Compte rendu

Commission d’enquête
sur les effets psychologiques
de TikTok sur les mineurs

– Audition, ouverte à la presse, de M. Thomas Rohmer, président de l’Observatoire de la Parentalité et de l’Éducation Numérique (OPEN), et Mme Angélique Gozlan, experte à l’Open, docteure en psychopathologie              2

– Audition, ouverte à la presse, de M. Isac Mayembo............10

– Audition, ouverte à la presse, de M. Adrien Laurent............16

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Manon Tanti et M. Julien Tanti30

– Audition, ouverte à la presse, de M. Nasser Sari..............39

– Présences en réunion................................62


Mardi
10 juin 2025

Séance de 15 heures 15

Compte rendu n° 24

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Arthur Delaporte,
Président de la commission

 


  1 

La séance est ouverte à quinze heures quinze.

 

La commission auditionne M. Thomas Rohmer, président de l’Observatoire de la Parentalité et de l’Éducation Numérique (OPEN), et Mme Angélique Gozlan, experte à l’Open, docteure en psychopathologie.

M. le président Arthur Delaporte. Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à potentiellement influencer vos déclarations. Je vous rappelle également que cette séance est retransmise en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale. L’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées dans le cadre de travaux d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Thomas Rohmer et Mme Angélique Gozlan prêtent serment.)

M. Thomas Rohmer, président de l’Observatoire de la Parentalité et de l’Éducation Numérique (Open). L’Open existe depuis neuf ans et constitue désormais la première structure exclusivement dédiée à l’accompagnement des parents et des professionnels sur les questions d’éducation numérique. Dans cette aventure, je n’occupe plus la présidence mais la direction, la présidente actuelle étant Mme Marion Haza-Pery, également psychologue. J’ai la chance d’être entouré de personnes aux profils divers et variés, notamment un comité scientifique d’experts qui nous aide à mener nos réflexions et à formuler des propositions concrètes. La spécificité de ce comité réside dans sa pluridisciplinarité, car nous avons rapidement identifié que, sur ces sujets où nos connaissances demeurent partielles, le décloisonnement des savoirs et le partage de connaissances constituent une réelle plus-value.

Notre fonctionnement s’articule autour de quatre piliers fondamentaux. En tant qu’observatoire, nous menons régulièrement des enquêtes et des recherches qui nourrissent notre réflexion pour la production de ressources et de contenus destinés aux familles et aux professionnels. Ces ressources, qui sont diffusées sur internet, notre site associatif et divers réseaux sociaux, alimentent également nos réponses opérationnelles sur le terrain. Concrètement, nous conduisons des actions de sensibilisation sur l’ensemble du territoire national auprès des familles et proposons des formations professionnelles pour les acteurs concernés.

Notre dernier pilier consiste en une action de plaidoyer significative. Nous sommes à l’origine de trois textes législatifs que nous avons soutenus, voire initiés, en collaboration avec certains de vos collègues. Le premier concernait la protection des mineurs face à l’exposition précoce à la pornographie, dans le cadre de la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, qui nous a permis de saisir l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) pour tenter de faire bloquer les cinq plus grands sites pornographiques mondiaux. Le deuxième texte portait sur le phénomène des enfants influenceurs, sujet sur lequel nous avions joué un rôle d’alerte, contribuant à l’élaboration de la loi n° 2020-1266 du 19 octobre 2020 visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne. La dernière initiative législative, beaucoup plus récente, faisait suite à nos travaux questionnant la nécessité de faire évoluer le code civil concernant ce que nous considérons comme une prise en otage du droit à l’image des enfants dans les espaces numériques. Cette démarche, visant à préserver ce droit fondamental dans la construction identitaire des enfants et adolescents, a abouti en février de l’année dernière, également avec Bruno Studer.

Nous sommes par ailleurs membres du conseil français des associations pour les droits de l’enfant (Cofrade), que vous avez déjà auditionné, et j’interviens à titre personnel au sein du comité de protection des jeunes publics de l’Arcom en qualité d’expert.

Notre ADN étant d’interroger la place des adultes, notamment des parents, dans leur capacité à accompagner les pratiques numériques des plus jeunes, nos collaborations avec le ministère de l’éducation nationale consistent principalement à mener des interventions dans les établissements scolaires lorsque nous sommes sollicités, mais également par l’intermédiaire des collectivités territoriales qui font fréquemment appel à nos équipes. Nous entretenons également d’excellentes relations avec certains membres de l’éducation nationale, particulièrement le Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (Clemi), chargé de l’éducation aux médias, ainsi qu’avec les équipes animant les territoires numériques éducatifs (TNE), dispositif déployé depuis plusieurs années à l’échelle nationale.

Quant aux autres ministères, nous collaborons naturellement et régulièrement avec les équipes de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), avec lesquelles nous échangeons assidûment et qui nous soutiennent également financièrement. Concernant les réseaux sociaux, nous ne collaborons pas directement avec eux, mais il nous arrive de travailler avec certaines plateformes et de recevoir leur soutien financier ponctuel. Nous avons notamment travaillé avec Google pour le financement de certaines de nos enquêtes et, plus récemment, avec Netflix, avec qui nous venons d’entamer une collaboration visant à identifier des supports permettant une médiation parentale autour de sujets sensibles dans les différents contenus audiovisuels disponibles en ligne. Factuellement, nous recevons donc parfois des financements d’entités privées mais ces collaborations demeurent ponctuelles et ne constituent en aucun cas des subventions de fonctionnement.

De manière générale, nous observons la difficulté des adultes et des parents à établir des repères clairs sur ces sujets. Ces familles sont en effet soumises à des injonctions contradictoires sur la question du numérique et la gestion des écrans, qu’elles proviennent de la société, des plateformes ou des pouvoirs publics. Cette situation les empêche de prendre position ou de comprendre les règles en jeu, notamment concernant la santé des plus jeunes.

Dans l’espace médiatique, ce sujet fait l’objet de discussions souvent polarisées qui s’apparentent parfois à une forme de panique morale, avec d’un côté les gentils en soutien aux outils numériques et de l’autre les méchants complètement anti-écrans. Cette polarisation contribue fortement à paralyser la construction éducative parentale plutôt qu’à mobiliser les parents dans leur fonction éducative. Ce constat, établi depuis de nombreuses années, complique considérablement notre travail d’accompagnement sur le terrain.

Nous consacrons donc une part importante de notre action à apporter des nuances, à rassurer les familles sur leurs compétences éducatives, à favoriser le dialogue intrafamilial sur ces sujets et à permettre aux parents de s’approprier les enjeux éducatifs pour accompagner leurs enfants et leurs adolescents dans les espaces numériques.

Concernant la formation des professionnels, nous faisons face à un défi majeur. Il existe aujourd’hui un déficit clair et précis de formation des professionnels de l’enfance et de l’adolescence sur ces questions, en partie du fait de la convergence de plusieurs métiers qui n’ont pas encore été intégrés dans le champ de la formation continue. Ce domaine mérite une attention particulière, même si nous identifions désormais des structures où la formation des professionnels s’avère plus accessible grâce à l’organisation de l’administration centrale.

Un autre frein à notre action réside dans l’émergence d’un effet d’aubaine. Alors que nous portons ces sujets depuis neuf ans et que nous avons joué un rôle précurseur dans le domaine de la parentalité et de l’éducation numérique, nous assistons à l’arrivée de nombreux acteurs issus de la protection de l’enfance ou de l’inclusion numérique. Ces nouveaux intervenants se positionnent sur ces sujets parfois sans réellement en maîtriser les enjeux et les subtilités, contribuant ainsi à entretenir cette forme de paralysie parentale en jouant davantage sur les peurs que sur la remobilisation des compétences éducatives.

Quant aux moyens financiers dont nous disposons, notre financement repose principalement, comme pour beaucoup d’associations, sur des réponses à des appels à projets permettant d’obtenir des subventions publiques. Nous bénéficions de subventions annuelles directes extrêmement faibles et de quelques partenariats privés, notamment avec Google et Netflix. Nous avons également signé un partenariat national avec un important groupe de crèches privées, qui nous permet de faire de la prévention sur la gestion des écrans pour les tout-petits et de former les professionnels dans les crèches afin d’éviter que les enfants ne soient exposés trop précocement aux écrans.

Mme Angélique Gozlan, experte à l’Open, docteure en psychopathologie. J’interviens à la fois en tant qu’experte de l’Open et en tant que psychologue clinicienne, docteur en psychopathologie. Je travaille depuis près de vingt ans auprès de familles d’enfants et d’adolescents en pédopsychiatrie et ai par ailleurs rédigé la première thèse en psychologie clinique en France sur l’impact des réseaux sociaux à l’adolescence, soutenue en 2013.

Mon positionnement repose sur mes observations de terrain, sur la parole des patients, enfants, adolescents et parents, mais également sur celle des professionnels, ainsi que sur les études menées par l’Open et mes recherches personnelles. Mon apport relève davantage d’un savoir expérientiel à teneur qualitative que quantitative.

Dans le cadre de la préparation de cette audition, j’ai interrogé des adolescents suivis dans mon service de pédopsychiatrie sur les effets psychologiques de l’utilisation de TikTok. Je vous livrerai quelques éléments de leurs réponses, considérant que cette commission entend peu d’adolescents directement.

Il faut tout d’abord comprendre que le réseau social constitue aujourd’hui un objet culturel pour ces adolescents, indissociable de leur quotidien et des autres stimulations qu’ils reçoivent. Les usages des réseaux sociaux s’inscrivent dans le fonctionnement général des adolescents, des enfants et des familles. Les jeunes interrogés, qui utilisent simultanément Snapchat, YouTube, TikTok ou Instagram, soulignent qu’il ne s’agit pas tant de TikTok spécifiquement que de l’ensemble des réseaux sociaux numériques, puisque les fonctionnalités innovantes d’une plateforme se retrouvent rapidement dans les autres. Notre analyse doit donc porter sur un ensemble de pratiques numériques plutôt que sur un seul réseau social.

Les témoignages des patients confirment notre hypothèse clinique selon laquelle l’usage des réseaux sociaux relève du pharmakon, potentiellement toxique, où le poison peut se transformer en remède et inversement. Ce caractère ambivalent du numérique apparaît de façon flagrante, puisque l’objet numérique, qu’il s’agisse de jeux vidéo ou de réseaux sociaux, peut répondre aux besoins du sujet tout en en créant de nouveaux. C’est précisément le dosage, la quantité et la nature de l’usage qui déterminent la transformation du remède en poison.

Un point essentiel réside dans la coexistence d’effets positifs et négatifs dans l’usage des réseaux sociaux. Ces effets varient selon la corrélation entre la vulnérabilité propre à l’adolescence, l’âge du jeune, son environnement, son usage singulier des réseaux sociaux et la qualité de sa communauté numérique.

Ainsi, si autant d’adolescents investissent les réseaux sociaux, c’est que ceux-ci répondent manifestement à des besoins fondamentaux. La socialisation constitue évidemment un enjeu majeur de l’adolescence et les jeunes doivent pouvoir faire des expériences en dehors du regard parental. Les réseaux sociaux représentent aujourd’hui des terrains d’expérimentation privilégiés, y compris durant des périodes de vulnérabilité. Une jeune patiente évoquant sa période de troubles alimentaires me confiait : « Dans ces communautés, tu y restes. C’est hyper important d’être avec des gens qui comprennent ce que tu vis et qui essaient quand même de s’en sortir. » Le premier processus en jeu concerne donc la séparation, traversée par ces expérimentations à travers les réseaux sociaux.

Le second aspect fondamental touche à la quête identitaire. Les jeunes interrogés pour cette audition décrivent ces plateformes comme des lieux d’inspiration et d’influence positive pour le style, l’apparence, l’alimentation ou le sport. Elles permettent de tester son identité, sa relation à autrui, ses relations amoureuses et amicales. Bien que cet usage des réseaux sociaux comporte certainement des risques, les plateformes ne créent pas en elles-mêmes des troubles à l’adolescence. Même si la santé mentale des jeunes traverse effectivement une période difficile, ce ne sont pas les réseaux sociaux qui génèrent davantage de mal-être, mais bien un état sociétal, familial et interpersonnel plus global.

La vulnérabilité propre à l’adolescence, conjuguée à l’environnement de l’adolescent, aux paramétrages de compte, à la qualité de la communauté et aux usages spécifiques, crée une véritable concordance d’enjeux susceptibles de produire des effets négatifs. Les jeunes identifient particulièrement les formats de vidéo (shorts, reels) comme problématiques et intrinsèquement addictifs. Selon leurs propres mots, ces formats ne permettent pas de s’arrêter ni d’intégrer l’information visionnée et la surabondance de contenus consécutifs entraîne une forme de saturation cognitive. Ces adolescents considèrent ainsi le format comme plus problématique que le contenu lui-même. Le rythme de visionnage constitue l’élément central, même s’ils reconnaissent le caractère potentiellement enfermant de l’algorithme. Ils démontrent cependant une lucidité remarquable concernant ce mécanisme algorithmique, affirmant pouvoir en modifier le fonctionnement en contrôlant leur attention portée aux contenus.

Les principaux risques identifiés concernent les troubles de la concentration et de l’attention. Une adolescente témoigne qu’après avoir fait défiler quinze vidéos, elle oublie complètement les précédentes, bien qu’elle se soit concentrée sur chacune d’elles individuellement. Une autre décrit ces plateformes comme « un boîtier hypnotisant », constatant son incapacité à maintenir sa concentration sur des formats plus longs après avoir consommé une série de contenus courts.

Le cyberharcèlement représente évidemment un autre danger majeur, tout comme la radicalisation ou l’appauvrissement de la pensée autonome. Une jeune exprime cette préoccupation avec justesse en expliquant que « cela crée un vide de la pensée. On a tellement tout comme ça, qu’est-ce qu’on va produire par nous-mêmes ? C’est dur de créer par nous-mêmes quand tout a été dit, déjà partagé, à portée de main, à quoi va-t-on penser ? »

Certains challenges peuvent également inciter à des conduites à risque. L’exposition à des images choquantes ou l’enfermement dans des bulles de contenu induisent potentiellement une anxiété modérée, souvent associée à des troubles du sommeil, des complexes physiques ou psychiques, manifestés par une dévalorisation de soi. Ces phénomènes peuvent évoluer vers des mouvements dépressifs, parfois associés à des troubles du comportement alimentaire, des problèmes d’image et d’estime de soi, voire des consommations de substances illicites.

Une adolescente évoque spécifiquement l’existence de comptes « ED TikTok » (Eating Disorders TikTok), autrefois présents sur Twitter, qui valorisent le body check et les contenus montrant des personnes consommant seulement 800 calories quotidiennes. Elle souligne la différence d’approche entre les plateformes : « Sur Twitter, cela s’apparentait à un journal intime des personnes souffrant de ces troubles, tandis que sur TikTok, le message devient « Regardez, je suis une meilleure anorexique que vous ». »

Le discours des jeunes révèle également l’impact de la comparaison sociale et des contenus idéalisés qui affectent leur estime de soi et dévalorisent leur rapport au monde réel, encourageant parfois l’auto-objectivation. Une jeune résume ce phénomène : « C’est de la comparaison, de la valorisation de l’estime de soi, mais tu trouves toujours quelqu’un de plus beau, de mieux que toi. » L’algorithme, en proposant constamment des contenus similaires, peut amplifier ce phénomène.

Nous ne pouvons néanmoins établir aujourd’hui une causalité directe et univoque entre les réseaux sociaux et la santé psychique des adolescents. Une jeune le formule avec pertinence en me rappelant que la dépression existait bien avant TikTok. Effectivement, la souffrance peut préexister à l’usage des réseaux sociaux, ces derniers ne constituant alors qu’un reflet d’un mal-être antérieur.

En revanche, selon les témoignages recueillis, les contenus des réseaux sociaux peuvent renforcer un état psychique ou émotionnel préexistant. Une adolescente l’exprime ainsi : « Les vidéos tristes qui nous rappellent nos situations actuelles peuvent nous mettre dans un « bad mood ». Elles renforcent notre état, vu que l’algorithme nous remet des vidéos sur ce sujet-là. »

Dans ce contexte d’impossible corrélation directe, certains comportements tels que la captation excessive envers les réseaux, le temps disproportionné passé en ligne, la préoccupation pour les images retouchées ou l’attente vitale de commentaires ou de likes doivent toutefois alerter, car ces éléments suggèrent que la manière dont un adolescent utilise les réseaux sociaux constitue potentiellement un indicateur de souffrance psychique. L’usage de ces plateformes peut ainsi révéler cette souffrance, mais cette observation doit impérativement être recontextualisée en considérant l’environnement familial, scolaire, amical et amoureux de l’adolescent, ainsi que sa santé mentale globale. Les jeunes eux-mêmes reconnaissent unanimement l’importance des singularités individuelles dans la réponse à ces environnements numériques.

L’adolescence s’inscrit nécessairement dans un contexte familial, social et scolaire spécifique. L’adolescent ne peut être appréhendé indépendamment de sa relation au monde extérieur et à l’environnement familial et sociétal. Un adolescent demeure l’enfant de ses parents, malgré la période d’autonomisation et de séparation nécessaire à sa construction identitaire. Cet enfant, évoluant au sein d’une famille, s’inscrit dans un contexte sociétal spécifique. Par conséquent, les pratiques numériques des adolescents doivent être analysées en considérant celles des parents, l’éducation numérique qu’ils transmettent, et en rattachant ce phénomène des réseaux sociaux au réseau relationnel plus large qui permet à ces jeunes de grandir dans notre monde.

Je souhaite maintenant vous présenter les perspectives données par les jeunes. Lorsque je les ai interrogés sur l’interdiction potentielle des réseaux sociaux, ils ont catégoriquement écarté cette option, affirmant avec lucidité que toute interdiction engendre inévitablement sa transgression.

Le premier axe qu’ils proposent concerne la mise en place d’une modération interne aux plateformes, exigeant ainsi que les réseaux sociaux assument leurs responsabilités. Une adolescente suggère notamment qu’après une heure de défilement continu, la plateforme diffuse une vidéo présentant une personne réelle qui capterait l’attention de l’utilisateur pour exposer les risques associés à une utilisation prolongée.

Le deuxième point soulevé, qui fait écho à mes recherches, consiste à réintégrer cette problématique dans un cadre sociétal plus global. Une jeune exprime ce paradoxe avec une formulation particulièrement éloquente : « Je ne me suis jamais sentie autant entourée que seule devant mon écran. » Elle ajoute qu’il conviendrait de « privilégier le retour des communautés. » Tandis que nous discutons abondamment des communautés virtuelles, elle s’interroge sur les lieux où nous faisons communauté dans la vie réelle, constatant une difficulté croissante à se retrouver physiquement. Cette réflexion soulève une question fondamentale : qu’est-ce qui constitue réellement le collectif aujourd’hui ? Où se trouvent les véritables espaces de rencontre ? Ainsi, focaliser exclusivement notre attention sur les réseaux sociaux revient à esquiver une problématique plus profonde concernant l’accessibilité des espaces publics pour les jeunes, la possibilité d’un vivre ensemble, la santé mentale de cette génération et la difficulté que rencontrent certaines familles à accompagner leurs enfants. Cette situation soulève certes la question de l’éducation numérique, mais plus largement celle de l’éducation dans son ensemble.

Le troisième axe identifié concerne la prévention par l’information, développée à travers des discussions d’égal à égal. Les jeunes rejettent fermement le format classique des réunions préventives conduites par des adultes dénonçant unilatéralement la nocivité des réseaux sociaux, approche qui compromet d’ailleurs l’efficacité même de la prévention des risques. Ils préféreraient des espaces d’échanges entre pairs, modérés par un adulte cherchant réellement à comprendre leurs pratiques et leurs usages. La proposition concrète qui émerge est celle de questionner les motivations derrière l’utilisation de ces plateformes et de proposer des alternatives tangibles dans la vie réelle, permettant ainsi d’équilibrer les expériences numériques et physiques. TikTok n’est pas intrinsèquement néfaste, c’est davantage la manière dont nous l’utilisons et sa fréquence qui posent question. L’enjeu consiste à proposer des activités qui nous reconnectent au monde extérieur et nous permettent de nous détacher des réseaux sociaux.

Le quatrième point identifié souligne l’importance d’accorder une attention égale aux parents et aux jeunes. Je cite exactement : « les parents sont au même stade que leurs enfants, qui sont perdus. C’est moins nouveau pour nous que pour eux. Il faut les aider de la même manière que nous, soit avec la prévention, soit avec des alternatives dans la vraie vie, soit avec des lieux de communauté ».

Au-delà de la problématique des jeunes face aux réseaux sociaux se pose également la question des enfants influenceurs. Comme l’a très justement souligné l’une de nos jeunes, nous assistons à une monétisation de l’enfance et des moments d’expérimentation, périodes durant lesquelles les enfants devraient bénéficier de stabilité, de sécurité et d’intimité. Or tout cela est désormais exposé publiquement. Des souvenirs sont partagés avec le monde entier sans le consentement des principaux intéressés. Les adolescents que nous suivons en pédopsychiatrie s’inquiètent légitimement sur la façon dont ces enfants vont construire leur identité et leur narcissisme. Il est donc impératif, selon eux, d’accorder une attention particulière aux parents d’enfants influenceurs, et je partage entièrement leur réflexion sur ce sujet.

M. le président Arthur Delaporte. Je vous remercie d’avoir donné la parole aux mineurs. Je tiens néanmoins à rappeler que notre commission d’enquête a également entendu des témoignages directs de mineurs, bien qu’à huis clos et sous X. Dès le début de nos travaux, nous avons cherché à éviter toute perspective surplombante ou moralisatrice en consultant des sociologues qui étudient les relations entre les jeunes et les réseaux sociaux, les écrans et leurs usages. Nous avons également lancé une vaste consultation citoyenne qui a recueilli plus de 30 000 réponses, dont environ la moitié émanait de mineurs. Votre audition s’inscrit dans cette démarche, même si nous reconnaissons la complexité d’obtenir des témoignages directs de mineurs dans le cadre formel d’une commission d’enquête et comptons donc beaucoup sur votre rôle d’intermédiaire.

Mme Laure Miller, rapporteure de la commission d’enquête sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs. Je confirme notre volonté, dès le lancement de cette commission d’enquête, de recueillir les témoignages des jeunes, qui sont les principaux concernés. En complément de cette consultation publique, nous avons reçu de nombreuses contributions spontanées par courriel de jeunes désireux de partager leur expérience des réseaux sociaux, et particulièrement de TikTok. Ces témoignages, extrêmement pertinents, enrichiront notre réflexion et notre rapport final.

Lorsque vous préconisez de privilégier l’accompagnement éducatif plutôt que de jouer sur les peurs, avez-vous identifié, dans votre observatoire et vos enquêtes, des profils parentaux distincts face au numérique ? Ne constatez-vous pas parfois un écart considérable entre, d’une part, des parents sensibilisés et vigilants, capables d’utiliser les outils de contrôle parental et de limiter l’accès aux écrans avant un certain âge et, d’autre part, des parents qui considèrent l’usage précoce du téléphone comme un atout dans notre société actuelle, restant ainsi éloignés des problématiques liées aux réseaux sociaux ?

Dans ce contexte, ne manquons-nous pas encore de sensibilisation efficace, non pas pour susciter la peur, mais pour montrer concrètement aux parents ce que contient réellement une application comme TikTok ? Une forme d’électrochoc ne serait-elle pas bénéfique, considérant que certains parents, en toute bonne foi, autorisent leurs enfants à utiliser TikTok en pensant qu’il s’agit d’une plateforme de divertissement ordinaire ? Leur réaction serait probablement très différente s’ils étaient confrontés aux contenus parfois pornographiques, sexistes ou profondément problématiques pour le développement d’un enfant.

Pourriez-vous ensuite développer davantage le sujet des injonctions contradictoires des pouvoirs publics sur le numérique que vous évoquiez précédemment ?

Mme Angélique Gozlan. La question des différents profils parentaux et du décalage qui peut exister entre eux constitue un enjeu clinique important. Le dernier baromètre de l’Open démontre que les parents sont généralement bien informés des risques que leurs enfants encourent sur internet. Ils expriment des craintes précises concernant le cyberharcèlement, la captation de données personnelles, l’addiction et le temps passé en ligne au détriment d’activités réelles.

Un aspect particulièrement intéressant réside toutefois dans le décalage entre les représentations des parents et le vécu réel des enfants. Cette étude, portant sur plus de 1 000 parents et autant d’enfants et adolescents, révèle que les angoisses parentales ne correspondent pas nécessairement à l’expérience concrète des jeunes dans leur usage d’internet, pris dans sa globalité.

Concernant les différents types de parents, mon expérience professionnelle dans un centre en Seine-Saint-Denis me permet de côtoyer aussi bien des cadres jouissant d’une situation confortable que des familles en situation précaire. Or j’observe une homogénéité surprenante dans leurs approches de la gestion des écrans puisque, quelle que soit leur catégorie socioprofessionnelle, ces parents rencontrent des difficultés similaires pour imposer des limites à leurs enfants concernant les écrans, pour sanctionner les excès ou encadrer les usages. Cette uniformité des défis parentaux face aux écrans, à internet et aux réseaux sociaux caractérise le public que je reçois, avec des parents généralement démunis face à ces pratiques numériques.

M. Thomas Rohmer. Nous constatons, en tant qu’acteurs de la prévention, une réelle difficulté à mobiliser les parents qui en ont le plus besoin. Nous observons que les personnes qui participent à nos interventions sont généralement des parents déjà relativement bien informés par rapport à la moyenne. Il existe donc une nécessité pour nous, acteurs de la prévention, de remettre en question notre approche et d’adopter cette logique du « aller vers », afin de faire preuve de créativité dans notre mode opératoire pour toucher les familles qui en ont véritablement besoin.

Nous devons repenser notre démarche en tenant compte de nos échecs passés pour nous améliorer. C’est pourquoi nous encourageons notamment l’appui sur la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Les parents constituent un public relativement captif sur leur lieu de travail et, en s’appuyant sur les services RSE, nous pourrions mener des actions de sensibilisation pendant le temps de travail ou lors des pauses déjeuner. J’ai d’ailleurs conduit des expérimentations en ce sens avec M. Adrien Taquet qui m’a accompagné sur le terrain. Nous tentons de promouvoir cette approche depuis de nombreuses années mais ne sommes pas suffisamment soutenus dans cette initiative. De plus, il n’est pas toujours aisé de dépasser le cadre des grands groupes du CAC40 pour atteindre les TPE et PME qui constituent pourtant l’essentiel du tissu économique. Nous avons besoin, en tant qu’associations, de soutien pour faire connaître nos initiatives et faciliter la mise en relation avec les directeurs des ressources humaines (DRH) et les responsables RSE au sein des entreprises.

Concernant les autres aspects, je constate qu’en France, après vingt ans d’implication personnelle sur ces sujets et la création de plusieurs structures dans ce domaine, nous persistons dans une logique d’évitement du risque. Cette approche entretient les angoisses parentales et paralyse leurs fonctions éducatives. Par évitement du risque, j’entends que les jeunes rencontrent aujourd’hui davantage d’adultes leur expliquant ce qu’ils ne doivent pas faire avec ces outils numériques que d’adultes leur montrant comment bien les utiliser. La prévention à la française se concentre sur la réduction, voire la suppression des risques, alors même que nos enquêtes auprès des familles démontrent que celle-ci ne peut constituer l’unique pilier de l’éducation. L’enjeu réside également dans l’autonomisation des enfants au sein des espaces numériques, afin de leur apprendre à gérer les situations problématiques auxquelles ils seront inévitablement confrontés, comme dans la vie quotidienne. Le rôle de l’adulte consiste à transférer des compétences aux enfants en vue de leur autonomisation, et non uniquement à les protéger, car une surprotection peut paradoxalement devenir incitative à la prise de risques, particulièrement chez les populations les plus vulnérables.

Je vais ensuite répondre à votre question sur les injonctions contradictoires de manière très directe. Actuellement, bien que cela dépasse le cadre de votre enquête, la gestion et la régulation des écrans en France ne sont qu’un tissu de contradictions. Les outils numériques mis à disposition des enfants le sont systématiquement dans l’intérêt des adultes. Par exemple, nous savons que les écrans sont peu recommandés pour les jeunes enfants. Dans certains hôpitaux pédiatriques parisiens, vous pouvez voir des affiches de prévention « pas d’écran avant trois ans » dans la salle d’attente des urgences alors que les brancards sont équipés d’écrans. De même, dans la plupart des écoles maternelles, s’applique ce que j’appelle « le concept de l’enfant qui fond sous la pluie » : dès qu’il pleut légèrement à l’heure de la récréation, les enfants sont placés devant un dessin animé, y compris les plus jeunes, alors que nous savons que ce n’est pas idéal, mais cela arrange les adultes. Un dernier exemple significatif est celui de l’actuelle ministre de l’éducation nationale qui a instauré des « pauses numériques » expérimentales dans certains collèges à la suite du rapport de la commission écrans, une mesure que nous jugeons pertinente bien que sa présentation aurait pu être améliorée. Parallèlement, l’évaluation nationale du niveau en mathématiques et en français de tous les élèves de sixième s’est déroulée exclusivement sur ordinateur.

Ces injonctions contradictoires institutionnelles sont omniprésentes et je pense que notre manque de cohérence éducative sur ces sujets déroute nombre de jeunes aujourd’hui, cohérence particulièrement absente lorsqu’il s’agit de placer des outils numériques entre les mains de nos enfants, souvent pour satisfaire les intérêts des adultes.

M. le président Arthur Delaporte. Je vous remercie et vous invite à nous transmettre par écrit tout document, information ou réponse que vous jugerez utile de porter à notre connaissance.

 

Puis la commission auditionne M. Isac Mayembo.

M. le président Arthur Delaporte. Monsieur Isac Mayembo, vous êtes créateur de contenus sous le pseudonyme d’Alex Hitchens. L’audition aura lieu en visioconférence puisque vous avez dit être à l’étranger.

Je vous demanderai de préciser, dans votre intervention liminaire, tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations, notamment vos liens avec les plateformes, et de nous indiquer vos sources de rémunération, ainsi que la manière dont certains contenus vous rapportent de l’argent, en distinguant les différents réseaux sociaux.

Auparavant, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Isac Mayembo prête serment.)

M. le président Arthur Delaporte. Vous avez levé la main gauche, mais nous considérerons que c’était la main droite. Vous avez la parole.

M. Isac Mayembo. Il faut savoir tout d’abord que par rapport à ma rémunération provenant de TikTok, je ne suis pas payé avec la monétisation, c’est-à-dire que je ne suis pas payé par les vidéos mais plus par mes formations.

On produit du contenu sur la plateforme TikTok – plusieurs personnes le font, d’ailleurs : certaines travaillent pour moi et d’autres non, car j’ai ouvert un programme d’affiliation dans lequel les gens peuvent promouvoir mes formations sur la plateforme et toucher des commissions liées à ces ventes, qui sont en moyenne de 50 %, voire de 60 ou 70 % pour les meilleurs affiliés.

Pour simplifier, les gens font ma publicité sur ce réseau. Donc oui, je gagne de l’argent avec TikTok, et oui, j’ai des intérêts avec cette plateforme, bien entendu.

Même si je gagne de l’argent avec TikTok – j’ai envie d’être 100 % honnête aujourd’hui –, je pense que cette plateforme est, de manière générale, néfaste. Vous pouvez rigoler, mais je vais être très honnête aujourd’hui, même si je gagne de l’argent avec cela ; j’ai juré, malheureusement, et je n’ai pas le choix.

De prime abord, lorsque TikTok est sorti, c’était quelque chose d’intéressant. Ça permettait de condenser un peu les informations et de regarder une vidéo d’une ou deux minutes pour apprendre tout un tas de choses.

Le gros problème, c’est qu’en l’espace d’une ou deux minutes, il est dur d’avoir toutes les informations. C’est cette particularité-là qui a créé énormément de problèmes et de désinformation, dont je peux être aussi victime par moments. On peut manipuler l’information en isolant un propos, en prenant trente secondes ou une minute bien choisies sur une vidéo de dix minutes par exemple.

Pour résumer mon introduction, TikTok est, selon moi, à bannir. Je pense que cette plateforme est néfaste pour les jeunes, surtout si elle est mal encadrée, ce qui est le cas à mon avis.

Mme Laure Miller, rapporteure. Nous pouvons tous avoir notre opinion sur les contenus que vous publiez, notamment sur TikTok. L’objectif de cette audition est toutefois de comprendre comment vous êtes arrivé sur TikTok et l’intérêt que vous y avez trouvé, comment vous avez « joué » avec l’algorithme et le fonctionnement de la plateforme pour mettre en avant vos contenus et comment vous interagissez avec votre communauté. Nous pourrons peut-être évoquer également la question de la modération.

Tout d’abord, quand êtes-vous arrivé sur TikTok ? Comment avez-vous réussi à faire fonctionner vos contenus ? Est-ce une première vidéo avec beaucoup de vues qui vous a permis de constituer la communauté que vous avez aujourd’hui ?

M. Isac Mayembo. Intéressant. Si je ne me trompe pas, j’ai commencé fin 2021, début 2022. Je me suis vite rendu compte que ce qui fonctionne le mieux, disons-le clairement, c’est le contenu qui choque. C’est généralement celui qui attire le plus l’attention, qui génère le plus de ventes et le plus de transactions. En bref, TikTok est une plateforme où tout se base sur les premières secondes. Je pense que vous le savez. Ça vous a peut-être déjà été dit et ça sera sûrement répété.

Les premières secondes d’une vidéo sont primordiales. C’est à celui qui arrive le mieux à captiver son audience au bout de cinq ou dix secondes. Ce n’est pas comme sur YouTube, où le format est un peu différent, puisqu’on attire d’abord avec une miniature. Sur TikTok, tout se joue avec les cinq premières secondes. Plus c’est tranchant, plus c’est cash, plus c’est clair et plus ça fonctionne.

Mme Laure Miller, rapporteure. Avez-vous en tête un contenu particulièrement marquant, qui aurait obtenu de nombreuses vues et qui aurait beaucoup mieux fonctionné que d’autres ?

M. Isac Mayembo. La séduction. À l’époque, c’était la drague de rue, aborder des filles dans la rue en caméra cachée. La séduction fonctionnait extrêmement bien, et d’ailleurs ça fonctionne encore maintenant.

M. le président Arthur Delaporte. Vous avez indiqué que ce n’était pas l’une de vos sources de revenus principales, mais ces vidéos, qui recueillent parfois plusieurs millions de vues, sont-elles néanmoins monétisées ?

M. Isac Mayembo. Il y a de la monétisation, bien entendu, mais à titre personnel, je ne l’ai jamais touchée. Avant que je me fasse bannir de cette plateforme une première fois, de l’argent était généré, mais je n’avais même pas renseigné ma carte bancaire pour le récupérer. C’est pour vous dire à quel point la vente de mes formations était rentable. En plus, à l’époque, la monétisation était bien moins avantageuse. En 2021 ou début 2022, TikTok payait extrêmement mal, ce qui n’est plus le cas maintenant.

M. le président Arthur Delaporte. Depuis que vous êtes revenu sur la plateforme, avez-vous renseigné votre carte bancaire ?

M. Isac Mayembo. Non, je n’ai jamais touché un centime. Lorsque des personnes font du contenu pour moi, je leur laisse la monétisation. Tout l’argent qui est généré sur les plateformes, c’est pour eux.

Mme Laure Miller, rapporteure. Vous avez plusieurs comptes TikTok, qui traitent de sujets un peu différents. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ? Comment définiriez-vous votre communauté ? Est-ce que vous connaissez la proportion de mineurs qui vous suivent ? Avez-vous des interactions avec eux ?

M. Isac Mayembo. Le terme « communauté »… À partir d’un certain nombre d’abonnés, il est extrêmement difficile de pouvoir définir sa communauté. Avec tous les comptes de moi qui existent sur TikTok, on doit être à trois, quatre ou cinq millions de personnes. Lorsque je marche dans la rue, je peux être abordé par un homme de 40 ans, un jeune homme de 18 ans ou des gens qui ont la cinquantaine. C’est extrêmement dur pour moi d’identifier une tranche d’âge en particulier.

Je ne saurais pas définir quelle est ma réelle communauté. En plus, je n’ai pas l’occasion de pouvoir interagir avec elle, sauf dans les rares lives TikTok, que je fais de temps en temps, une fois tous les deux ou trois mois. Dans les lives TikTok, ce sont généralement des jeunes, en revanche. Mais il faut savoir que TikTok est aussi très présent chez les adultes de 30 ans, 40 ans, ce genre de tranches d’âge. Je pense que TikTok touche vraiment tout le monde.

Mme Laure Miller, rapporteure. Qui assiste à vos lives ? Ce sont des jeunes qui peuvent être mineurs ?

M. Isac Mayembo. Principalement des jeunes. Mineurs ? Je demande bien l’âge avant, donc généralement, non. Après, je ne suis pas modérateur, malheureusement. Je ne peux pas trier les personnes qui regardent mon live. Lorsque 4 000 personnes sont connectées, il y a forcément des mineurs, c’est sûr et certain. Après, c’est à la plateforme de faire son travail.

M. le président Arthur Delaporte. Je voudrais comprendre en quoi consistent ces comptes que vous déléguez à d’autres personnes, qui les exploitent sous votre nom et avec votre image. Vous avez donc une responsabilité vis-à-vis des contenus qui sont diffusés, surtout si vous contractualisez avec ces personnes. De quelle nature est ce lien ?

M. Isac Mayembo. Il existe une cinquantaine de comptes de moi. Nous en gérons sept directement. Pour ce qui est des quarante-trois autres – ils doivent même être plus nombreux, pour être honnête –, je n’en suis pas responsable car ce sont des personnes qui postent de leur plein gré, pour toucher la monétisation. Elles ne sont pas affiliées à moi.

M. le président Arthur Delaporte. Néanmoins, ces personnes vendent votre formation, ce qui vous rapporte de l’argent.

M. Isac Mayembo. Pas forcément. Certaines personnes postent mon contenu pour toucher la monétisation, ce qui est différent.

M. le président Arthur Delaporte. Et vous le tolérez…

M. Isac Mayembo. Est-ce que je le tolère ? Pour être honnête avec vous, je dirais non. Mais est-ce que je peux le stopper ? J’ai déjà essayé et ce n’est pas si évident.

M. le président Arthur Delaporte. Il y a donc un sujet de propriété intellectuelle. Pour en revenir aux comptes qui vendent de la formation affiliée, vous assurez-vous du respect de la loi « influenceurs », que nous avons défendue avec Stéphane Vojetta ?

M. Isac Mayembo. Le respect de la loi « influenceurs » : pouvez-vous m’éclairer, s’il vous plaît ?

M. le président Arthur Delaporte. La loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux impose par exemple d’ajouter la mention « collaboration commerciale » en cas de partenariat commercial. Elle exige de conclure des contrats écrits. Les contenus qui s’inscrivent dans le cadre d’opérations de promotion doivent respecter l’ensemble des règles de droit, notamment les droits d’auteur.

M. Isac Mayembo. Étant donné qu’il n’y a pas de promotion commerciale dans la vidéo, je ne sais pas si ça s’applique. Je ne suis pas sûr que ce soit le cas lorsqu’on se contente de placer un lien en description d’une page, mais que le contenu proposé n’en fait pas la promotion. Par contre, je serais effectivement obligé de le notifier si une vidéo fait la promotion d’une formation – comme pour un placement de produit, par exemple. Mais étant donné que ce n’est pas le cas, je ne pense pas que ça s’applique.

M. le président Arthur Delaporte. Nous le vérifierons.

Mme Laure Miller, rapporteure. Même si vous ne pouvez pas la quantifier, une partie des trois ou quatre millions de personnes qui vous suivent sont des jeunes, voire des mineurs. Or l’objet de notre commission d’enquête est d’évaluer l’impact des contenus diffusés sur TikTok sur leur santé mentale.

Comment réagissez-vous aux critiques que suscitent vos contenus, qui sont parfois vus par de très jeunes enfants ? Êtes-vous conscient de l’impact que vous avez sur eux ?

En tant que députés, nous entendons très souvent votre nom lorsque nous nous rendons dans des collèges ou même des écoles primaires. Cela signifie que des enfants de 9, 10, 11 ou 12 ans ont accès à vos contenus et aux messages contestables que vous véhiculez, notamment sur les femmes.

M. Isac Mayembo. Contestables, c’est une question de point de vue. On pourrait juger mes contenus problématiques, mais c’est un terme subjectif et flou. Ils ne correspondent à aucune infraction et à aucune qualification juridique. Donc tout dépend de la perception de chacun. Je ne trouve pas que mes propos soient problématiques, même si ce terme veut tout et rien dire. Je pense qu’un jeune homme de 13, 14 ou 15 ans devrait suivre mes conseils. Je pense que je donne de bons conseils pour la jeunesse, même si j’imagine que vous n’allez pas être d’accord avec moi.

Mme Laure Miller, rapporteure. Étant une femme de plus de 36 ans, je ne crois pas être le cœur de cible de vos vidéos – mais je considère en effet que vos contenus sont contestables. Peu importe, ce n’est pas le sujet.

Vous avez indiqué que vous avez déjà été banni de TikTok, ce qui signifie que certains de ces contenus ont été considérés par la plateforme comme plus que problématiques. Quand cela s’est-il produit ?

M. Isac Mayembo. Ce que vous dites n’est pas exact. C’est une petite erreur de votre part.

Les femmes qui ne sont pas d’accord avec moi – un peu comme vous, j’imagine – signalent les vidéos. Cela peut aussi être des hommes évidemment, s’ils ne sont pas d’accord avec moi. Forcément, après un certain nombre de signalements, la vidéo saute.

TikTok m’a autorisé à poster la vidéo, et d’ailleurs la même vidéo postée sur un autre compte peut ne pas être bannie, mais forcément après 100, 200, 300 ou 400 signalements – je n’en connais pas le nombre exact –, elle saute malheureusement.

Mme Laure Miller, rapporteure. Vous évoquiez une sorte de zone grise qui fait que vos propos ne tombent pas sous le coup de la loi. Ils restent donc problématiques, sans avoir de conséquences.

M. Isac Mayembo. C’est ce qu’on appelle la liberté d’expression, madame.

Mme Laure Miller, rapporteure. Bien sûr. Si vos propos ne sont pas contraires à la loi, ils entrent en effet dans le champ de la liberté d’expression. Toutefois, comme vous connaissez le fonctionnement de TikTok, évitez-vous certains mots ou les énoncez-vous de façon particulière, par exemple en les épelant, pour que vos vidéos ne soient pas supprimées avant d’être diffusées ?

M. Isac Mayembo. Le problème, c’est que je suis censé adoucir un peu mes propos pour cette plateforme. D’autres plateformes me permettent de parler un peu plus librement.

M. le président Arthur Delaporte. Qu’entendez-vous par « adoucir vos propos » ?

M. Isac Mayembo. Par exemple, on peut utiliser le mot « poutrer ». Ça vous fait rire, mais employer ce mot à la place de « coucher » ou d’un terme encore plus vulgaire permet de s’assurer que la vidéo ne sera pas censurée trop facilement. Donc, adoucir certains propos de cette façon peut arriver, oui, surtout dans les lives TikTok.

M. le président Arthur Delaporte. Par exemple, vous avez dit : « Vous prenez son téléphone. Si elle refuse, c’est une pute. Fin de relation » ou « La majorité des femmes, énormément de P.U.T.E.S., peu de filles bien ». Déjà, vous remplacez « putes » par « P.U.T.E.S » pour échapper à la modération, mais ces propos vous semblent-ils contrevenir aux conditions générales d’utilisation de la plateforme et plus largement à la loi ?

M. Isac Mayembo. Je pense que vous vous avancez un peu trop, parce que ces propos ont été prononcés dans un live YouTube et pas dans un live TikTok.

M. le président Arthur Delaporte. Vous auriez sans doute pu les tenir sur TikTok.

M. Isac Mayembo. Est-ce que votre commission s’intéresse à TikTok ou à YouTube ?

M. le président Arthur Delaporte. Nos travaux visent à spécifier les effets de TikTok par rapport aux autres plateformes. Auriez-vous pu tenir ces propos sur TikTok ?

M. Isac Mayembo. Des choses comme « P.U.T.E.S. » sur TikTok ? C’est fort possible ; si vous trouvez un extrait vidéo, je le reconnais volontiers, mais en l’occurrence, les propos que vous venez de citer proviennent – je m’en souviens très bien – d’un live YouTube. Il faut bien faire la différence entre TikTok et YouTube.

M. le président Arthur Delaporte. Nous interrogerons YouTube. « Je le dis souvent, une femme après 22 heures, qu’est-ce qu’elle fout dehors ? », sur quelle plateforme avez-vous tenu ces propos ?

M. Isac Mayembo. Encore une fois, c’était sur YouTube, monsieur. J’aurais pu tenir ces propos sur TikTok, bien entendu, mais il aurait surtout fallu conserver la vidéo originale.

Comme je l’expliquais au début, le gros problème de TikTok est la désinformation et je pense que vous êtes en train de tomber dans le piège. Vous isolez mon propos, en prenant dix secondes d’une vidéo de huit à dix minutes dans laquelle je disais – je vais rentrer dans le détail, puisque nous en parlons, alors pourquoi pas – que le Gouvernement était responsable de la sécurité et qu’il n’était pas normal, en 2025, qu’une femme ne puisse pas sortir le soir très tard, à Paris. Et après, je disais que dans ce monde qui est dur, je me demandais ce que faisait une femme dehors après 22 heures. Et je poursuivais ensuite en disant qu’il était préférable de sortir avec une amie ou avec deux amies, ou avec un homme. Vous n’avez pris que dix secondes de mon propos, vous avez isolé ce passage et vous venez de me le balancer à la gueule ! C’est le problème de TikTok.

M. le président Arthur Delaporte. Balancer à la gueule, excusez-moi, mais « Vous prenez son téléphone. Si elle refuse, c’est une pute. Fin de relation » est quand même un contenu problématique. Sur TikTok et YouTube, les conditions…

M. Isac Mayembo. Vous changez de sujet…

M. le président Arthur Delaporte. Laissez-moi finir, s’il vous plaît.

M. Isac Mayembo. Si vous changez de sujet…

M. le président Arthur Delaporte. Je vous demande de me laisser finir. Je suis le président de la commission d’enquête et c’est moi qui mène l’audition.

M. Isac Mayembo. Vous êtes peut-être président, monsieur, mais si vous déformez mes propos, il n’y aura plus de président.

M. le président Arthur Delaporte. Nous allons devoir couper votre son si vous continuez. Je vais finir mon propos.

M. Isac Mayembo. Au revoir, monsieur, bonne journée.

(M. Isac Mayembo interrompt la connexion.)

M. le président Arthur Delaporte. L’audition est suspendue ; nous contacterons « M. Hitchens » pour lui expliquer qu’il n’est pas possible de quitter une audition de commission d’enquête sans y avoir été invité.

 

Puis la commission auditionne M. Adrien Laurent.

M. le président Arthur Delaporte. Les influenceurs que nous auditionnons ont été choisis selon deux principes. Nous nous appuyons, d’une part, sur les résultats de la consultation citoyenne effectuée sur le site de l’Assemblée nationale – elle a duré six semaines et a permis d’obtenir plus de 30 000 réponses – et, d’autre part, sur les témoignages recueillis par notre commission lors de la centaine d’auditions qu’elle a déjà menées.

Je rappelle que cette commission d’enquête a d’abord été constituée pour les victimes, que nous avons déjà eu l’occasion de recevoir.

Puisque certains commentaires ont été relayés dans la presse par l’intermédiaire des avocats de M. Laurent, j’insiste sur le fait que nous ne sommes pas dans un tribunal. Si la loi dote les commissions d’enquête de pouvoirs étendus, nous ne nous substituons pas à la justice. Notre objectif est de comprendre le fonctionnement des réseaux sociaux, leurs usages et les raisons pour lesquelles nous sommes interpellés sur certains sujets. Nous souhaitons faire la lumière sur les logiques qui amènent à produire certains contenus et réfléchir aux possibles régulations.

Monsieur Laurent, je vous remercie d’être présent. J’ai cru lire que vous aviez découvert votre convocation dans la presse. Je le déplore, car nous l’avons envoyée aux adresses mail qui nous ont été communiquées par votre manager, quatre jours avant que les médias n’en fassent mention. Il y a peut-être eu un problème de communication. Je précise également que notre convocation a été émise avant que la ministre, Mme Bergé, fasse son signalement à TikTok.

Dans le cadre de votre intervention liminaire, je vous prie de nous préciser tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations et de nous expliquer vos liens avec les plateformes, la nature de vos revenus et la manière dont vous percevez de l’argent, en fonction des différents contenus.

Enfin, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Adrien Laurent prête serment.)

M. Adrien Laurent, influenceur. Je vous remercie sincèrement pour votre invitation à participer à vos travaux et à m’exprimer sur un sujet important, celui des effets psychologiques de TikTok sur les mineurs.

Tout d’abord, permettez-moi de me présenter, pour dissiper d’éventuels préjugés. J’ai été basketteur de haut niveau avant de me faire connaître, à 22 ans, dans l’émission de téléréalité « Garde à vous » sur M6. J’ai ensuite participé à d’autres programmes de téléréalité diffusés à la télévision pendant près de dix ans.

C’est à cette époque que je me suis inscrit sur les réseaux sociaux, pour échanger avec les gens qui m’appréciaient dans ces émissions. Puis, fort de mon expérience dans la téléréalité, j’ai décidé de produire un contenu original et divertissant sur mes propres réseaux. Pour cette raison, je préfère être qualifié de créateur de contenu plutôt que d’influenceur, terme qui me réduit à une fonction publicitaire et nie ma liberté de création artistique. À l’image des sociétés de production dans la téléréalité, je suis devenu mon propre producteur.

Parallèlement, de manière distincte, je suis créateur de contenu pour adultes depuis deux ans. Ces vidéos sont commercialisées exclusivement sur des plateformes réservées aux majeurs. Elles ne sont pas présentes sur TikTok. Je travaille avec des actrices professionnelles majeures, qui ont elles-mêmes leurs comptes sur ces plateformes.

Après cette brève présentation, je vais tenter de vous apporter un éclairage sur ce que j’imagine être attendu de moi par cette commission. Contrairement à d’autres personnes auditionnées, je n’ai pas reçu de questions préparatoires. Cependant, les interventions médiatiques de M. le président Delaporte m’ont permis de comprendre les raisons de ma convocation. Lors d’une émission, il m’a présenté comme « un influenceur extrêmement violent, qui véhicule un imaginaire sexiste ». Il a qualifié mon contenu de « problématique », car il aurait trouvé des vidéos pour adultes sur mon compte X, anciennement Twitter.

Je réfute avec force ces accusations.

Premièrement, le contenu que je diffusais sur TikTok reprenait les codes de la téléréalité. J’y montrais mon quotidien, mes voyages, mes proches et mon activité professionnelle, tout en respectant les règles de la plateforme, notamment en matière de nudité. Les posts étaient accessibles uniquement aux utilisateurs de plus de 13 ans. Surtout, avant mon bannissement – que je considère comme infondé et motivé par des raisons politiques –, mes vidéos étaient disponibles sans censure de TikTok.

Deuxièmement, selon la signalétique jeunesse de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), un contenu qui évoque la sexualité adulte est classé comme interdit aux moins de 12 ans à la télévision. Il est donc accessible à partir de 12 ans, comme le film Cinquante nuances de Grey, dans lequel une femme majeure, consentante, parfois masquée, entretient une relation sadomasochiste avec un homme. L’Arcom précise qu’un contenu érotique est interdit aux moins de 16 ans, et donc accessible à partir de 16 ans. Dans mes contenus sur TikTok, je parle parfois de sexualité, car c’est ma profession mais je ne diffuse aucun – je dis bien, aucun – contenu érotique et la plateforme est accessible uniquement à partir de 13 ans.

Troisièmement, contrairement à ce qu’affirmait le président Delaporte, si Twitter autorise désormais les contenus pour adulte, il restreint évidemment leur accès aux majeurs. Les personnes majeures souhaitant accéder à ces contenus sur mon compte Twitter doivent modifier leurs réglages en ce sens.

Quatrièmement, mon contenu n’est ni sexiste, ni misogyne, ni masculiniste et je n’ai jamais été violent. Dans le cadre de ma liberté de création artistique, à l’image de ce que permettent certaines émissions de téléréalité, j’évoque ouvertement ma vie d’acteur de contenus pour adultes.

On me juge souvent non pas pour ce que je dis, mais simplement pour ce que je suis. Ma profession suffit, aux yeux de certains, pour me disqualifier d’office, comme si travailler dans l’industrie pour adultes empêchait d’avoir une parole responsable.

Parce que je viens de la téléréalité et que je suis acteur de films pour adultes, on me méprise en me qualifiant de beauf, comme si, par définition, tout contenu populaire était sexiste. Or je parle de ma vie de manière assumée, transparente et respectueuse. Il m’arrive d’échanger avec des actrices professionnelles sur TikTok, sans jamais ni dénigrer leurs envies et leurs pratiques ni les rabaisser, et cela sans aucune nudité.

Dans cette même interview, M. le président Delaporte a déclaré : « il sait très bien qu’il touche des jeunes et que ces jeunes vont découvrir la sexualité, le porno, à travers lui et moi ça me pose un problème », ajoutant « quand je vais dans une classe de CM2 et que je leur demande "quel est votre influenceur préféré sur TikTok ?", ils me disent AD Laurent ».

Je conteste formellement ces accusations.

Premièrement, je n’ai jamais encouragé un public mineur à consommer du contenu inadapté. Je profite d’ailleurs de cette occasion pour insister sur le fait que la sexualité ne s’apprend pas à travers le contenu pour adultes. Le contenu pour adultes n’est pas une éducation à l’intimité. Il s’agit d’une mise en scène entre adultes professionnels, majeurs et consentants. Ayant près de deux millions d’abonnés sur TikTok et conscient de cette large audience, j’ai utilisé la plateforme de façon responsable, en diffusant régulièrement des messages de prévention. J’ai choisi de mettre l’accent sur l’importance du dépistage et du port du préservatif, avec des messages clairs et accessibles.

Deuxièmement, les élèves de CM2 ne peuvent pas avoir accès à TikTok. La plateforme est interdite aux moins de 13 ans et les lives sont réservés aux plus de 18 ans. Si des élèves de CM2, qui ont entre 10 et 11 ans, accèdent à cette plateforme, c’est un problème de contrôle parental et de responsabilité de TikTok, pas la mienne. Je refuse d’endosser une responsabilité qui ne m’appartient pas et d’être comptable d’un contrôle qui n’est pas à ma portée. J’ai toujours veillé à sensibiliser et je n’ai jamais exposé des jeunes à des contenus inappropriés.

Cette clarification étant faite, je souhaite aborder le sujet de cette commission, à savoir TikTok.

Concernant mes liens avec TikTok, je n’ai pas de lien particulier avec la plateforme. Je ne suis pas son ambassadeur. Elle ne m’a jamais rémunéré pour que je crée un compte. Je n’ai pas de partenariat direct avec elle.

Concernant mes revenus générés sur TikTok, je dirais qu’en trois ans, j’ai gagné entre 15 000 et 20 000 euros, soit une moyenne haute de près de 555 euros par mois. On est loin d’un business ! J’aurais aimé être plus précis, mais malheureusement, mon compte ayant été supprimé en moins de vingt-quatre heures à la suite d’une intervention politique, je n’ai pas le chiffre exact. Sur TikTok, mes revenus étaient majoritairement issus de la monétisation du contenu publié. Les règles encadrant la monétisation sont très floues. Il me semble que les créateurs de contenu touchent entre 50 centimes et 1 euro toutes les 1 000 vues pour un contenu de plus d’une minute.

Les utilisateurs ont également la possibilité de faire des cadeaux, qui sont en réalité des émojis monétisés, lorsque le live leur plaît, mais ce n’est pas une obligation. Certains créateurs de contenus se sont adonnés à la pratique régulière des live matches, qui consiste à faire une compétition entre deux intervenants, afin de savoir lequel récoltera le plus de ces émojis. Étant réticent à cette pratique, qui peut pourtant rapporter énormément d’argent, je n’ai fait que très peu de live matches, à peu près une dizaine en trois ans sur TikTok.

Je n’ai réalisé quasiment que des lives TikTok classiques ou multi-invités. Ces lives me permettaient, tous les soirs, de rencontrer ma communauté de vingt-deux heures à minuit et d’échanger sur leur vie avec mes abonnés, de manière directe, légère, en répondant à leurs questions.

Je rappelle que selon les règles communautaires de TikTok, éditées par la plateforme elle-même : « Si nous confirmons que tu as 18 ans ou plus, tu pourras passer en live. Si nous ne pouvons pas confirmer ton âge, tu ne pourras pas passer en live. Si nous confirmons que tu as moins de 18 ans, tu ne pourras pas accéder aux lives ».

À ce sujet, Mme la ministre déléguée Aurore Bergé a justifié mon bannissement de TikTok sur France Info en ces termes : « Cette personne faisait des vidéos, notamment des lives sexuels, avec des jeunes femmes masquées, dont on ne connaît pas l’âge, où on pouvait avoir un doute sur le fait qu’elles soient même majeures et dont on ne sait en rien si elles ont consenti à être sur ces vidéos ».

L’ensemble de ces accusations sont fausses. L’accès et la participation aux lives TikTok sont interdits aux mineurs. Aucun contenu sexuel n’était diffusé lors de mes lives. Il s’agissait simplement de discussions légères avec mes abonnés. Pour accéder ou participer à un live, les utilisateurs doivent faire une demande particulière. Donc, toutes les personnes qui passaient sur mon live, qu’elles soient masquées ou non, étaient majeures et consentantes.

Concernant l’algorithme de TikTok, son fonctionnement est flou, mais je comprends qu’il faut être percutant et accrocheur dans les premières secondes de la vidéo, à l’image du titre et du chapeau d’un article de presse souhaitant faire du clic.

Enfin, je tiens à dire que cette commission me paraît essentielle. Je trouve extrêmement utile cette réflexion, avec des spécialistes, sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi l’exécutif, notamment la ministre déléguée Aurore Bergé, a pris une décision hâtive concernant le bannissement de mon compte, sans attendre les conclusions de vos travaux parlementaires.

Si les conclusions de votre commission montrent que certains contenus ont des effets négatifs sur la santé mentale des mineurs, alors je serai bien évidemment le premier à demander qu’ils n’y aient pas accès, par exemple en restreignant l’accès à certains réseaux où à certains contenus aux mineurs de 15 ans. Il faudrait mettre en place un contrôle efficace, sans faire peser toute la responsabilité sur les créateurs, qui ne sont ni éducateurs ni parents, et qui doivent seulement respecter les règles fixées par la plateforme.

J’espère avoir été clair et complet dans mes explications et je répondrai à vos questions avec sérieux, franchise et honnêteté.

Mme Laure Miller, rapporteure. Vous avez peut-être été surpris de cette convocation, mais nous avons lancé une grande enquête, qui nous a permis de recueillir plus de 30 000 réponses, dont pratiquement la moitié émanait de lycéens. L’une des questions permettait de citer des influenceurs ou des créateurs de contenu considérés comme problématiques. Or votre nom est revenu très souvent.

En outre, comme M. Delaporte l’a dit dans les médias, nous nous rendons dans des lycées, des collèges, même des écoles primaires, et nous constatons que votre nom est bien connu des jeunes.

Vous dites que vous voulez avoir une parole responsable – et tant mieux –, tout en soulignant que ces jeunes ne devraient théoriquement pas être sur la plateforme. C’est pourtant la réalité. À 11 ans, un jeune sur deux est sur TikTok. Cela devrait peut-être vous amener à réagir, d’une façon ou d’une autre.

Mon propos n’est pas à prendre sous l’angle moral. Nous cherchons simplement à comprendre pourquoi vous êtes allé sur TikTok, comment vous gérez vos contenus face à une communauté en partie très jeune, ainsi que la modération du réseau.

En tant que créateur de contenu, je suppose que votre stratégie est d’être le plus présent possible sur les plateformes. Pouvez-vous nous confirmer que vous avez été banni de Snapchat et d’Instagram ? Pourquoi avez-vous choisi TikTok ? L’algorithme vous semblait-il plus adapté ?

M. Adrien Laurent. Pour répondre à la première question, je suis un personnage qui peut être apprécié, mais je peux également comprendre que des gens ne soient pas adeptes de mon contenu.

Je n’ai pas été banni par ma faute d’Instagram. À l’époque, pendant le covid, je faisais des lives super sympas, avec des filles qui dansaient, de la musique, etc. Il y avait énormément de gens présents lors de mes lives, mais quand 900 000 personnes te suivent, certaines t’aiment et d’autres ne sont pas d’accord avec ton contenu. Malheureusement, il arrive parfois qu’elles le signalent, pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Bien qu’énormément de gens t’aiment, si beaucoup d’autres signalent ton compte, tu peux le perdre sans aucune explication. J’ai vécu la même chose sur Snapchat.

Je suis arrivé sur TikTok très tard. J’aimais beaucoup l’application, mais je ne ressentais pas le besoin d’y être. C’est mon frère qui m’a dit : « Tu devrais te lancer sur TikTok ». À cette époque, je n’étais pas du tout dans le contenu pour adultes. Ça me paraissait cool, parce que c’étaient des vidéos très rapides avec beaucoup d’engagement. Je me suis dit : « Adrien, tu devrais te mettre sur TikTok, parce que c’est l’application la plus téléchargée en France et même dans le monde, ça peut te faire de la visibilité en plus ». Comme un influenceur responsable, j’ai donc essayé TikTok. Je ne le regrette pas, parce que j’ai eu beaucoup de bons retours en très peu de temps, sans avoir commencé le contenu pour adultes.

Vous devez comprendre que je fais du contenu pour adultes, mais que j’ai fait dix ans de téléréalité auparavant. Sur les deux millions de personnes qui me suivent, toutes ne me suivent pas grâce au contenu pour adultes. Certaines me suivent pour la téléréalité, d’autres parce qu’elles adorent mes lives le soir, parce qu’ils leur apportent quelque chose de positif, qu’on rigole et que j’arrive à rester dans la bienveillance avec mes abonnés, et effectivement il y en a qui me suivent parce que je fais du contenu pour adultes.

Je répète que mon contenu pour adultes est uniquement accessible sur des plateformes privées, réservées aux majeurs.

Si j’ai réussi à attraper 1,8 million d’abonnés en un an et demi, c’est que mon contenu plaît. Évidemment, j’ai une responsabilité vis-à-vis des personnes qui sont sur TikTok, mais je ne peux pas être responsable de tout. Dans votre étude, vous dites que 30 000 élèves de CM2…

M. le président Arthur Delaporte. Lorsque je vais dans les classes de CM2, je demande toujours aux élèves de me citer les influenceurs qu’ils connaissent. Ils en listent souvent une palanquée, puis finissent par citer AD Laurent en riant, un peu gênés. Ils savent qu’ils ne sont pas censés vous connaître, comme Hitchens ou d’autres, même si je ne fais pas de comparaison entre vous.

M. Adrien Laurent. Je suis citoyen français. Je paye mes impôts en France. J’ai pris la responsabilité de rester à Paris. Quand je marche dans la rue ou que je fais mes courses, des personnes de 50 ans, de 30 ans, de 15 ou 16 ans m’arrêtent souvent pour faire des photos. Je ne reçois jamais de haine ou d’insultes.

Je ne peux pas choisir ma communauté. Des gens me suivent parce qu’ils aiment bien mes lives, d’autres parce qu’ils aiment bien ma simplicité ou le fait d’assumer ma sexualité et d’être Adrien Laurent. Je suis très fier d’avoir fait de la téléréalité, d’être dans le sport et de créer du contenu pour adultes. Je ne veux surtout pas, j’insiste, qu’on me compare avec Alex Hitchens, car je suis en tout point à l’opposé de ce monsieur. Je ne suis ni sexiste, ni misogyne, ni masculiniste.

Ce n’est pas parce qu’on me voit avec plusieurs filles et que je suis acteur porno qu’il faut tout de suite se dire que je suis un détraqué sexuel. Je suis acteur porno, je bosse avec une équipe très professionnelle et je n’ai jamais dit qu’une fille qui sort après vingt-deux heures ou qui met des jupes courtes est une fille facile. Au contraire, je prône la liberté sexuelle à égalité à longueur de journée et je mets la femme sur un piédestal tout le temps. Mon contenu pour adultes est réalisé avec des filles consentantes, majeures et qui ont commencé le porno avant moi.

La plupart du temps, les stars des contenus pour adultes sont des femmes, mais j’ai réussi à faire des performances très rapidement sur les réseaux sociaux.

J’adapte mon contenu à chaque plateforme. Ce que je fais sur OnlyFans ou MYM, je ne le fais pas sur TikTok. En revanche, j’y fais des lives avec des gens cool, j’apprends un peu d’où vient ma communauté et, de temps en temps, je fais des pranks, parfois à connotation sexuelle, mais j’arrive toujours à fixer une limite et à faire en sorte que ce soit sécurisé pour les jeunes.

Mme Laure Miller, rapporteure. Confirmez-vous que vous ne renvoyez pas votre communauté TikTok vers d’autres plateformes, sur lesquelles vous proposeriez d’autres types de contenus ?

M. Adrien Laurent. Depuis que j’ai commencé la télévision, je pense que les gens me connaissent assez bien. Je parle des gens qui suivent mon contenu, et pas de ceux qui ont vu deux ou trois minutes d’un live en trois ans. J’ai beaucoup de notoriété et les gens m’apprécient parce qu’en dix ans, je suis resté le même, que ce soit sur TikTok, Snapchat, etc. Je reste le mec simple, fun, cool, qui poste des contenus sur un ton léger et humoristique.

Mes lives TikTok s’adressent uniquement à des majeurs, peut-être que c’est le cas seulement en théorie, mais si un petit de 14 ans contourne la règle, je n’y peux rien. Je ne veux pas qu’on me surresponsabilise dans cette histoire. Les épiceries vendent de l’alcool à deux mètres des bonbons. Un petit de 15 ans n’a pas le droit d’acheter de l’alcool, mais le magasin n’a pourtant pas l’interdiction d’en vendre. C’est la même chose pour moi. Je suis un simple usager de la plateforme, qui respecte les règles.

Est-ce que je renvoie les gens de TikTok vers d’autres plateformes ? J’ai 1,8 million d’abonnés sur cette application. On me demande régulièrement : « AD, où on peut voir tes films ? », « AD, tu as un Snap ? », « AD, tu as un Twitch ? », « C’est quoi ton YouTube ? », etc. De temps en temps, pour alimenter mes autres plateformes, je mets des liens pour que les gens puissent me retrouver. C’est l’essence même de l’activité d’influenceur d’être sur toutes les plateformes possibles, mais je suis professionnel et je répète que mon contenu est à chaque fois totalement différent.

Le problème, c’est qu’avec 1,8 million d’abonnés et 20 000 personnes en live tous les soirs, il est évident qu’il y a des gens qui n’apprécient pas ton contenu et qui le signalent. Je l’accepte. Je respecte les gens qui ne sont pas adeptes de mon contenu. Je ne dis pas que j’ai la meilleure image, mais je n’influence aucun mineur à être acteur porno. À la différence du monsieur que vous avez auditionné juste avant, je ne vends aucune formation – et je me tairai sur les raisons qui motivent ces formations. Je propose juste ma vie. Malheureusement ou heureusement, les gens veulent me suivre, pour savoir ce que fait AD le matin ou en vacances. Je ne le contrôle pas. J’essaye néanmoins d’être le plus respectueux possible sur les plateformes publiques.

Mme Laure Miller, rapporteure. Comme vous l’avez indiqué, l’objectif d’un influenceur est de faire en sorte que sa communauté découvre ses autres contenus. Si vous avez conscience que votre communauté TikTok est composée notamment de mineurs, vous savez qu’en mentionnant des plateformes où se trouvent des contenus de nature pornographique, ils vont y aller, ne serait-ce que par curiosité.

M. Adrien Laurent. Aucun mineur ne peut avoir accès à mes plateformes privées.

M. le président Arthur Delaporte. Tout dépend des règles de vérification mises en place par les plateformes.

C’est un peu compliqué depuis la suspension de votre compte, mais nous avons une vidéo d’un de vos lives avec un mineur.

M. Adrien Laurent. Avez-vous cette vidéo ?

M. le président Arthur Delaporte. Nous allons vous la montrer. Vous êtes avec un jeune, à qui vous demandez où sont ses parents, pourquoi il n’est pas au catéchisme alors qu’on est dimanche ou je ne sais plus trop quoi. Manifestement, il s’agissait d’un mineur, qui participait donc à l’un de vos lives.

M. Adrien Laurent. Je le répète, je fais des lives tous les soirs depuis trois ans et je prends énormément de gens. Lorsque je prends une personne de moins de 18 ans, qui a contourné les règles de son plein gré – mais ça, ce n’est pas mon problème –, je la fais descendre du live avec bienveillance et respect. Je le fais quand ce sont des filles ou des hommes de 17, 18, 19 ans et que je ne suis pas sûr de leur identité.

Mes lives cartonnent, car je prends tout type de personne. J’arrive à en apprendre plus sur leur vie, sur les raisons pour lesquelles ils me suivent, depuis combien de temps, etc. Je ne fais aucune distinction dans mes lives. Je prends des filles, des hommes. Je me fais harceler tous les jours : « AD, s’il te plaît, je peux monter son ton live ? J’adore, j’ai absolument envie de monter sur ton live. » Si malheureusement, je prends quelqu’un qui a contourné les règles – je n’ai plus TikTok, mais ça arrivera peut-être un jour –, qu’est-ce que je dois faire ?

M. le président Arthur Delaporte. C’est une vidéo de ce type que j’ai vue. Vous y êtes avec quelqu’un de très jeune.

M. Adrien Laurent. Je me souviens de ce live. En l’occurrence, il n’y avait aucun propos sexuel et aucune allusion sexuelle. Je lui dis justement qu’il est tard et qu’il faut qu’il aille se coucher. Même dans un live où je prends quelqu’un qui a contourné les règles de TikTok – et ce n’est pas ma faute –, j’arrive à avoir un propos responsable.

M. le président Arthur Delaporte. Parmi vos différents contenus, vous avez évoqué les pranks. De quoi s’agit-il ?

M. Adrien Laurent. Ce sont des blagues.

En décembre, je suis allé en Thaïlande. Ça va peut-être vous faire rigoler, en tout cas, moi ça m’a fait beaucoup rire et ça a fait rire beaucoup de gens. J’ai visité un site où il y avait des éléphants et, en tant que créateur de contenu pour adultes, j’ai posté une vidéo avec un éléphant et j’ai dit « Oh, un concurrent sérieux », avec la métaphore de la trompe. C’est marrant – je vois que l’un d’entre vous rigole – mais je peux comprendre que des gens n’apprécient pas.

Je faisais du basket et des tirs à trois points. J’ai mis en commentaire « On vise le trou avec respect ». Un majeur peut sûrement rigoler, comme monsieur le député, tandis qu’un mineur ne voit qu’un mec qui joue au basket. C’est toujours de l’autodérision et du fun.

L’ironie du sort, c’est que ma maman est dans l’éducation nationale. Elle est prof depuis très longtemps. J’ai toujours eu ce soutien de mes parents. Ma mère ne souhaite pas regarder mes contenus pour adultes, mais elle est toujours là pour m’aider à trouver les bons mots. Il faut que je sois performant sur tous mes posts TikTok. Je pense que c’est le cas, mais je peux comprendre que des gens ne soient pas attirés par mon contenu. Je le respecte.

M. le président Arthur Delaporte. En poussant la logique du prank, on arrive parfois à de la provocation.

Dans le cadre de cette commission d’enquête, nous avons auditionné un chercheur qui a analysé assez minutieusement l’un de vos lives, dans lequel vous poussez une femme que vous ne trouvez pas assez féminine à prouver qu’elle n’est pas trans et qu’elle est bien cisgenre. Vous – ou l’un de vos conseils – avez peut-être suivi cette audition.

Or dans les conditions générales de la plateforme, de nombreuses dispositions interdisent les moqueries, les humiliations, les intimidations, les remarques liées à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre. Considérez-vous que les propos que vous avez tenus dans ce live les respectent ?

M. Adrien Laurent. Je prends des gens en live depuis 2021, cinq fois par semaine. Il s’agit de tout type de personne, des homosexuels, des transsexuels, des parents d’élèves, des ouvriers, etc.

En l’occurrence, quand je prends un transsexuel – on dit peut-être un transgenre, je ne sais pas –, j’ai le droit de poser des questions pour connaître son état d’esprit, de savoir si cette personne a voulu faire une chirurgie, etc. Je me pose des questions et ça me fait plaisir d’en apprendre plus sur mes abonnés. Qu’ils soient homosexuels, trans ou autre chose, je ne porte aucun jugement et je n’humilie jamais personne. En revanche, je m’intéresse aux gens. Ceux qui suivent les lives tous les soirs depuis 2022 le savent.

J’ai autant d’abonnés et autant de vues en live, parce que je reste bienveillant. Néanmoins, quand je me pose des questions par rapport à certaines personnes, je les interroge.

M. le président Arthur Delaporte. Nous en venons aux questions des députés.

M. Antoine Vermorel-Marques (DR). Théoriquement, les mineurs ne peuvent pas voir vos vidéos à caractère pornographique, mais comment parviennent-ils à détourner les règles ?

M. Adrien Laurent. Je n’en ai aucune idée.

M. Antoine Vermorel-Marques (DR). Avez-vous des suggestions à nous faire pour renforcer les règles ?

M. Adrien Laurent. Votre commission d’enquête porte sur TikTok, n’est-ce pas ? Pour ma part, je poste du contenu pour adultes uniquement sur des plateformes privées, réservées aux majeurs.

M. le président Arthur Delaporte. X n’est pas une plateforme privée. Le sujet peut en outre s’inscrire dans la poursuite des réflexions de cette commission d’enquête. Avez-vous des idées dont vous souhaiteriez nous faire part ?

M. Adrien Laurent. Le réseau X accepte la pornographie, mais lorsque vous créez un compte Twitter vierge, vous n’avez pas accès à un contenu sensible. Pour y avoir accès, vous devez modifier les réglages. Vous le faites de votre plein gré. Donc, si vous avez vu du porno ou du contenu violent sur Twitter, c’est que vous le voulez.

M. Antoine Vermorel-Marques (DR). Votre contenu à caractère pornographique se trouve sur d’autres plateformes que TikTok, mais vous mettez parfois des liens sur TikTok qui y renvoient. Je ne porte aucune accusation vis-à-vis de vous. Je souhaite néanmoins que nous parvenions à limiter ces pratiques, afin de protéger les mineurs et de garantir aux parents – ou à votre maman qui est professeure – que leurs enfants ne pourront pas voir du contenu pornographique d’Adrien Laurent.

M. Adrien Laurent. Un mineur ne peut pas voir du porno d’AD Laurent. Quand il arrive sur MYM ou OnlyFans, il faut une double authentification. Il ne pourra donc pas accéder à ces plateformes.

Les liens que je mets sur mon live renvoient vers mon Snap, mon Insta ou mon Twitch. Ce sont des publications faites sur un réseau public. Je poste des contenus sympas, accessibles aux jeunes entre 13 et 18 ans. Ils sont fun et pas du tout nuisibles pour des gens de cet âge. S’ils arrivent à trouver des liens vers MYM et OnlyFans, ils ne pourront pas les utiliser.

J’ai décidé de faire du porno éthique et de travailler avec des plateformes privées, parce que je sais que c’est très sécurisé pour les jeunes. Je ne remets pas en cause les gens qui font du porno sur les plateformes comme Pornhub ou les autres sites internet, mais je sais que MYM et OnlyFans sont très sécurisés. Seuls les majeurs peuvent avoir accès à mon contenu.

S’il trouve le lien MYM d’Adrien Laurent, un mineur peut cliquer dessus, mais on va lui dire : « Mon petit gars, tu as 13 ans, tu ne verras aucun contenu ».

M. Stéphane Vojetta (EPR). Cette commission d’enquête porte sur TikTok, mais elle vise à comprendre les mécaniques qui, sur toutes les plateformes de réseaux sociaux, peuvent provoquer des dommages sur la santé mentale des jeunes, et d’ailleurs pas seulement des jeunes.

La France est le pays de la liberté. À condition qu’elle concerne des adultes consentants, la pornographie y est autorisée. Nous ne portons aucun jugement moral à ce sujet. En revanche, nous essayons de trouver des solutions pour faire respecter la loi et nous assurer que les contenus pornographiques ne sont pas accessibles aux mineurs. Les plateformes doivent vérifier l’âge de leurs utilisateurs, mais elles le font très mal.

Vous avez publié sur pratiquement toutes les plateformes. Savez-vous qu’elles proposent des outils permettant de restreindre votre audience et d’exclure toutes les personnes identifiées comme étant mineures ? Les avez-vous déjà utilisés sur vos contenus classiques ?

S’agissant d’OnlyFans et MYM, utilisez-vous des agents ou l’équivalent pour faire croître votre audience ? Comment assurez-vous la promotion de vos contenus ? Alors que je ne vous suivais sur aucun réseau, je me rappelle avoir vu des vidéos assez provocatrices qui incitaient à cliquer pour en voir davantage.

Enfin, que pensez-vous de la profession d’agent OnlyFans, en particulier quand elle concerne des jeunes femmes ?

M. Adrien Laurent. Quand on crée un compte vierge sur Twitter, on ne peut pas avoir accès à de la violence. Il faut aller dans les réglages, sur l’ordinateur, et les modifier. C’est relou. Si vous trouvez mon compte sur Twitter et que vous n’avez fait aucune modification de vos réglages, on vous dira que c’est du contenu sensible et que vous ne pouvez pas le voir. En outre, ce compte est sous un pseudonyme, et non sous le nom d’Adrien Laurent. J’ai fait en sorte de protéger au maximum mon contenu.

Évidemment, lorsqu’une personne modifie ses réglages, elle peut accéder à mon contenu porno.

Je ne fais pas énormément de promotion de mes contenus. Je le fais de temps en temps sur des plateformes qui l’autorisent, mais j’ai débuté dans la téléréalité il y a dix ans, en 2015. J’ai suffisamment de notoriété pour que les gens qui veulent trouver mon contenu pornographique – je parle des majeurs – puissent le faire en tapant par exemple « MYM Adrien Laurent » dans la barre de recherche de Google. Sans prétention, je suis tellement connu que c’est très simple d’accéder à mes contenus pour adultes sur les plateformes privées réservées aux majeurs.

S’agissant des agents OnlyFans, je n’en ai pas. En revanche, j’ai une équipe qui bosse avec moi pour sécuriser mon travail.

Je vois dans la presse que les gens assimilent le porno à Adrien Laurent qui serait détraqué sexuel et qui manquerait de respect aux femmes : ce n’est pas le cas. J’ai une équipe surencadrée avec moi. Ce que je fais représente beaucoup de travail – c’est un boulot.

Je demande aux gens de respecter ma liberté de création artistique. Pour certains, le cinéma est uniquement le cinéma d’auteur et non les films pornos ou les films d’action. Pour certains, la musique n’est que la musique classique et non le rap ou le freestyle. En tout cas, je me considère comme un artiste dans ma profession. Je pense que je fais les choses bien.

En revanche, si les études que vous menez prouvent que TikTok a des effets psychologiques sur les mineurs et qu’il faut par exemple augmenter l’âge d’accessibilité, je serai le premier à être de votre côté. Pour l’instant, quelqu’un de 13 à 18 ans a accès à TikTok et je ne suis qu’un simple usager qui essaye de respecter les règles de la plateforme.

M. le président Arthur Delaporte. Avez-vous déjà recruté dans des lives TikTok des personnes avec qui vous avez ensuite collaboré pour des contenus pornographiques ?

M. Adrien Laurent. Les filles et tous les usagers du live TikTok sont majeurs. De temps en temps, des filles me disent qu’elles me suivent depuis longtemps, qu’elles sont aussi sur les plateformes privées et me proposent de collaborer. Je leur propose de me contacter par le biais de mon adresse mail professionnelle et d’en discuter et je leur dis qu’en revanche, je préfère ne pas en parler sur TikTok. Je le leur dis et je coupe le lien.

Mme Christelle D’Intorni (UDR). Vous êtes avant tout un entrepreneur. Derrière votre démarche, il y a une logique commerciale, une stratégie de visibilité, une volonté mercantile basée sur le buzz et sur des positions de rupture. C’est votre droit le plus absolu et je ne porte aucun jugement de valeur sur cette société que vous incarnez.

Mais ici, nous sommes dans le cadre d’une commission d’enquête parlementaire sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs. Je vous poserai donc une question très simple, en tant que députée mais aussi en tant que maman de deux petites filles. Avez-vous conscience de l’impact de vos contenus sur des enfants de 13 ans, qui sont des adolescents en construction ? Ces sujets peuvent vous paraître abstraits, puisque vous n’êtes pas encore père, mais essayez de vous projeter un instant. Accepteriez-vous que votre fille de 13 ans puisse suivre un homme comme vous sur TikTok ? La laisseriez-vous se nourrir de propos tels que ceux que vous diffusez ?

M. le président Arthur Delaporte. Vous avez d’ailleurs déclaré que vos parents ne voulaient pas tomber sur vos vidéos.

M. Adrien Laurent. Mes parents ont le droit de ne pas vouloir tomber sur mes films, mais ça ne me dérangerait pas si cela arrivait demain.

Je n’ai eu aucun problème à annoncer à mes parents que je faisais du X. Ma mère, qui est dans l’éducation nationale, a ce recul pédagogique. Elle considère qu’à 31 ans, c’est ma vie, tant que je respecte les femmes et que je travaille avec des filles professionnelles.

En trois ans, je n’ai eu aucun problème, parce que je bosse toujours avec des filles professionnelles, qui étaient dans le milieu bien avant moi.

Pour répondre à votre question, je ne choisis pas ma communauté.

Si j’avais une fille de 13 ans, je ferais son éducation comme bon me semble. Je communiquerai beaucoup avec ma future femme et je ferai en sorte d’avancer par palier pour que ma fille comprenne, arrivée à sa majorité, que si elle veut se mettre sur les plateformes privées, elle en a le droit. En tant que père, je ne suis personne pour le lui interdire. J’essayerai de lui indiquer le bon chemin, mais si elle décide, à 19 ou 20 ans, de créer un compte MYM pour faire du contenu, elle le fera.

Concernant les contenus qui sont sur TikTok, n’est-ce pas beau de voir Adrien en Thaïlande, de voir Adrien qui danse, de voir Adrien heureux ou de voir Adrien qui fait des vlogs au Brésil et qui visite le Corcovado ? C’est cool pour une fille de 13 ans.

M. le président Arthur Delaporte. Et Adrien qui dit « Je vais devoir shooter avec ta femme, frérot », est-ce aussi pour les enfants de 13 ans ?

M. Adrien Laurent. C’était en live. Donc,18 ans !

M. le président Arthur Delaporte. Les lives sont accessibles aux mineurs, mais ils ne peuvent pas y participer.

M. Adrien Laurent. Non. Je vous cite les règles de TikTok : « Nous déterminons ton éligibilité au live selon ton âge. Si nous confirmons que tu as 18 ans ou plus, tu pourras passer en live. Si nous ne pouvons pas confirmer ton âge, tu ne pourras pas passer en live. Si nous confirmons que tu as moins de 18 ans, tu ne pourras pas accéder au live. »

Si un enfant de 14 ans a TikTok et swipe, il ne pourra jamais tomber sur un live.

Mme Claire Marais-Beuil (RN). Je n’aborderai pas la question des contenus pour adultes, mais seulement des contenus publiés sur TikTok. Dès lors que vous savez que de très jeunes enfants vous regardent sur cette plateforme – même si elle est théoriquement interdite aux moins de 13 ans –, avez-vous changé votre façon de monter vos vidéos ou de faire votre promotion, de manière à ne pas les choquer ? Vous avez évoqué des blagues qui sont tout de même très tendancieuses et provocantes, et peuvent choquer les très jeunes. Quelles conclusions en tirez-vous ?

M. Adrien Laurent. Mes publications sur TikTok ne sont vraiment pas nuisibles pour un enfant de 14 ans, je le répète.

J’aurais adoré pouvoir vous montrer tous mes posts sur mon TikTok à 1,8 million d’abonnés et vous auriez vu qu’il n’y a rien de problématique. Je danse, je suis en voyage, etc. Oui, je suis entouré de filles, parce que j’aime être entouré de filles et que du fait de mon métier, je suis avec plusieurs filles, mais ce n’est pas un délit en France.

J’arrive à rester vraiment professionnel dans mes publications en live, parce que je sais qu’on peut y accéder à 18 ans. Quand on me pose la question de savoir ce que j’ai fait dans la journée et que j’ai tourné deux films pour adultes, j’essaye de trouver les bons mots et de ne pas mentir, parce que les gens aiment ma sincérité. Je suis aussi apprécié parce que j’arrive à être authentique, spontané, et que je ne joue aucun rôle. J’assume ma sexualité vis-à-vis du grand public et je pense qu’il faut respecter ça.

M. le président Arthur Delaporte. Nous venons de faire un test avec un compte qui est censé être détenu par un mineur et il a pu accéder à un live sans problème. Nous aborderons ce sujet avec TikTok la semaine prochaine, mais vous saurez que lorsque vous tenez des propos sexualisants, sur la taille des poitrines par exemple, ils peuvent être entendus par des mineurs.

M. Adrien Laurent. Je vais faire une comparaison et vous allez me dire si je me trompe. Quand on va sur YouTube et qu’on voit le clip d’un jeune homme qui incarne tous les codes de la virilité – costaud, grand, dents blanches – et qui est entouré de dix filles presque nues, fait-on une commission d’enquête parlementaire pour savoir s’il faut bannir son compte YouTube ou si les mineurs doivent avoir accès à Spotify ou à IMusic ?

J’ai relevé quelques exemples que je vais vous lire. Il s’agit de chansons en libre accès, sans condition d’âge.

Michel Sardou, dans « Les villes de solitude » : « J’ai envie de violer des femmes, de les forcer à m’admirer, envie de boire toutes leurs larmes ».

Bruno Mars dans « Runaway Baby » : « Tellement de jeunes lapines pleines d’envie que j’aimerais choper, mais même si elles me mangent dans la main, il n’y a qu’une seule carotte et elles vont toutes devoir partager ».

Orelsan dans – excusez-moi du terme – « Sale pute » sur YouTube, donc sans limite d’âge : « T’es juste bonne à t’faire péter le rectum, même si tu disais des trucs intelligents, t’aurais l’air conne […] j’veux que tu tombes enceinte et que tu perdes l’enfant […] tu es juste une putain d’avaleuse de sabre, une sale catin, un sale tapin. »

M. le président Arthur Delaporte. Je crois que nous avons compris. Vous pourriez continuer la liste, mais nous ne sommes pas en train d’auditionner Orelsan.

M. Adrien Laurent. Je le sais, mais l’indignation est à géométrie variable.

M. le président Arthur Delaporte. Vous faites référence à des œuvres à caractère artistique. Vous pouvez dire que c’est également le cas de vos lives TikTok, mais, en l’occurrence, la plateforme dit que les contenus sexistes sont contraires aux conditions générales d’utilisation. Si Orelsan y tenait les propos que vous avez cités, il serait peut-être banni.

S’agissant des conditions d’accès aux lives, les mineurs peuvent les voir. La plateforme ne l’empêche pas, sauf s’ils sont soumis à restriction. Cette fonctionnalité doit être activée par l’hôte. Le faites-vous quand vous créez un live ?

M. Adrien Laurent. Non, parce que la plupart du temps, mes lives sont bon enfant, sur un ton léger et humoristique.

M. le président Arthur Delaporte. Donc, vous considérez que vos lives sont accessibles aux mineurs.

M. Adrien Laurent. Non, j’ai dit tout à l’heure qu’ils étaient accessibles uniquement aux majeurs.

M. le président Arthur Delaporte. Ils ne le sont pas. Nous reviendrons d’ailleurs sur le sujet avec TikTok.

« Si nous confirmons que tu as moins de 18 ans, tu ne pourras pas accéder aux lives pour lesquels tu ne respectes pas les conditions d’âge », c’est-à-dire les lives qui sont restreints aux mineurs, ce qui n’est pas le cas des vôtres puisque vous n’activez pas cette fonctionnalité.

M. Adrien Laurent. Je me suis peut-être mal exprimé.

Mme Claire Marais-Beuil (RN). Notre objectif n’est pas de vous bannir de TikTok…

M. Adrien Laurent. C’est déjà fait…

Mme Claire Marais-Beuil (RN). En effet, mais ce n’est pas du fait de la commission d’enquête. Nous sommes là pour comprendre comment nous pouvons protéger les mineurs, en particulier les très jeunes enfants, et pour profiter de votre expérience dans l’utilisation de cette plateforme pour trouver des solutions.

S’il faut appuyer sur un bouton pour que les lives ne soient pas accessibles aux mineurs, nous devons le faire savoir à tout le monde et veiller à ce que cette fonctionnalité soit utilisée.

M. Adrien Laurent. Je ne suis pas un technicien de TikTok. Je suis un simple usager de la plateforme, qui essaye de se conformer au maximum aux règles communautaires. Si vous considérez que le contenu est trop sensible pour des jeunes de moins de 15 ans et qu’il faut remonter l’âge d’accessibilité à TikTok, je serai totalement avec vous. Je répète que mon contenu s’adresse à des gens majeurs. C’est le public que je vise.

Mme Laure Miller, rapporteure. Lorsque vous étiez sur TikTok, certains de vos contenus étaient-ils modérés par la plateforme, voire supprimés ? Connaissez-vous des mots qu’il ne faut pas utiliser, ou éventuellement épeler, pour éviter qu’ils soient repérés ?

M. Adrien Laurent. J’ai une équipe de modérateurs et de modératrices. Sur mes lives, ils bannissent tous les commentaires à caractère négatif ou les insultes. TikTok est comme Twitter. Ça peut être un déferlement de haine dans les commentaires. Une modératrice essaye de les supprimer, parce que si je reçois des insultes, ce ne sont pas les gens qui les profèrent qui risquent d’être bannis. Ça peut être mon live à moi. Mais encore une fois, c’est une question très technique, à laquelle j’ai du mal à répondre.

L’algorithme de TikTok est très opaque. On ne sait pas vraiment quelle vidéo va percer ou pas.

Concernant mon contenu, je n’ai pas besoin de trop montrer pour vraiment buzzer. Je fais des contenus avec ma maman, avec mon père, quand je suis en voyage, et je peux faire trois millions de vues en vingt-quatre heures.

Si j’essaye de faire une vidéo très éducative sur la sexualité ou avec des mots comme « sexuel » ou « VIH »… Je ne peux pas utiliser le mot « viol » par exemple, sinon je serai shadowbanned. Je dois dire « V.I.O.L ». Je m’efforce de le faire et d’être le plus responsable possible, mais quand vous faites trois heures de live et qu’il est minuit, vous êtes parfois un peu fatigué et, de temps en temps, vous écorchez les mots. J’essaye malgré tout de rester le plus professionnel possible. La modération est une vraie question, mais malheureusement, je ne suis pas technicien de TikTok.

M. le président Arthur Delaporte. Nous interrogerons les représentants de la plateforme à ce sujet. Je vous remercie.

 

Puis la commission auditionne Mme Manon Tanti et M. Julien Tanti.

M. le président Arthur Delaporte. Je remercie M. et Mme Tanti d’avoir bien voulu répondre à notre convocation. Nous recevons cet après-midi cinq influenceurs et influenceuses qui nous ont été particulièrement signalés, soit dans le cadre de nos auditions – nous avons déjà auditionné plus de 100 personnes en deux mois – soit par les différentes modalités de signalement que nous avons prévues, comme le questionnaire en ligne ou la boîte mail, qui est encore disponible.

Notre commission n’est pas un tribunal et notre objectif n’est pas de vous juger, mais de préparer des lois à venir et de réfléchir à la bonne application des différentes normes, nationales et européennes. L’enjeu est donc de nous éclairer sur la meilleure façon de protéger les enfants à l’ère numérique et d’évaluer en particulier les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs.

Nous aimerions vous entendre d’abord sur le modèle économique de vos revenus, grâce à TikTok ou à d’autres modalités. Je sais, monsieur Tanti, que vous générez d’importants revenus grâce à vos lives. Pourriez-vous revenir sur les raisons qui vous ont amené à privilégier ce réseau social, peut-être au détriment d’autres ? Je vous demanderai de déclarer vos intérêts, notamment sous forme de rémunérations provenant de différentes plateformes.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Manon Tanti et M. Julien Tanti prêtent successivement serment.)

Mme Manon Tanti, influenceuse. Bonjour tout le monde ! Nous sommes ravis d’être ici pour répondre à vos questions. Cela pourra aider certaines personnes à mieux comprendre comment fonctionne la plateforme TikTok et aussi aider les jeunes.

Je vais d’abord lire un petit texte pour me présenter.

Je ne suis pas venue ici pour fuir mes responsabilités. J’ai conscience que, lorsque l’on s’expose publiquement, surtout sur des plateformes comme TikTok, on a un devoir d’exemplarité, surtout quand on est suivi par des jeunes. Je veux poser les choses clairement dès le départ : je regrette profondément deux choses dans la manière dont cette audition a été préparée publiquement.

Je regrette vos déclarations, monsieur le président. Je ne suis pas une influenceuse « à contenu problématique », du moins je ne pense pas. Sur quelles décisions de justice vous fondez-vous pour affirmer cela ? Ce genre de jugement lancé dans les médias avant toute audition ne relève pas d’un travail d’enquête objectif mais d’une condamnation sans débat.

La seconde chose que je regrette est plus grave à mes yeux : ce sont ces propos affirmant que j’humilierais et que je dégraderais l’image de mes propres enfants. Ces accusations sont violentes, injustes et totalement déplacées. Je suis mère avant tout et jamais je ne tolérerai qu’on me prête des intentions aussi graves sans preuve ni dialogue. C’est pourquoi je suis ici. Je suis ici pour parler vrai, répondre à vos questions avec sérieux et responsabilité. Mais je ne laisserai pas non plus passer des attaques gratuites, comme j’ai pu voir sur certaines des vidéos avant même ce débat, surtout quand cela touche mes enfants et ma famille. J’ai vu une vidéo, relayée sur TF1, sur BFM et sur énormément de plateformes et de chaînes différentes, affirmant que nous étions convoqués ici pour des vidéos que j’aurais postées où j’humilie et où je dégrade mes enfants. Forcément, cela m’a énormément touchée et attristée. Avant de voir cela, j’étais même plutôt flattée d’avoir été convoquée pour pouvoir vous aider et répondre à vos questions. J’aimerais comprendre pourquoi vous avez eu ces affirmations, qui sont honnêtement assez dures.

M. le président Arthur Delaporte. Je vous avais demandé de déclarer vos liens d’intérêt et de préciser ce que vous gagnez, mais peut-être M. Tanti répondra-t-il.

M. Julien Tanti, influenceur. Bonjour tout le monde ! On me pose des questions sur TikTok et les lives. Je vais revenir sur ma découverte de cette application. J’étais en vacances à Bali et un de mes amis qui faisaient des matchs sur TikTok m’a demandé pourquoi je n’en faisais pas moi aussi. Je ne savais pas du tout ce que c’était. Un jour, je me suis décidé et j’ai tenté le coup. Cela fait maintenant plus de deux ans. J’ai construit une team et on s’entend super bien.

Je suis également un joueur. J’ai trois comptes TikTok et j’ai trois badges – 38, 34 et 36 –, ce qui équivaut à pas mal d’argent joué. C’est d’abord un kif. Je ne vois vraiment pas cela comme une rémunération parce que j’organise des événements. J’en ai d’ailleurs organisé un récemment à Dubaï avec la location d’un yacht de 45 mètres et plus de trente personnes invitées, des gens de ma team, des joueurs et des non-joueurs, des gens qui sont là, qui papotent, qui partagent. TikTok pour moi, c’est donc avant tout un kif.

Moi, mon argent, je le fais dans la télé. D’ailleurs, je suis en tournage et lundi prochain, je passe sur W9 pendant deux mois. Je repartirai en tournage en juillet. Mon travail principal, c’est la télé. Cela fait quatorze ans que j’en fais. Le reste, ce sont des hobbies. Je vis à Dubaï et, pendant la journée, alors que mes enfants sont à l’école, plutôt que faire les boutiques, je préfère faire des Snapchat, des TikTok ou de l’Instagram. Je ne vois pas cela comme un revenu, mais comme un plaisir. Mes revenus proviennent de la télé. Je fais trois à quatre tournages par an, soit six à sept mois.

M. le président Arthur Delaporte. Je me permets de vous demander de préciser. Vous faites beaucoup de lives sur TikTok et on vous fait des dons. Pourriez-vous nous dire, par exemple, combien vous avez gagné sur TikTok Live la semaine dernière ?

M. Julien Tanti. Je n’en ai aucune idée, car je ne compte pas du tout cela par semaine.

M. le président Arthur Delaporte. Cela peut être une estimation par mois ou par an.

Mme Manon Tanti. C’est très facile à calculer : il y a des applications pour calculer ce genre de revenus.

M. le président Arthur Delaporte. Je suis allé voir, mais c’est dur. J’ai l’impression que, la semaine dernière, vous auriez gagné environ 10 000 dollars, mais je ne sais pas si cela s’approche de ce que vous avez effectivement touché.

M. Julien Tanti. Il faut savoir que TikTok prend 50 % des gains.

M. le président Arthur Delaporte. Cette estimation concerne les gains après prélèvement.

M. Julien Tanti. Je suis quelqu’un d’assez connu. Les personnes de ma team ont entre 30 et 50 ans. Pour les lives, je fais beaucoup de personnes, à peu près 30 000 pour un live de deux heures, ce qui fait 1 euro par personne, mais, malheureusement, ce n’est pas ce que je gagne. La semaine dernière, j’ai gagné 10 000 divisé par deux, soit 5 000.

M. le président Arthur Delaporte. J’ai eu du mal à estimer vos revenus sur le site que j’ai utilisé. Nous sommes preneurs d’informations pour mieux comprendre.

Mme Manon Tanti. Il y a plusieurs choses à comprendre dans les matchs. Il y a les matchs officiels, qui sont organisés à l’avance, et il y a ceux qui sont faits un peu à l’improviste. J’ai essayé de faire quelques matchs, mais c’est beaucoup moins mon kif. Mon mari est un showman, comme il le montre à la télévision depuis douze ans. Il est numéro un de toutes les téléréalités parce qu’il aime animer, que ce soit à la télé ou sur TikTok. Il aime tellement cela qu’on en vient parfois à se disputer dans notre relation. Il y a certes une rémunération, mais il le fait d’abord parce qu’il adore cela. Il a une vraie communauté. Quand il n’est pas sur TikTok, il est au téléphone avec des personnes de sa communauté, même le soir de Noël, au lieu de venir regarder un film avec moi. Ils forment un groupe d’amis hypersolidaires. Il y a le côté rémunération mais aussi le côté passion.

M. Julien Tanti. Ce n’est pas le sujet. Il me demande combien je gagne. Je l’ai dit : je suis un joueur, j’ai trois badges. Je pense qu’il a bien compris, mais il a vu que j’avais gagné de l’argent la semaine dernière grâce à un live. C’est cela qui doit l’alerter, non ?

M. le président Arthur Delaporte. Je vous ai interrogé sur vos intérêts et sur votre rémunération par TikTok et vous m’avez répondu que ce n’est pas votre activité principale.

M. Julien Tanti. Effectivement, ce n’est pas mon activité principale.

M. le président Arthur Delaporte. Sur le site permettant de voir combien vous pouvez gagner, je me suis contenté d’additionner vos gains journaliers – 3 000 dollars un jour, puis 2 000 dollars, puis 7 dollars par exemple – pour arriver à la somme de 10 000 dollars. Je suis remonté sur deux semaines et je suis arrivé à la même somme, soit un total d’environ 40 000 dollars par mois pour les lives. Cet ordre de grandeur correspond-il à la réalité ?

M. Julien Tanti. C’est quelque chose qui me semble énorme et c’est pour cela que je suis très reconnaissant envers ma team et que tous les trois ou quatre mois, je fais un événement. J’essaye de leur rendre la pareille.

Je fais du TikTok, mais je ne passe pas mes journées dessus et je ne suis pas dans le top des livers, même si je fais de beaux scores et de beaux classements. Certains ont des scores beaucoup plus élevés, jusqu’au triple. Je fais partie de la moyenne, je suis dans le top 30, souvent dans le top 20 ou même dans le top 10. C’est pour cela que je suis très reconnaissant envers ma team. Je suis d’ailleurs le seul qui les invite à des événements pour faire autre chose que se voir sur TikTok. Je prends du plaisir à faire tout cela, mais je n’y passe pas plus de deux ou trois heures par jour, sinon, ce ne serait plus un kif.

M. le président Arthur Delaporte. Madame Tanti, vous n’avez pas déclaré vos intérêts.

Mme Manon Tanti. Les rémunérations sont vraiment aléatoires. On ne peut pas faire de moyenne.

M. Julien Tanti. Je pourrais lancer un live avec vous. Je vais peut-être gagner 50 centimes.

Mme Manon Tanti. Les sommes peuvent parfois être conséquentes, mais ce qu’il faut vraiment comprendre, en tout cas pour mon mari, c’est qu’ils sont une team. Les autres peuvent faire aussi des matchs et quand il perçoit de l’argent, il est possible qu’il renvoie. Il y a vraiment un échange. Ajoutez à cela les événements qu’il organise, en France ou à Dubaï, et vous verrez que c’est tout un monde. Il n’y a que Julien qui le fait.

M. le président Arthur Delaporte. Nous n’avons toujours pas parlé de vos revenus. En avez-vous qui sont liés aux contenus que vous postez sur TikTok ou d’autres réseaux sociaux ?

Mme Manon Tanti. J’ai déjà essayé les matchs, mais ce n’est pas mon kif comme Julien. Il adore animer, mais je suis beaucoup moins dans l’animation.

Je peux avoir des revenus provenant de vidéos que je poste sur TikTok, mais il s’agit de vidéos de plus de 1 minute. Certains influenceurs sont éligibles à cette forme de rémunération, d’autres pas. J’en poste très peu. Cela ne fait pas longtemps que je suis éligible, mais ce n’est pas du tout mon revenu principal. Je peux percevoir des revenus sur d’autres plateformes. Très honnêtement, TikTok doit représenter 1 % de mon revenu mensuel.

Je n’ai pas les chiffres exacts et je suis désolé si je dis des bêtises, mais disons que pour 90 % des vidéos de plus de 1 minute que je poste – en ce moment, une ou deux par mois –je perçois peut-être 30 euros.

M. Julien Tanti. Ça dépend du ratio par minute (RPM). Pour avoir un gros ratio, il faut poster dix vidéos de plus d’une minute par jour ; avec une seule par mois, notre ratio n’est que de 10 centimes : même si je fais 10 millions de vues sur une vidéo, je ne gagne qu’une centaine d’euros.

Mme Manon Tanti. Si on veut vraiment gagner de l’argent sur TikTok, il faut avoir un gros ratio et donc entrer dans l’algorithme. Et pour cela, il faut poster très souvent – au moins deux à trois vidéos par jour : ce n’est absolument pas mon cas. Ma vidéo la plus lucrative m’a rapporté 800 euros, et c’était il y a des années. Aujourd’hui, mes vidéos me rapportent une trentaine ou une quarantaine d’euros. Je ne fais pas des vidéos sur TikTok, Instagram ou Snapchat pour gagner de l’argent : je le fais parce que les gens adorent me suivre, suivre mon couple, ma famille. On fait de la télé depuis plus de dix ans et ma communauté me suivait déjà avant le début de notre relation. Je lui ai tout montré : il y a eu une téléréalité sur notre mariage, sur mes accouchements, sur notre premier achat de maison.

M. Julien Tanti. C’est d’ailleurs pour ça qu’on dit souvent qu’on est les meilleurs de la télé. La téléréalité, ce n’est pas seulement partir pendant deux mois pour tourner une émission : montrer la réalité, c’est un choix de vie.

Mme Manon Tanti. Par exemple, dans la petite vidéo que vous avez diffusée pour annoncer notre convocation, vous avez partagé une de mes vidéos de famille tournée lors d’un barbecue. On était en plein mois d’août, il faisait 32 degrés, donc on jouait avec des ballons d’eau. Tout le monde participe : moi, mon mari, mes enfants, ma nanny… On s’amuse à un petit jeu, et c’est drôle ! D’ailleurs, plein de parents m’ont dit que c’était une super idée et qu’ils allaient le faire aussi. Je ne veux pas vous manquer de respect, mais qui parmi vous ne s’est jamais amusé avec un ballon à eau, enfant ?

Vous dites que cette vidéo est humiliante, dégradante : en tant que maman, je pense savoir ce qui est bon ou, au contraire, humiliant ou dégradant pour mes enfants. Jamais je ne ferai des vidéos ou des jeux s’ils n’en ont pas envie. Très souvent, ils sont demandeurs : leurs parents sont influenceurs, ils sont nés dans ce monde-là. Ils me voient chaque jour promouvoir certains produits, une caméra me suit au quotidien six mois de l’année : ils s’y intéressent forcément un petit peu. C’est à moi, en tant que parent, de poser des limites : ils n’apparaissent que dans un cinquième à un dixième de mes vidéos – en tout cas, mon compte n’est pas lié uniquement à mes enfants. D’ailleurs, ils n’auront pas TikTok avant au moins 16 ans.

Mme Laure Miller, rapporteure. Vous dites que vous ne publiez pas assez sur TikTok pour que l’algorithme vous permette de gagner votre vie avec ces vidéos. Quel intérêt y trouvez-vous, alors ? En donnant de la visibilité à vos placements de produit, ces vidéos ne vous permettent-elles pas, indirectement, de gagner de l’argent?

J’ai aussi vu que vos enfants avaient chacun un compte Instagram.

Mme Manon Tanti. Ce sont deux choses différentes.

Je filme mon quotidien : de fait, mes enfants en font partie, ce qui explique qu’ils apparaissent dans certaines de mes vidéos sur les réseaux sociaux ou dans mes téléréalités. Il en va de même pour tous les influenceurs que je côtoie. Par exemple, aujourd’hui, j’ai diffusé toute ma journée sur Snapchat : il y a des vidéos où je suis seule – je vais faire des achats, choisir la mosaïque de la piscine – et d’autres où les enfants apparaissent parce qu’il est dix-sept heures et qu’ils rentrent de l’école. Mais ils ne font pas de placements de produit rémunérés.

Mme Laure Miller, rapporteure. Mes questions n’étaient effectivement pas liées. Mais la présence de vos enfants dans vos vidéos pose la question de leur consentement.

Mme Manon Tanti. Ils sont demandeurs ! Mon fils rêve d’avoir une chaîne YouTube, comme Vlad et Niki ou Nastya, des enfants youtubeurs qui font des centaines de millions de vues. Il voudrait y montrer des challenges – ceux d’un garçon de 6 ans –, des tours de magie, mais ce n’est absolument pas d’actualité. Il voudrait aussi qu’on fasse plus de vidéos drôles.

Mes enfants adorent partager, moi aussi : je trouve ça vraiment chouette. Par exemple, il y a un mois et demi, on a fait une vidéo TikTok dans laquelle on versait de l’eau sur des Smarties pour faire un arc-en-ciel, et beaucoup de familles ont voulu le faire à leur tour. À partir du moment où je ne me sers pas de mes enfants pour gagner de l’argent, je ne vois pas le mal : or, avec ou sans mes enfants, je gagne ma vie. La nuance est importante.

J’ai encore plein d’autres idées d’activités à faire en famille plutôt que de mettre les enfants devant la télé, mais en ce moment, je n’ai absolument pas le temps de les filmer – comme quoi TikTok n’est pas ma priorité. Par exemple, je voudrais montrer comment faire un tour de magie avec une bouteille et une pomme – ce sera ma prochaine vidéo.

Mme Laure Miller, rapporteure. Il faut distinguer vos différents contenus. La vidéo avec les Smarties est sans doute très sympathique, mais j’ai en tête une vidéo de vos enfants avec la tête dans une bassine d’eau. C’est plus problématique.

Mme Manon Tanti. Je peux comprendre votre réaction, mais avez-vous eu l’impression qu’ils souffraient ou qu’ils étaient morts de rire ?

Mme Laure Miller, rapporteure. Ce n’est pas la question. Des millions de gens regardent vos vidéos et pourraient vous imiter, sans le faire correctement. Il y a aussi la question de l’humiliation.

Mme Manon Tanti. Je ne suis pas la seule à l’avoir fait : j’ai seulement suivi une trend, comme des millions d’autres familles. Je n’ai pas pensé que certains parents pouvaient le reproduire d’une mauvaise manière.

En tout cas, je ne trouve absolument pas la vidéo humiliante. Je n’étais pas en train de noyer mes enfants : je posais une question – par exemple, lequel mange le plus de chocolat –, puis je mouillais le visage de l’enfant en question. C’était bon enfant, ils étaient morts de rire. À l’exception peut-être de cet exemple – et encore : moi, j’ai trouvé ça très rigolo –, je ne vois absolument pas ce qu’il y a d’humiliant dans mes vidéos.

Mme Laure Miller, rapporteure. Cette commission d’enquête porte sur les conséquences des contenus TikTok sur la santé mentale des mineurs. Savez-vous s’il y a beaucoup de jeunes dans votre communauté ?

Mme Manon Tanti. Au vu des commentaires, je pense qu’il y a de tout, des préadolescents aux grands-mères, mais je n’ai aucune certitude.

Je suis la première à trouver que certains contenus TikTok ne sont pas adaptés aux très jeunes, mais il me semble que ce réseau est interdit aux moins de 15 ans.

M. le président Arthur Delaporte. Aux moins de 13 ans.

Mme Manon Tanti. En tout cas, mes enfants n’auront pas de compte ni d’accès à TikTok et aux autres réseaux avant d’avoir au moins 14 ou 16 ans. Ils ont un compte Instagram certifié à leur nom, sur lequel je poste des photos d’eux depuis qu’ils sont petits, mais ce ne sont pas eux qui tiennent le téléphone et ils n’y parlent pas à la première personne : c’est moi, leur maman, qui poste.

Une solution pour interdire l’accès aux réseaux aux plus jeunes serait de demander une pièce d’identité à la création d’un compte, comme le font déjà certains réseaux, comme MYM (Me. You. More) – par exemple, une photo où l’on tient son passeport à côté de sa tête. Je ne sais pas si c’est possible – ce n’est pas mon domaine –, mais cela éviterait à la fois que trop de mineurs tombent sur des contenus qu’ils n’ont pas à voir, et que des influenceurs soient harcelés par des haters, c’est-à-dire des gens cachés derrière de faux comptes – pas que les influenceurs d’ailleurs : on sait que certains adolescents font l’objet de harcèlement à l’école ou sur les réseaux sociaux et en viennent à des actes dramatiques.

En tout cas, je suis d’accord avec vous : les enfants ne devraient pas pouvoir accéder aux réseaux sociaux et y swiper en toute liberté avant 13 ans. Et si ça ne tenait qu’à moi, ce serait même encore plus tard.

Mme Laure Miller, rapporteure. Pourtant vous avez fait du placement de produit sur Instagram avec vos enfants, notamment votre petite fille – c’était pour la marque Ora Bora. Je ne comprends pas. Il y a mélange des genres.

Mme Manon Tanti. Il se trouve que ma fille s’est approprié ces petites brumes – d’ailleurs, elles sont toujours dans sa chambre. Elle considère que ce sont ses sprays. Dans la vidéo, elle donne juste son avis sur celle qu’elle préfère. C’était pour qu’on rigole un peu ensemble : il y a un petit jeu entre nous, on se chamaille pour les sprays.

C’est d’ailleurs la seule fois où c’est arrivé, vous ne pourrez pas me citer d’autres exemples.

M. le président Arthur Delaporte. La publicité avec les enfants est très encadrée. La loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux, dite loi influenceurs, adoptée à mon initiative et à celle de M. Stéphane Vojetta, prévoit que la présence d’un enfant dans une vidéo de collaboration commerciale est soumise à la signature d’un contrat de mannequinat et que les revenus du placement de produit doivent être versés sur un compte séquestre. J’imagine que tel n’a pas été le cas pour votre fille.

Mme Manon Tanti. Premièrement, je ne le savais pas.

Deuxièmement, ce n’est arrivé qu’avec cette vidéo, alors que j’en ai fait une cinquantaine pour cette marque. Je n’ai pas besoin de ma fille pour gagner ma vie. Il se trouve qu’à ce moment-là, elle était présente, mais je ne me sers pas d’elle pour vendre. C’était vraiment bon enfant, on se chamaillait pour les brumes. Je ne cherchais pas absolument à l’inclure dans la pub. Je ne savais pas que j’étais en tort, cela ne se reproduira plus.

M. le président Arthur Delaporte. Là n’est pas la question : au-delà de l’intention, il faut penser à la réception par le public. Ces vidéos ne vous semblent pas humiliantes, mais elles peuvent l’être si on les regarde plus objectivement, avec du recul. Il en va de même pour le contenu dont nous parlons : même si vous n’en aviez pas conscience, exposer votre fille dans cette vidéo était illégal.

M. Stéphane Vojetta (EPR). Lorsque vous collaboriez avec les agences Shauna Events et We Events, il y a trois ou quatre ans, votre rémunération provenait principalement de placements de produit. Depuis l’adoption de la loi influenceurs, il semblerait que vous ayez quitté ces agences et que votre activité se soit déplacée vers TikTok – du moins, c’est ce qu’ont rapporté certains médias.

Pourriez-vous décrire l’évolution de votre activité commerciale – d’influence et de publicité – et de votre recours à des agents d’influenceurs ?

M. Julien Tanti. Nous n’avons pas quitté ces agences : je suis toujours chez Shauna Events, et Manon, qui n’a pas d’exclusivité, est chez plusieurs agences en France – Shauna Events et We Events – et à Dubaï. Seulement, nous en parlons beaucoup moins sur les réseaux sociaux. Avant, on postait des photos pour être contactés pour des pubs, mais nous n’avons plus besoin de le faire, car Mme Magali Berdah est désormais suffisamment connue et reconnue : ceux qui veulent nous contacter s’adressent directement à nos agences.

Beaucoup pensent qu’on a arrêté la pub, mais c’est archifaux : je continue d’en faire trois ou quatre par semaine, et Manon deux ou trois. On ne s’est pas déplacés vers TikTok, c’est juste qu’on suit la mode. Or, TikTok est à la mode !

Moi, je ne me considère pas comme un influenceur. Aujourd’hui, c’est un terme qui englobe trop de personnes : le premier mec venu qui fait une vidéo avec 2 millions de vues, on dit que c’est un influenceur ; celui qui a acheté 50 000 abonnés, pareil ! Mais pas du tout : ceux-là ont juste surfé sur la vague, ils ont fait le buzz et terminé. Un influenceur, c’est quelqu’un qui travaille son contenu depuis des années, qui a une communauté.

Moi, je suis quelqu’un qui fait de la télé, qui participe à des téléréalités depuis treize ans. Si je suis sur les réseaux, c’est parce que j’aime ça : pour moi, c’est un divertissement. Mais je ne suis pas un influenceur, je n’incite personne à faire quoi que ce soit.

M. Jonathan Gery (RN). Manon, Julien, aviez-vous débattu entre vous pour savoir si vous alliez exposer vos enfants sur TikTok ? N’avez-vous pas un peu peur qu’ils vous en veuillent plus tard ?

Mme Manon Tanti. TikTok ou Instagram, c’est pareil. Si on montre nos enfants sur nos réseaux sociaux, c’est parce que depuis que nous sommes ensemble avec Julien nous faisons de la télé. Dans les émissions, les gens suivent carrément nos vies. Entre chaque émission, on aime donner des nouvelles. Les gens en demandent. Si demain je ne poste pas sur Snap, les gens vont s’inquiéter et me demander pourquoi. Pour nous, c’est quelque chose de naturel. On ne surexpose pas nos enfants – en tout cas, pas plus que d’autres personnes. C’est la continuité de ce que nous faisons en télé. Nous sommes des personnages publics ; nos enfants aussi. Si mon fils me disait qu’il en a marre et qu’il n’a pas envie d’être sur les réseaux ni d’apparaître dans certains des épisodes de notre émission, je l’écouterais bien évidemment. Nous sommes plutôt dans le cas contraire, puisqu’il demande carrément une chaîne YouTube. On ne force absolument pas nos enfants ; bien au contraire.

Quant au débat, on a le même métier…

M. le président Arthur Delaporte. Quel âge ont vos enfants ?

Mme Manon Tanti. Ils ont 4 et 7 ans.

M. le président Arthur Delaporte. Pensez-vous qu’à 4 ans on peut consentir à la diffusion de son image ?

Mme Manon Tanti. Dans une publicité Babybel ou un film, est-ce que vous pensez que les mannequins enfants, comme vous dites, consentent et qu’il n’y a pas le risque qu’ils fassent un jour des reproches à leurs parents ?

M. le président Arthur Delaporte. Les parents signent pour leurs enfants un contrat de mannequinat avec un droit à l’image et les revenus sont mis sous séquestre. C’est très encadré. Ainsi, un enfant de moins de 6 ans ne peut pas tourner plus de 45 minutes par jour ou quelque chose comme ça.

Mme Manon Tanti. Je ne me sers pas de mes enfants pour faire de l’argent sur mes réseaux sociaux. Je fais de l’argent sur les réseaux sociaux grâce à mon quotidien, dont mes enfants font partie. Ils n’apparaissent pas sur 100 % de mes vidéos.

M. le président Arthur Delaporte. Ce qui alimente votre notoriété et la viralité de vos contenus, c’est donc l’exposition de vos enfants.

Mme Manon Tanti. Non, puisque si je n’avais pas eu d’enfants, j’aurais fait exactement la même chose et j’aurais aussi très bien gagné ma vie.

Dans ce cas, il faudrait que les réseaux sociaux interdisent aux influenceurs et aux personnes lambda de poster leurs enfants. Je ne suis pas contre une nouvelle régulation si tout le monde est dans le même panier, les personnes connues et pas connues. Quand je vais sur Instagram, je vois des mamans avec leurs enfants.

M. le président Arthur Delaporte. Mme la rapporteure et moi avons vu que vous aviez publié il y a trois jours une publicité pour Shein avec vos enfants. C’est une collaboration commerciale ?

Mme Manon Tanti. Oui.

M. le président Arthur Delaporte. Vous ne l’avez pas mentionné. Vous n’avez donc pas respecté le cadre de la loi influenceurs. Par ailleurs, vos enfants sont dessus.

Mme Manon Tanti. Je vais regarder. C’est un oubli parce que je suis celle qui respecte le plus cette obligation.

M. le président Arthur Delaporte. Vos enfants portent des tenues Shein. Cela va donc au-delà de l’exemple que vous nous donniez tout à l’heure. Vous avez gagné de l’argent en mettant en scène vos enfants. Cela ne respecte pas le cadre légal.

Mme Manon Tanti. Je vous redis que vous m’avez appris il y a dix minutes qu’à partir du moment où c’était une collaboration commerciale mes enfants ne pouvaient pas apparaître.

M. le président Arthur Delaporte. Shein est responsable, ainsi que votre agence. Nous allons le signaler auprès de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Il y a un principe de coresponsabilité. Normalement, votre agence aurait dû vous le signaler. Elle peut aussi être punie pour vous avoir fait faire une collaboration illégale avec Shein. Je suppose que c’est Mme Magali Berdah…

Mme Manon Tanti. En l’occurrence, non. Je publie très souvent pour Shein. Parfois, je poste seule, parfois à deux, comme pour la Saint-Valentin. On ne savait pas que c’était interdit de mettre les enfants. Ce n’est pas grâce à cette vidéo ni grâce aux enfants que je suis rémunérée. Sans les enfants, j’aurais eu la même rémunération.

M. Julien Tanti. Nous avons déjà été contrôlés par la DGCCRF. D’ailleurs, j’ai eu une amende et ça s’est su publiquement. Nous avons échangé avec des personnes avec lesquelles on s’est très bien entendu. Elles nous ont dit ce que l’on pouvait faire et ne pas faire mais elles ne nous ont pas parlé de ça. Nous respectons les lois qu’on nous donne. Si on ne nous les donne pas, malheureusement, on ne peut pas les respecter.

M. le président Arthur Delaporte. C’était dans la loi influenceurs. Maintenant, vous saurez. Nul n’est censé ignorer la loi.

Mme Manon Tanti. Oui, c’est à nous de nous intéresser. Vous pourrez dire à la DGCCRF qu’on ne le savait pas. On avait déjà fait une vidéo Shein en famille. Lorsque Julien a eu son amende, cela n’a pas été mentionné parmi les choses que l’on avait mal faites. Si on avait su, on aurait arrêté. On s’est adaptés, parce qu’on respecte les lois. On n’était pas au courant. Encore une fois, cette vidéo n’a pas rapporté de l’argent grâce aux enfants. Si les enfants n’étaient pas apparus, j’aurais quand même été payée.

M. le président Arthur Delaporte. Soit, on ne va pas avoir ce débat. Nous ne sommes pas là pour faire la justice mais pour réfléchir à un meilleur encadrement. En l’occurrence, une loi encadre l’exposition des enfants. Peut-être qu’il faudra la renforcer et mieux la faire connaître. Je vous remercie d’avoir pris le temps d’échanger avec nous.

 

Enfin la commission auditionne M. Nasser Sari.

M. le président Arthur Delaporte. Nous arrivons au terme d’une journée consacrée à l’audition de cinq influenceurs présents sur les plateformes numériques, notamment sur TikTok. Le choix de ces personnes s’est opéré sur la base d’une consultation citoyenne lancée par notre commission et des signalements que nous avons reçus.

Je tiens à rappeler que notre commission d’enquête n’est pas un tribunal. Nous ne sommes pas là pour juger ou punir mais pour aboutir à la meilleure régulation possible. Notre but est d’utiliser les témoignages pour comprendre ce qui ne va pas avec TikTok et, plus largement, d’identifier les mécanismes qui doivent être mis en place au niveau national ou européen pour protéger les mineurs de contenus choquants.

M. Nasser Sari, aussi appelé Nasdas, a annoncé ce week-end suspendre ses comptes sur les réseaux sociaux. Vous aurez l’occasion, monsieur, de nous en reparler. Au préalable, je vous remercie de nous déclarer tout conflit d’intérêt qui pourrait naître de la rémunération que vous percevez grâce aux plateformes, et notamment de nous fournir une estimation de celle que vous tirez de TikTok et la part qu’elle représente dans vos revenus.

Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Nasser Sari prête serment.)

M. Nasser Sari, influencer. Tout d’abord, merci pour votre invitation. Je vous le dis en toute honnêteté : il n’est pas facile pour moi de me retrouver devant autant de personnes.

Pour répondre à votre question, TikTok ce n’est quasiment rien pour moi, en termes de rémunération. Je n’ai presque jamais touché d’argent. Si je devais l’évaluer en pourcentage, par rapport aux autres réseaux, ce serait à peine 0,1 %.

M. le président Arthur Delaporte. Pouvez-vous nous donner une idée de la structure et du volume de vos rémunérations, sur TikTok et d’une façon générale ?

M. Nasser Sari. Y compris sur les autres plateformes ?

M. le président Arthur Delaporte. Oui, pour que nous comprenions le modèle économique.

M. Nasser Sari. Je dois vous donner mes revenus des autres plateformes ?

M. le président Arthur Delaporte. Pas précisément, mais globalement.

M. Nasser Sari. Je suis ici pour répondre à une commission sur TikTok.

M. le président Arthur Delaporte. Notre commission d’enquête porte sur TikTok mais nous souhaitons comprendre plus largement le modèle économique des réseaux sociaux et le moyen par lequel vous gagnez de l’argent.

M. Nasser Sari. D’abord, je ne suis pas tiktokeur, même si j’ai plus de 3,7 millions de followers sur TikTok. Ma source principale de revenu, c’est Snapchat, un autre réseau. Sur TikTok et sur les plateformes comme Instagram, je gagne très peu d’argent.

M. le président Arthur Delaporte. Est-ce une rémunération à la vue, sur Snapchat ?

M. Nasser Sari. Oui, à la vue. Elle est liée aussi à mes placements de produits, même si 80 % d’entre eux, si ce n’est plus, sont gratuits aujourd’hui. Je partage beaucoup au sujet des commerces de proximité.

Sur Snapchat, il y a ce que l’on appelle la monétisation : plus on fait de vues, plus on fait d’audimat, plus on gagne d’argent. Mais permettez-moi de rester transparent là-dessus ; j’ai le droit ?

M. le président Arthur Delaporte. Oui, vous être libre de dire ce que vous voulez.

M. Nasser Sari. Sur TikTok, je sais que ce sont les vidéos de plus d’une minute qui sont rémunérées ou les lives, quand les gens font des dons. Mais je préfère vous prévenir : je ne suis pas du tout un expert de TikTtok, même si j’ai des millions de followers dessus. À mon actif, je n’ai qu’une petite soixantaine de vidéos. J’ai créé un compte fin 2020, je crois, et en quatre ans je n’ai fait que deux vidéos de plus d’une minute et j’ai dû lancer dix lives.

Pour être encore plus transparent, je ne pense pas avoir dépassé la barre des 5 000 euros sur TikTok en cinq ans.

M. le président Arthur Delaporte. Souhaitez-vous ajouter des éléments à votre propos liminaire ?

M. Nasser Sari. J’aimerais appuyer sur le fait que je suis un snapchateur. TikTok, j’y vais plus en tant qu’utilisateur qu’en tant que créateur de contenu. Même moi, je suis victime du succès de TikTok !

M. le président Arthur Delaporte. C’est bien noté.

Mme Laure Miller, rapporteure. Nous vous remercions pour votre présence. Ce qui nous intéresse, c’est la raison pour laquelle vous vous êtes rendu sur TikTok, même si j’entends bien que ce n’est pas la plateforme que vous privilégiez. Quelle différence y a-t-il entre cette plateforme et les autres, en matière de mise en avant de contenus notamment ? Nous savons que l’algorithme a tendance à mettre en avant des contenus choc, car c’est ce qui retient l’attention du public, en particulier des jeunes.

M. Nasser Sari. Ça, c’est vous qui le dites.

Mme Laure Miller, rapporteure. Ce sont les experts qui nous l’expliquent mais, si vous n’êtes pas d’accord, vous pourrez y revenir.

Quand bien même vous ne publiez pas beaucoup de contenu sur TikTok, vous êtes suivi par 3,7 millions de personnes. Connaissez-vous votre communauté ? Est-elle composée de nombreux jeunes, en particulier de mineurs ? C’est sur ces derniers, en effet, que se concentre notre commission d’enquête.

M. Nasser Sari. À la base, j’ai créé un compte mais j’étais un simple utilisateur, pas un créateur de contenu. C’est quand j’ai vu que toutes mes vidéos étaient relayées sur TikTok, et qu’elles y prenaient parfois même plus d’ampleur que sur mon réseau principal qu’est Snapchat, que je me suis dit : « pourquoi ne pas me lancer ? »

Je vais utiliser des termes de créateur de contenu. Pour percer, TikTok est un tremplin. Pour booster ses vidéos aussi. Pour gagner en visibilité, en notoriété et en audimat, le réseau principal aujourd’hui c’est TikTok.

Sur TikTok, il y a ce que l’on appelle des comptes rediff : ils prennent les contenus créés par plein d’influenceurs, de créateurs, et les postent. Quand j’ai vu qu’ils permettaient à mes vidéos de faire des millions de vues, je me suis lancé. Ensuite, j’ai obtenu la certification et je suis devenu créateur de contenu sur TikTok – mais je n’ai posté qu’une soixantaine de vidéos.

Au sujet des jeunes, je vais être totalement transparent avec vous. Je n’ai pas réussi à voir le nombre de mineurs qui me regardent. En fait, je ne l’ai pas vérifié mais HugoDécrypte en a parlé quand il est passé devant votre commission ; je l’ai regardé. Cela se voit, qu’il y a énormément de jeunes : à l’écriture, aux commentaires, on voit bien que c’est un gamin de 14 ou 15 ans qui a écrit…

Mme Laure Miller, rapporteure. Vous savez donc que de nombreux mineurs vous suivent probablement, y compris avant l’âge de 13 ans. Votre nom a souvent été mentionné dans l’enquête publique que nous avons lancée, à laquelle beaucoup de jeunes ont répondu. Sans doute êtes-vous assez connu et assez regardé par les jeunes, voire les très jeunes. Considérez-vous que le contenu que vous publiez peut être abordé par des mineurs ?

M. Nasser Sari. Je ne le vois pas avec des statistiques. J’ai encore la chance de vivre en France, à Perpignan, dans mon quartier Saint-Jacques. C’est là que je me suis fait connaître, là où j’ai commencé mes vidéos. Cela fait maintenant six ans que je suis sur les réseaux sociaux et que je suis créateur de contenu, et je vois énormément de familles. Il y a autant de papas et de mamans qui prennent des photos avec moi que de jeunes enfants ; je le reconnais.

Je vois aussi – et vous avez pu le voir dans la presse avant cette commission – qu’il y a énormément de jeunes mineurs qui fuguent de leur ville pour venir à Perpignan : j’ai vu des enfants de 10 ou 11 ans attendre à 2 heures du matin dans mon quartier, pour me voir.

Mme Laure Miller, rapporteure. Ne considérez-vous pas que c’est un problème ?

M. Nasser Sari. Si, je suis en train de vous le dire. J’ai déjà répondu dans de nombreuses interviews à la presse, et sur mes réseaux, que c’est devenu un fléau pour moi. Mon adresse a fuité sur internet et, tous les jours, entre 200 et 300 personnes viennent devant la maison, sans compter les milliers de personnes …

Mme Laure Miller, rapporteure. J’ai en effet reçu, en tant que rapporteure, des e-mails de personnes de votre quartier qui se plaignent des effets collatéraux de ce qui se passe chez vous. Vous êtes indirectement responsable de ces jeunes car s’ils viennent c’est parce qu’ils ont vu que d’autres avaient obtenu un hébergement, de l’argent et peut-être la notoriété. De cela, vous êtes tout de même responsable.

M. Nasser Sari. Non, enfin oui, je reconnais que j’ai une part de responsabilité mais il faut voir les vidéos que je fais : quand un gamin de 10 ans arrive au quartier Saint-Jacques, mon premier réflexe est d’appeler sa maman. Et quand elle me dit « gardez-le avec vous, il vous aime trop », ne pensez-vous pas que les parents ont une part de responsabilité ?

J’ai regardé votre commission avant de venir, et j’ai l’impression que l’on parle très peu des responsabilités des parents. Je suis papa depuis un an. Si, à l’âge de 15 ans, mon fils veut aller voir une star ou une personne influente, je ne le laisserai pas faire. J’ai prêté serment, je ne peux que dire la vérité : je jure que je suis tombé sur des centaines de cas où les parents me disent de garder leur enfant. Est-ce que vous, vous trouvez cela normal ?

Oui, j’ai une part de responsabilité car je filme. Mais il y a toujours une morale, dans les vidéos. Je dis et je redis – et vous pouvez aller vérifier : « Ne venez pas. Arrêtez de croire au rêve de Nasdas. »

Je viens d’un quartier parmi les plus pauvres de France. Plutôt que d’y laisser une gamine de 17 ou 18 ans à 3 heures du matin, si sa mère me supplie de l’héberger et de lui prendre un billet de train pour le lendemain, je le fais. Et j’appelle les parents, pour leur demander si cela peut servir comme exemple. J’ai ce côté généreux, avec ou sans réseaux sociaux.

Vous savez, j’ai commencé comme gardien d’immeuble. Je touchais un peu moins de 1 200 euros par mois. Je redistribuais déjà mon argent, j’aidais déjà les gens de mon quartier – vous pouvez aller leur demander. Mais je ne savais pas que cela aurait un effet boule de neige. C’est pour cela que, cette dernière année, j’ai énormément ralenti sur les vidéos et sur les dons – je donne, mais je ne filme plus. J’ai cette responsabilité, oui, mais dans mes vidéos je dis : « arrêtez de venir ».

Je suis désolé, mais il y a aussi une responsabilité parentale. Ces gamins, je ne suis ni leur père ni leur mère. Si des parents trouvent normal que leur enfant de 14 ans soit à 600 kilomètres de chez eux et qu’il ait fraudé le train, c’est alarmant et ils ont eux aussi une responsabilité.

Mme Laure Miller, rapporteure. Beaucoup de ces jeunes viennent des foyers de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Pour eux, c’est une sorte de double peine, de double désillusion : après avoir sans doute subi des choses difficiles de la part de leurs parents, ils se retrouvent à errer dans votre quartier pour essayer d’obtenir quelque chose… C’est un vrai problème. Vous en avez conscience, mais que faites-vous ? Si vous dites d’un côté qu’ils ne doivent plus venir mais que, de l’autre, vous continuez à alimenter l’espoir, c’est peine perdue…

M. Nasser Sari. Je ne vais pas arrêter de vivre ni de créer du contenu. J’ai une responsabilité que j’assume pleinement. Je ne m’en vante pas mais, en toute modestie, sur Snapchat, je tourne 2 à 3 millions de vues en une heure : il y a des millions de personnes qui me regardent. Je reçois énormément d’insultes et des vagues de harcèlement : « Tu ne veux plus aider, t’as changé Nasdas ». Mais je m’en fous.

À Perpignan, l’équipe d’amis qui m’entoure appelle la police. Quand la police me montre des photos de jeunes, je leur dis si je les ai vus. Avant que cela devienne un fléau, je le faisais déjà. J’aime aider. En toute modestie, je suis généreux. Depuis trois ans, j’ai ralenti à 80 % ou 90 % ; je me suis même isolé dans une villa.

Me dire aujourd’hui que je condamne mais que je continue ? Non. Je le condamne, et je ralentis. Mais je ne peux pas m’arrêter. Sinon on accuse tout le monde de tout. J’ai fait des choses, j’ai fait de la prévention, j’ai demandé d’arrêter. À la limite, on aide parfois la police à récupérer les jeunes.

Les jeunes des foyers sont nombreux. Je ne suis pas un expert de l’éducation nationale, des jeunes ou des foyers mais j’entends des témoignages. Est-il normal qu’ils fuguent, quitte à dormir dehors, pour venir voir Nasdas, et qu’ils se sentent parfois plus en sécurité que dans certains foyers ? N’est-ce pas une autre question à soulever ? J’ai vu des vidéos dans lesquelles ils disent : « Nas, on ne veut pas dormir chez toi, on veut juste être en sécurité dans ton quartier, s’il te plaît. » Encore une fois, j’ai fait serment ; tout ce que je dis est vrai. Il y a aussi une responsabilité de l’État, non ?

Mme Laure Miller, rapporteure. Pour le coup, je connais bien les problématiques inhérentes à ASE, ne serait-ce que pour avoir récemment présidé une commission sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance. Il ne s’agit évidemment pas d’éluder les problèmes que traverse notre pays dans ce domaine, ni de nier que ces politiques nécessiteraient beaucoup plus de moyens, mais ce n’est pas le sujet du jour. Pour votre part, loin de résoudre les problèmes de ces jeunes, vous rajoutez de la misère à la misère. Vous avez annoncé que vous alliez quitter les réseaux sociaux. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les raisons qui vous poussent à le faire ?

M. Nasser Sari. Je ne peux pas vous laisser dire que je rajoute de la misère à la misère. Ce n’est pas vrai. Sortez-moi une seule vidéo où je demandais à ces jeunes de venir. Sortez-moi une centaine de vidéos où je demandais à ces mêmes jeunes d’arrêter de venir. Qu’est-ce que vous voulez que je fasse de plus ? On peut collaborer et même travailler ensemble. Moi aussi je vous pose des questions : dites-moi, vous, ce que je dois faire de plus ? Dites-le-moi. C’est facile de m’accuser de rajouter de la misère à la misère, mais qu’est-ce que je dois faire de plus ? Prendre la parole. Dans certains cas, j’aide la police. Il y a une réalité de terrain, mais je ne peux pas vous laisser dire ça : je ne leur ai jamais demandé de venir.

Mme Laure Miller, rapporteure. Ils ne sont pas venus par hasard !

M. Nasser Sari. Il y a des clips de rap, des films, tous types d’art. On va tomber dans la bêtise, je suis désolé, mais ce n’est pas parce que j’ai vu M. Omar Sy aider une personne dans le film Intouchables que je vais aller camper devant chez lui.

Mme Laure Miller, rapporteure. C’est absurde !

M. Nasser Sari. Je vous ai prévenue : on va tomber dans la bêtise. Vous êtes en train de me demander à moi, créateur de contenu, d’arrêter d’aider des jeunes de mon quartier car ça donne envie à d’autres jeunes, sous la responsabilité de l’État, de venir. C’est ce que vous êtes en train de me dire. Alors, je n’exerce plus mon métier, je ne crée plus de contenu ? Vous me dictez ce que je dois créer comme contenu ? Ah non, Nasdas, tu ne dois pas aider ces jeunes-là parce que ça crée un appel d’air, un effet boule de neige, et tout le monde vient. Je fais de la prévention : je demande à ces jeunes de ne pas venir. Mais, je l’ai dit, je ne peux pas m’arrêter de vivre.

En juin de l’année dernière, j’avais déjà fait une pause. Vous savez, moi, ça fait six ans que je suis sur les réseaux sociaux et ce n’est pas facile. Beaucoup de créateurs de contenus sont passés par là avant moi. Mentalement, c’est très dur pour nous aussi – je sais que beaucoup de ceux qui vont sur internet vont rigoler et dire non – et je reconnais que je n’arrive plus à maîtriser beaucoup de choses. J’ai pris une décision, pas la semaine dernière. Oui, cette décision, auprès de mon équipe, elle est déjà prise, ça fait trois mois. J’ai vu que, sur internet, beaucoup disaient que j’arrêtais parce que j’étais convoqué devant la commission d’enquête. Ce n’est pas vrai du tout : j’ai une vie de famille. Je vous demande de prendre en compte que tous les créateurs de contenu ont leur santé mentale impactée. TikTok a un algorithme incroyable et les autres plateformes aussi. La santé mentale d’un créateur de contenu dépend beaucoup de son taux d’audience, de son nombre de vues. Cette course aux vues, cette course à l’audimat, cette course au buzz – je pense que vous avez déjà entendu le mot buzz –, la pression nous poussent des fois, nous créateurs de contenus, à poster des choses sans même en être conscient. Vous voyez, je ne me dédouane pas des contenus que j’ai pu poster et que les autres créateurs de contenu ont postés, mais on a cette forme de pression.

Créateur de contenu, c’est un métier, mais qui m’a formé, moi, à être connu, à avoir des millions de personnes qui me regardent tous les jours, à savoir ce que je dois dire, ce que je dois faire ? Je ne me dédouane pas : je suis responsable de toutes les erreurs que j’ai pu faire. Mais si quelqu’un m’avait dit, sept ans en arrière, « un jour tout le monde t’appellera Nasdas, ton nom de scène, ta vie changera, tu seras payé, des milliers de jeunes et de familles viendront te voir, certains auront Nasdas tatoué sur le bras, je ne l’aurais jamais cru. Personne ne m’a formé à ça. Aujourd’hui, je ne sais pas si j’arrête totalement, définitivement, mais c’est une décision sage. J’arrête peut-être pour un, deux ou trois ans, je ne reviendrai pas avant, c’est sûr. Je vais perdre énormément d’argent : plus on est actif sur les réseaux, plus on fait de vues, plus on gagne de l’argent.

M. le président Arthur Delaporte. Vous gagnez combien par mois en moyenne ?

M. Nasser Sari. Je ne sais pas.

M. le président Arthur Delaporte. Avez-vous une idée, un ordre de grandeur ?

M. Nasser Sari. C’est un chiffre d’affaires, ça ne va pas dans ma poche, on est à des centaines de milliers d’euros.

M. le président Arthur Delaporte. Des centaines ?

M. Nasser Sari. Oui quelques centaines.

M. le président Arthur Delaporte. Quelques centaines ?

M. Nasser Sari. D’euros. Et vous ?

M. le président Arthur Delaporte. Le salaire net d’un député est d’environ 5 000 euros après impôts.

M. Nasser Sari. J’ai vu à l’extérieur et j’ai été étonné : vous avez des chauffeurs ?

M. le président Arthur Delaporte. Ce sont des chauffeurs partagés. Il y en a une dizaine pour toute l’Assemblée.

M. Nasser Sari. Ce n’est pas un défaut, ce n’est pas une accusation ! Je les ai vus, j’ai posé la question et on m’a dit que...

M. le président Arthur Delaporte. Ils font de la dépose pour les 577 députés. Ce ne sont pas nos chauffeurs individuels.

M. Nasser Sari. Désolé. Mais aujourd’hui…

M. le président Arthur Delaporte. Nous allons passer aux questions des députés, à moins que vous vouliez dire une dernière chose.

M. Nasser Sari. Oui. J’ai vraiment besoin de prendre du recul, chose que je n’ai pas encore vraiment faite, et de savoir ce que je veux et ce que je veux représenter. Au début, Nasdas c’était un surnom mais ça restait quand même moi. Aujourd’hui, Nasdas est devenu un personnage. Très vite, les créateurs de contenu ne savent plus ce qu’ils veulent, ce qu’ils représentent, on tombe dans une tourmente. Là, je défends aussi ce métier et je dis qu’il faudrait plus d’encadrement – pas sévère, pas des punitions.

Ça vous fait sourire, monsieur le député ? Je vous parle de la santé mentale des créateurs de contenu.

M. le président Arthur Delaporte. Excusez-moi, je ne vous demande pas de me faire des remarques. Vous êtes ici en audition.

M. Nasser Sari. Vous souriez pendant que je parle ! Ce n’est pas une remarque, c’est déplaisant pour moi.

M. le président Arthur Delaporte. Ce n’est pas par rapport à vous.

M. Nasser Sari. Au temps pour moi !

M. le président Arthur Delaporte. Je vous remercie donc de continuer votre propos.

M. Nasser Sari. Eh bien, au temps pour moi.

M. Aly Diouara (LFI-NFP). Revenons sur les responsabilités. Les parents sont les premiers responsables de l’éducation de leurs enfants, je n’en disconviens pas. Ensuite, il y a la responsabilité de la société – l’éducation nationale, l’ASE, etc. Cela étant dit, en raison notamment de la viralité de vos réseaux sociaux, je pense que, comme me disait un médecin, on peut parfois, à travers certains médicaments, être à la fois le poison et l’antidote. Il faut donc remettre les choses dans leur bon sens et dans leur contexte. C’est ce qui m’a d’ailleurs amené, le 23 avril dernier, à saisir l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) sur différents sujets, notamment plusieurs publications dans vos contenus.

Vous êtes l’un des créateurs de contenu les plus suivis sur Snapchat – plus de 9 millions d’abonnés – et vos vidéos sont massivement relayées, notamment sur TikTok. Votre audience est majoritairement jeune, souvent issue de milieux populaires, parfois même très précaires. À ce titre, votre rôle dépasse largement celui d’un simple divertisseur : vous êtes devenu une figure d’identification pour toute une génération qui vous observe, vous imite parfois et vous crédite d’une forme d’autorité.

À vos débuts, d’après ce que m’ont expliqué certains de mes collaborateurs qui vous suivaient à l’époque, vos contenus visaient à montrer une image positive et festive de votre quartier, contribuant à redonner notamment de la visibilité à des territoires trop souvent stigmatisés. Force est de constater que votre ligne éditoriale a profondément évolué avec le temps. Votre production actuelle repose de plus en plus sur une mise en scène assez violente, que cette violence soit physique, psychologique ou symbolique. On y voit des personnes, souvent vulnérables, filmées dans des situations de mise en concurrence assez dégradantes, de moqueries répétées, d’encouragement à des comportements parfois discriminatoires et misogynes – l’un de ces contenus m’a particulièrement heurté. Certaines de ces personnes semblent psychologiquement fragiles, socialement dépendantes, voire financièrement sous emprise.

S’agissant de l’ASE, vous avez raison : l’État est le pire parent des jeunes et des enfants placés. C’est une réalité, évoquée par Mme la présidente, que nul ne conteste. Cela étant dit, je pense que vous êtes aussi parfois dans cette position du poison et de l’antidote. Avez-vous conscience de l’influence que vous exercez sur cette jeunesse ? Avez-vous conscience que vos choix de mise en scène participent à façonner parfois durablement leurs rapports aux autres, notamment à la violence, à l’égard des femmes, à la réussite sociale ? Au regard de cette influence, êtes-vous prêts à assumer la responsabilité qui découle de votre exposition publique, non pas seulement en termes de notoriété et de rentabilité, mais en termes d’exemplarité, d’impact social ?

M. Nasser Sari. Vous avez parlé très longtemps, j’ai du mal à répondre.

M. le président Arthur Delaporte. Pouvez-vous résumer vos questions en dix secondes, monsieur Diouara ?

M. Aly Diouara (LFI-NFP). Avez-vous conscience de l’influence que vous exercez sur cette jeunesse ? Avez-vous conscience que vos choix de mise en scène participent à façonner parfois durablement les rapports aux autres, à la violence, aux femmes, à la réussite sociale ? Enfin, au regard de cette influence, êtes-vous prêts à assumer la responsabilité qui découle de votre exposition publique, non pas seulement en termes de notoriété ou de rentabilité, mais en termes d’exemplarité, d’impact social ?

M. Nasser Sari. Je vais essayer de répondre à vos questions une par une. Bien sûr que j’ai conscience de la responsabilité de mon influence envers les jeunes. Vous dites que je suis très suivi par les mineurs, mais il me faudrait des chiffres. Est-ce que vous en avez ? Vous en avez parlé aux mineurs ? C’est bien beau de tenir de beaux discours, mais est-ce que vous avez des chiffres ? Moi, j’en ai. Sur Snapchat, mon réseau principal, à plus de 87 % ce sont des majeurs et ma plus grosse communauté, ce sont les 25 à 36 ans. C’est bien beau d’insinuer que je ne suis suivi que par des mineurs mais je suis ici en direct et c’est bien moi. Quand je crée mon contenu, le fléau des jeunes, ce n’est pas une majorité.

Il y a énormément de personnes qui viennent à Perpignan pour voir Nasdas. C’est très difficile pour moi d’être une personne « normale » et d’exercer mon métier à l’extérieur de la maison. Du coup, je suis enfermé avec des amis et on crée du contenu, que ça plaise ou que ça déplaise. Je comprends que ça déplaise, mais il faut comprendre que toutes les vidéos, c’est pour divertir les gens. C’est pour ça qu’on est regardé par des millions de personnes. Certains me critiquent et critiquent ma manière de faire, mais combien y adhèrent : bien plus, en toute modestie. J’en ai tellement conscience qu’il y a trois mois, j’ai pris la décision de prendre une pause.

Peut-être que je reviendrai sur les réseaux, peut-être pas. Si j’y reviens un jour, en toute honnêteté, je veux clairement changer d’air, je l’ai dit à mes équipes. C’est bien beau de dire que je suis peut-être devenu un symbole mais, j’ai parlé de la santé mentale des créateurs de contenu, j’ai peut-être perdu de vue ce que je représentais et ce que je propose.

M. Thierry Sother (SOC). Vous vous qualifiez de créateur de contenu. Vous avez fait ce choix de métier. Vous avez évoqué le partage à votre insu, de manière délibérée, de vos créations sur Snapchat et sur d’autres plateformes. Avez-vous été en mesure de chiffrer ce nombre de partages ? Au fil de vos sept années d’exercice, vous dites être devenu un personnage. À quel moment avez-vous pris conscience de votre impact sur les jeunes en général, sans parler des mineurs ? Cela vous a-t-il conduit à essayer de changer vos contenus et vos propos ?

M. Nasser Sari. Pourriez-vous répéter votre première question, s’il vous plaît ?

M. Thierry Sother (SOC). J’aurais aimé avoir des éclaircissements concernant les contenus que vous créez sur Snapchat et qui sont partagés à votre insu sur TikTok.

M. Nasser Sari. Il existe sur TikTok ce que l’on appelle des « comptes rediff » qui rediffusent, pas seulement mes vidéos mais toutes les vidéos virales. Même un petit créateur de contenu, qui ne fait que 5 000 vues, peut voir sa vidéo reprise, « screenée ». En fait, ils font une capture d’écran de notre contenu et ils le repostent tout simplement sur leur propre compte.

M. Thierry Sother (SOC). Puisque vous mettez vous-même en scène les contenus que vous créez, c’est donc une sorte de pillage de votre contenu, un vol de votre création artistique par TikTok ?

M. Nasser Sari. Je ne sais pas si je qualifierais cela de vol. Aujourd’hui, c’est devenu normal : il y a des milliers de « comptes rediff » sur TikTok. Ils n’ont ni nom, ni prénom, ni tête. Ils n’ont pas d’identité. Ils s’appellent « compte rediff » ou « rediff exclu ». Ils reprennent les vidéos de Nasdas et celles des autres créateurs de contenu. Vous pouvez qualifier cette pratique de vol : ils ne m’ont pas demandé la permission de copier mes contenus pour les reposter sur TikTok. Il existe aussi de faux comptes Nasdas, parce qu’il y a énormément, énormément d’usurpations d’identité et pas que sur TikTok, sur tous les réseaux.

Mme Anne Genetet (EPR). Vos propos témoignent d’une grande compréhension du fonctionnement des algorithmes des différentes plateformes et d’une sensibilité à l’effet que peuvent produire tous ces contenus sur les jeunes. Vous avez même émis une forme de critique, même si elle était très policée, vis-à-vis des parents. Non seulement vous comprenez l’effet de ces contenus, mais cela vous inspire quelques réserves. En tant que créateur de contenu maîtrisant cet univers, quelles recommandations feriez-vous pour limiter les effets négatifs d’une plateforme comme TikTok sur des mineurs, en laissant de côté le rôle des parents qui a déjà été évoqué ?

M. Nasser Sari. Merci pour votre question mais y répondre est très compliqué. Malheureusement, oui sur TikTok et ailleurs, il y a un impact sur la santé mentale des jeunes et, pas qu’eux, des personnes plus âgées aussi. Je n’ai malheureusement pas de baguette magique ni de solution miracle. N’est-il pas un peu trop tard ? C’est la question qu’on doit se poser. TikTok est l’application la plus utilisée au monde, et depuis des années. C’est bien de réagir mais avec quelle solution ? Limiter le nombre d’heures ? Mais comment faire ? Je ne fais pas votre métier. Vous avez l’honneur d’être députés ou représentants de l’État. TikTok a pris une telle ampleur... Bon courage si vous devez prendre des mesures : ça ne va pas être facile !

Les créateurs de contenus ont aussi une part de responsabilité. Je le dis en toute honnêteté : notre objectif, quand on fait une vidéo, c’est qu’elle soit regardée. Après, j’ai pris plusieurs mesures. Par exemple, je ne fais pas de lives sur TikTok – j’en ai fait très rarement –, mais je me suis lancé dans les lives Twitch, et je les commence presque toujours après minuit, pour faire en sorte que seulement un minimum de mineurs puisse regarder. Et ça, c’est vérifiable.

M. Antoine Vermorel-Marques (DR). Vous avez le devoir de nous déclarer tout conflit d’intérêt. Connaissez-vous certains des députés présents ? Si oui, quels liens vous unissent ?

M. Nasser Sari. J’ai vu M. le président à la télé – est-ce que cela veut dire que je le connais ? Je connais M. Delogu, que j’ai vu à la télé aussi. Je regarde tous les visages, mais je ne connais personne d’autre. Pourquoi ?

Mme Laure Miller, rapporteure. Plusieurs d’entre nous ont remarqué que, au tout début de l’audition, M. Delogu a orienté votre réponse à la question relative aux revenus.

M. Sébastien Delogu (LFI-NFP). Parce que ce n’était pas le sujet de la commission.

Mme Laure Miller, rapporteure. D’accord mais c’était surprenant : nous avons rarement des attentions de cette nature envers une personne auditionnée.

M. Antoine Vermorel-Marques (DR). On dit de vous que vous êtes le « Robin des bois digital ». Vous avez redistribué beaucoup d’argent. En avez-vous donné à des mineurs ou à des partis politiques ?

M. Nasser Sari. Mais c’est quoi, cette question ?

M. le président Arthur Delaporte. Monsieur Vermorel-Marques, pourriez-vous préciser pourquoi vous posez la question des partis politiques et quel est son rapport avec l’objet de la commission d’enquête ?

M. Antoine Vermorel-Marques (DR). On vous prête des ambitions politiques. Je voudrais savoir si TikTok a permis de rémunérer des partis politiques.

M. Nasser Sari. On est quand même à l’Assemblée nationale ; pour moi, c’est une première et un honneur. Je ne pensais vraiment pas tomber sur des questions aussi floues que les vôtres. À l’Assemblée nationale, on pose des questions précises. Qu’est-ce qu’un groupe politique ? Je n’ai même jamais fait de politique sur les réseaux sociaux. Je n’ai jamais versé d’argent à des groupes politiques.

Monsieur le président, vous avez dit dans une interview que vous ne seriez pas là pour nous punir, mais c’est bien pire : il y a des questions tellement hors sujet… Excusez-moi, j’ironise, mais c’est quoi la prochaine question ? Est-ce que j’ai financé l’armée du Tchad ?

M. le président Arthur Delaporte. Nous avons compris que vous n’avez pas d’intention politique. Revenons à la première question : avez-vous donné de l’argent à des mineurs ?

M. Nasser Sari. Désolé mais je reviens à l’autre question, parce que je suis un peu choqué…

M. le président Arthur Delaporte. Répondez s’il vous plaît à la question sur les mineurs. Vous pourrez rebondir ensuite, mais très rapidement.

M. Nasser Sari. C’est quand même grave de poser cette question ; j’ai un droit de réponse.

M. le président Arthur Delaporte. Vous avez pu répondre.

M. Nasser Sari. On m’a demandé dans une interview si j’avais des convictions politiques. J’ai dit que je ferais tout pour aider mon quartier, même devenir éboueur. Si demain il fallait tenir un rôle politique, je le ferais, quitte à être éboueur. Je ne vois pas ce que des questions comme ça viennent faire ici : quel est le rapport avec TikTok ?

Quant aux mineurs, oui, il m’est déjà arrivé de prendre une vingtaine de jeunes de mon quartier, de leur faire nettoyer les rues, repeindre les murs pleins de tags, pour leur donner le sens du travail et le goût de l’effort, et de les rémunérer 5, 10, 20 euros – 50 grand maximum. C’est vraiment des actions sociales que j’ai menées au sein de mon quartier, Saint-Jacques, où on est des milliers d’habitants, parce que la population là-bas se sent totalement délaissée. Oui, par des actions sociales comme celles que j’ai décrites, j’ai pu aider des jeunes. Je leur dis : tu nettoies le quartier, je te donne un billet de 20 ou de 50 euros ; non, petit, tu n’as pas besoin de vendre de drogue ; non, ce n’est pas parce que tu as grandi dans un quartier que tu dois vendre de la drogue – il existe d’autres moyens. Vous savez, moi, les mineurs, les jeunes, excusez-moi du terme mais s’il y en a un dans mon quartier qui osait insulter la France devant moi… Il y a les réseaux sociaux et les vidéos, mais mon action ne s’arrête pas à ça : il y a aussi le terrain, et j’y suis.

M. le président Arthur Delaporte. Monsieur Vermorel, je vous redonne la parole pour rebondir mais je vous remercie de ne pas remettre une pièce dans la machine.

M. Antoine Vermorel-Marques (DR). Membre de la commission d’enquête, j’ai le droit de poser des questions ; la personne auditionnée est libre d’y répondre ou non. Je vous demande, monsieur le président, de garantir mes droits de parlementaire.

M. le président Arthur Delaporte. Je ne crois pas y avoir fait obstacle, mon cher collègue.

M. Nasser Sari. Mais c’est une commission d’enquête sur TikTok : vos questions sont totalement hors sujet – comprenez-le ! Vous en êtes membre, vous avez aussi des responsabilités : vos collègues attendent pour poser des questions utiles sur TikTok et la santé mentale des jeunes !

M. le président Arthur Delaporte. Monsieur Sari, je vous demande d’arrêter.

Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Vous avez minimisé l’incidence de TikTok sur vos revenus en omettant de mentionner que TikTok vous sert à capter du public : votre compte est relié à votre compte Snapchat et à vos lives Twitch.

En outre, vous affirmez que vous publiez parfois du contenu sans prendre conscience de ce que vous publiez, parce que vous n’êtes pas accompagné. Pourtant, vous pourriez vous faire aider par des avocats, comme c’est le cas aujourd’hui. C’est non seulement votre droit, mais peut-être votre responsabilité de créateur de contenus.

Depuis plusieurs années, vous captivez des millions d’abonnés avec vos publications sur les réseaux sociaux, que l’on pourrait comparer à des séries télévisées : elles ont leurs personnages, leurs intrigues, leurs rebondissements. Mais, contrairement à une série, vous jouez avec la frontière entre réalité et fiction, en brouillant parfois la distinction entre ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. Par exemple, vous avez souvent mis en scène des relations amoureuses, réelles ou supposées, dans votre villa. Parfois, elles impliquent des mineurs, comme Mme L., qui a été un personnage central pendant plusieurs semaines. Vous et votre communauté l’avez accusée d’être tombée enceinte d’un homme de la villa alors qu’elle était, selon vous-même, loin d’être majeure.

Vos contenus reflètent-ils la seule vérité ? La question est cruciale. Si c’est le cas, il s’agit souvent d’actes pénalement répréhensibles – menaces avec couteau, racisme, harcèlement, exploitation, détournement de mineur et violences conjugales. Quels effets psychologiques de tels contenus ont-ils sur les mineurs ? Ils peuvent exercer une influence néfaste en normalisant des comportements inappropriés, jusqu’à perturber leur compréhension de la réalité et de ce que sont des relations saines.

Si au contraire vos contenus sont mis en scène, vos choix éditoriaux sont discutables : vous devez la transparence à votre communauté et aux plateformes. L’admettre vous exposerait à des critiques pour avoir largement outrepassé le règlement des réseaux sociaux. Vos contenus devraient alors être modérés, voire classifiés, pour les empêcher d’atteindre un jeune public.

Ma question n’est pas floue : ce que vous montrez est-il vrai ou mis en scène ?

M. Nasser Sari. Vous affirmez que j’ai minimisé l’impact de TikTok sur mes revenus mais j’ai touché moins de 5 000 euros – je peux le prouver. En quoi ai-je minimisé ?

Vous citez Mme L. Je ne connais pas. C’est qui ?

Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Je parle de Leyna. Je ne voulais pas citer son nom parce que ma question ne porte pas sur cet épisode en particulier. Je vous demande si vos contenus sont réels ou mis en scène.

M. Nasser Sari. Avant de répondre, je veux comprendre : vous m’avez accusé, et vous avez accusé des amis à moi, d’avoir mis en scène le fait que Leyna était enceinte ? Ou de lui avoir dit qu’elle avait fait semblant de l’être ? Ou d’avoir supposé qu’elle l’était ? C’est elle-même… Vous savez, j’ai un droit à l’image, de sa grand-mère qui est sa tutrice : j’ai le droit de la filmer comme elle a le droit de me filmer. C’est elle-même qui est venue avec des tests de grossesse et qui a dit : « Oui, Nasser, je suis enceinte. »

Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Quel âge a-t-elle ?

M. Nasser Sari. Oui, elle avait 16 ans, elle nous avait menti, ce qui avait aussi fait scandale sur les réseaux.

On vit en communauté. On est des fois dix, des fois quinze. Mettre en scène, c’est un grand mot : mon contenu, je vais quelquefois le tirer. Je ne suis pas devant un tribunal, je suis devant une commission d’enquête, sur TikTok. Encore une fois, on en revient à mon contenu Snapchat. Il y a des choses mises en scène, oui, d’autres sont réelles. Quand j’aide les jeunes de mon quartier, par exemple, je le fais de tout cœur. Leyna est un cas à part, les autres jeunes viennent de mon quartier et dans mon quartier, on est une grande famille. À part Leyna, on peut me citer très peu de mineurs, ils sont tous majeurs, vaccinés et conscients d’être chez moi ; ils savent pourquoi ils sont venus et ils savent ce qu’ils veulent faire. Aujourd’hui, Leyna est très contente : elle a plus de 0,5 million de followers sur TikTok. Quand elle est arrivée chez moi, elle n’avait même pas de domicile.

Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). J’ai précisé ma question.

M. Nasser Sari. Vous me demandez si c’est la réalité ou si c’est mis en scène, je vous ai répondu.

Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Je vais donner un autre exemple. Djibril jette son téléphone sur sa compagne : c’est un acte de violence conjugale. Est-il mis en scène ?

M. Nasser Sari. Djibril et Inès, ils se chahutent vraiment. Je ne parle pas de cette scène-là ; je parle au quotidien. Je savais que, dans cette commission, on allait me ressortir cette scène, qui a beaucoup tourné sur Twitter – pardon, mais les députés passent beaucoup de temps sur Twitter à regarder les vidéos de certains internautes ! Cette scène-là, je vous le dis clairement, elle a été surjouée. Beaucoup sur internet diront que j’ai dit ça pour défendre Djibril ; d’autres diront que j’essaie de cacher la vérité : non, à l’heure actuelle, Djibril et Inès sont ensemble. Et il est hors de question que sous mon toit, sous ma responsabilité, il se passe quelque chose comme ça et que, en conscience, je le filme et je le poste. Je sais quand même ce que je fais, je suis quand même responsable de mon contenu : je ne vais pas m’envoyer à l’abattoir.

M. Stéphane Vojetta (EPR). Merci d’être venu et de répondre à nos questions. Nous essayons de comprendre les mécanismes à l’œuvre.

M. Nasser Sari. Franchement !

M. Arthur Delaporte (SOC). S’il vous plaît, monsieur Sari, pas de dénigrement. Écoutez les questions des parlementaires.

M. Stéphane Vojetta (EPR). Je ne vous suis pas ; jusqu’à aujourd’hui, je ne vous connaissais pas ; j’avoue que je ne vous ai jamais vu sur les réseaux. On le sent en vous écoutant, vous comprenez que vous avez une influence certaine, sur les mineurs en particulier. Si vous pouviez, en appuyant sur un bouton, exclure de votre audience les mineurs de moins d’un certain âge qu’il faudrait déterminer – 13, 15 ou 18 ans –, le feriez-vous ? Selon vous, à partir de quel âge devrait-on pouvoir regarder vos contenus ?

Les placements de produits concourent à vos revenus. Une association de victimes de l’influence affirme que certains ont posé des problèmes, notamment des maillots de foot Ligue des champions 2025 qui n’auraient pas été livrés. Avez-vous connaissance de problèmes liés à des placements de produits ? La loi dite influenceurs vise à protéger les consommateurs. En connaissez-vous les termes ? L’appliquez-vous ?

M. Nasser Sari. La question de l’âge minimum devrait même se poser pour regarder les contenus d’applications telles que Snapchat, TikTok, YouTube : on trouve de tout partout. Pour avoir TikTok, je dirais 14 ans. Si on parle de ma vie privée, j’ai un fils, c’est un parfait exemple : il pourra l’utiliser après ses 15 ans, mais pas avant – mais il n’a que 1 an, et je ne suis peut-être pas un bon papa. Après, il ne faut pas punir tous les jeunes ; TikTok, c’est aussi un endroit pour se relaxer, ça a été créé pour qu’on puisse scroller sur le fil d’actualité, regarder des vidéos, d’ailleurs, elles sont de tous types. Je ne suis en aucun cas l’avocat de TikTok – je préfère le dire –, mais il n’y a pas que de vidéos problématiques : dans certaines, on apprend pas mal de choses. C’est plus une question d’algorithme : il faut plus ramener les jeunes vers un contenu éducatif. Après l’âge… si on le leur interdit… ils sont omniprésents… On parle d’un texte de loi visant à l’interdire aux moins de 15 ans. Je ne suis ni ministre ni député, mais si je devais donner un âge minimum, je dirais 15 ans, avec un algorithme centré. S’agissant de mon contenu, je dirais aussi 15 ou 16 ans.

Après, je me pose une vraie question. Je peux aller sur TikTok ou sur d’autres applications et créer un compte en mentant sur mon âge – j’ai 29 ans, je peux dire que j’en ai 69. C’est une réalité. Il faut peut-être être plus précis durant l’inscription – je ne sais pas comment, je ne suis pas en train de vous dire qu’il faut donner des pièces d’identité à TikTok, mais il faut être plus prévoyant.

Pour revenir à mes rémunérations, elles proviennent directement des plateformes, et non des placements de produits, qui représentent même pas – on me demande des chiffres, mais je ne sais pas – disons 5 à 8 % du total. Comme je vous l’ai dit, j’en fais énormément gratuitement – vous l’avez rappelé, on m’a appelé le Robin des bois moderne. Si demain, vous venez me voir pour me dire que vous avez une boulangerie, et que j’aime bien votre pain, je viens et je fais un placement de produit. Sur les maillots de foot, Dieu merci, le problème a été réglé. Je fais des millions de vues. On parle d’une personne qui s’est lancée dans la vente de maillots et qui, à vrai dire, ne s’attendait pas à un tel nombre de commandes. Énormément de livraisons ont été reçues ; je sais que tout le monde a reçu un mail, il y a un suivi, et tous les maillots vont être reçus. Bien sûr, il y a des lois ; nous, les créateurs de contenus, on les applique : le hashtag #publicité apparaît à chaque placement de produit, même s’il est gratuit – si demain je viens dans votre boulangerie, je mettrai le hashtag #publicité pour bien montrer à ma communauté que je suis en train de faire un placement de produit.

M. le président Arthur Delaporte. Je vous remercie de cette précision. M. Stéphane Vojetta et moi-même sommes les auteurs de la loi influenceurs et je rappelle que la publicité promouvant les jeux concours, les cartes bancaires ou encore les placements financiers est strictement régulée, voire interdite depuis deux ans. Tout ce qui a trait à l’argent doit être enregistré auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF) et les jeux concours doivent faire l’objet de mentions légales. Nous ne sommes pas là pour faire appliquer la loi, mais je fais ce rappel, car certains de vos contenus…

M. Nasser Sari. Mon prestataire a ensuite respecté les règles et ajouté les mentions légales pour les jeux concours. Ce n’est pas moi qui m’en occupe personnellement, mais merci de le préciser.

M. le président Arthur Delaporte. Je le dis aussi à ceux suivent cette audition : il y a un cadre et nul n’est censé ignorer la loi. Une personne qui procède à des placements de produits problématiques peut être condamnée, ce qui a d’ailleurs déjà été le cas.

M. Nasser Sari. J’aimerais parler de quelque chose qui me tient à cœur. Je vous le dis à vous, qui êtes derrière cette loi : quand j’avais 110 000 followers, j’ai partagé du pari sportif, j’ai partagé du trading. Je le dis ouvertement et je plaide coupable. Beaucoup de familles sont venues me voir et m’ont dit : « Nas, on t’a fait confiance et on a tout perdu dans le trading et les plans financiers. » Personne dans la commission d’enquête ne m’a posé la question, mais je l’admets.

J’avais 100 000 followers, c’était mes tout premiers mois en tant que créateur de contenus, je venais juste de démissionner de mon poste de gardien d’immeuble. Et j’aimerais parler de ces pseudo-agences ; il y en a tellement. Moi, j’arrête, je me retire, mais j’aimerais tellement protéger les créateurs de contenus de ces agences, qui viennent nous voir en costard, qui nous expliquent, avec un beau discours, qu’ils connaissent très bien la loi. Ils m’ont dit « nul n’est censé ignorer la loi ». Mais quand vous avez 22 ans, d’un coup des centaines de milliers de followers et que ces pseudo-experts viennent se présenter à vous… Ces gens-là passent leur temps derrière un ordinateur ou un téléphone à détecter les nouveaux talents. Quand ils en voient un avec 80 000 followers, ils se disent qu’ils vont l’approcher pour lui faire faire des placements de produits, et à la fin ça retombe sur le créateur de contenus. Pourquoi on ne tape pas sur ces pseudo-agences ?

J’ai eu la chance, dans la deuxième partie de ma carrière, d’avoir une agence très propre. Mais je vous jure que j’aurais aimé qu’on me protège de ces gens-là au début.

M. le président Arthur Delaporte. La loi influenceurs prévoit que les agences sont pénalement coresponsables des contenus problématiques qui peuvent être publiés.

M. Nasser Sari. Je vous en remercie. Je n’étais pas au courant.

M. le président Arthur Delaporte. C’est une coresponsabilité de la marque, de l’agence et de l’influenceur. J’invite vraiment tous ceux qui s’intéressent à ce sujet et qui font des placements de produits à bien prendre connaissance du cadre légal, car une infraction peut entraîner jusqu’à 300 000 euros d’amende – ou une part du chiffre d’affaires – et deux ans d’emprisonnement.

M. René Lioret (RN). Pour tout dire, je suis un Candide des réseaux sociaux. Je ne vais pas sur Snapchat ni sur TikTok et je découvre que vous y avez 3,7 et 9 millions de followers. Au-delà des gens qui vous suivent, votre particularité est que certains désirent vous voir, ce qui n’est pas le cas de tous les influenceurs. Au début de l’audition, vous avez évoqué le cas, peut-être pas représentatif, d’un jeune ayant quitté son domicile à 100 kilomètres de chez vous et dont les parents vous ont dit de le garder. D’autres personnes viennent dans votre quartier et vous disent qu’ils y sont bien, en sécurité. Que représentez-vous pour ces gens, dont certains sont majeurs ? Qu’attendent-ils de vous ? Comment passe-t-on de Nasser Sari à Nasdas ? Quelle image donnez-vous à ces jeunes ?

Je reconnais que ma question est difficile, mais que leur apportez-vous qu’ils ne trouvent pas dans leur milieu scolaire, dans un club de sport, dans leur famille, toutes ces structures censées les encadrer ? Voilà ce que je cherche à comprendre pour cerner votre personnalité.

M. Nasser Sari. Les personnes qui ont regardé mon contenu savent que je filme mon quartier, qui est un petit cocon familial, où tout le monde s’aime bien et où tout le monde rigole. Là où j’ai eu tort, c’est de ne montrer que le côté positif. Tout le monde a cru qu’en venant, ça allait être bien, au top, parce que, tout naturellement, j’ai essayé de cacher le côté néfaste, alors qu’il y a des cons partout. À ces personnes qui viennent, je vous le dis à cœur ouvert, je leur demande pourquoi elles sont là. Elles me répondent qu’elles veulent passer vingt-quatre heures avec moi, etc.

C’est malheureux, mais je pense que beaucoup plus de jeunes rêveraient de devenir influenceurs plutôt que députés ; c’est une réalité. Selon une étude sortie il y a peu, un Français sur deux ne connaît même pas le député de sa ville.

Je ne parle pas pour moi, mais beaucoup d’influenceurs sont basés à Dubaï et montrent les gratte-ciels et un mode de vie luxueux. Moi, comme vous l’avez dit, je suis accessible. Si on veut voir Nasdas, on a juste à prendre un train. Et pour les jeunes qui viennent, notamment ceux qui sont en foyer, je représente un symbole de renaissance, une meilleure vie et surtout un meilleur avenir. Et c’est là où je regrette d’avoir fait en sorte, on va dire indirectement, que ces jeunes viennent et croient en moi au lieu de croire en leurs études, en leurs parents, en leur éducation. Ce n’était pas voulu. Je voulais juste montrer une bonne image de moi-même et de mon quartier et, à la fin, ça s’est transformé en fléau avec des jeunes qui venaient et me disaient : « Nasdas, on veut avoir une meilleure vie. » Et je vous jure que, par tous les moyens, et c’est particulièrement choquant, j’en ai aidé. Jusqu’à en faire des burn-outs, jusqu’à être hospitalisé. Je n’en ai plus la force et c’est pour ça que j’ai pris la décision, il y a trois mois, de prendre du recul, d’arrêter les réseaux sociaux et de revenir avec une meilleure optique.

En tout cas, je tenais à vous féliciter pour la loi que vous avez sortie. Je n’étais pas au courant. Vous faites avancer le métier ; merci à vous.

M. le président Arthur Delaporte. Mieux vaut tard que jamais, dira-t-on.

M. Sébastien Delogu (LFI-NFP). Merci beaucoup, monsieur Sari. Même si vous êtes très apprécié de la population, vous êtes également beaucoup critiqué et pointé du doigt. Les gens ne sont pas à votre place et il est facile de juger.

J’aimerais que vous donniez des exemples de ce que vous avez fait, concrètement, pour aider les mineurs venus près de chez vous. Vous avez expliqué avoir eu leurs parents au téléphone et je pense que cela pourrait être valorisant pour vous.

Par ailleurs, je souhaiterais savoir si le maire Rassemblement national de votre ville a mis des salles ou des équipes à disposition, dans votre quartier, pour recevoir les adolescents qui y sont venus et les renvoyer chez leurs parents, ou n’y a-t-il eu aucune main tendue de la part des services publics ?

M. Nasser Sari. À ma connaissance, non, Louis Aliot, le maire de Perpignan, n’a rien mis en place. Au contraire, quand j’ai essayé de mener des actions sociales pour distribuer des burgers, même si je n’avais pas fait la demande d’autorisation, une trentaine ou une quarantaine de policiers sont venus. Pour toutes nos actions sociales et face au fléau des jeunes qui viennent, je me retrouve vraiment seul. Heureusement que certains policiers me tendent la main pour m’aider et me disent de ne pas hésiter à les appeler ou à faire un signalement si j’ai des jeunes mineurs. Mais concernant la politique de la ville, je ne reçois aucune aide.

Les mineurs qui viennent, je ne vais pas mentir, soit on prévient les autorités compétentes, soit, pour une minorité, parce qu’il y a énormément de cas, avec parfois quatre-vingts jeunes qui arrivent, et pas que des mineurs – à 20 ans, on est encore jeune –, je les prends avec moi et je vais leur acheter une tenue, une paire de chaussures, parce que beaucoup viennent avec des chaussures trouées. J’ai pu voir une pauvreté incroyable. Je leur achète des habits, je leur fais prendre une douche, rien de grandiose, mais j’essaie vraiment d’aider.

Et il y a aussi des personnes malades. De ça, depuis tout à l’heure, personne ne parle, mais j’ai aidé énormément de mineurs qui, eux, venaient avec leurs parents et on a pu financer directement ou indirectement des opérations. Mais apparemment, tout le monde a oublié de le dire.

Je sais qu’on n’a plus le temps, mais j’aurais aimé qu’on parle plus de l’algorithme de TikTok. Je m’étais préparé…

M. le président Arthur Delaporte. On peut prendre un peu de temps si vous voulez.

M. Nasser Sari. Toutes les questions ont été ciblées sur Nasdas, Nasdas, Nasdas. J’ai vraiment l’impression que les quarante-cinq minutes n’ont servi, pour certaines personnes, qu’à attaquer Nasdas. Il y avait plus de monde tout à l’heure, mais je me demande si certains ne sont pas venus parce que c’était le personnage Nasdas plutôt que pour faire avancer les choses.

J’ai tous les reproches du monde ; on peut tout me faire ! Je vous regarde droit dans les yeux : vos questions, vous avez raison de les poser. C’est légitime. C’est vrai. Mais je pensais qu’on allait aussi parler de l’algorithme ou plutôt des algorithmes de TikTok…

M. le président Arthur Delaporte. On va en parler.

M. Nasser Sari. Mais ça fait plus de quarante-cinq minutes.

M. le président Arthur Delaporte. Oui, mais vous êtes le dernier auditionné, si bien que vous avez le privilège de pouvoir rester avec nous, si vous avez encore quelques minutes et si vous voulez en parler.

M. Aly Diouara (LFI-NFP). Plus que poser une question, je souhaite réagir, car, très sincèrement, il n’y a pas d’offense, de piège, ni quoi que ce soit. Moi aussi, je viens d’un quartier extrêmement sensible et personne n’est là pour dribbler : on est là pour comprendre, accompagner et surtout faire évoluer les choses. C’est la raison pour laquelle j’ai parlé de poison et d’antidote. Je ne doute pas du rôle social que vous pouvez avoir dans les quartiers, notamment à Perpignan, d’où vous venez.

M. Nasser Sari. Merci.

M. Aly Diouara (LFI-NFP). Vous avez fait beaucoup de choses sur place, je n’en disconviens pas, pas plus que mes collègues. Cela étant, il y a d’autres réalités que vous ne pouvez pas nier. C’est pourquoi j’ai évoqué l’impact de la viralité de vos contenus. La question n’est pas donc pas Nasdas : les choses se seraient déroulées de la même manière avec quelqu’un d’autre.

Vous évoquiez l’époque où vous aviez 100 000 followers : nous ne sommes plus du tout dans ces ordres de grandeur. Je ne doute pas qu’il y a des choses positives. Dans la mesure où je n’ai pas de compte Snapchat, je ne peux pas me prononcer ; je ne me fonde que sur ce qui m’a été remonté. Je le répète, l’objet de la commission d’enquête n’est pas de formuler des jugements. Nous posons des questions pour comprendre comment fonctionnent les réseaux sociaux, tout comme nous l’avons fait, quand nous avons interrogé ses représentants, pour comprendre comment fonctionne l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique), qui est censée les réguler, au même titre que la télévision. Vous êtes auditionné, car vous êtes un acteur majeur des réseaux sociaux. Il n’y a pas de question piège ; que les choses soient claires.

M. Nasser Sari. Si je peux me permettre un petit conseil, pour essayer de faire avancer les choses, installez Snapchat. Si vous allez vous-même sur les applications, peut-être que les choses avanceront.

M. le président Arthur Delaporte. Nous auditionnerons les représentants de Snapchat dans une dizaine de jours.

Je reviens sur les algorithmes et la viralité des contenus, qui sont des questions centrales. Diriez-vous que le mécanisme des plateformes, c’est-à-dire la manière dont elles rémunèrent et le fait que les algorithmes poussent des contenus choquants, encourage la publication de vidéos dans lesquelles on peut voir de la violence, des insultes, de la misogynie ? Est-ce ce qui rapporte le plus ?

M. Nasser Sari. L’algorithme, c’est tout simplement un centre d’intérêt. Le soir, quand je suis couché avec ma femme, je n’ai pas les mêmes « pour toi » qu’elle sur TikTok – je suppose que vous savez ce que c’est. Les « pour toi » de ma femme, c’est tout ce qui est bébés, maternité ; les miens, c’est tout ce qui est foot et jeux téléphoniques. Et pour répondre en toute sincérité, ce que vous considérez comme misogyne ou violent, nous appelons ça des dramas. Sur internet, sur TikTok, ce sont des dramas. Et je le reconnais, car je l’ai constaté, un drama fera largement plus de vues qu’une vidéo qui explique, je ne sais pas…

M. le président Arthur Delaporte. Qui explique comment fonctionne une commission d’enquête ou le contenu de la loi influenceurs ?

M. Nasser Sari. Oui.

M. le président Arthur Delaporte. Cela rapporte donc plus d’argent de faire des dramas que de la pédagogie ?

M. Nasser Sari. Totalement ! Après, tout dépend du centre d’intérêt de la personne. Ma femme, elle ne tombe pas sur des dramas ; elle n’aime pas ça. Mais si les dramas sont autant regardées, c’est que beaucoup de gens les demandent. Et si demain TikTok les retire, vous verrez qu’ils les chercheront sur d’autres plateformes. Beaucoup de gens, leur centre d’intérêt, c’est les dramas.

M. le président Arthur Delaporte. Pour continuer sur l’interconnexion des réseaux et la manière dont un drama publié sur une plateforme peut être repris ou copié sur une autre, il y en a un qui a fait le buzz, dans lequel vous demandez à deux jeunes filles laquelle est la plus belle. Et dans cette vidéo, l’une d’elles montre ses seins. Je vous vois réagir, mais cette vidéo est vraie, n’est-ce pas ? Quand vous filmez ça, vous dites-vous que ce contenu va buzzer ?

M. Nasser Sari. Non, non !

M. le président Arthur Delaporte. En l’occurrence, il y a eu des millions de vues et cela a rapporté de l’argent…

M. Nasser Sari. En tant que bon père de famille et tonton de beaucoup de neveux et nièces, je n’ai pas envie qu’en se réveillant le matin, ils voient la poitrine d’une fille qui était à mes côtés.

Avec notre vidéaste, on était sur Twitch, une plateforme de vidéos live. Personne, et je dis bien personne – j’ai fait le serment de ne pas mentir –, ne s’y attendait. C’est pour ça qu’on a directement coupé le live et qu’on l’a remis cinq minutes après. On s’est excusés et on a supprimé tout de suite toutes les rediffusions possibles. Ce n’était pas voulu de ma part, loin de là. On peut dire que je mets en scène, mais pas là, pas au point de demander à une personne de montrer ses seins – même si personne m’en a accusé. Malheureusement, et je dis bien malheureusement, on était en trending topics (TT) sur Twitter.

M. le président Arthur Delaporte. Souhaitiez-vous ajouter des éléments supplémentaires sur le fonctionnement de l’algorithme ?

M. Nasser Sari. Non.

Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Pour repréciser les choses, ce que vous appelez drama, ce sont des épisodes de harcèlement moral ou physique qui ont lieu sur les réseaux sociaux.

M. Nasser Sari. Non !

Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Je ne parle pas uniquement de vos contenus, mais ces dramas sont une manière de banaliser des actes de violence physique ou psychologique. Ce ne sont donc pas des « dramas », mais la répétition de propos, notamment à l’encontre de personnes qui présentent des vulnérabilités, comme les jeunes femmes.

Par exemple, le 15 avril, un enfant noir a été qualifié de Banania sur votre plateforme, ce qui est un propos raciste…

M. Nasser Sari. Ça va finir au commissariat ! C’est de la diffamation !

M. le président Arthur Delaporte. Monsieur Sari, attendez. Vous écoutez les questions et tout le monde se calme. Et je vous préviens que toutes les paroles prononcées par un parlementaire dans l’enceinte de l’Assemblée sont couvertes par l’immunité parlementaire et donc ne sont pas susceptibles…

M. Nasser Sari. On peut m’accuser comme ça ?

M. le président Arthur Delaporte. Ça s’appelle l’immunité parlementaire.

Je vous demande d’attendre qu’elle ait terminé sa question pour répondre. Même si vous n’êtes pas d’accord, attendez qu’elle ait fini.

Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Il y a donc ce propos raciste publié sur vos réseaux.

Et il y a également la scène dont vous parliez, qui a eu lieu le 2 avril sur Twitch, une plateforme qui est interconnectée avec TikTok, si bien que vos lives y sont bien publiés.

Ainsi, alors que vous êtes dans la banalisation des processus de harcèlement, notamment à l’encontre de jeunes filles, n’y a-t-il pas un moment où vous vous souciez de la santé mentale des personnes qui interviennent dans vos vidéos, qu’elles soient faites dans la vraie vie ou mises en scène, des personnes qui participent à leur production, voire des personnes qui les regardent ?

Au travers de ces contenus que vous qualifiez de dramas, vous contribuez à la banalisation d’une violence à laquelle vous donnez une forme d’imprimatur dans la vie réelle, notamment au sein des familles où elle peut se produire.

M. Nasser Sari. Vous savez, un couple qui se sépare, c’est un drama : pas besoin d’avoir un harcèlement. Demain, si je ne suis plus avec ma femme et que je l’annonce, c’est un drama. C’est ma définition du drama et désolé si ce n’est pas la bonne.

Je sais que vous êtes couverts ici, mais est-ce que vous pouvez tout insinuer, tout accuser…

M. le président Arthur Delaporte. Nous posons des questions, monsieur Sari.

M. Nasser Sari. Non, elle a accusé ; ce n’était pas une question.

Vous pouvez répéter ce que M. Fares, le vidéaste, a dit à ce jeune ? Il l’a traité de Banania ? Il lui a dit : « tu es un Banania » ?

Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Je n’ai pas parlé de ce monsieur dont vous prononcez le nom. J’ai évoqué un acte qui s’est déroulé le 15 avril. Je ne vous interroge pas sur cet acte précisément. Et je vous demande de ne pas contourner les questions qui terminaient mon propos. Avez-vous conscience que vous contribuez à la banalisation du harcèlement physique ou psychologique ? Prenez-vous soin de la santé mentale des personnes qui participent à vos vidéos dans votre villa ? Ce sont mes deux questions, elles sont simples et je vous demande d’y répondre.

M. Nasser Sari. OK… Mais avant vos questions, vous avez porté des accusations. Vous dites…

M. le président Arthur Delaporte. Monsieur Sari...

M. Nasser Sari. J’ai le droit de répondre librement ou on doit me dicter ce que je dois dire ?

M. le président Arthur Delaporte. Je viens de regarder la vidéo en question…

M. Nasser Sari. Je n’ai pas pu placer quatre mots !

M. le président Arthur Delaporte. Vous pourrez répondre. J’indique juste que, dans la vidéo, la personne à côté de l’enfant dit : « Ramenez un Banania ».

M. Nasser Sari. Voilà ! C’est hyper important de remettre les choses dans leur contexte. Cette même personne, qui a subi un harcèlement, si M. le président n’avait pas remis les choses à leur place, elle aurait peut-être mangé une deuxième vague de harcèlement et de menaces de mort.

M. le président Arthur Delaporte. Il y a quand même quelqu’un qui dit « Ramenez un Banania », avec un petit garçon noir à côté.

M. Nasser Sari. Vous savez ce que c’est que le Banania ?

M. le président Arthur Delaporte. Dites-nous.

M. Nasser Sari. Ah, vous ne savez pas ? Du chocolat chaud.

Il faut regarder la vidéo. Vous l’avez vue ou pas ? L’enfant s’appelle Amadou. Il est créateur de contenus avec RFK, il a 6 ans, il est adorable. Moi, je n’étais pas présent dans la pièce quand ça s’est passé. Comme certains ici peut-être, j’ai regardé la rediffusion. Je crois qu’il y avait du Champomy posé sur la table et Amadou voulait en boire. La personne à côté lui a dit non, parce que ça rassemble à de l’alcool. Il a dit : « Ramenez-lui du Banania », en parlant du chocolat, qui est accessible partout, chez Leclerc, etc. Ensuite, il a fait une vidéo où il s’excuse et où il dit qu’il ne connaissait pas le passé de cette marque, tout comme moi…

Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Vous vous défilez !

M. Nasser Sari. Je réagis à ce que vous me dites !

M. le président Arthur Delaporte. On a répondu au premier point. On a mis les choses au clair. Mme Balage El Mariky…

M. Nasser Sari. Excusez-moi de vous couper, monsieur le président, mais elle porte des accusations. J’y réponds et elle me dit que je me défile. Moi, qui me protège ? Je n’ai pas d’immunité !

M. le président Arthur Delaporte. Vous avez apporté les précisions que vous estimiez nécessaires sur les propos qui ont été tenus.

M. Nasser Sari. C’était très important. Sinon, il allait subir un autre harcèlement.

M. le président Arthur Delaporte. Mais la question de Mme Balage El Mariky est plus large que cela.

Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Je vais la poser une troisième fois. Premièrement, avez-vous conscience que votre contenu participe à la banalisation de processus de harcèlement physique ou psychologique ? Deuxièmement, comment vous assurez-vous de la bonne santé mentale des participants de vos créations de contenus dans votre villa, que ces derniers montrent la réalité ou qu’ils soient mis en scène, comme vous l’avez expliqué ?

M. Nasser Sari. Pour moi, en aucun cas mon contenu n’incite au harcèlement de qui que ce soit. J’en ai subi via mes propres vidéos et je peux vous dire que je n’ai pas incité les gens à me harceler moi-même. Je n’incite personne à harceler personne ; qu’on soit très clair là-dessus.

Et la santé psychologique des personnes majeures qui sont chez moi, tout comme la mienne… il y a quelque chose qui s’appelle l’amitié. Le soir…

Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Des personnes majeures et mineures.

M. Nasser Sari. Qui ça ?

Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Je parle des personnes qui se trouvent dans vos contenus.

M. Nasser Sari. De qui vous parlez ? Parce qu’il faut être précis ! Leyna, elle est partie il y a déjà quatre mois. Nous, on n’avait qu’elle et une autre personne. Après, c’est des petits du quartier ; vous devez connaître.

Leyna, elle est partie il y a déjà des mois. Elle n’est plus avec nous. Et même quand elle était là, elle ne vivait plus sous mon toit, tout simplement.

Et il y a donc quelque chose qui s’appelle l’amitié. Vous savez, moi aussi, j’ai une santé mentale. Je suis humain, pas un robot. Je suis peut-être influenceur, mais j’ai aussi une santé mentale. Moi aussi, j’ai fait des burn-outs et j’ai peut-être des idées noires. Mes amis se soucient de moi parce que ce ne sont pas des personnages, comme vous dites. On est aussi amis. Et le soir, on essaie tous de se remonter le moral. Donc, est-ce que je contribue à la santé mentale de mes amis qui travaillent avec moi ? Oui.

Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Cette jeune fille qui a montré ses seins dans la vidéo sur le live-Twitch qui a fait des millions de vues, comment est-ce que vous la protégez ?

M. Nasser Sari. Tout simplement. Quand Assya, pour être précis, a fait ça, j’ai essayé de comprendre pourquoi. Vous savez qu’elle n’est pas mineure ? C’est une femme libre, Assya ! Si elle a envie de montrer ses seins, quel homme peut lui dire de ne pas le faire ? Désolé.

J’essaie donc de comprendre pourquoi elle a fait ça. Et je vous assure, pour éloigner le harcèlement futur qu’elle allait subir, je lui ai conseillé fortement, parce que je lui ai acheté une tablette, de ne plus aller sur TikTok, de ne plus regarder de vidéos, de ne plus regarder les commentaires des gens qui allaient l’insulter. Je le jure, toutes les personnes qui sont à mes côtés, je passe mon temps à les rassurer. Eux-mêmes ont leurs réseaux. Ceux qui m’entourent ont leur compte TikTok, avec des millions de followers. Et des fois, ils subissent un harcèlement dû à leurs propres vidéos, qu’ils postent eux-mêmes, sans Nasdas.

On se protège mutuellement. On se rassure. On se dit que ce n’est rien. Je vous jure qu’on n’incite pas au harcèlement. Je ne dis pas aux gens d’aller harceler unetelle ou untel, au contraire. Si vous me connaissez de près ou de loin, vous savez que toutes les personnes qui ont pu cracher sur mon dos sur les réseaux, je ne leur ai jamais répondu. Vous savez pourquoi ? Parce que je suis conscient que des millions de personnes m’apprécient.

M. le président Arthur Delaporte. Un grand nombre de personnes suivent cette audition en direct sur des canaux comme Twitch, par exemple ; cela montre l’intérêt qui y est porté.

Le fait d’être suivi par des millions de personnes vous donne une responsabilité particulière, que vous reconnaissez. Avez-vous un message à leur faire passer, en guise de conclusion ?

Ne croyez-vous pas qu’en accueillant des jeunes chez vous et en les filmant, vous avez diffusé du contenu choquant et que le système que vous avez contribué à créer a pu générer du mal-être chez certains, ou l’amplifier ?

M. Nasser Sari. Je n’ai jamais demandé aux personnes qui sont venues de faire des centaines ou des milliers de kilomètres. Elles sont venues avec une idée précise : devenir créateur ou créatrice de contenu.

Beaucoup disent que, si on est suivi par autant de personnes, c’est parce qu’on est attachant. Depuis tout à l’heure, on ne parle que du côté néfaste, minime à mes yeux, mais pas de l’amour que l’on rejette.

Aujourd’hui j’ai arrêté, et les personnes sont presque toutes retournées chez elles. Elles m’ont dit qu’elles étaient reparties avec de bons souvenirs et elles continuent sans moi l’activité d’influenceur. Je ne pense donc pas contribuer au mal-être – sinon je ne peux plus filmer qui que soit, pas même moi !

Le conseil que j’ai à donner à toute personne qui veut se lancer sur les réseaux ? Ne vous lancez pas sur les réseaux.

M. le président Arthur Delaporte. Je vous remercie.

 

 

 

La séance s’achève à dix-neuf heures cinquante-cinq.


Membres présents ou excusés

 

Présents.  Mme Christelle D’Intorni, M. Arthur Delaporte, M. Emmanuel Fouquart, Mme Anne Genetet, M. Jonathan Gery, M. Guillaume Gouffier Valente, M. René Lioret, Mme Claire Marais-Beuil, M. Kévin Mauvieux, Mme Laure Miller, M. Thierry Sother, M. Antoine Vermorel-Marques, M. Stéphane Vojetta

Assistaient également à la réunion.  Mme Léa Balage El Mariky, M. Théo Bernhardt, M. Sébastien Delogu, M. Aly Diouara, M. Emmanuel Duplessy, Mme Hanane Mansouri