Compte rendu

Commission d’enquête
sur les effets psychologiques
de TikTok sur les mineurs

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des associations familiales et de parents d’élèves : 2

• Fédération des conseils de parents d’élèves de l’enseignement public (FCPE) – Mme Alixe Rivière, administratrice nationale

• Fédération des parents d’élèves de l’enseignement public (PEEP) – M. Laurent Zameckwovski, porte-parole

• Union nationale des associations autonomes de parents d’élèves (UNAAPE) – M. Patrick Salaün, président, et Mme Virginie Gervaise, administratrice

 Union nationale des associations familiales (UNAF) –Mme Karima Rochdi, administratrice en charge du numérique, et M. Olivier Andrieu-Gerard, coordonnateur du pôle Médias et usages numériques

– Présences en réunion................................18


Jeudi
15 mai 2025

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 10

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Arthur Delaporte,
Président de la commission

 


  1 

La séance est ouverte à neuf heures dix.

 

La commission auditionne conjointement des associations familiales et de parents d’élèves, réunissant :

 Fédération des conseils de parents d’élèves de l’enseignement public (FCPE) – Mme Alixe Rivière, administratrice nationale

 Fédération des parents d’élèves de l’enseignement public (PEEP) –M. Laurent Zameckwovski, porte-parole

 Union nationale des associations autonomes de parents d’élèves (UNAAPE) –M. Patrick Salaün, président, et Mme Virginie Gervaise, administratrice

 Union nationale des associations familiales (UNAF)  Mme Karima Rochdi, administratrice en charge du numérique, et M. Olivier Andrieu-Gerard, coordonnateur du pôle Médias et usages numériques

M. le président Arthur Delaporte. Chers collègues, nous reprenons nos auditions par une table-ronde consacrée aux associations familiales et de parents d’élèves. Je souhaite la bienvenue à :

– M. Laurent Zameczkowski, porte-parole de la Fédération des parents d’élèves de l’enseignement public (Peep),

– M. Patrick Salaün, président, et Mme Virginie Gervaise, administratrice de l’Union nationale des associations autonomes des parents d’élèves (Unaape),

– Mme Karima Rochdi, administratrice chargée du numérique, et M. Olivier Andrieu-Gerard, coordonnateur du pôle Médias et usages numériques de l’Union nationale des associations familiales (Unaf),

– Mme Alix Rivière, administratrice nationale de la Fédération des conseils de parents d’élèves de l’enseignement public (FCPE).

Je précise que l’Union nationale des associations de parents d’élèves de l’enseignement libre (Unapel) n’a pas donné suite à notre invitation.

Avant de débuter, je vous rappelle l’obligation de déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

De plus, l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Laurent Zameczkowski, Mme Virginie Gervaise, Mme Karima Rochdi, M. Olivier Andrieu-Gerard et M. Patrick Salaün prêtent serment.)

M. le président Arthur Delaporte. Je vous cède la parole pour des propos liminaires.

M. Laurent Zameczkowski, porte-parole de la Peep. La Peep, créée il y a plus d’un siècle, est une fédération laïque et apolitique.

Les questions relatives à TikTok sont centrales pour nous, notamment concernant la santé mentale des jeunes. Cette problématique, malheureusement d’actualité, n’est pas nouvelle, mais s’est amplifiée depuis la crise du covid-19.

Nous sommes également préoccupés par les questions liées au harcèlement.

De plus, l’extension de l’éducation aux médias et à l’information dès la classe de CP est un sujet central pour nous, bien qu’elle ne constitue pas une solution miracle. Nous préconisons une approche graduée pour préparer les élèves à mieux traiter l’information, utiliser les réseaux sociaux et faire face aux problématiques, telles que le cyberharcèlement. Cette éducation doit être adaptée à l’âge des enfants, à l’instar de ce qui a été fait pour les espaces vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars). Cette sensibilisation pourrait permettre que les élèves ne soient pas désemparés lorsqu’ils se trouvent en possession d’un téléphone mobile en classe de sixième, car de nombreux enfants accèdent aux réseaux sociaux très tôt, sans y être préparés.

Notre rôle, en tant que parents, et en collaboration avec l’école, est de préparer les élèves à ces enjeux en leur expliquant l’impact potentiel de leur image, notamment dans les contextes de harcèlement.

C’est pourquoi, face à ces défis liés aux écrans et à TikTok en particulier, nous insistons essentiellement sur l’importance de l’éducation aux médias et à l’information comme outil de prévention pour préparer nos enfants au monde de demain.

Mme Karima Rochdi, administratrice en charge du numérique de l’Unaf. Notre expertise se fonde sur l’accompagnement de terrain, réalisé par notre réseau associatif, des parents et des enfants sur les questions numériques.

L’utilisation de TikTok a connu un essor massif depuis son lancement. En France, selon la ministre Clara Chappaz, trois enfants sur quatre possèdent un compte sur les réseaux sociaux avant l’âge de 13 ans, et ce chiffre atteint même 67 % pour les 6-10 ans.

Les parents que nous rencontrons expriment fréquemment leurs questionnements concernant les réseaux sociaux, notamment TikTok. Les réseaux sociaux constituent d’ailleurs la principale thématique traitée dans les actions à destination des parents, au même titre que les écrans chez les jeunes enfants, ce qui montre une vraie demande des parents de mieux comprendre les enjeux.

Il est à noter que 49 % des Français perçoivent l’impact de TikTok comme négatif, contre seulement 14 % qui y voient un impact positif, ce qui en fait le réseau social le plus mal perçu, devant X.

L’attrait des jeunes pour les réseaux sociaux, notamment TikTok, s’explique en partie par les besoins propres à l’adolescence, relatifs à la construction de l’identité, l’autonomie et la socialisation. Les réseaux sociaux favorisent et entretiennent cette quête d’identité et ce besoin de « faire groupe », où tout peut se faire en ligne. Elles constituent également, pour de nombreux jeunes, le premier accès à l’information et à la culture.

Cependant, les algorithmes des réseaux sociaux sont souvent optimisés pour maximiser le temps passé sur la plateforme, en proposant des contenus personnalisés, un défilement infini et des notifications incessantes. La comparaison constante avec les autres, la pression pour maintenir une image idéale et l’exposition à des contenus anxiogènes peuvent engendrer du stress et de l’anxiété, voire de la dépression.

Concernant spécifiquement TikTok, nous sommes particulièrement vigilants quant au mécanisme de recommandation de vidéos sur lequel l’utilisateur n’a aucun contrôle. Les vidéos proposées sont téléguidées par l’algorithme et peuvent entraîner les jeunes dans des spirales toxiques particulièrement préoccupantes.

Néanmoins, l’ensemble des difficultés rencontrées par les jeunes, notamment en matière de santé mentale, ne peut pas être attribué uniquement à l’utilisation des écrans et des réseaux sociaux. Hélas, de nombreux jeunes ressentent un mal-être, mais les causes de ce dernier, multiples et profondes, ne peuvent se réduire uniquement à l’influence des réseaux sociaux, bien que ces derniers puissent parfois amplifier ce ressenti et enfermer le jeune dans ses difficultés. Les réseaux sociaux peuvent également jouer un rôle de révélateur de situations problématiques et offrir, pour certains, un espace de respiration face à une réalité insupportable.

Concernant la régulation, l’interdiction actuelle des réseaux sociaux aux moins de 13 ans s’avère inefficace dans la pratique. Il est donc urgent que les plateformes mettent en place un véritable contrôle de l’âge afin de rendre ces mesures effectives, notamment afin de protéger les plus jeunes d’un accès via leur propre compte.

Le débat s’oriente actuellement vers un possible relèvement de cette limite à 15 ans, une proposition qui semble recueillir l’adhésion d’une majorité de parents. Il est à noter que les adolescents eux-mêmes sont généralement demandeurs d’un soutien et d’un cadre fixé par les adultes.

Pour l’Unaf, le constat est assez clair : la majorité des réseaux sociaux ne constituent pas des espaces sécurisés pour les mineurs, que ce soit en termes de captation d’attention, de manipulation, de propos haineux, de harcèlement ou de contenus problématiques.

Nous devons collectivement agir afin de créer des espaces numériques sûrs pour les mineurs, mais aussi pour l’ensemble de la population, en particulier les personnes les plus vulnérables.

Le renforcement des dispositifs de régulation ainsi que la fixation de règles communes et d’un cadre clair et exigeant pour les plateformes constituent un premier levier nécessaire. Il convient de poursuivre dans la lignée du règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE (règlement sur les services numériques) dit Digital Services Act (DSA) et de maintenir un haut niveau d’exigence quant à la responsabilité des plateformes. Cela concerne notamment les mécanismes de captation d’attention, la transparence des algorithmes toxiques, la modération des contenus, le scrolling infini ainsi que le signalement des contenus inadaptés et des interactions.

Sur le terrain, nous constatons que de nombreux parents sont conscients de leur rôle dans l’accompagnement de leurs enfants. Ils se montrent souvent volontaires, actifs et soucieux de bien faire, n’hésitant pas à mobiliser leur réseau, notamment leur entourage proche, même si des inégalités sociales et culturelles persistent.

Cependant, ces parents se trouvent également en difficulté pour gérer les pratiques numériques de leurs enfants et aborder la question sous un angle éducatif, au-delà de la simple gestion des risques. Nous sommes fréquemment confrontés à des parents fatigués, épuisés par la gestion quotidienne des écrans et les conflits familiaux qui en découlent, et qui sont en demande d’aide et de soutien.

Pour l’Unaf, l’accompagnement des parents et l’éducation numérique des jeunes constituent des leviers prioritaires. Les parents ont besoin d’être rassurés, soutenus et de retrouver la confiance, plutôt que de rester isolés et de porter seuls le poids de la responsabilité. Il s’agit de leur permettre de mieux comprendre ce que sont réellement les réseaux sociaux et leur fonctionnement, d’échanger sur leurs doutes et leurs questionnements, mais aussi de partager les bonnes pratiques afin que chaque famille puisse élaborer un cadre éducatif efficace.

Cette démarche est d’autant plus nécessaire que l’impact des réseaux sociaux, notamment celui de TikTok, dépend non seulement de la vulnérabilité ou de la fragilité de l’utilisateur, de la qualité des expériences et des interactions au sein de son réseau, mais aussi de son environnement social et familial ainsi que du contexte d’utilisation.

Les parents ont besoin de repères, de messages cohérents et fiables, de conseils simples, réalistes et applicables, ainsi que d’alternatives pertinentes sur lesquelles ils peuvent s’appuyer pour agir en toute confiance. Il est donc essentiel de soutenir une politique publique permettant de déployer des actions de proximité en s’appuyant sur les ressources locales et les acteurs à l’échelle territoriale.

Quel que soit l’âge d’accès aux réseaux sociaux et à TikTok, il est essentiel de s’assurer que tous les jeunes bénéficient d’une éducation aux médias prenant en compte leurs préoccupations et leurs pratiques, dans l’écoute et la confiance.

M. Patrick Salaün, président de l’Unaape. La première question que s’est posée l’Unaape est : qu’est-ce que TikTok et comment l’utilise-t-on ? Il s’agit d’un outil de communication accessible qui passe par le téléphone portable. Dans cette optique, la première interrogation qui se pose est : qui achète le téléphone et dans quel but ?

Une des propositions de l’Unaape serait d’exiger, pour tout mineur s’inscrivant sur TikTok, une contre-signature parentale ou de la personne détenant l’autorité parentale. Cette signature pourrait être automatiquement validée par un numéro de téléphone connu et reconnu.

Il serait également envisageable d’étendre la surveillance du réseau en instaurant un retour en temps réel sur le téléphone parental concernant le temps d’exposition à l’écran. Cette mesure permettrait potentiellement de mieux réguler le temps passé sur TikTok.

Mme Virginie Gervaise, administratrice de l’Unaape. Nous avons constaté que, sur TikTok, les contenus ne sont pas toujours appropriés. Actuellement, il n’existe pas de possibilité de gérer les contenus diffusés, étant donné le fonctionnement algorithmique de la plateforme. Les enfants, en naviguant sur TikTok, passent d’un lien à l’autre.

TikTok se caractérise principalement par des vidéos, parfois réalisées à l’insu des utilisateurs ou avec leur participation, dans le but de projeter une certaine image ou d’affirmer son appartenance à un groupe. Malheureusement, certains sujets qui ne devraient pas avoir leur place sur les réseaux sociaux, et particulièrement sur TikTok, y prolifèrent.

C’est pourquoi le rôle des parents est aujourd’hui primordial concernant l’ensemble des réseaux sociaux, qu’il s’agisse de TikTok, Snapchat ou d’autres plateformes.

Nous estimons que même la limite d’âge de 13 ans est trop basse, car il s’agit d’une période charnière de l’adolescence, propice à de nombreuses dérives.

En termes de propositions, nous insistons sur l’importance cruciale du rôle parental. En outre, la sensibilisation dans les établissements scolaires est également essentielle. Il est nécessaire de commencer cette sensibilisation dès l’école primaire et de la poursuivre de manière régulière au collège, comme cela se pratique déjà dans certains établissements.

Mme Laure Miller, rapporteure. J’ai bien noté vos observations concernant le rôle des parents et des adultes dans la gestion des réseaux sociaux, ainsi que le sentiment d’isolement et de désarroi qu’ils peuvent ressentir face à l’usage qu’en font leurs enfants.

Concernant la sensibilisation des enfants et les cours d’éducation aux médias, je note votre proposition de les initier dès le CP, en adaptant bien sûr le contenu à leur âge. Vous soulignez également que les parents ont besoin de messages clairs.

Quel regard portez-vous sur le comportement des enfants vis-à-vis des espaces numériques de travail (ENT), notamment Pronote ? Pensez-vous que l’utilisation de ces outils numériques dans le cadre scolaire est appropriée ? L’usage actuel vous semble-t-il adapté ?

Quelle est votre opinion sur les récentes annonces de la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche concernant les ENT, notamment le droit à la déconnexion pour les élèves entre 20 heures et 7 heures ?

Vous avez également soulevé le fait que TikTok est théoriquement interdit aux moins de 13 ans, mais que cette interdiction est loin d’être respectée dans la pratique, notamment en raison de l’absence de contrôle efficace de la part de la plateforme. Dans le débat actuel, et particulièrement ces derniers jours, l’idée d’interdire l’accès aux réseaux sociaux pour les jeunes est fréquemment évoquée. Quel est votre point de vue sur cette proposition ? Vous avez mentionné la nécessité pour les parents de recevoir des messages clairs. Pensez-vous qu’une interdiction légale claire pourrait aider les parents à mieux contrôler l’accès de leurs enfants aux réseaux sociaux ?

Le président de la République a évoqué une interdiction avant l’âge de 15 ans. Estimez-vous nécessaire d’adapter cet âge ? Certains parents et sociologues notent que l’entrée au lycée marque souvent un changement de maturité chez les jeunes, avec une prise de conscience critique sur leur utilisation passée des réseaux sociaux, notamment au collège. L’entrée au lycée pourrait-elle représenter le moment pertinent pour autoriser un usage plus autonome des réseaux sociaux ?

M. Patrick Salaün. Nous pensons que fixer un âge minimum pour l’utilisation des réseaux sociaux est un peu dépassé. Une interdiction stricte avant 13 ans semble peu réaliste, car les jeunes peuvent facilement contourner cette règle en utilisant le téléphone d’un grand frère ou d’un ami, par exemple.

Concernant la communication dématérialisée entre les établissements scolaires, les familles et les élèves, il n’est pas acceptable qu’un enseignant envoie, le dimanche soir à 22 heures, un exercice à effectuer pour le lundi matin. Le droit à la déconnexion devrait être logique pour les enseignants. Un professeur peut oublier de mettre un exercice sur l’ENT, ce qui peut se comprendre au cas par cas, mais ne doit pas devenir une habitude. Or, l’envoi de devoir à une heure inadaptée est entré dans les habitudes professionnelles de certains enseignants. Ces derniers oublient de transmettre les notes et de signaler les horaires des réunions. Il existe donc toute une complexité autour de ces outils, auxquels toutes les familles n’ont pas accès en raison du coût. Nous demandons donc que des frais informels soient prévus en amont dans les frais de scolarité. Une solution serait peut-être le maintien du cahier et de l’écrit.

Mme Virginie Gervaise. Il est effectivement difficile de fixer un âge limite pour l’utilisation des réseaux sociaux, étant donné la facilité avec laquelle les jeunes peuvent échanger leurs téléphones.

Mettre l’accent sur la sensibilisation est primordial, notamment face à l’existence de déserts numériques et de parents désemparés. Un travail de fond est nécessaire, impliquant l’éducation nationale, les établissements scolaires et les fédérations. La répétition des messages de prévention, en commençant dès le plus jeune âge, est essentielle.

Concernant les lycéens, leur maturité croissante leur permet effectivement de porter un regard plus critique sur les réseaux sociaux et les contenus qui y sont diffusés.

Les actions menées doivent être poursuivies. Je ne sais pas comment cela peut se matérialiser, mais je note que, dans de nombreux établissements, notamment les collèges et certaines écoles primaires, des séances de sensibilisation sont réalisées dès le début de l’année scolaire.

(Mme Alix Rivière rejoint la séance et prête serment).

Mme Alix Rivière, administratrice nationale de la FCPE. Je vous prie d’excuser mon retard, indépendant de ma volonté.

Je vous remercie de vous être emparés de ce sujet, qui préoccupe beaucoup les parents, sans que nous ayons nécessairement de solution, hormis celle de toujours garder un esprit critique et de vérifier systématiquement les informations. Nous prônons le fact-checking, par le biais de projets pédagogiques et dans nos interactions entre adhérents.

En préparant cette audition, j’ai réalisé que les réseaux sociaux peuvent, par leur caractère addictif, être comparés à différentes formes de drogues. TikTok s’apparente à du crack, tandis que Telegram s’apparente à de l’héroïne, Instagram à de la cocaïne et Facebook à du cannabis.

J’ai moi-même expérimenté durant 48 heures ce phénomène en visionnant les vidéos « shorts » de YouTube, similaires à celles trouvables sur TikTok, et j’ai été surprise par leur pouvoir hypnotique. Le défi majeur consiste à enseigner à nos enfants comment ne pas se laisser happer et, quand cela arrive, comment parvenir à en sortir. En effet, le contenu devient totalement hypnotisant pour les élèves.

Mme Laure Miller, rapporteure. L’interdiction des réseaux sociaux aux enfants en deçà d’un certain âge – même s’il semble impossible de la faire respecter à 100 % – permettrait de répondre au désarroi de nombreux parents en donnant un outil supplémentaire. Cette règle permettrait de poser un message clair : en dessous d’un certain âge, l’accès aux réseaux sociaux, particulièrement TikTok, est nocif pour un enfant. Il est crucial de rappeler que, malgré la sensibilisation, un enfant de dix ans n’a pas nécessairement la capacité de ne pas cliquer sur des contenus toxiques, violents ou sexuels qu’il peut rencontrer sur ces plateformes ni d’échapper à l’emprise des algorithmes qui peuvent rapidement l’enfermer dans une bulle de contenu inadapté. Ainsi, l’instauration d’une telle règle pourrait contribuer à sensibiliser plus efficacement la population aux dangers que représentent ces réseaux sociaux en dessous d’un certain âge.

M. Olivier Andrieu-Gérard, coordonnateur du pôle Médias et usages numériques de l’Unaf. Vous avez soulevé un point crucial, à savoir le besoin de repères pour les parents. Depuis quelques années, nous nous efforçons de mettre en avant les repères existants. Il est important de rappeler que l’accès aux réseaux sociaux est déjà théoriquement interdit avant l’âge de 13 ans, que ce soit par les conditions générales d’utilisation ou par d’autres réglementations, notamment le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE dit RGPD (règlement général sur la protection des données).

Nous notons une ambivalence. Bien que les parents soient généralement conscients de ces interdictions et des risques, ce sont eux qui équipent leurs enfants, parfois en cédant à la pression, parfois de leur propre initiative, notamment pour des raisons de sécurité concernant les téléphones portables.

Nous ne sommes pas opposés à la perspective d’une interdiction avant 15 ans, ce qui répondrait à un véritable enjeu. L’important est de fournir un message fiable, scientifiquement fondé et de déterminer l’âge approprié pour l’accès aux réseaux sociaux. L’âge de 15 ans semble effectivement adapté pour certains réseaux sociaux.

Il est crucial de préciser de quoi nous parlons exactement : s’agit-il d’une interdiction générale des réseaux sociaux ou spécifiquement des réseaux tels qu’ils existent aujourd’hui ? Cette distinction est importante, car il ne faut pas négliger les aspects positifs que peuvent apporter les réseaux sociaux en termes de mise en réseau, de construction de l’identité, d’accès à la culture et à l’information. Une interdiction totale risquerait d’occulter ces bénéfices potentiels, même pour les enfants de moins de 15 ans, à condition que leur utilisation soit bien encadrée et comprise. La question est différente si nous évoquons les réseaux sociaux tels qu’ils sont devenus, parmi lesquels TikTok.

Quant à la question du droit à la déconnexion et les pauses dans l’utilisation des ENT, nous avons effectivement constaté, lors de nos échanges avec l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR), que certains usages de ces outils nécessitent une réflexion collective plus approfondie. Plutôt que d’imposer une règle uniforme, comme une interdiction entre 20 heures et 7 heures, nous suggérons que chaque établissement scolaire organise, en début d’année, une réflexion collective impliquant toute la communauté éducative — parents, enseignants et élèves — pour établir de bonnes pratiques adaptées à leur contexte spécifique.

Cette démarche pourrait permettre de lutter contre les ambivalences que nous observons, non seulement chez les parents, mais aussi chez les jeunes et au sein des institutions. Les élèves sont à la fois en quête de lien social et d’autonomie, tout en évoquant des risques et en demandant d’être accompagnés. L’école elle-même présente des contradictions, promouvant l’éducation aux médias et l’esprit critique tout en utilisant des outils numériques qui incitent à une utilisation constante des écrans. Nous pensons que le traitement de cette question serait l’occasion d’organiser un temps d’échange collectif pour construire un cadre plus acceptable et susceptible de lever ces incohérences.

Mme Karima Rochdi. Il est crucial d’établir un cadre commun sur cette question, qui concerne l’ensemble de la société, à tous les niveaux. Nous devons concevoir collectivement une approche permettant d’accompagner les parents et les enfants.

Il est impératif de sensibiliser très tôt les enfants sur ces sujets, notamment au sein de l’école. En effet, les jeunes sont particulièrement réceptifs aux messages transmis dans le cadre scolaire. L’éducation nationale a donc un rôle à jouer. Elle doit s’investir en mettant en place des programmes de sensibilisation dans les établissements et en formant les enseignants aux enjeux des réseaux sociaux. Cette sensibilisation doit porter sur l’utilisation des réseaux sociaux, leurs avantages et leurs risques.

Notre approche doit être constructive, en mettant en avant les aspects positifs des outils numériques. Il serait en effet illusoire et contre-productif d’interdire totalement l’usage des réseaux sociaux. L’objectif est d’accompagner les nouvelles générations pour qu’elles sachent, très tôt, faire la part des choses.

Dans nos propres environnements familiaux, nous constatons que certains enfants développent naturellement un regard plus critique sur leur utilisation des réseaux sociaux, tandis que d’autres ont tendance à en être davantage consommateurs. C’est précisément pour cette raison qu’il est essentiel de mettre en place un dispositif de sensibilisation au sein des écoles, axé sur l’utilisation responsable des réseaux sociaux et du numérique en général.

Par ailleurs, il est nécessaire d’envisager l’instauration de restrictions sur les plateformes elles-mêmes. Comme vous l’avez mentionné, certains pays, tels que la Chine, ont réussi à imposer un cadre. Il est urgent et important que nous imposions également un cadre, permettant aux plateformes d’adapter leur contenu en fonction de nos exigences spécifiques sur le territoire français.

M. Laurent Zameczkowski. Nous ne sommes pas favorables à l’interdiction des outils numériques, tels que Pronote, car il faut vivre avec son temps. En revanche, il est trop simpliste de faire porter la responsabilité à l’outil plutôt qu’à son utilisateur. Certes, nous constatons parfois des abus, notamment concernant l’envoi tardif de devoirs pour les élèves. Il est regrettable que nous en arrivions à devoir imposer une « pause numérique ». Bien que cette mesure ne soit pas nécessairement négative, elle révèle néanmoins un échec dans notre capacité à promouvoir un usage raisonné du numérique.

C’est pourquoi nous souhaitons, particulièrement du côté de nos jeunes, développer davantage l’éducation aux médias et à l’information et les préparer à l’utilisation des outils numériques, y compris l’intelligence artificielle. Il ne s’agit pas d’adopter la politique de l’autruche, mais il ne faut pas non plus exposer les enfants aux écrans dès leur plus jeune âge. Nous devons viser une construction progressive, afin que les enfants arrivent en sixième avec des bases solides. Le décalage que vous avez évoqué, notamment lorsque les élèves atteignent le lycée et développent un regard plus critique quant à leur usage numérique au collège, pourrait être atténué si nous les préparons plus tôt. L’accompagnement est donc primordial.

L’attitude des parents est parfois décriée, mais la société n’est pas toujours facile. Beaucoup se sentent démunis face à ces enjeux. Ils manquent souvent de temps, de connaissances ou de capacités pour suivre et encadrer efficacement leurs enfants dans leur usage du numérique. Plutôt que de les critiquer, nous devons les comprendre et tenter de les accompagner.

La question de la sécurité, évoquée précédemment, est également cruciale. La possibilité de localiser un enfant via son téléphone répond à une réelle préoccupation, notamment durant la période entre l’école et le retour à la maison. Ce problème est particulièrement aigu pour les élèves de sixième, dont les emplois du temps peuvent comporter des « trous » importants. Il n’est pas rare que ces élèves terminent leurs cours à 14 heures alors que leurs parents ne rentrent qu’à 19 ou 20 heures. Ce décalage constitue un véritable problème.

Nous mettons en place certaines solutions, comme le contrôle parental, mais celles-ci s’avèrent parfois insuffisantes. Par exemple, lorsque nous limitons la connexion en wifi à certaines plages horaires, les jeunes contournent fréquemment ces restrictions en utilisant le partage de connexion. Il serait souhaitable que les opérateurs téléphoniques proposent des forfaits paramétrables par les parents concernant le volume de datas et les plages horaires d’utilisation. Actuellement, aucun des grands opérateurs ne propose un forfait paramétrable par les parents en temps réel, ce qui constituerait une véritable évolution, notamment pour les élèves dépendants aux jeux vidéo.

Concernant les restrictions d’âge sur les réseaux sociaux, force est de constater que l’interdiction en dessous de 13 ans n’est pas respectée. La meilleure approche reste d’éduquer les enfants au maximum.

Il faut reconnaître que ces plateformes peuvent aussi avoir des aspects positifs. Par exemple, j’utilise personnellement un groupe WhatsApp pour communiquer avec mes enfants. Il s’agit donc de trouver un juste équilibre.

Certains réseaux sociaux, comme Instagram et TikTok, ont mis en place des comptes spécifiques pour les enfants, mais nous savons pertinemment que beaucoup d’entre eux créent plusieurs comptes : un pour les parents, un pour eux-mêmes et souvent un troisième, dédié au stalking. Sans compter les différents réseaux sociaux qu’ils utilisent. La meilleure approche reste de les suivre autant que possible.

C’est également pour cette raison que nous demandons l’augmentation du nombre d’assistants d’éducation, afin que l’école soit à même de détecter précocement les situations problématiques. En effet, il ne faut pas oublier que tous ces éléments ne sont pas totalement décorrélés du réel.

M. le président Arthur Delaporte. Il est vrai qu’actuellement, du côté des décideurs publics et notamment du gouvernement, la fixation de l’âge minimal à 15 ans semble être la solution pour lutter contre les dérives. Cependant, comme vous l’avez souligné, il convient de se garder de toute solution prétendument magique, qui risque de créer des déceptions.

Il est important de rappeler que la loi n° 2023-566 du 7 juillet 2023 visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne fixe un âge minimal de 13 ans et une majorité numérique à 15 ans, avec une validation par les parents entre 13 et 15 ans. Or cette loi, promulguée il y a un an et demi, n’est toujours pas appliquée. Faire respecter le droit existant est donc un premier sujet.

Vous avez mentionné la nécessité d’avoir une approche nuancée de ces sujets. La définition même d’un réseau social soulève des questions. Si nous excluons des applications comme WhatsApp et Telegram de cette catégorie, ne risquons-nous pas de voir un déport vers ces plateformes, où le contrôle serait encore plus compliqué ?

Le cœur du problème réside effectivement dans la diffusion et les modes de contrôle parental, mais aussi potentiellement dans le rôle des opérateurs et, éventuellement, des constructeurs de téléphones mobiles. Avez-vous eu l’occasion d’échanger avec ces différents acteurs sur les difficultés que vous rencontrez ?

M. Olivier Andrieu-Gerard. Nous avons effectivement eu quelques échanges avec les opérateurs, notamment lors de la mise en place de la loi n° 2022-300 du 2 mars 2022 visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d’accès à internet. Les opérateurs ont exprimé une volonté de répondre aux demandes et aux dispositions prévues par le décret. Or, le décret final est peu contraignant, avec des fonctionnalités obligatoires réduites par rapport aux propositions initiales. Je ne prétends pas que les opérateurs ciblent spécifiquement les jeunes, mais il est évident que le modèle économique sous-jacent rend difficile, pour eux, d’aller au-delà de ce qui leur est demandé sans une pression politique. C’est pourquoi je tiens à souligner l’importance cruciale de l’action politique, particulièrement auprès des acteurs économiques.

Nous avons évoqué l’éducation des parents et des jeunes et nous sommes les premiers à nous efforcer de leur fournir des repères, de travailler sur les bonnes pratiques et de les aider à trouver des réponses adaptées sur la base de données fiables et scientifiques, car il n’existe pas de solution magique universelle. Chaque famille est unique, avec son propre environnement social et familial. C’est pourquoi nous privilégions un accompagnement de proximité. Nous poursuivrons cette démarche, mais nous demandons également un soutien et des moyens adéquats.

Un rapport, remis au président de la République l’année dernière, indiquait que : « la commission a été marquée par le fait qu’aucun acteur de la chaîne ne se sent en responsabilité première des hauts standards de protection des enfants, renvoyant systématiquement à d’autres cette responsabilité, au nom de contraintes technologiques présentées comme difficilement dépassables, et s’accordant pour faire porter aux parents la charge de gérer la complexité et les externalités négatives générées par des modèles économiques captifs de l’attention des enfants ». Nous observons actuellement ce phénomène avec des acteurs économiques qui acceptent le principe du contrôle d’âge à 15 ans, mais qui refusent d’en assumer la mise en œuvre, renvoyant cette responsabilité à d’autres acteurs. Depuis quelques années, nous constatons que les acteurs économiques se contentent du minimum requis et tendent, dans une forme d’entente probablement implicite, à repousser vers les parents la responsabilité de gérer cette complexité. Il est impératif de replacer le curseur vers le centre. Nous continuerons certes nos efforts d’éducation. L’interdiction à 15 ans peut effectivement constituer un repère pour les parents, à condition que des solutions techniques soient mises en œuvre. Actuellement, comme nous l’avons mentionné, la limite de 13 ans est peu respectée, car un faible nombre de dispositifs de vérification d’âge ont été déployés. S’est-on véritablement donné les moyens de faire respecter cette limite ?

Même si l’éducation est importante, il existe des enjeux cruciaux concernant la transparence des algorithmes, les phénomènes toxiques d’enfermement, les mécanismes de captation de l’attention ou encore le scrolling. Ces aspects sont traités dans le cadre du DSA et il est essentiel de continuer à les aborder. Nous ne pouvons pas faire porter la responsabilité uniquement sur les utilisateurs et les parents. Il s’agit d’un effort collectif à mettre en œuvre, où chacun doit assumer sa part de responsabilité.

M. le président Arthur Delaporte. Je cède la parole à Mme Anne Genetet.

Mme Anne Genetet (EPR). Vos propos soulignent à quel point il est difficile d’élever des enfants aujourd’hui.

Ayant occupé le poste de ministre de l’éducation nationale durant quelques mois, je suis consciente que l’utilisation de ces espaces numériques de travail (ENT) implique des risques d’intrusion à des moments inopportuns, notamment l’utilisation nocturne par les jeunes ou les parents. Cependant, réglementer l’accès par plages horaires me semble être une intrusion dans la vie privée des enseignants, qui doivent pouvoir gérer leur temps de travail selon leurs contraintes personnelles. En tant que mère d’une famille nombreuse, je travaillais moi-même tous les soirs de 20 heures à 23 heures. Plutôt que de restreindre les horaires de saisie pour les enseignants, pourrait-on paramétrer l’outil de manière à ce qu’un message déposé tardivement ne soit envoyé qu’en différé ? Ainsi, les parents et les enfants n’y auraient accès qu’à partir d’une heure raisonnable, par exemple 7 heures du matin. Les plages horaires d’accès pour les parents et les enfants pourraient être limitées, par exemple de 7 heures à 19 heures ou 20 heures pour les parents qui travaillent, et étendues jusqu’au samedi à 20 heures pour ceux qui ne peuvent consulter ces espaces que le week-end.

Par ailleurs, il est essentiel de souligner que l’éducation doit être multidimensionnelle, impliquant non seulement l’école, mais aussi le monde associatif et, bien évidemment, les parents. En réalité, c’est l’ensemble de la société qui doit assumer un rôle éducatif. Je m’interroge particulièrement sur le rôle potentiel de la santé scolaire dans ce contexte, malgré sa situation actuellement très délicate. La médecine scolaire, nous le savons, fait face à d’énormes difficultés. Cependant, quelle pourrait être sa contribution, notamment dans le repérage des signaux d’addiction ? En tant que médecin, je suis convaincue que la détection la plus précoce possible des signes d’addiction devrait être une compétence partagée par tous les acteurs (enseignants, monde associatif et parents d’élèves). Dans cette optique, quel rôle spécifique la santé scolaire pourrait-elle jouer pour former à l’identification de ces signes d’addiction ?

M. Laurent Zameczkowski. Effectivement, la possibilité de différer l’envoi des messages constitue une option. D’ailleurs, cette fonctionnalité existe déjà et les établissements peuvent paramétrer les ENT en ce sens. Le vrai problème que nous rencontrons est surtout lié à la messagerie et aux devoirs arrivant tardivement. Il serait également possible de prévoir une procédure d’urgence en cas de circonstances particulières. Je note que les élèves utilisent souvent l’excuse d’être sur l’ENT lorsqu’ils sont sur d’autres applications. C’est précisément pour cette raison que la question d’une déconnexion complète a été soulevée, afin de mettre fin à ce prétexte.

Concernant la santé scolaire, lorsqu’une cité scolaire de 2 500 élèves ne dispose pas d’une infirmière, l’efficacité du système est compromise. De nombreux élèves éprouvent des difficultés à s’adresser au conseiller principal d’éducation (CPE) ou au principal, rendant la situation complexe. Ils peuvent évidemment parler à l’infirmière, quand l’établissement en compte une. C’est également pour cette raison que nous plaidons pour une augmentation du nombre d’assistants d’éducation. Leur présence actuelle, environ 1 pour 120 élèves au collège et 1 pour 250 au lycée, est insuffisante pour détecter précocement les situations problématiques, telles que le harcèlement ou ce qu’il se passe dans les toilettes, qui constituent des zones de non-droit. Dans certaines villes, des médiateurs sont déployés autour des établissements. Il est crucial d’augmenter la présence d’adultes pour mieux détecter les situations à risque, comme l’a tristement illustré le drame de Nantes. Bien que ces personnels nécessitent une formation plus approfondie, leur présence accrue serait déjà bénéfique.

Nous proposons donc, d’une part, l’introduction de l’éducation aux médias et à l’information dès le primaire, de manière progressive et sans nécessairement recourir aux écrans, et, d’autre part, le renforcement significatif du nombre d’assistants d’éducation dès le collège, pour permettre une détection précoce des situations problématiques, y compris les défis dangereux sur les réseaux sociaux comme TikTok. Ces mesures sont essentielles pour lutter contre le harcèlement, le cyberharcèlement et d’autres situations préoccupantes liées à l’usage des réseaux sociaux.

Mme Alix Rivière. Nous sommes confrontés à une problématique qui s’inscrit dans la continuité de l’économie de l’attention, concept déjà évoqué dans les années 1990 par le président de TF1 lorsqu’il parlait de « temps de cerveau disponible ». Cette réalité n’a pas changé. Paradoxalement, bien que la connaissance n’ait jamais été aussi accessible à tous, nous constatons aujourd’hui un glissement de la recherche de connaissance vers une quête de l’information.

Je ferais un parallèle avec le déploiement de l’Evars, qui s’étend de la maternelle au lycée. Il apparaît malheureusement désormais inévitable de mettre en place un programme similaire, adapté à chaque niveau scolaire, pour sensibiliser sur les dangers d’Internet tout en soulignant ses immenses possibilités. À moins d’un effondrement total de nos infrastructures énergétiques, nous devons apprendre à gérer cette réalité numérique.

Le DSA a certes permis des avancées, mais rappelons-nous l’affaire de Christchurch, où Facebook a pu interrompre en direct la diffusion d’un acte terroriste. Les plateformes ont donc la capacité de gérer ces situations. Cependant, le coût humain est considérable. Facebook a reculé sur l’emploi de fact-checkers, ces personnes constamment exposées à des contenus traumatisants et sujettes à un stress intense et au burn-out. Pour réguler efficacement ces plateformes, il serait idéal de constituer des sociétés savantes par sujet, capables de restituer de l’information sourcée. Bien que leurs conclusions puissent être contestées, elles offriraient au moins une base disponible et accessible à tous.

L’apprentissage des réseaux sociaux constitue une étape de la parentalité, au même titre que l’apprentissage de la propreté ou des bonnes manières. La difficulté réside dans le fait que nous ne sommes pas tous armés de la même façon.

Par ailleurs, j’entends la proposition de Mme Anne Genetet au sujet de la possibilité — reposant d’ailleurs souvent sur les femmes — de s’organiser librement pour avoir le temps d’effectuer le travail supplémentaire à la maison. Bloquer une plage horaire sur l’ENT ne sera pas suffisant pour résoudre le problème des devoirs arrivant tardivement. Au sein de la FCPE, nous appelons à une concertation au sein des conseils d’administration des collèges et lycées en début d’année, afin d’établir une charte d’utilisation des ENT, éventuellement à partir d’une charte cadre. Nous sommes favorables à l’autonomie des établissements, qui peuvent s’organiser en fonction de leurs paramètres locaux.

Nous dénonçons, notamment en Seine–Saint-Denis, la problématique des adultes manquants auprès de nos élèves. La situation relative aux assistants d’éducation en est l’illustration. Nous constatons un problème majeur concernant la formation initiale de ces personnels, se limitant à quelques heures, ce qui est manifestement insuffisant pour aborder la question des écrans et leur gestion en milieu scolaire.

De plus, je souhaite souligner notre propre incohérence en tant qu’adulte. Lors de nos réunions sur l’usage des écrans chez les mineurs, nous avons tendance à consulter nos téléphones, compromettant ainsi notre crédibilité en tant que modèles.

Enfin, il me semble crucial de développer un programme, de la maternelle au lycée, pour décrypter et démystifier les difficultés rencontrées par les parents et les élèves face aux écrans. J’ai personnellement expérimenté la sensation d’être ensevelie en scrollant. Nous ne ferons pas l’économie d’un apprentissage spécifique sur ce sujet. La FCPE se tient à la disposition de l’éducation nationale pour travailler sur cette question.

M. Patrick Salaün. Il existe effectivement la possibilité de paramétrer les ENT. Le véritable problème réside dans la gestion des devoirs déposés tardivement pour le lendemain. Une restriction trop stricte des horaires de consultation pourrait engendrer un stress supplémentaire chez les élèves, craignant de manquer une information importante. Il serait judicieux de laisser la gestion de ces paramètres à la discrétion de chaque établissement, potentiellement en l’intégrant au règlement intérieur.

Par ailleurs, en France, la majorité légale est fixée à 18 ans, tandis qu’elle peut être fixée à 17 ans pour le permis de conduire. En outre, nos enfants peuvent participer à des conseils dans les établissements à partir de 16 ans. Il existe également une majorité relative à l’acceptation d’une relation intime, avec des curseurs. Or, nous sommes en train de donner une majorité d’accès sur des réseaux sociaux complètement libres à des enfants de 13 à 15 ans. La majorité est pourtant à 18 ans, âge avant lequel les responsables sont les parents. Il va être difficile pour certains parents de se retrouver au milieu de tous ces éléments. Ne devrions-nous pas envisager un âge moyen, peut-être 16 ou 17 ans, comme seuil uniforme pour l’ensemble de ces responsabilités ?

Enfin, l’utilisation des ENT est une véritable problématique. Les élèves se sentent obligés de les consulter régulièrement et reçoivent des notifications, même tardivement, lorsqu’un document a été déposé. Il serait pertinent de discuter de ces questions lors du dernier conseil d’administration de l’année scolaire, en juin, pour préparer la rentrée suivante. Les décisions concernant l’utilisation de l’ENT devraient être prises en amont.

Mme Karima Rochdi. Nous nous focalisons sur l’envoi de message ou le dépôt tardif de travaux par les enseignants, mais je doute que ce phénomène soit répandu. Il me semble que le problème est ailleurs.

M. le président Arthur Delaporte. Il convient de rappeler que les ENT ne sont pas l’objet central de notre commission, à savoir TikTok.

Mme Karima Rochdi. En effet, l’utilisation des ENT diffère fondamentalement de celle des réseaux sociaux. L’ENT est un outil important qui établit un lien entre l’enfant, la famille et le corps enseignant. Il est crucial que les parents s’approprient cet outil pour rester en contact avec la vie scolaire de leur enfant. Le véritable risque, pour nos enfants, se trouve plutôt sur les réseaux sociaux, où ils passent beaucoup de temps sans contrôle ni accompagnement.

S’il est nécessaire de sensibiliser les parents, il est essentiel de sensibiliser les enfants eux-mêmes. Cette sensibilisation peut être réalisée par des acteurs locaux, notamment des associations qui proposent des accompagnements adaptés à tout âge. De plus, il est impératif de former et d’accompagner les enseignants et les professionnels qui peuvent, grâce à leur proximité avec les enfants au quotidien, identifier les risques d’addiction et les dangers potentiels auxquels sont exposés les enfants.

Comme cela a été mentionné, la médecine scolaire est actuellement défaillante. Elle pourrait pourtant jouer un rôle crucial dans l’identification de divers problèmes, qu’ils soient liés à l’impact du numérique ou à d’autres aspects de la santé de l’enfant. Il y a certainement des améliorations à apporter dans ce domaine.

M. Thierry Perez (RN). Nous avons évoqué la notion d’interdiction, qui peut certes être une solution, mais qui reste facilement contournable. Cependant, l’interdiction peut engendrer ce que j’appellerais une forme de réprobation sociale. Aujourd’hui, il est socialement inacceptable qu’un enfant de 11 ans se serve de l’alcool fort ou qu’un enfant de 12 ans regarde un film pornographique sur la télévision familiale à minuit. L’interdiction ne pourrait-elle pas aboutir à une réprobation sociale similaire concernant l’utilisation de plateformes comme TikTok par les jeunes enfants ?

M. Patrick Salaün. Je note que la frustration est essentielle pour la construction personnelle. Il nous est certes difficile de nous opposer à nos enfants, d’autant plus qu’ils ont souvent une décennie d’avance sur nous en termes de maîtrise des outils numériques et de compréhension de leurs usages. TikTok est une plateforme qui met en avant la représentation du corps, que l’on soit homme, femme ou autre. Comme Mme Rivière, j’ai moi-même expérimenté le visionnage de vidéos courtes et constaté son caractère hypnotique. Comment réguler ce phénomène ? TikTok essaie de mettre des limites, qui peuvent être contournées facilement. Face à ces défis, l’autorité parentale doit s’exercer avec fermeté, notamment en imposant des limites d’utilisation du téléphone et des réseaux sociaux. Une approche, à construire ensemble, est nécessaire. De nombreux parents se sentent démunis, manquant de moyens pour communiquer avec leurs enfants sur ces sujets en utilisant les bons mots.

Mme Virginie Gervaise. En tant que parent de deux adolescents, je confirme la complexité de la gestion de TikTok, pour laquelle j’impose des règles et des limites. Je ne suis pas personnellement utilisatrice de cette application.

Concernant la pause numérique, l’essentiel, à mon sens, est que les enfants comprennent les enjeux. Dès le plus jeune âge, nous leur enseignons des règles et leur expliquons les dangers potentiels. Il en va de même pour l’utilisation du numérique : il faut expliquer les règles et les raisons de leur mise en place. La répétition est la clé dans ce processus. Il est vrai que certains parents se sentent démunis et que les enfants peuvent être terribles sur ce sujet, particulièrement lors de l’entrée au collège où la pression du groupe et le besoin d’appartenance s’intensifient. Il est crucial d’anticiper ces changements en expliquant en amont les dangers et les avantages des réseaux sociaux.

Quant à la santé mentale, les réseaux sociaux peuvent effectivement avoir des effets toxiques. La détection des comportements addictifs nécessite des moyens accrus dans les établissements scolaires. L’équipe éducative a un rôle à jouer dans le repérage de certains signaux, comme un enfant qui s’endort en classe. La médecine scolaire pourrait contribuer aux signalements, mais le nombre de personnels est insuffisant. S’adresser à une infirmière est souvent compliqué. Nous manquons aujourd’hui de moyens.

Les parents doivent assumer leur rôle, et, s’ils se sentent dépassés, il est important qu’ils n’hésitent pas à demander de l’aide. Nos associations disposent du personnel pour les accompagner.

Quant à la pause numérique, l’introduction de pochettes pour ranger les téléphones dans les collèges à partir de 2025 soulève des questions. Il est regrettable d’en arriver à de telles mesures, mais des cas de harcèlement envers des professeurs ont été évoqués. Je note qu’il est essentiel que le coût de ces dispositifs ne soit pas répercuté sur les parents.

Mme Alix Rivière. Nos adolescents ont la crainte de ne pas être aimés, mais il ne faut pas oublier qu’ils auront la crainte d’être détestés via les réseaux sociaux.

La situation de la médecine scolaire, notamment en Seine–Saint-Denis, est totalement sinistrée. Les infirmières scolaires constituent aujourd’hui des « denrées » rares.

Concernant l’économie de l’attention, un mémo édité par Bayard Jeunesse sur les écrans souligne que les vidéos courtes entravent la construction du raisonnement. C’est là que réside, à mon sens, le danger le plus important pour nos enfants. De plus, le visionnage de ces contenus dès le réveil affecte considérablement les capacités cognitives pour le reste de la journée.

Avec mon mari, nous avons choisi de ne donner des téléphones portables à nos deux derniers enfants qu’en classe de quatrième. Maintenir cette décision a engendré une lutte de tous les instants, bien que ce choix ne soit pas du tout un traumatisme aujourd’hui. Nous avions coordonné cette approche avec les familles des meilleurs amis de nos enfants pour éviter un sentiment de solitude. Toutefois, dans les faits, ils étaient les seuls de leur classe de 25 élèves à ne pas posséder de téléphone portable. Leur premier appareil était un téléphone à neuf touches, qu’ils ont accueilli avec un certain dédain. La gestion de ce sujet n’est donc pas simple.

L’éducation est effectivement l’art de la répétition à l’infini. Je ne sais pas si, en connaissant ce paramètre en amont, nous deviendrions tous parents.

M. Laurent Zameczkowski. Concernant la réprobation de la société quant à la consommation d’alcool et au visionnage de vidéos pornographiques par les enfants, nous avons récemment eu connaissance d’un conseil de discipline impliquant des élèves de sixième ayant regardé du contenu pornographique sur leurs téléphones portables en cours de musique. Je note également que la réprobation sociale n’est pas unanime sur l’alcool, certains jeunes ayant le droit d’en consommer lors des fêtes de famille.

Très tôt, les jeunes obtiennent souvent de vieux téléphones portables et se connectent en wifi. Ils sont particulièrement habiles dans la manipulation de ces appareils, souvent à l’insu de leurs parents, qui peuvent parfois être démunis face à cette situation. J’ai personnellement été confronté à un parent qui ignorait totalement l’activité en ligne de sa fille.

Enfin, concernant la pause numérique, il est crucial de proposer des activités alternatives aux écrans.

M. Olivier Andrieu-Gerard. Pour accompagner efficacement tout en initiant une réflexion collective et sociale sur la question des écrans, il est impératif de proposer des alternatives. Par exemple, dans les zones rurales, les espaces où les élèves attendent les bus n’offrent aucune activité. Des collectivités ont commencé à réfléchir et à proposer des petits jeux adaptés au design urbain, afin d’encourager l’interaction sociale plutôt que l’isolement de chacun face à son téléphone portable.

Ensuite, concernant la réprobation sociale, il est nécessaire d’inverser la tendance actuelle. Lorsque vous attendez dans la salle d’attente d’un médecin avec votre enfant, vous êtes souvent anxieux à l’idée que votre enfant fasse du bruit ou s’agite. Par conséquent, il peut être tentant de lui donner un téléphone portable pour l’occuper. Nous devons collectivement préférer que les enfants fassent du bruit et jouent dans les espaces collectifs, plutôt que de les voir isolés derrière un écran. Si nous savions bien communiquer auprès des parents, nous pourrions sans doute aller vers ce changement dogmatique et culturel extrêmement fort, qui constitue un enjeu collectif. Il existe en effet un enjeu d’acceptation sociale sur ce point.

Enfin, si le discours se résume à l’interdiction des réseaux sociaux, cela ne fonctionnera pas. Les interdictions existantes n’étant pas respectées, les parents ont déjà perdu confiance en l’efficacité de ces méthodes. Notre approche doit donc aller au-delà de l’interdit et de la gestion des risques pour se concentrer sur l’accompagnement des parents, en leur fournissant des moyens d’agir.

M. Patrick Salaün. Aux arrêts de bus, on voit fréquemment des lycéens qui communiquent entre eux par téléphone alors qu’ils sont côte à côte. Cette pratique contraste avec les interactions directes que nous avions à notre époque.

M. Olivier Andrieu-Gerard. J’ai récemment évoqué ce sujet avec des adolescents. Leur comportement s’explique principalement par une logique de groupe. J’ai récemment accompagné quatre jeunes dans le métro qui communiquaient tous par le biais de leur téléphone. Lorsque je les ai interrogés sur cette pratique, ils m’ont expliqué qu’ils faisaient partie d’un groupe de cinq et que communiquer verbalement aurait exclu le cinquième membre. L’utilisation de la messagerie s’explique donc par une logique de groupe. Cette dynamique est cruciale à comprendre. En tant que parents, notre approche ne peut se limiter à encourager la communication directe, car cela négligerait cet aspect de la construction sociale des adolescents. Les outils numériques actuels permettent au groupe d’être constamment connecté, indépendamment de la présence physique. En tant que parents, nous devons comprendre comment se construisent nos enfants.

M. le président Arthur Delaporte. Je vous remercie pour ces éclairages qui permettent d’aller au-delà du simplisme souvent en vogue à l’ère numérique.

Mme Alix Rivière. Je voudrais ajouter que la technocratie du parti communiste chinois, qui vole l’outil à son fondateur, admiratif du parcours de M. Mark Zuckerberg, est aussi un bon moyen d’expliquer la démocratie à nos élèves.

M. le président Arthur Delaporte. Je vous remercie.

 

La séance s’achève à dix heures trente.


Membres présents ou excusés

 

Présents.  M. Pouria Amirshahi, M. Arthur Delaporte, Mme Anne Genetet, Mme Laure Miller, M. Thierry Perez, M. Thierry Sother, M. Stéphane Vojetta