Compte rendu

Mission d'information
de la Conférence des présidents
sur les causes et conséquences de la baisse de la natalité en France

 

– Audition, ouverte à la presse, de M. François Clanché, directeur de l’Institut national d’études démographiques (INED), Mme Anne Solaz, directrice de recherche, et M. Laurent Toulemon, directeur de recherche, sur la question des freins à la natalité et de la portée des politiques publiques en la matière              2

– Présences en réunion.................................16


Mercredi
9 juillet 2025

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 3

session ordinaire de 2024-2025

 

Présidence de
Mme Constance de Pélichy, présidente de la mission d’information
 


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La séance est ouverte à quinze heures cinq.

Mme la présidente Constance de Pélichy. Nous accueillons pour une deuxième audition les représentants de l’Institut national d’études démographiques (INED). Je remercie M. François Clanché, son directeur, d’être à nouveau présent parmi nous et je souhaite la bienvenue à Mme Anne Solaz et à M. Laurent Toulemon, tous deux directeurs de recherche.

Après une première séance consacrée aux tendances générales de la démographie en France et à des questions de méthode, nous en venons aujourd’hui au sujet plus spécifique des freins à la natalité et de la portée des politiques publiques en la matière, sujet qui est au centre des travaux de notre mission d’information et qui recouvre un nombre considérable de champs.

Vous nous avez annoncé mercredi dernier que vous nous donneriez la primeur d’une étude que vous avez consacrée aux intentions des Françaises et des Français de devenir – ou non – parents. Cette étude est parue ce matin dans la revue Population et Sociétés et les médias lui donnent déjà un large écho. Elle a été transmise aux membres de cette mission d’information.

M. François Clanché, directeur de l’Institut national d’études démographiques. Merci de nous accueillir à nouveau. Je vous redis notre satisfaction que l’Institut national d’études démographique soit entendu par votre commission et je laisserai mes collègues Laurent Toulemon et Anne Solaz compléter nos premières réponses à vos questions et vous communiquer les résultats nouveaux parus ce matin

Mme Anne Solaz, directrice de recherche à l’INED. Je suis chercheuse à l’INED et rédactrice en chef du quatre-pages qui vous a été distribué. Mes thèmes de recherche sont la fécondité, la conjugalité, le divorce et les inégalités dans l’enfance et sur le marché du travail.

M. Laurent Toulemon, directeur de recherche à l’INED. Je suis également chercheur à l’INED, dans l’unité fécondité-familles-conjugalités, et je suis responsable, avec Milan Bouchet-Valat, de l’enquête dont nous allons vous présenter les premiers résultats.

Je commencerai par quelques réponses très rapides aux questions de la semaine dernière, puis donnerai quelques indications sur la question de savoir si la baisse de la fécondité pourrait se poursuivre. Enfin, Anne Solaz parlera plus précisément de la politique familiale et de ce qu’on peut dire de ses relations avec la fécondité.

Une question nous a été posée la semaine dernière sur le baby-boom et sur le nombre de naissances et de décès. J’ai compilé les données dans un graphique qui montre bien que, de 1900 à la Seconde Guerre mondiale, le nombre de naissances et de décès était assez proche. C’est une situation pratiquement permanente en dehors de la transition démographique. Le baby-boom a été une période vraiment très particulière, marquée par une augmentation très brutale du nombre de naissances, passé de 600 000 à presque 900 000. Cela a causé beaucoup de difficultés pour les hôpitaux ou les écoles, et nécessité un effort très important qui s’est ajouté à celui de la reconstruction. Si l’on parle des Trente Glorieuses, c’est que ce fut une période de croissance très importante. La fin du baby-boom a été beaucoup plus douce, avec une baisse de la fécondité entre 1965 et 1975 coïncidant avec l’arrivée des premières générations nombreuses du baby-boom : chaque femme a eu beaucoup moins d’enfants en moyenne, mais il y avait plus de parents potentiels.

Quant aux décès, ils étaient à un niveau très bas grâce aux progrès très rapides réalisés contre la mort. La mortalité infantile, qui valait encore 5 % en 1950, n’était plus que de 5 ‰ en 2000 : on a assisté à une quasi-disparition des décès de nouveau-nés. Même si la mortalité infantile est aujourd’hui un sujet très important, elle ne concerne que moins d’un demi pour cent des naissances par an, ce qui est très différent d’autrefois. À partir de 2000, l’augmentation des décès fait un peu écho à celle des naissances, puisque, comme nous l’avons vu la semaine dernière, la pyramide des âges s’est déformée et que les générations nombreuses du baby-boom commencent à arriver à cet âge du décès – ce qui explique l’augmentation que nous anticipons.

Le graphique suivant représente la répartition de 100 femmes selon le nombre d’enfants qu’elles ont eus au cours de leur vie. Parmi celles qui sont nées en 1900, 22 % ont eu zéro enfant. Ces femmes ont bien sûr été confrontées au fait que beaucoup d’hommes sont morts pendant la guerre de 1914-1918, mais 18 % de celles qui ont vécu en couple sont tout de même restées sans enfant. Avoir un enfant n’allait donc pas de soi. Se posaient en effet des questions de santé et d’incompatibilité avec l’activité professionnelle – les employées de maison et les ouvrières pouvaient perdre leur emploi si elles étaient enceintes. Le recours à l’avortement était massif et de nombreuses femmes sont donc restées sans enfant.

C’est dans les générations nées entre 1940 et 1955, celles qui se sont battues pour la maternité responsable, l’accès à la contraception puis l’IVG, que la proportion de femmes sans enfant a été la plus basse, avec un taux de 10 %. Si l’on compte à peu près 4 % de femmes qui n’ont jamais vécu en couple et 3 ou 4 % de couples ayant des difficultés à avoir un enfant, il ne reste que 2 à 3 % de femmes qui sont volontairement restées sans enfant – c’est-à-dire pratiquement personne. Ces générations sont vraiment particulières et la légère remontée de la proportion de femmes sans enfant à laquelle nous assistons n’est que la fin d’une période très exceptionnelle.

Une autre question portait sur l’importance du retard des naissances dans la baisse de la fécondité. En la matière, la réalité est duale : à l’échelle individuelle, plus les couples commencent tard à souhaiter avoir leur premier enfant, moins ils auront d’enfants. Il y a là une relation très forte, qui a tendance à se renforcer et repose sur des contraintes médicales. À l’échelle des populations, en revanche, on ne trouve pas du tout cette relation. Dans le graphique sur l’âge au premier enfant, chaque pays est représenté par trois points, figurant les femmes nées au début des années 1950, 1960 et 1970. L’axe horizontal indique l’âge à la naissance du premier enfant : plus on se situe à droite, plus les premières naissances sont tardives. Sur l’axe vertical, plus on se situe haut, plus la fécondité est élevée.

On constate que, dans les pays d’Europe de l’Est, l’âge au premier enfant n’a pas bougé, mais que la fécondité s’est effondrée. La chute du mur a en effet été suivie de nombreux problèmes sociaux et politiques, ce qui a causé une baisse de la fécondité chez les jeunes et les moins jeunes. En Italie et en Espagne, on peut penser qu’on retrouve la relation qui s’observe à l’échelle individuelle, avec à la fois un retard très important et une baisse très marquée des naissances. Mais dans les pays d’Europe de l’Ouest ou du Nord, qui connaissent eux aussi un retard très important des premières naissances, la situation est très différente : les moins jeunes y ont fait plus d’enfants, au point de compenser la baisse de la fécondité des jeunes.

Les éléments déterminants de la décision sont différents selon l’âge. Les jeunes sont confrontés à toute une série de difficultés pour s’intégrer dans la société et dans le marché du travail, ou pour trouver un logement. Après 30 ans, en revanche, ce sont les questions de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle qui ont un effet majeur sur la fécondité. Quoi qu’il en soit, les pays qui ont les premières naissances les plus tardives sont souvent ceux où la fécondité est la moins basse. Les femmes nées en France vers 1980 ont eu plus de deux enfants, mais le premier vers 29 ans.

Pour ce qui est des générations sans enfants, j’ai dit qu’il y avait eu en France, dans ces générations très particulières nées entre 1940 et 1950, peu de femmes sans enfant. C’est vrai aussi dans la plupart des pays européens : après le nombre élevé de femmes sans enfant du début du siècle, il y a eu une baisse très importante, liée à ce qu’on pourrait appeler l’acquisition d’un droit à l’enfant. Avec la médicalisation des grossesses et les accouchements à l’hôpital, la crainte de mourir en couches a quasiment disparu. Il y a encore quelque cas de décès maternels, mais qui ne se comptent plus qu’en dizaines. Le salariat féminin, qui a permis aux femmes de garder leurs droits et de retrouver leur emploi à l’issue d’une naissance, a permis la généralisation de ce droit à l’enfant. Les débats des années 1960 et 1970, liés au droit de n’avoir que les enfants qu’on souhaite, puis l’augmentation actuelle de la proportion de personnes sans enfant viennent contrebalancer ce mouvement très important observé dans la grosse première moitié du XXe siècle.

J’en viens à notre étude parue dans Population et Sociétés. Nous avons fait différentes projections de la descendance finale, selon différents indices conjoncturels de fécondité. Nous avons essayé de balayer largement le champ des possibles. Une possibilité, matérialisée par la courbe du bas, est celle d’une baisse continue pendant dix ans, qui aboutit à un nombre d’enfants par femme de 1,2, soit l’un des plus bas d’Europe, pour rester à un niveau très bas. À l’autre extrémité est figurée l’hypothèse d’un rebond de la fécondité jusqu’à son niveau de 2010, avec deux enfants par femme. Nous avons indiqué trois scénarios intermédiaires en jouant également avec l’âge auquel les femmes ont des enfants – plus il y a de retard, plus la descendance finale est élevée.

On parvient alors à deux résultats importants. Le premier est qu’entre les générations nées en 1985, qui ont aujourd’hui 40 ans, et celles nées en 1995, qui en ont aujourd’hui 30, il y a aura très certainement une baisse du nombre d’enfants, car les femmes qui ont aujourd’hui 30 ans ont tellement peu d’enfants qu’il est vraiment très improbable qu’elles arrivent jusqu’à deux. Pour les générations qui suivent, en revanche, la tendance pourrait se poursuivre et descendre jusqu’à 1,6 enfant par femme, mais elle pourrait aussi remonter. En effet, les femmes qui ont aujourd’hui 25 ans auront leur premier enfant dans cinq ans et peut-être les suivants dans dix ou quinze ans. Or on ne peut évidemment pas savoir quel sera le contexte de la fécondité dans cinq, dix ou quinze ans.

Dans cette enquête menée en 2024, nous avons demandé aux adultes s’ils voulaient des enfants et, si oui, combien – en plus de ceux qu’ils avaient déjà. Nous avions déjà réalisé la même enquête en 2005.

Traditionnellement, depuis la fin du baby-boom, les jeunes veulent beaucoup d’enfants. À l’arrivée du premier, ils comprennent – surtout les mères – les difficultés de l’élevage des jeunes enfants. Ils peuvent avoir aussi d’autres souhaits dans la vie, ou des contraintes de logement ou de profession. Bref, les couples ont donc tendance à rabattre leurs ambitions quant au nombre d’enfants. C’est un phénomène qu’on observe aussi dans les enquêtes plus anciennes : les jeunes veulent beaucoup d’enfants, puis y renoncent au fur et à mesure, sachant que de nombreuses personnes changent d’avis au cours de leur vie. La situation actuelle est assez différente, puisque les jeunes veulent moins d’enfants que les femmes de 30 à 40 ans. On observe donc une intériorisation par les jeunes générations du fait qu’elles auront probablement moins d’enfants.

Cela tient sans doute en partie au fait que la norme s’est affaiblie. Aujourd’hui, les jeunes sont préoccupés par leur intégration sur le marché de l’emploi et dans la société – c’était sans doute le cas voilà vingt ans. Ils peuvent avoir d’autres aspirations en matière de carrière ou d’activité, ainsi que des inquiétudes liées à l’évolution de la société et de la planète – sujets beaucoup plus présents qu’il y a vingt ans. À une époque où, grâce à la contraception, les femmes qui ont des relations hétérosexuelles ne se posent même pas la question d’avoir un enfant tout de suite – la première mise en couple cohabitant est à 24 ans, les premières relations sexuelles à 18 ans, mais la première naissance est à 29 ans –, il y a donc bien une période pendant laquelle le fait d’avoir des enfants n’est pas d’actualité. Face à une enquête scientifique qui vous demande si vous voulez des enfants et combien, il est donc probablement beaucoup plus facile qu’il y a vingt ans de dire qu’on ne sait pas, ou qu’on n’en aura peut-être pas, ou peut-être un seul. Voilà vingt ans, la norme, pour être un adulte accompli, était clairement qu’il fallait avoir un enfant, et probablement un deuxième.

La baisse des intentions recouvre donc probablement une part de libération de la parole et de diversité – on voit d’ailleurs aussi une diversité dans les modalités de vie intime, de vie amoureuse et de vie de couple, les jeunes ayant une vision beaucoup plus ouverte de leur avenir. Il n’empêche qu’il est probable qu’au total, ces générations aient moins d’enfants que celles qui ont aujourd’hui 45 ans et qui en ont eu 2,1.

Un dernier élément qui nous en convainc est la réponse à la question que nous avons posée sur le nombre idéal d’enfants. Il s’agit d’une question abstraite : en général, quel est pour vous le nombre d’idéal d’enfants dans une famille ? Il y a vingt ans, la réponse était : deux ou trois. Aujourd’hui, c’est massivement deux, et les autres réponses sont beaucoup plus faibles.

Quant aux intentions de fécondité, la norme à deux enfants est toujours très présente : elle est avancée par presque la moitié des personnes de 18 à 49 ans. On observe toutefois qu’il y a autant de personnes qui veulent avoir un enfant qu’il y en a qui en veulent trois, et que celles qui veulent en avoir zéro sont plus nombreuses que celles qui veulent en avoir quatre et plus. Il y a donc désormais une symétrie autour de la norme à deux enfants, ce qui est un changement assez important par rapport à la situation d’il y a vingt ans et nous fait croire qu’il est improbable que la fécondité remonte à court terme.

Nous avons encore posé des questions sur le lien avec les inquiétudes face à la situation économique, à l’affaiblissement de la démocratie, au changement climatique et, d’une manière générale, à l’inquiétude pour les générations futures. Deux choses en ressortent. D’une part, les personnes inquiètes veulent un peu moins d’enfants, surtout si elles ont une inquiétude générale pour les générations futures ou face au réchauffement climatique. Mais les inquiétudes concernant la situation économique, qui ont un rôle important dans d’autres pays d’Europe, pèsent moins en France, comme si la politique familiale, qui est inclusive et générale, autorisait les jeunes inquiets pour leur situation à avoir l’intention d’avoir autant d’enfants que ceux qui ne sont pas inquiets. Nous n’avons pas demandé directement : pourriez-vous avoir moins d’enfants à cause de problèmes économiques ? Nous avons posé les deux questions de façon tout à fait indépendante et notre conclusion est uniquement une corrélation.

Le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) a effectué une enquête sur la vision que les jeunes adultes ont de la parentalité et du fait d’avoir des enfants. Cette enquête porte plutôt sur les idées – ce qui pourrait inciter les personnes interrogées à avoir des enfants ou à ne pas en avoir – alors que la nôtre vise davantage des comportements factuels. Toujours est-il que la contrainte principale qui en ressort est le coût de l’éducation des enfants, les contraintes explicites liées à l’éducation, à la conciliation et au logement arrivant plus loin dans la liste. Les motivations principales concernent la transmission et le désir de profiter des moments familiaux. Si vous voulez en savoir plus, je ne saurais trop vous recommander d’auditionner les membres du Haut Conseil. Ils présenteront ces résultats en septembre, mais l’enquête leur a déjà été rendue.

Mme Anne Solaz. Pour ma part, je dirai quelques mots de la politique familiale de la France au regard de celles des pays voisins.

Commençons par les objectifs de cette politique familiale, tels que définis par le récent rapport de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Le premier est de compenser financièrement le coût de l’arrivée de l’enfant, et donc de réduire l’écart de niveau de vie entre les familles avec et sans enfants. Le deuxième est d’aider davantage les familles vulnérables, en développant des prestations sous conditions de ressources et en tenant compte de la charge de famille dans les prestations sociales. Le but ici est de réduire la pauvreté des enfants, qui reste forte en France : un enfant sur cinq est pauvre, ce chiffre étant plutôt en hausse. La France est assez mal placée parmi les membres de l’OCDE pour ce qui de la pauvreté infantile. Le troisième objectif de la politique familiale est de favoriser la conciliation entre famille et travail, donc de réduire les pénalités salariales liées aux naissances, d’assurer l’emploi et le retour à l’emploi des parents, en particulier des mères, et d’améliorer l’égalité entre femmes et hommes. Le dernier objectif avancé, qui concerne davantage les finances publiques, est la viabilité financière de la branche famille de la Sécurité sociale.

Pour relier l’effort d’un pays en matière de politique familiale et son taux de natalité, nous avons représenté chaque pays par un point sur un graphique ayant en abscisse le pourcentage de dépenses publiques et en ordonnée le taux de natalité. On observe une relation positive : les pays de l’OCDE qui investissent une grande part de leur PIB dans les dépenses à l’endroit des familles sont plutôt ceux qui ont les taux de natalité les plus élevés. La France figure ainsi tout en haut à droite, parce qu’elle investit beaucoup et que son taux de natalité est encore élevé, même s’il a baissé. Toutefois, cette relation n’est pas forcément causale : des pays à fécondité très basse investissent énormément dans leurs dépenses envers les familles.

Le graphique suivant permet d’observer le taux de fécondité en fonction des dépenses de politique familiale par enfant. On y retrouve la France en haut en termes de fécondité, mais avec un effort par enfant plutôt intermédiaire, alors que l’Allemagne, complètement à droite sur le graphique, investit beaucoup par enfant, mais avec un taux de fécondité qui reste moyen. Sous cet angle, donc, la corrélation entre les politiques publiques et la natalité n’est plus aussi facile à déterminer.

Ces graphiques illustrent la difficulté que l’on rencontre pour quantifier et établir des relations causales entre les dépenses publiques pour la famille et le niveau de fécondité. De très nombreux travaux ont été réalisés sur cette question. Mais il faut noter que les dépenses publiques n’ont pas pour seule vertu d’agir sur le nombre d’enfants : elles ont des effets surtout contre la pauvreté des familles et pour la conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale, ainsi que pour l’égalité femmes-hommes. En investissant dans les familles, on participe donc à leur bien-être et, surtout, à la confiance envers l’État pour assurer ce bien-être.

La politique familiale française est depuis longtemps généreuse : la France consacre une grande part de son PIB aux familles – 63 milliards d’euros selon un récent rapport de l’IGAS –, avec des mesures assez diverses, : soutien de la grossesse jusqu’à l’accouchement, congés parentaux, de maternité et de paternité, allocations familiales, allocation pour parent isolé, modes de garde subventionnés, prestations familialisées, quotient familial. Ces mesures sont tant monétaires qu’en nature – comme les crèches. À cela s’ajoutent des suppléments de traitement pour les fonctionnaires et de retraite pour les personnes qui ont eu des enfants, éléments qui ne sont pas toujours comptés dans le périmètre des mesures familiales mais qui représentent quand même de grosses sommes. Les quatre masses budgétaires les plus importantes sont précisément ces suppléments de retraite à partir du troisième enfant, qui représentent 13 milliards, les allocations familiales – 12 milliards –, le quotient familial et l’accueil du jeune enfant – 13 milliards chacun.

La politique familiale a toujours concerné toutes les familles : que les parents soient mariés ou non, que la famille soit homoparentale, monoparentale ou recomposée, les enfants ont tous les mêmes droits, ce qui n’est pas forcément le cas partout : dans certains pays, les droits aux prestations sociales ont parfois été conditionnés au fait d’être mariés.

Pour des raisons budgétaires et de lutte contre la pauvreté des enfants, la politique familiale a eu tendance, sur le long terme, à rediriger ses efforts vers les plus pauvres. Malgré l’impression que ce mouvement est récent, plusieurs évolutions en ce sens ont eu lieu dans les années 1970. Parmi les changements récents, je rappellerai l’abaissement du plafond du quotient familial, la réduction des allocations familiales par deux ou par quatre pour les déciles les plus élevés, un allongement du congé de paternité et une incitation à mieux partager le congé parental en réduisant sa durée et en en réservant une partie au second parent, afin que les pères le prennent davantage – ce qui n’a guère eu de succès. A également été annoncé tout récemment un nouveau congé de naissance.

Quoi qu’il en soit, l’effort est toujours resté très soutenu. C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle la France est souvent considérée comme un modèle, car son taux de fécondité, même s’il baisse aujourd’hui, est longtemps resté élevé au sein de l’Europe. Le dispositif était plutôt ciblé sur les enfants de rang supérieur, c’est-à-dire à partir du troisième, avec une aide particulière aux familles monoparentales, en plus grand risque de pauvreté.

Un graphique publié récemment par le Trésor montre la complexité du système français, marqué par un empilement de mesures. Chaque courbe représente un type de famille – avec un, deux, trois et quatre enfants –, l’un des parents percevant le SMIC et l’autre entre 0 et 10 SMIC. Un exercice de cas-type permet ensuite de montrer, dans chaque situation, ce que la famille recevra comme allocations ou comme bénéfice du quotient familial. On voit que, plus la famille a d’enfants, plus elle perçoit de revenus, mais on observe aussi des dents de scie, qui correspondent aux nombreux effets de seuil existants. On voit également, entre les revenus perçus par les familles pauvres et par les familles aisées, une petite dépression pour les revenus intermédiaires, mais la variation reste assez mesurée. Il est néanmoins intéressant de constater que, bien que les mesures soient très nombreuses, il faut les empiler pour voir leurs effets.

Les modes d’accueil des jeunes enfants sont un objectif crucial, souvent mis en avant dans de nombreux pays, dont la France. Le graphique consacré à cette question montre qu’un nombre croissant d’enfants de moins de 3 ans sont gardés en semaine à l’extérieur, que ce soit en crèche ou par une assistante maternelle – ce sont les deux modes de garde principaux. On observe une hausse globale du taux de couverture, qui atteint 60 places pour 100 enfants, mais ce chiffre reste bien en deçà des objectifs fixés par la convention d’objectifs et de gestion. Nous avons encore des efforts à faire pour couvrir tous les besoins en modes de garde. Il existe aussi des inégalités territoriales, et l’on observe sur la période récente une baisse du nombre d’assistantes maternelles et une extension des microcrèches. Enfin, une alerte a été lancée récemment sur la qualité des crèches, en particulier privées.

Les enquêtes d’opinion relèvent aussi la charge en temps et en énergie liée à l’entretien d’un enfant, et le fait qu’elle est inégalement partagée. Le graphique illustrant le temps quotidien que les femmes et les hommes consacrent aux tâches domestiques et parentales au cours de la vie montre bien que, quel que soit l’âge, les femmes continuent à participer bien plus que les hommes aux tâches à la maison. La courbe présente deux bosses. Celle qui est à droite correspond à l’âge de la retraite, où l’on passe plus de temps aux tâches domestiques. La première, qui est la plus intéressante pour notre propos, montre qu’aux âges de la maternité, le temps passé aux tâches domestiques et surtout parentales augmente beaucoup, et que c’est à ce moment de la vie que l’écart entre hommes et femmes dans la participation se creuse.

Le même graphique a été réalisé pour différents pays. La courbe des femmes y est plus ou moins marquée selon les cas. En Corée, la bosse est particulièrement prononcée aux âges de la maternité : elle traduit le sacrifice consenti par les mères qui continuent de travailler, au détriment de leur temps de loisirs et de sommeil. Cela peut en partie expliquer le très faible taux de fécondité.

Le dernier graphique illustre l’évolution, sur vingt-cinq ans, du temps quotidien dédié aux tâches domestiques et parentales selon les âges. On constate que les femmes consacrent beaucoup moins de temps aux tâches domestiques en 2010 qu’en 1985 – le temps parental, lui, a plutôt augmenté. Elles cuisinent moins et repassent moins, car elles sont actives. En revanche, absolument rien n’a changé chez les hommes en vingt-cinq ans. Nous attendons avec impatience le prochain état des lieux, car ce graphique est réalisé à partir des enquêtes emploi du temps de l’INSEE, qui sont en cours.

Ces graphiques mettent en évidence l’enjeu du partage du coût de la parentalité entre les hommes et les femmes, qu’il s’agisse du temps domestique, de la carrière ou du salaire. De nombreux travaux montrent que les femmes sont pénalisées sur le plan salarial à la suite d’une maternité. On peut se réjouir d’avoir un taux de bi-activité relativement élevé des couples, qui est une bonne protection contre la pauvreté en cas de rupture familiale de même qu’une preuve de l’autonomie des femmes. Les politiques publiques doivent continuer à le soutenir.

M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. Merci pour cette présentation très riche. Nous n’aurons malheureusement pas le loisir de nous pencher sur les politiques familiales dans leur ensemble : notre mission doit s’intéresser précisément aux causes et aux conséquences de la baisse de la natalité.

À la lumière des différentes études que vous avez menées, considérez-vous que le fait de ne pas avoir d’enfants est plutôt subi ou choisi ?

D’après vous, le recul de l’âge au premier enfant n’est pas un facteur expliquant la baisse du taux de fécondité en France, contrairement à ce que les chercheurs italiens observent en Italie. Ce lien de causalité est-il propre à l’Italie ou pourra-t-il être établi à terme en France ?

Si l’on devait hiérarchiser les facteurs expliquant la baisse de la natalité, diriez-vous que les facteurs économiques et sociaux priment sur les facteurs individuels ou sociétaux ? Qu’en est-il des facteurs biologiques et médicaux ? Disposez-vous de données sur l’infertilité et le recours à la procréation médicalement assistée (PMA) ?

Enfin, existe-t-il des freins juridiques à la natalité, par exemple dans le cadre du recours à la PMA ?

M. Laurent Toulemon. Avoir des enfants, ce n’est pas une très bonne idée : c’est beaucoup de soucis, et pour très longtemps. Le choix d’en avoir n’est donc pas toujours rationnel. Aujourd’hui, il suffit d’avoir des relations sexuelles – et hétérosexuelles – et arrêter la contraception pour que la grossesse arrive. La décision d’avoir un enfant a beaucoup évolué par rapport au début du XXe siècle, où les femmes soit craignaient de tomber enceintes, soit considéraient qu’il fallait obéir à Dieu.

Après la première enquête de 2005, nous avons interrogé de nouveau les mêmes personnes, en 2008 et en 2011, et nous avons constaté que beaucoup d’entre elles avaient changé d’avis. Cela peut s’expliquer par de nombreuses raisons : on a changé de partenaire – car c’est une décision qui se prend à deux –, ou alors on en a assez d’attendre et c’est enfin le bon moment pour avoir un enfant, ou encore on a tellement attendu que le moment est passé et qu’on n’en aura plus. C’est une décision très évolutive.

Parmi les jeunes qui affirment ne pas vouloir d’enfants, la moitié disent qu’ils l’ont toujours su. Mais la moitié de ceux qui tenaient le même discours il y a vingt ans ont finalement eu des enfants. Il faut bien sûr prendre au sérieux les réponses qui nous sont données, mais en étant conscient du fait qu’avoir un enfant, c’est un choix qui engage et qui peut être remis sur le tapis, dans l’intimité des couples, chaque jour ou chaque mois.

Dans les réponses que nous avons reçues, les freins le plus souvent évoqués sont clairement le coût d’un enfant et les contraintes en temps et en liberté de mouvement qu’il génère. Certains freins sont peu évoqués en France alors qu’ils sont mentionnés dans d’autres enquêtes. Ainsi, dans certains pays, de nombreuses personnes disent ne pas vouloir d’enfants à cause du coût de l’éducation : envoyer un enfant à l’université est déjà considéré comme inabordable, donc avoir deux enfants est impossible. En France, cet argument est rarement avancé par les jeunes comme un frein.

En France, l’école commence dès 3 ans, dure de tôt le matin à tard l’après-midi – ce qui permet aux deux parents de travailler – et est de relativement bonne qualité, tandis que le coût de l’enseignement supérieur est très peu élevé par rapport à d’autres pays. Ce sont des éléments très importants, mais qui n’apparaissent pas dans nos enquêtes, tout simplement parce que les personnes ne sont pas confrontées à l’inverse. On peut penser que l’affaiblissement actuel du système éducatif pourrait devenir un frein à la natalité. Mais cela ne fait pas de la politique éducative une politique nataliste : ses objectifs touchent plutôt à l’égalité des chances, à l’élévation du capital humain, au niveau de vie.

D’autres causes sont absentes des enquêtes, comme les contraintes en matière de logement, qui sont très importantes dans les pays où la concentration urbaine est encore plus forte qu’en France. Quant à la question des modes de garde, de leur qualité et de leur accès – la pénurie de personnel crée des tensions de plus en plus fortes –, elle est plus directement liée à la décision d’avoir un enfant : les jeunes en âge d’être parents ont des amis qui ont déjà des enfants et sont donc conscients de ces difficultés.

S’agissant des freins juridiques, la politique française est plutôt inclusive. Dans les pays germaniques ou en Italie, il n’est déjà pas convenable de vivre en couple sans être marié, alors avoir des enfants hors mariage est impossible. C’était le cas dans les années 1970 en France, où de nombreuses personnes se mariaient pendant la grossesse pour réparer la faute commise. Lorsqu’on compare les pays, on observe que ceux où les naissances hors mariage sont peu nombreuses sont aussi ceux où il y a moins de naissances.

En Italie, on observe un retard au premier enfant et il n’y a pas de rattrapage par la suite : on en conclut que le retard entraîne une faible fécondité. Pourtant, lorsqu’on compare l’ensemble des pays, on constate que ce retard est présent partout. C’est dans les pays où la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle est difficile que la fécondité ne progresse pas après 30 ans, ce qui empêche tout rattrapage ; en revanche, lorsque cette conciliation est plus facile, notamment dans les pays d’Europe de l’Ouest ou du Nord, on constate une augmentation importante de la fécondité après 30 ans, qui, jusqu’à maintenant, a compensé la baisse de la fécondité des jeunes.

Le retard en Italie s’explique aisément ; les jeunes rencontrent des difficultés d’accès au logement, en raison d’un marché locatif très tendu, ainsi qu’à l’emploi. Mais ce retard pourrait être rattrapé en améliorant la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Les jeunes en Italie ne font ni plus ni moins d’enfants qu’en France ; en revanche, après 30 ans, les naissances sont plus nombreuses en France.

Mme Anne Solaz. Le retard peut également traduire une envie moindre d’avoir des enfants.

Mme la présidente Constance de Pélichy. S’agissant du rapport entre le niveau de dépenses publiques et le taux de fécondité, le cas de l’Allemagne conduit à s’interroger sur la capacité des politiques publiques à influencer le taux de fécondité. L’exemple de l’Italie montre en outre que la pression morale joue en partie.

On observe chez certains jeunes, voire très jeunes, une volonté de recourir à une stérilisation définitive. On entend parler de demandes de vasectomie chez des jeunes de 25 ans, et il y a eu quelques cas de jeunes personnes qui voulaient se faire stériliser mais à qui les médecins ont opposé un refus. Avez-vous étudié ce phénomène ? Si oui, quel pourrait en être l’impact sur la natalité : s’agit-il de cas très médiatiques, mais marginaux, ou peut-il y avoir des répercussions en termes de natalité ?

M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. Êtes-vous capables de ventiler vos chiffres selon le nombre d’enfants ? Par exemple, pouvez-vous dire quels sont les freins ou au contraire les incitations qui sont les plus importants dans la décision d’avoir un premier enfant, un deuxième, ou un troisième ?

Dans tous les outils des politiques publiques en matière familiale, en identifiez-vous certains dont l’impact sur le taux de fécondité serait spécialement faible ou fort ? Autrement dit, si ces dispositifs devaient être supprimés, dans un contexte de finances publiques dégradé, cela aurait-il un impact direct sur la fécondité ?

Mme Anne Solaz. Une revue a recensé les différents outils des politiques publiques et leurs effets sur la fécondité dans différents pays, mais tout dépend des contextes. Dans certains pays, la politique familiale existe depuis tellement longtemps que les gens n’y prêtent plus attention alors que, dans d’autres, une nouvelle mesure se remarque.

Les outils d’accueil du jeune enfant, qui permettent notamment aux mères de concilier emploi et famille, sont essentiels. Ils ont plus d’effet que les « baby bonus », les primes à la naissance, qui ont peu d’impact sur le nombre final de naissances : ils incitent surtout à avancer un peu le projet d’enfant pour en bénéficier avant qu’ils ne disparaissent. De façon générale, il est difficile d’établir un lien de causalité entre un outil de politique publique et la décision d’avoir un enfant.

Selon l’enquête du HCFEA, les freins évoqués varient selon que les personnes ont déjà des enfants ou non. Ceux qui n’en veulent pas du tout invoquent le coût d’élever un enfant, l’état du monde, le manque de temps et d’énergie. Ceux qui ne veulent pas agrandir la famille expliquent plutôt qu’ils souhaitent consacrer du temps aux enfants qu’ils ont déjà. Les arguments liés à l’insuffisance des politiques publiques et à la peur de l’avenir se retrouvent dans les deux cas.

M. Laurent Toulemon. S’agissant de la stérilisation définitive, j’ai été auditionné par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), qui se préoccupe beaucoup de ces questions. Je suis frappé par le fait que, depuis très longtemps, on contrôle la fertilité et la stérilisation des femmes. Cette dernière existe de longue date en France. Elle était très encadrée : il fallait avoir 40 ans, deux enfants… En revanche, il y a très peu de stérilisations masculines, alors que c’est un geste médical beaucoup plus simple – en Angleterre par exemple, il y a autant de stérilisations masculines que féminines. Il est difficile de savoir si ce sont les femmes qui veulent garder le pouvoir d’action ou si ce sont les hommes qui préfèrent leur laisser le fardeau.

Le souhait de certains hommes de se faire stériliser est un phénomène nouveau. Les membres du CCNE ne savaient pas quelle proportion d’hommes faisaient congeler leur sperme au moment de leur stérilisation. Prélever du sperme est très simple – bien plus que de prélever des ovocytes – et la conservation coûte environ 40 euros par an, ce qui n’est pas un investissement trop important si l’on craint les remords. Mais, contrairement à la stérilisation des femmes, il semble admis que si un homme souhaite se faire stériliser, c’est son droit, qu’il est adulte et que les médecins n’ont pas à contrôler sa volonté. Cette différence d’approche m’a vraiment frappé. Quoi qu’il en soit, on ne dispose pas d’informations quantitatives relatives aux demandes et aux refus – mais il est probable que très peu de refus soient opposés aux hommes.

Toutefois, en termes de nombre d’enfants, de la même façon qu’il ne faut pas trop compter sur la PMA, il ne faut pas non plus trop s’inquiéter de la stérilisation. Ce n’est pas une vague de stérilisations qui explique l’évolution de la fécondité depuis une dizaine d’années. Ce n’est pas non plus le recours à la PMA qui pourrait inverser la tendance.

Il s’agit de questions de santé publique très importantes, qui montrent les limites de l’action médicale, comme c’est aussi le cas en matière de fin de vie. Est-ce que le fait d’avoir un enfant est une maladie ? Cette question est débattue depuis longtemps. Les femmes, les hommes, les couples doivent-ils avoir la maîtrise des naissances ? Faut-il investir dans la PMA ? En France, quatre tentatives de PMA sont remboursées, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays. Cependant, de nombreux couples abandonnent avant d’avoir réalisé ces quatre essais car cette démarche est difficile, très pénible pour les couples. Lorsque l’INED a mené une enquête sur ce sujet, les médecins ne voulaient pas le croire : ils pensaient que les couples changeaient simplement de centre. Il est important d’aborder ces questions aussi sous l’angle de la santé publique au lieu de se focaliser sur la question du nombre de naissances.

Mme Sophie-Laurence Roy (RN). L’enquête que vous avez menée vous permet-elle de dire si ce sont les hommes ou les femmes qui décident de limiter le nombre d’enfants ?

L’expérience de la vie autour de moi m’a montré que la succession de couples dans une vie amoureuse entraîne une succession d’enfants. À chaque fois qu’un homme ou une femme a un nouveau partenaire, il ou elle refait un enfant. Cet empilement d’histoires d’amour n’est-il pas un facteur de naissances nombreuses par femme et par homme ?

M. François Clanché. On s’interroge beaucoup sur ceux qui décident de ne pas avoir d’enfants. J’essaie de poser la question inverse, car aujourd’hui, on ne décide pas de ne pas avoir d’enfants : on décide d’avoir des enfants. Il faut donc plutôt chercher à déterminer pourquoi les personnes décident d’avoir un enfant, car c’est une décision très engageante. Plutôt que de culpabiliser ceux qui décident de ne pas avoir d’enfants, il vaut mieux positiver et redonner l’envie ou la possibilité d’en avoir.

M. Laurent Toulemon. Avoir un enfant est un choix intertemporel. Prenons un couple où l’un veut des enfants, l’autre pas ; au bout de cinq ans, celui qui n’en voulait pas change d’avis et le couple a un enfant. Qui a gagné : celui qui a insisté pendant des années ou celui qui a changé d’avis ?

La réponse n’est pas évidente, d’autant que les personnes interrogées affirment que le couple a pris la décision ensemble, sans avoir été influencé. Il est très difficile de mettre en évidence les influences dans les enquêtes. Pourtant, on sait bien que dès que des enfants naissent dans le voisinage ou la famille, il se produit un effet de contagion.

S’agissant de la méthode, nous n’interrogeons pas les deux membres du couple, pour des raisons d’économie. Nous contactons de nouveau les mêmes personnes au bout de trois et de six ans – et nous constatons que nombre d’entre elles ont changé d’avis.

La question du choix intertemporel est compliquée parce que, dans les enquêtes quantitatives, les personnes diront qu’elles étaient toutes les deux d’accord – c’est le discours immédiat. Alors que c’est la femme qui arrêtera la contraception pour avoir une grossesse, les deux membres du couple affirmeront que c’est un choix collectif.

Dans les enquêtes menées il y a plus de vingt ans, il y avait un suivi administratif et l’on a observé que, dans les couples qui sont en désaccord sur le long terme, c’est plutôt la femme qui gagne. Il y a plus d’hommes qui n’auront pas d’enfants parce que leur conjointe n’en veut pas que de femmes contraintes d’avoir un enfant parce que leur conjoint en veut.

Selon une enquête suédoise, quand un seul membre du couple veut des enfants, cela ne marche pas très bien – il faut que les deux en aient envie. Mais quand c’est uniquement la femme qui en a envie, la probabilité d’une naissance dix ou quinze ans plus tard est plus forte que si c’est uniquement l’homme qui en a envie.

Mme Anne Solaz. Les intentions des hommes et des femmes sont très peu différentes en termes de nombre d’enfants souhaité.

S’agissant des successions de couples, ce sont plutôt les hommes qui auront des enfants issus d’autres couples que les femmes car, d’une part, leur vie biologique est plus longue, et d’autre part ils se remettent en couple avec des femmes plus jeunes. Des travaux s’intéressent à la fécondité du point de vue des hommes. Mais la succession de couples n’a pas forcément un impact sur la natalité : certes le nouveau couple a un enfant, mais la rupture a mis un terme à la fécondité de l’ancien.

Mme Claire Marais-Beuil (RN). Il serait intéressant de comprendre le désir de natalité des hommes et des femmes pour mieux déterminer les freins à ce désir, qui sont peut-être différents selon les sexes.

Après la Seconde Guerre mondiale, des politiques publiques en faveur des familles nombreuses ont été appliquées et la natalité, après avoir connu un recul, est repartie à la hausse. Il conviendrait de comparer les courbes de natalité en fonction du type d’aides allouées à la famille – versées à la naissance ou distribuées tout au long de l’enfance, car le coût croît avec l’âge – afin d’analyser les conséquences que représente le fait d’avoir plusieurs enfants pour une famille.

M. François Clanché. Les aides profiteront à la famille tout au long de la vie, notamment la scolarité gratuite, qui est une aide importante, ainsi que le dispositif fiscal du quotient familial.

Ce qui fait la spécificité française, c’est la multiplicité des aides et leur durée – jusqu’aux 20 ou 25 ans de l’enfant s’il fait des études supérieures. Par ailleurs, elles existent depuis cinquante ans, ce qui fait leur grande force. Une famille ne bénéficie pas exactement des mêmes aides selon les périodes, mais ce qui est important pour démarrer un projet, c’est qu’elle soit assurée qu’elle sera aidée longtemps et pas seulement durant les premiers mois ou années de la vie de l’enfant.

Enfin, pour en revenir à votre première question, les dernières données que nous avons recueillies montrent que les intentions de fécondité sont en baisse tant chez les hommes que chez les femmes.

M. Louis Boyard (LFI-NFP). D’après l’ONU, vers 2080, le nombre d’êtres humains pourrait baisser, ce qui me paraît être un fait anthropologique majeur. En Europe, l’indice conjoncturel de fécondité est inférieur à deux enfants par femme. Dans l’histoire de l’humanité, a-t-on déjà assisté à de telles fluctuations démographiques ?

Par ailleurs, existe-t-il des pays dont le taux de fécondité est devenu supérieur à deux enfants par femme grâce à des politiques familiales ? Pour ma part, je pense que notre taux est structurellement inférieur à deux.

M. Laurent Toulemon. Il y a eu, dans l’histoire de l’humanité, des épisodes de diminution de la population, mais plutôt liés à des catastrophes majeures telles que des épidémies, par exemple en Asie ou en Europe autour de l’an 1000. La stabilisation actuelle de la population est, elle, maîtrisée et s’explique par une baisse de la fécondité qui est d’abord volontaire. Ce n’est donc pas du tout la même chose.

On peut avoir peur d’une diminution de la population, mais d’un autre côté, celle-ci ne peut pas croître indéfiniment. Le vieillissement de la population est la grande question pour la France des vingt prochaines années, mais aussi pour le monde. Cela fait déjà trente ou quarante ans que le nombre de moins de 20 ans dans le monde est à peu près constant. Le nombre d’adultes est, lui, amené à croître. La hausse de 2 milliards de la population mondiale se concentrera en Afrique et correspondra surtout à une hausse du nombre de personnes âgées, en Afrique et ailleurs.

Les sociétés vont devoir s’adapter. Or certaines n’ont pas de système de retraites et de santé qui tienne la route et la solidarité familiale ne peut pas se construire de la même façon quand les personnes âgées sont nombreuses – les vieillards d’autrefois étaient d’autant plus respectés qu’ils étaient rares et entourés d’une large famille. Cette adaptation anthropologique importante n’est pas imposée par la baisse de la population, mais par l’allongement de la durée de vie. La solidarité entre les générations devra se reconstruire complètement, car les systèmes traditionnels ne peuvent pas tenir quand les personnes âgées sont nombreuses.

Certaines politiques familiales ont effectivement permis de faire remonter le taux de fécondité. Quant au taux de 2, ce n’est pas un niveau de flottaison, au-dessus duquel on respirerait et en dessous duquel on coulerait. Le fait qu’il soit légèrement inférieur à 2 n’a rien de grave ; la population diminuera, mais lentement. C’est quand le taux de fécondité est très bas ou très haut, comme c’est le cas dans certains pays, que cela pose problème. Disons qu’il vaut mieux qu’il s’établisse autour de 2,1.

Si la fécondité baisse partout, cela conduira à des mouvements migratoires et les sociétés se rendront compte que les immigrants sont une ressource. Même si nous n’en sommes pas encore tout à fait là, ce sera un changement politique majeur, qui conduira à une compétition entre pays pour attirer les immigrants. Actuellement, les pays d’émigration souffrent déjà beaucoup plus que les pays d’immigration, qui bénéficient plutôt de l’accueil de nouvelles populations.

Ce sera un changement très important. La circulation des humains sera probablement facilitée. Aujourd’hui, si les États ont le droit d’empêcher l’entrée sur leur territoire, ils n’ont pas celui d’empêcher quelqu’un de partir. La situation risque d’être très différente dans cinquante ans.

Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Quel est l’écart entre souhait et réalité ? Autrement dit, des études sociologiques permettent-elles de comprendre pourquoi un couple qui déclare vouloir deux enfants en a finalement un ou trois ?

Par ailleurs, sommes-nous le seul pays à connaître les évolutions démographiques que vous décrivez ?

Enfin, les inégalités entre hommes et femmes en matière de tâches domestiques et de soin des enfants s’accroissent encore en cas de divorce. Or on sait que le nombre de séparations augmente et que les femmes subissent une dégradation considérable de leur niveau de vie à ce moment-là, ce qui représente également une charge mentale. Que pensez-vous de l’instauration d’un délit de non-partage des tâches domestiques ?

M. Laurent Toulemon. Nous en sommes loin. La création de l’ARIPA (Agence de recouvrement et d’intermédiation des pensions alimentaires) a été longue et douloureuse. Jusqu’à récemment, le droit des hommes à cacher à leur employeur qu’ils avaient des enfants primait sur le droit des enfants à recevoir les sommes auxquelles ils avaient droit. Je ne me prononcerai pas sur l’utilité de créer un nouveau délit.

La situation de la France n’a rien d’exceptionnel, au contraire. On peut même se demander pourquoi la baisse de la fécondité y est plus tardive et plus limitée qu’ailleurs.

Enfin, beaucoup de gens n’ont pas le nombre d’enfants qu’ils souhaitaient initialement : ils changent d’avis, de conjoint, de logement, de profession. Les intentions sont d’assez mauvais prédicteurs de la fécondité finale à l’échelle individuelle, mais un bon indicateur de tendance pour l’ensemble de la population. Au final, beaucoup de gens ont deux enfants.

Mme Anne Solaz. Les femmes qui voulaient trois enfants à 20 ans mais n’en ont finalement qu’un ou deux à 40 ne le vivent pas forcément comme un renoncement. C’est juste un choix : les souhaits évoluent beaucoup.

M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. Des politiques familiales volontaristes ont-elles déjà permis la progression d’un indice de fécondité faible ?

Mme Anne Solaz. L’Allemagne a massivement investi dans les politiques familiales au cours des dernières années, notamment en créant des crèches. Cela a permis une légère progression de l’indice de fécondité, mais assez lente et l’indice reste faible.

M. Laurent Toulemon. Effectivement, l’Allemagne n’est pas remontée à 2, mais elle est confrontée à un gros problème. Elle a fourni un effort considérable de création de crèches – en la matière, elle est désormais loin devant nous – mais les écoles primaires ne sont pas équipées pour garder les enfants toute la journée : il manque notamment des cantines. Or construire une cantine dans une école située en ville est très complexe et coûteux.

L’effort qu’une nation doit consentir pour aider les familles à élever leurs enfants est très variable. En France, la question principale est celle de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Elle se pose d’abord aux femmes, mais aussi plus généralement aux couples, car ceux-ci veulent bénéficier de deux salaires. Cette question en soulève d’autres, par exemple concernant les modes de garde ou l’aménagement des horaires de travail. Mais il apparaît assez clairement que les couples aspirent à un modèle où les deux partenaires sont actifs, et que les familles monoparentales sont confrontées à des difficultés spécifiques. Il y a là un levier pour l’action publique.

Mme la présidente Constance de Pélichy. Je vous remercie pour la qualité de nos échanges. N’hésitez pas à nous transmettre toute autre contribution que vous jugeriez utile. Nous pourrons de notre côté vous faire parvenir de nouvelles questions.

La séance s’achève à seize heures dix.

Membres présents ou excusés

 

Présents. – M. Louis Boyard, Mme Gabrielle Cathala, Mme Élisabeth de Maistre, Mme Claire Marais-Beuil, M. Serge Muller, M. Jérémie Patrier-Leitus, Mme Constance de Pélichy, Mme Sandrine Rousseau, Mme Sophie-Laurence Roy, Mme Céline Thiébault-Martinez

Excusé. – M. Philippe Bonnecarrère