votre soutien, le compte n’y est pas.
M. Christophe Ferrari, président de la métropole de Grenoble et maire du Pont‑de‑Claix, qui s’est mobilisé de manière exemplaire dans cette affaire, nous a indiqué que vous n’aviez pas écrit au tribunal pour expliquer que 1 euro d’argent privé mobilisé entraînerait la mobilisation de 1 euro d’argent public. Si vous aviez accompli cette démarche, qui aurait permis de donner plus de poids aux propos que vous avez vraisemblablement tenus, comme en a témoigné M. Ferrari, il est évident que cela aurait donné un coup de main majeur au projet. Je pense en l’occurrence au projet avec le partenaire industriel indien et le groupement de banques, identifiés par les salariés. Vous pourrez nous dire que le projet n’était pas suffisamment solide, mais si telle était votre réponse, cela signifierait que vous connaissez bien le projet et que vous allez pouvoir objectiver toutes les raisons pour lesquelles vous avez refusé d’entrer dans la logique de la nationalisation et – vraisemblablement – de soutenir le projet de reprise.
Enfin, se pose la question de la dépollution. La nationalisation aurait apparemment coûté 300 millions d’euros, ce qui n’est pas tant à l’échelle du budget national et au vu des enjeux. Ce qui est certain désormais, c’est qu’il va falloir trouver des centaines de millions d’euros, voire des milliards, pour dépolluer la plateforme. N’imaginez pas un seul instant que ce seront les collectivités territoriales qui pourront se mobiliser sur le sujet. Elles n’en ont pas les moyens et ce n’est pas à elles de le faire.
M. le ministre. Je me suis déjà exprimé devant la commission des affaires économiques sur ma stratégie globale et j’y reviendrai bientôt lors d’une autre audition devant elle. Je pense que vous avez surtout besoin de réponses spécifiques sur Vencorex.
Je pense avoir été clair sur le sujet de la souveraineté nationale dans mes propos publics, y compris devant la représentation nationale. C’est un vrai sujet, qu’il ne faut pas esquiver.
Tous les services de l’État, notamment ceux des ministères de l’industrie et des armées, ont œuvré avec les entreprises concernées en aval, en particulier Framatome et ArianeGroup, afin que des solutions pour l’approvisionnement en sel et en chlore soient sécurisées. J’insiste sur ce point, car beaucoup de choses ont été dites à ce sujet. Or je n’aurais évidemment pas pris les mêmes décisions si nous n’avions pas eu, avec mon collègue Sébastien Lecornu et ses services, des éléments d’assurance de la direction générale de l’armement et des entreprises concernées en matière d’approvisionnement.
S’agissant de l’approvisionnement en sel pour la défense, le ministère des armées a indiqué que des travaux étaient en cours pour choisir une source française alternative, plusieurs pistes ayant déjà été identifiées. Entre-temps, les stocks doivent permettre de poursuivre l’activité pendant une longue durée.
S’agissant de l’approvisionnement en chlore, il convient d’abord de rappeler que la production française de dichlore s’élève à environ 1 200 kilotonnes par an. Elle repose sur six producteurs répartis sur huit sites de production, sur tout le territoire national – exclusion faite de Vencorex et de « Jarrie sud ». La production de dichlore de Vencorex, qui représentait 8,5 % de la production de dichlore, était destinée majoritairement à Vencorex elle-même pour la production d’isocyanates, sans lien donc, pour une grande partie, avec le nucléaire civil. Pour le nucléaire civil, et donc Framatome, une source alternative de chlore français a été sécurisée.
Ainsi, les enjeux de souveraineté ont fait l’objet d’une analyse très minutieuse et attentive de l’ensemble des services de l’État et des solutions sécurisées d’approvisionnement ont été trouvées.
Vous m’interrogez par ailleurs sur mes liens avec la direction de Vencorex, mais je ne suis pas sûr d’avoir bien compris la question.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Du point de vue des salariés, vous avez souvent soutenu les solutions proposées par le PDG, mais vous n’avez pas porté un regard aussi attentif aux propositions des parlementaires, en particulier à celle de Mme Chatelain, qui portait sur la nationalisation, ni à celle des salariés, avec leur projet de Scic.
M. le ministre. Les sujets de la nationalisation et de la Scic n’ont pas été portés par la direction de Vencorex.
Je n’ai jamais eu d’échange, à aucun moment, avec la direction de Vencorex. Je ne me souviens même plus du nom du PDG de Vencorex, qui est un actionnaire thaïlandais. Je n’ai jamais eu de contact direct avec lui ; je ne lui ai jamais parlé. C’est pourquoi je suis un peu surpris par votre question et par la manière dont les salariés ont interprété les positions des uns et des autres. Il faut savoir de qui on parle précisément. Est-ce de l’actionnaire thaïlandais ?
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Non, du directeur.
M. le ministre. J’ai échangé avec le directeur de Vencorex en visioconférence, dans le cadre d’une réunion collective avec la direction opérationnelle de l’entreprise. Les solutions évoquées – la nationalisation et la Scic – l’ont été en creux ; je me suis positionné par rapport à elles. La décision de Vencorex de fermer le site nous a été annoncée et même imposée : l’État n’a pas eu son mot à dire sur cette décision prise par une entreprise privée.
Nous avons creusé, pour reprendre votre terme, l’option de la nationalisation. Cette question nous a occupés pendant une heure et demie, si ce n’est deux heures, lors de la visioconférence que j’ai tenue avec Mme Chatelain, les élus du territoire et les représentants des salariés.
J’ai dit, à cette occasion, que la doctrine, en matière de nationalisation, était de ne pas l’exclure quand il existait des problèmes de souveraineté sans solution industrielle. Comme je viens de l’indiquer, nous avons dans le cas présent des solutions industrielles à proposer en matière d’approvisionnement. Le risque pour la chaîne de valeur a été – du point de vue de l’État, du ministère des armées – considéré comme étant neutralisé.
J’ai aussi appelé l’attention sur le fait que le coût de la nationalisation avait été chiffré par une expertise indépendante à 300 millions d’euros, un montant réparti sur plusieurs années, afin de compenser les pertes estimées selon les hypothèses de marché qui avaient cours à ce moment-là. Toutefois, les hypothèses de marché se sont dégradées depuis l’expertise ; autrement dit, les prix de vente des produits de Vencorex auraient dû être revus à la baisse. Le montant de 300 millions d’euros était probablement inférieur au coût réel.
Par ailleurs, comme je l’ai dit, la nationalisation doit donner des perspectives, c’est‑à‑dire régler les problèmes de fond de l’entreprise. Dans le cas de Vencorex, il s’agit en particulier d’agir face à la concurrence surcapacitaire venant d’autres pays, notamment à travers la protection commerciale. Dans le cadre du dialogue stratégique mené au niveau européen concernant le secteur de la chimie, la position de la France consiste à défendre la protection et le soutien à un certain nombre de molécules jugées essentielles aux chaînes de valeur.
Nationaliser sans tenir compte ni de l’existence de solutions industrielles, ni des coûts en jeu, ni des solutions à apporter aux problèmes de fond, cela n’est pas une option opportune. Voilà ce que j’ai eu l’occasion de dire sur la nationalisation et que je vous redis clairement.
J’ai bien entendu que la nationalisation qui était proposée était assortie du qualificatif « temporaire », mais je réitère le propos que j’ai tenu au sujet des licenciements. Quels sont les critères du temporaire ? Alors que personne ne s’est présenté pour reprendre la totalité des activités de Vencorex en dix mois de conciliation puis de redressement judiciaire, comment pourrait-on imaginer que la nationalisation ne soit que temporaire ? Comment imaginer que ce qui ne s’est pas produit en dix mois pourrait se réaliser dans les prochaines années ? J’ai posé cette question aux parties prenantes, sans avoir de réponse à ce sujet. Il faut une stratégie. La mienne consiste à agir sur les causes profondes des difficultés.
Vous dites que l’accès à la data room aurait été refusé aux salariés. Dans le cadre d’une procédure collective, ce n’est pas le Gouvernement qui en décide, mais l’administrateur judiciaire. Je me permets par ailleurs d’appeler votre attention sur le fait que l’investisseur indien qui s’est manifesté en soutien du projet de Scic n’a jamais demandé à inspecter la data room au cours des dix mois de procédure amiable, puis collective. Cela devrait faire réfléchir sur la nature du projet proposé.
En outre, ce dernier ne recevait pas le soutien de tous les représentants des salariés. Je vous invite à ce titre à lire le jugement du tribunal de commerce de Lyon, qui fait part des propos de certains représentants des salariés ayant du mal à croire au projet de reprise. Je me suis fait communiquer la rédaction du jugement : c’est écrit noir sur blanc.
Je ne laisserai pas dire que l’État n’a pas soutenu le projet.
Nous l’avons soutenu, d’abord, à travers la délégation interministérielle aux restructurations d’entreprises (Dire) – à laquelle j’ai donné des consignes très claires – en mettant en relation les salariés porteurs du projet avec les investisseurs potentiels, notamment ceux qui s’étaient renseignés sur la reprise de la totalité des activités du site. Cela pourra vous être confirmé. Cette relation a été accompagnée par nos services, à ma demande.
En outre, j’ai dit publiquement que si un tour de table avec un ou plusieurs actionnaires permettait, sur la base d’une contribution de 1 euro d’argent non étatique pour 1 euro d’argent étatique, d’arriver au montant de 300 millions d’euros, l’État mettrait la moitié de la somme. Tout au long des discussions, nous avons examiné les sommes susceptibles de faire l’objet d’une mise de jeu de la part de l’ensemble des acteurs, notamment de la part de l’acteur indien. Il fallait trouver 150 millions d’euros d’argent privé. À aucun moment, nous n’avons eu l’information selon laquelle l’investisseur potentiel, dont je répète qu’il n’est jamais entré dans la data room, était susceptible de mettre une telle somme. Cela a conduit à la décision du tribunal de commerce.
Comme vous l’avez dit très justement, il s’agit d’une décision du tribunal. Si j’avais passé des messages au procureur de la République dans cette affaire, comme certains ont pu en avoir l’idée, j’aurais été complètement à côté de mon rôle. Nous avons un principe de séparation des pouvoirs. Je le dis, car j’ai vu circuler des informations selon lesquelles il aurait fallu que l’État se mobilise pour donner la possibilité de trouver un délai supplémentaire, alors que cette question relève de la responsabilité du tribunal. Ce n’est pas mon rôle de ministre d’intervenir dans des décisions individuelles de justice. J’aurais commis une faute extrêmement grave si cela avait été le cas. Le levier consistant à intercéder, qui a été évoqué indirectement, relève d’une approche absolument contraire au principe constitutionnel de séparation des pouvoirs.
Ce dossier est sans doute l’un des plus complexes que j’ai eus à connaître en tant que ministre, compte tenu de ses implications industrielles. Cela explique probablement que beaucoup de choses aient été dites sans être toujours bien documentées. Toutefois, je veux redire que l’État a fait ce qui était en son pouvoir pour assurer la souveraineté du pays et accompagner les salariés. Ces derniers ont bénéficié d’une indemnité supralégale de 40 000 euros. Je ne dis pas que cela rachète une vie professionnelle, mais, dans un dossier comme celui-là, c’est une indemnité élevée. J’assume aussi d’avoir donné des impulsions pour que les salariés soient traités dignement, comme je le fais dans tous les dossiers, par exemple dans le cas de Michelin à Cholet. Derrière ces dossiers, je sais qu’il y a des histoires familiales très douloureuses. Nous devons aux salariés de les accompagner, y compris dans leur reclassement. Cela fait partie de l’action des services déconcentrés de l’État.
Mme Cyrielle Chatelain (EcoS). Vous avez partagé avec nous l’émotion qu’a suscitée la commission d’enquête au sein de vos services. Je veux vous dire que le rapporteur Benjamin Lucas-Lundy a été à l’initiative de la création de cette commission d’enquête avec le soutien du groupe Écologiste et Social parce que, tous les jours, nous vivons le sentiment de colère, d’abandon, de tristesse, d’angoisse des habitants de Jarrie, de Pont-de-Claix, de la Matheysine, de Grenoble, qui ont perdu leur emploi après dix mois de bataille judiciaire et qui ont l’impression de se retrouver désormais sans solution. À défaut d’avoir pu sauver leurs emplois, nous pensions que nous leur devions au moins des éléments de réponse.
Aujourd’hui, le stock de sel, dont vous avez parlé, est bien visible, à l’air libre, sur la plateforme de Jarrie. Du fait de l’absence de protection, l’eau de pluie s’infiltre dans les sols. La solution des camions de chlore se traduira par un défilé continuel de camions au sein de notre agglomération de plus de 400 000 habitants. Alors que nous avions une solution sécurisée, nous exposons à présent les habitants de l’agglomération grenobloise à plus de risques.
Je souhaite aborder cinq sujets.
Le premier concerne le fait que vous n’ayez eu qu’un seul échange avec le directeur de site et aucun avec les actionnaires. J’ai été assez étonnée d’apprendre cela, étant donné que vous avez pris vos fonctions le 21 septembre 2024 et que le sujet est complexe, comme vous l’avez rappelé. Il concerne un grand nombre d’emplois et des enjeux à la fois industriels et de défense. Pouvez-vous confirmer que vous n’avez eu qu’un échange avec le directeur de site ? Pendant la période amiable qui s’est terminée en septembre, les syndicats ont eu l’impression que le Gouvernement avait été notoirement absent.
Nous avons auditionné la direction d’Arkema. Celle-ci nous a dit que différents scénarios étaient envisagés pour faire face aux difficultés rencontrées par Vencorex, notamment pour la reprise de la filière sel-chlore, c’est-à-dire à la fois la mine de sel, le saumoduc et tout ce qui permet ensuite la purification. La direction nous a aussi dit que les réunions avec l’État avaient été nombreuses et a précisé : « Nous avons étudié avec l’État l’hypothèse d’une aide à l’investissement ». Confirmez-vous qu’il y a eu des échanges nombreux avec Arkema pour étudier des scénarios avec vous ou avec des membres de votre administration ? Si tel est le cas, pourquoi ces derniers n’ont-ils jamais été partagés avec les collectivités territoriales ? En outre, quels étaient les montants évoqués en matière d’aide à l’investissement pour la reprise de la filière sel-chlore et pourquoi ces derniers n’ont-ils jamais été partagés ni avec la métropole de Grenoble ni avec la région Auvergne-Rhône-Alpes, lesquelles détiennent pourtant toutes deux des compétences en matière économique ? Enfin, quelles ont été les raisons du refus de l’accompagnement de ces scénarios, si refus il y a eu ?
La troisième question concerne les emplois. Lors d’un échange, vous nous aviez dit que 400 emplois seraient créés par Framatome dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, dont 250 au sein de l’agglomération grenobloise. Quelques jours après, le maire de Jarrie a rencontré le directeur du site de Framatome à Jarrie, qui lui a annoncé qu’il était envisagé de créer 50 emplois. Vous comprendrez que cette différence de 200 emplois est considérable pour l’agglomération grenobloise. Confirmez-vous que 200 autres emplois y seront rapidement créés ?
Vous nous avez dit avoir transmis des messages pour que les salariés soient traités dignement. Je n’en doute pas, mais mon devoir est de vous dire que ce n’est pas le cas. Aujourd’hui, on force les salariés à recandidater sur leur poste. Quand ils posent des questions, on leur répond : « de toute façon, vous êtes 400 sur le carreau ; prenez ce qu’on vous propose ou on trouvera quelqu’un d’autre ». Le respect semble peu présent.
Le quatrième sujet concerne le rôle d’actionnaire de l’État. Bpifrance participe en effet au capital d’Arkema. Lorsqu’on discute des plans de licenciements, quelle position adopte‑t‑elle en tant que représentant de l’État et actionnaire ?
Enfin, rien n’oblige aujourd’hui Vencorex à dépolluer le site. D’ailleurs, l’entreprise n’en a pas les moyens et les ateliers sont désormais vides. L’argent dont dispose Vencorex vise seulement à la mise en sécurité. Nous avions pourtant lancé une alerte, très en amont, sur la question de la dépollution, et notamment sur ses coûts. Vous nous aviez dit que la dépollution ne serait pas nécessaire si d’autres activités du même type s’installaient sur le territoire. À ce jour, 120 hectares sont très pollués ; nous ne sommes pas rassurés quant au niveau de sécurité sur le site. Avez-vous lancé des démarches auprès d’entreprises pour qu’elles interviennent sur le site ? Quelles sont les démarches prévues dans les semaines à venir pour garantir à la fois la sécurité et l’installation de nouvelles activités économiques sur place ?
M. le ministre. Je vous confirme n’avoir jamais échangé avec l’actionnaire de Vencorex. Les premiers échanges que j’ai eus ont été avec les représentants des salariés qui s’étaient rendus à Bercy. Cet échange a été assez court, car la majeure partie des discussions a eu lieu avec mon directeur adjoint de cabinet. Je suis venu à la fin de la réunion, afin d’avoir le ressenti des salariés et de commencer à poser des jalons pour la suite. J’ai ensuite eu plusieurs visioconférences avec l’ensemble des parties prenantes, ce dont vous pouvez témoigner puisque vous y avez également participé. Il m’a par ailleurs été reproché de ne pas être venu sur le site. Je le comprends, mais je peux l’expliquer. J’ai toujours dit que je viendrais quand je serai en mesure de donner des perspectives au site et au territoire, de dessiner une première esquisse, selon une méthode coopérative, avec l’ensemble des acteurs. Je viendrai dans un futur que j’espère le plus proche possible. Pour l’instant, comme j’ai l’habitude de le faire, je laisse nos services déconcentrés, en particulier la préfète, travailler. Des réunions ont lieu régulièrement autour de l’avenir du site et de sa dépollution. Cela étant, mon implication dans ce dossier a été forte depuis le premier jour. Les échanges que j’ai mentionnés en témoignent, sans compter tous ceux que j’ai aussi pu avoir avec les parlementaires.
Au sujet d’Arkema, des échanges ont évidemment eu lieu et ont toujours lieu à propos de solutions industrielles sur la plateforme. Ces échanges n’ont pas été conclusifs parce que les scénarios envisagés n’ont pas été jugés viables par l’entreprise elle-même. Le dialogue entre les services de l’État et l’entreprise n’a ainsi pas débouché sur une conclusion qui, d’un point de vue technique et économique, permettait d’envisager la suite.
En ce qui concerne les emplois de Framatome, je recueillerai davantage d’informations et vous transmettrai, si vous le voulez bien, une réponse écrite détaillée. Il ne m’appartient pas aujourd’hui de prendre des engagements sur le nombre d’emplois et de reclassements, d’autant que la question des reclassements ne relève pas de mon périmètre ministériel mais de celui du ministère du travail. L’engagement que je prends toujours est de mobiliser les services de l’État et les entreprises industrielles dans lesquelles l’État joue un rôle, comme Framatome, pour trouver et déployer des solutions, notamment en matière de reclassement. Je prends totalement en compte la colère, l’angoisse, le désespoir, parfois, des salariés. Comme je l’ai dit, il est clair qu’une indemnité légale ou supralégale ne remplace pas un emploi. Le fait que les salariés se voient proposer des solutions qui ne sont pas satisfaisantes doit nous amener, collectivement, à trouver des solutions encore plus exigeantes.
Enfin, nos services, et en particulier la préfète, suivent la question de la dépollution du site de manière continue. Ce n’est pas un sujet entre Vencorex et PTT Global Chemical (PTTGC). La pollution du site est largement antérieure. Elle relève de la responsabilité de Rhodia, qui était sur le site auparavant, et de PTTGC. C’est à ce titre que les responsabilités doivent être établies et que des solutions de financement, le cas échéant, doivent être trouvées. Les obligations en matière de dépollution relèvent du droit de la responsabilité et du droit de l’environnement. La responsabilité doit être assumée par l’ancien occupant du site, en tout cas par l’entreprise sous l’empire de laquelle la pollution a eu lieu, ce qui nécessite une analyse très fine.
Sur ce dossier particulièrement complexe, pour lequel des solutions simples n’existent pas, nous avons cherché, en toute bonne foi, différentes solutions industrielles. Qu’il s’agisse de la Dire ou des services préfectoraux, les services de l’État se sont mobilisés de manière exemplaire. Cela ne signifie pas que nous ayons toujours trouvé des solutions, mais je veux rendre hommage à tous ceux qui se sont mobilisés. J’inclus bien sûr ici les élus, même si nous avons eu des échanges parfois rugueux avec certains d’entre eux. Je rends aussi hommage aux députés qui se sont mobilisés. Sur ce dossier éminemment complexe, l’enjeu est aujourd’hui de redynamiser la plateforme pour y maintenir sa vocation industrielle. L’État y prendra sa part.
Mme Cyrielle Chatelain (EcoS). À propos des échanges avec Akerma, il a été dit devant cette commission que l’hypothèse d’une aide à l’investissement avait été étudiée avec l’État. Je vous redemande le montant de cette aide. Cela a en effet pu être déterminant dans l’évaluation de la viabilité du scénario par l’entreprise.
Je note par ailleurs votre prudence à propos des 250 emplois au niveau de l’agglomération grenobloise, potentiellement parce que vous êtes sous serment. Dans ce cas, pourquoi avez-vous fait cette promesse aux salariés quand vous les avez rencontrés ?
Enfin, nous connaissons le droit sur la dépollution, mais si nous attendons que Rhodia dépollue le site, nous savons que cela ne sera jamais fait. Comme il nous a par ailleurs été dit que la dépollution n’était un problème qu’en l’absence de nouvelles activités, je suis très heureuse d’entendre vos propos sur la redynamisation de la plateforme ; nous sommes confiants dans le fait que l’on pourra faire venir de nouvelles activités. Quelles sont les actions concrètes envisagées dans les semaines à venir pour la redynamisation et pour trouver des activités qui accepteraient de s’installer sur un site aussi pollué ?
M. le ministre. S’agissant de l’aide à l’investissement, je n’ai pas le montant en tête, mais je prends l’engagement de vous transmettre une réponse écrite sur le sujet.
S’agissant des salariés, je ne fais jamais de promesse en la matière. Ce que je promets, c’est que l’État se mobilise et fait tout son possible. Promettre à des salariés un reclassement, c’est s’engager sur la situation du marché du travail et sur des aspects que l’on ne maîtrise pas. Je ne m’engage pas sur des choses que je ne maîtrise pas. Je ne sais pas à quels termes vous faites référence, mais je fais attention à mes propos et je ne cherche pas à créer des attentes que je ne suis pas en capacité de satisfaire en tant que ministre. S’agissant de la notion de promesse, je serais curieux de savoir dans quel…
Mme Cyrielle Chatelain (EcoS). Il y a de nombreux témoins !
M. le ministre. Ai-je promis ? Je le dis : mon engagement, c’est que les services de l’État se mobilisent pour le reclassement des salariés, jusqu’au dernier.
Mme Cyrielle Chatelain (EcoS). Mais il ment !
M. le président Denis Masséglia. Madame la présidente, si vous jugez que les propos du ministre ne sont pas satisfaisants, libre à vous de saisir l’ensemble des entités compétentes pour faire valoir vos droits.
Mme Cyrielle Chatelain (EcoS). J’y réfléchirai.
M. le ministre. Vous me demandez ce qui était envisagé vis-à-vis d’Arkema. Je vous ai répondu sur l’aide à l’investissement. Ce qui était en jeu, au titre des options envisagées, c’était la reprise par Arkema de l’activité de production de sel de Vencorex. Il est ressorti des échanges avec Arkema que les conditions de marché et le modèle économique de cette activité ne lui permettaient pas d’envisager cette reprise. Je crois avoir répondu à l’ensemble de vos questions.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Non, pas à la dernière !
Mme Cyrielle Chatelain (EcoS). S’agissant de la redynamisation de la plateforme, qu’est-ce qui est susceptible de se passer, concrètement, dans les semaines et les mois à venir, selon vous ?
M. le président Denis Masséglia. Nous avons eu un long débat. M. le ministre a répondu à vos questions.
Monsieur le ministre, je vous remercie et je vous invite à répondre par écrit au questionnaire qui vous a été transmis. Je vous propose de répondre également par écrit aux questions que le rapporteur et les députés vous ont posées pendant l’audition.
La séance s’achève à dix-sept heures cinquante.
Présents. – M. Anthony Boulogne, M. Pierrick Courbon, M. Charles Fournier, M. Guillaume Kasbarian, M. Benjamin Lucas-Lundy, Mme Élisa Martin, M. Denis Masséglia
Assistaient également à la réunion. – Mme Cyrielle Chatelain, M. Jean-Claude Raux