Compte rendu
Commission d’enquête
sur les dysfonctionnements
obstruant l’accès à une justice adaptée aux besoins
des justiciables ultramarins
– Audition, ouverte à la presse, de Mme Eurydice Chabant, présidente de la Conférence nationale des directeurs de greffe, et de M. Karl Lequeux, directeur de greffe 2
– Présences en réunion................................14
Lundi
30 juin 2025
Séance de 13 heures 30
Compte rendu n° 3
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Frantz Gumbs,
Président de la commission
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La séance est ouverte à treize heures trente.
M. le président Frantz Gumbs. Notre commission d’enquête a pour objet d’évaluer la mise en œuvre de la politique d’accès au droit et à la justice dans les territoires ultramarins et d’identifier les obstacles qui y subsistent pour assurer un égal accès de tous nos concitoyens au droit et à la justice.
Dans cette perspective, il nous a semblé pertinent d’entendre, dès le début de nos travaux, les représentants des directeurs de greffe, qui sont un rouage indispensable au fonctionnement de la justice. J’accueille donc Mme Eurydice Chabant, présidente de la Conférence nationale des directeurs de greffe, et, en visioconférence, M. Karl Lequeux, directeur de greffe, qui pourra également nous faire part de son expérience professionnelle passée en outre‑mer.
Avant de vous laisser la parole, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Eurydice Chabant et M. Karl Lequeux prêtent successivement serment.)
Mme Eurydice Chabant, présidente de la Conférence nationale des directeurs de greffe. Je vous remercie d’avoir invité la Conférence nationale des directeurs de greffe (CNDG) à s’exprimer devant votre commission, qui traite d’un sujet très important.
La CNDG est une association qui regroupe l’ensemble des directeurs de greffes de métropole et d’outre-mer, ce qui représente un peu plus de 200 juridictions, à la fois des cours d’appel et des tribunaux judiciaires. Contrairement aux autres conférences que vous allez auditionner, qui sont beaucoup plus anciennes, la CNDG a seulement trois ans d’existence. Je n’en suis que la troisième présidente et la première issue d’une cour d’appel. Précédemment, elle n’était composée que des tribunaux judiciaires.
Quelques chiffres : 1 223 emplois de greffe sont localisés en outre-mer, soit 5 % des effectifs nationaux. Avec 496 emplois, les greffiers au sens strict n’en représentent que 40 %.
Les greffes sont composés de trois types de personnels : des cadres de catégorie A, fonctionnaires comme les directeurs de services de greffe judiciaires ou contractuels ; des personnels de catégorie B, greffiers et secrétaires administratifs, qui peuvent être aussi contractuels ; et des adjoints administratifs ou techniques, qui peuvent être fonctionnaires ou contractuels.
Lorsque nous parlons des greffes, il ne s’agit donc pas seulement des greffiers, même si ces derniers sont au cœur de la justice et de l’exercice de l’activité juridictionnelle.
Pour les 1 223 postes localisés en outre-mer, la CNDG a établi que le taux de vacance, en 2024, était d’environ 7,90 %. La proportion de postes non pourvus est un peu inférieure pour les seuls greffiers. Elle est plus proche de 7 %, alors qu’elle tend vers 8 % pour l’ensemble des corps.
Les emplois de greffe localisés en outre-mer représentent 5 % des effectifs nationaux, ce qui est significatif. L’accès à la justice est au cœur du métier du directeur de greffe, aussi bien dans l’exercice de ses missions d’organisation du greffe que dans ses missions juridictionnelles.
En effet – c’est une particularité des services judiciaires –, le directeur de greffe est amené à exercer à la fois des activités juridictionnelles, pour lesquelles il a des compétences propres, et des activités transverses d’organisation et de logistique des tribunaux. Les présidents et procureurs, qui constituent la dyarchie de ces juridictions, s’appuient alors sur lui.
L’accès au droit et à la justice soulève des problèmes d’ordre logistique, mais nécessite aussi des moyens humains. Pour développer les activités juridictionnelles ou constituer un réseau d’accès au droit, il faut y consacrer du temps. C’est vrai dans toutes les juridictions et plus encore en outre-mer. Nous nous heurtons là à des enjeux – ce ne sont pas des contraintes – démographiques, géographiques et culturels, trois domaines qui concentrent les problèmes auxquels peuvent être confrontés les directeurs de greffe dans les territoires ultramarins.
M. Karl Lequeux, directeur de greffe. Je n’ai pas grand-chose à ajouter à la présentation qu’a faite ma collègue de la Conférence nationale des directeurs de greffe et de la structuration des tribunaux. Ces derniers ne sont pas constitués que de greffiers, mais également de directeurs, d’adjoints administratifs, de secrétaires administratifs, entre autres nombreux corps qui contribuent aux grandes missions de la justice.
Je suis un enfant des outre-mer. J’ai eu la chance de faire l’essentiel de ma carrière au ministère de la justice et d’être en poste dans différents départements et territoires ultramarins. Cette expérience me permettra de vous livrer ma vision de la situation. Plus qu’en métropole, l’accès au droit y est l’un des enjeux majeurs de la justice, prégnant au quotidien.
Comme les différents endroits de l’Hexagone ont leurs particularités, tous les départements et territoires d’outre-mer n’ont pas la même culture, la même façon de fonctionner et les mêmes attentes vis-à-vis de l’institution judiciaire. Ils ont néanmoins des points communs.
Les départements et territoires d’outre-mer ne veulent pas être considérés comme ne faisant qu’un. Plus qu’ailleurs, il est possible d’y proposer des solutions adaptées à la situation, notamment pour améliorer l’accès au droit.
L’accès au droit est le fondement de l’action de la justice. Il permet de se défendre, de connaître ses droits et de les faire valoir. Comme le confirme la création de votre commission d’enquête, il est, en outre-mer plus qu’ailleurs, un enjeu majeur pour que la justice prenne toute la place qui devrait être la sienne.
M. le président Frantz Gumbs. Les outre-mer renvoient en effet à une multiplicité de situations, même s’ils ont en commun la distance qui les sépare de l’Hexagone. En outre, à l’exception de Saint-Pierre-et-Miquelon, ils sont pratiquement tous situés sous les tropiques, ce qui les rapproche du point de vue du climat et de l’exposition à certains risques naturels.
Tout d’abord, j’ai compris que les directeurs de greffe étaient des personnels de catégorie A, mais qu’en est-il des greffiers ? Sont-ils toujours de catégorie B ?
Mme Eurydice Chabant. La situation est en train de se complexifier. Jusqu’à présent, tous les greffiers étaient des personnels de catégorie B. La réforme adoptée en 2024 a toutefois créé des cadres greffiers, de catégorie A. À l’horizon 2027, ils devraient représenter 30 % du corps des greffiers.
M. le président Frantz Gumbs. Comment se positionnent-ils dans la hiérarchie ?
Mme Eurydice Chabant. Ils sont placés sous l’autorité du directeur de greffe. Les premiers cadres greffiers ont pris leurs fonctions le 1er janvier 2025. Un effectif cible a été fixé. L’objectif est, dans deux ans, de parvenir à la constitution d’un corps de 3 200 cadres greffiers. Ils représenteront 30 % des greffiers, dans chaque juridiction.
Les cadres greffiers constituent un encadrement intermédiaire, axé sur l’activité juridictionnelle. Leurs missions sont comparables à celles qui étaient confiées aux greffiers référents, c’est-à-dire des greffiers expérimentés, qui avaient un peu d’ancienneté et de l’expertise en matière de procédures. Ils feront de l’animation de premier niveau et s’occuperont notamment de répartir la charge de travail. Ils aideront ainsi l’encadrement supérieur assuré par les directeurs de services de greffe judiciaire et directeurs de greffe.
M. Davy Rimane, rapporteur. Vous nous avez donné des chiffres globaux, mais pourriez-vous indiquer la répartition des effectifs par territoire ?
Dans chacun de ces territoires, les effectifs sont-ils suffisants ? L’activité des différentes juridictions nécessiterait-elle de les renforcer ?
M. le président Frantz Gumbs. Pour compléter les questions de M. le rapporteur, pourriez-vous également nous préciser où se trouvent les postes vacants, c’est-à-dire les postes qui existent mais qui ne sont pas pourvus ?
Mme Eurydice Chabant. Nous avons préparé un tableau détaillé de la répartition des effectifs, que nous vous transmettrons après l’audition. Vous aurez les chiffres par juridiction et par corps, mais je peux déjà vous les donner par territoire.
Tous corps confondus, le ressort de la Cour d’appel de Fort-de-France compte 194 agents ; celui de la Cour d’appel de Nouméa, 155 agents ; celui de la Cour d’appel de Papeete, 144 agents ; celui du Tribunal supérieur d’appel de Saint-Pierre-et-Miquelon, 8 agents ; celui de la Cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion – qui inclut la Chambre d’appel de Mamoudzou –, 362 agents ; celui de la Cour d’appel de Basse-Terre, 221 agents ; et celui de la Cour d’appel de Cayenne, 139 agents.
M. le président Frantz Gumbs. S’agit-il d’agents ou de postes ?
Mme Eurydice Chabant. Il s’agit des postes localisés dans chacun de ces ressorts.
M. Karl Lequeux. Vous nous demandez si ces effectifs sont suffisants. Je vous répondrai tous corps confondus, pour les territoires dans lesquels j’ai eu l’occasion de travailler.
Il faut que l’administration centrale de notre ministère prenne en compte les contraintes géographiques des départements et territoires d’outre-mer. Elles ne sont pas liées à leur éloignement par rapport à la métropole, mais à leurs caractéristiques. Certains sont très étendus. Avant de prendre mes fonctions à Lyon, il y a bientôt six mois, j’ai été en poste dans le ressort de la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion pendant environ cinq ans. Ce ressort englobe Mayotte, qui ne dispose pas d’une cour d’appel de plein exercice, mais d’une chambre d’appel qui a quasiment les mêmes prérogatives, sans toutefois disposer d’un chef de cour d’appel et des prérogatives correspondantes. Il y a ainsi à Mamoudzou un tribunal judiciaire structuré comme celui de Saint-Denis de La Réunion.
Au sein du ministère de la justice, il existe des corps itinérants, que nous appelons des « personnels placés ». Ce sont des greffiers, des magistrats ou des directeurs de plein exercice qui peuvent intervenir en soutien dans différentes juridictions, en fonction des ordres de mission délivrés par les chefs de cour.
La particularité d’un ressort comme celui de La Réunion, qui englobe Mayotte, est liée aux temps de trajet. Ils ne sont pas forcément importants en durée, mais ils le sont en organisation.
Si un greffier placé se rend en mission à Saint-Étienne ou à Lyon, il prend son véhicule ou le train. Ses déplacements peuvent être soumis à des aléas, mais il ne rencontre généralement pas de grandes difficultés. Dans les outre-mer, vous devez prendre l’avion, ce qui est souvent plus compliqué. En outre, les temps de trajet ne sont pas du temps de travail au bénéfice de la juridiction dans laquelle vous êtes missionné.
Lorsque vous devez parcourir de grandes distances, il est important d’en tenir compte dans l’affection des effectifs. Par rapport à l’Hexagone, les effectifs placés doivent être majorés pour compenser les temps de trajet.
Les outre-mer ont d’autres spécificités. Certains corps connaissent un turnover important, avec des mouvements vers ou depuis la métropole. Comme un certain temps de préparation est nécessaire, ce qui est normal, vous quittez vos fonctions quasiment deux mois avant la fin de votre mission. Jusqu’à ce que vous remplaçant arrive – s’il arrive –, votre poste est donc vacant.
Ces contraintes concernent quasiment tous les départements et territoires ultramarins. Elles n’existent pas en métropole. Dans des juridictions comme Lyon ou Paris, le turnover est important, mais l’organisation des mouvements fait que les postes ne restent pas vacants plus de trois semaines ou un mois.
Par rapport à l’Hexagone, le turnover dans les juridictions d’outre-mer se traduit par au moins un mois supplémentaire pendant lequel le poste n’est pas occupé. Il n’est pas question de doubler les effectifs. La majoration qui serait nécessaire n’est pas si importante que cela. Néanmoins, ce sont des impondérables à prendre en compte dans la fixation des objectifs, en particulier pour les corps qui connaissent beaucoup de mouvements de personnels vers et depuis la métropole.
M. le président Frantz Gumbs. Compte tenu de ces contraintes, le fonctionnement de la justice dans les outre-mer coûte forcément plus cher que dans l’Hexagone.
M. Karl Lequeux. Je ne parlerai pas d’argent, mais je dirai qu’il est plus consommateur de temps de travail pour l’ensemble des agents.
M. Davy Rimane, rapporteur. Puisque cette réalité est connue, n’est-il pas possible de mettre en place une organisation qui évite de laisser un poste vacant pendant deux mois lorsqu’il y a des mouvements ?
M. Karl Lequeux. Pratiquement tous les départs et toutes les arrivées ont lieu à la même période, c’est-à-dire en juillet-août. C’est assez classique, car il s’agit des dates de fin et de début de scolarisation des enfants. Dans quasiment tous les territoires, quelle que soit leur culture, l’été est en outre le moment où les agents souhaitent prendre leurs vacances. Il est donc impossible de trouver une organisation qui puisse compenser les postes vacants.
Mme Eurydice Chabant. Deux autres éléments sont importants pour expliquer la situation.
Tout d’abord, il ne faut pas oublier la notion d’emploi budgétaire. Une personne qui n’est pas encore partie budgétairement ne peut pas voir son poste occupé budgétairement. Ce principe s’applique en métropole comme en outre-mer.
Par ailleurs, les modalités de recrutement des agents sont très diversifiées. Les directeurs sont recrutés sur concours et par promotion au choix. C’est le principe de la fonction publique, mais chaque corps a plusieurs circuits de recrutement. La distinction entre les corps spécifiques et les corps communs introduit également une complexité supplémentaire.
Les greffiers et les directeurs sont des corps spécifiques, dont le recrutement est organisé par la direction des services judiciaires. Les secrétaires administratifs, les adjoints administratifs ou les adjoints techniques sont des corps communs, dont le recrutement est organisé par le secrétariat général. Par conséquent, les calendriers et les modalités de recrutement diffèrent.
Ces deux éléments expliquent pourquoi il est souvent difficile de compenser les effets de la rotation des personnels.
M. le président Frantz Gumbs. Dans votre propos liminaire, vous avez indiqué que l’accès à la justice était soumis à des enjeux démographiques, géographiques et culturels.
Du point de vue géographique, les situations peuvent être totalement différentes. La Martinique est une île unique, que vous pouvez parcourir d’un bout à l’autre en voiture. La Guyane est un territoire extrêmement vaste, dans lequel les déplacements peuvent être soumis à de nombreuses contraintes. En Guadeloupe, le tribunal judiciaire de Basse-Terre est compétent non seulement pour Basse-Terre, mais aussi pour les îles proches que sont Les Saintes, La Désirade et Marie-Galante, ainsi que pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Toutes proportions gardées, cette configuration ressemble à celle de la Polynésie, où les îles peuvent être extrêmement éloignées.
Comment vous adaptez-vous à ces contraintes géographiques liées à la taille des territoires ou à la multiplicité des îles ?
Mme Eurydice Chabant. Pour définir les territoires que vous avez évoqués, les directeurs de greffe parlent d’insularité dans l’insularité.
Les disparités sont très fortes. La Martinique, la Guadeloupe et La Réunion sont des territoires un peu plus ramassés, mais qui connaissent une attractivité touristique plus forte, ce qui génère des problèmes de logement pour les nouveaux agents par exemple. Leur situation est très différente de celles de la Nouvelle-Calédonie ou de la Polynésie française, qui est composée d’une multitude d’îles.
Des projets sont développés localement, notamment des bus ou des navettes pour améliorer l’accès au droit. M. Lequeux pourra évoquer différentes initiatives et la manière dont les directeurs de greffe peuvent faire des propositions ou mettre en place des actions dans ces différents territoires.
M. Karl Lequeux. En Guadeloupe, en Guyane ou à La Réunion, les chambres et les sections détachées ont des effectifs de greffe qui leur sont propres, ce qui est positif.
En Polynésie française, la justice foraine permet au tribunal de se déplacer avec toutes ces composantes, qu’elles relèvent ou non du ministère de la justice. Les magistrats du siège et du parquet, le greffe, les interprètes, les avocats ou les associations d’aide aux victimes vont rendre la justice là où il n’y a pas d’implantation judiciaire.
Dans certains endroits, y compris dans l’Hexagone, il est important que la justice puisse être représentée – pas forcément rendue –, même si les personnels n’y sont pas occupés à 100 %, comme ils le seraient dans des structures principales. Permettre un véritable accès au droit, qui aille au-delà du renseignement, est une composante du service public judiciaire. Tout ne peut pas se quantifier en argent ou en performance.
Avoir des points justice dans des lieux qui ne sont pas des lieux habituels de la justice, qui ne sont pas des tribunaux, permettrait à l’ensemble des administrés d’accéder au droit plus facilement. Vous avez cité la Martinique, qui ne compte qu’un tribunal judiciaire et une cour d’appel. Je connais bien ce département. Parcourir 40 ou 50 kilomètres prend parfois des heures.
Tant que ces lieux ne sont pas créés, nous pouvons déjà, en tant que directeurs de greffe, déléguer des agents dans les structures existantes. Les chefs de cour d’appel ont également la possibilité d’y missionner des personnels placés, qui sont itinérants.
Les petites structures sont plus sensibles aux mouvements d’effectifs. Lorsqu’elles ne comptent que deux agents et que l’un est en congé, elles se retrouvent dans une situation difficile. Le recours aux personnels placés, pour des périodes courtes ou un peu plus longues, est une solution pour leur apporter du soutien.
M. Davy Rimane, rapporteur. Le volet organisationnel me paraît essentiel. Les difficultés sont connues et la réalité des différents territoires l’est également. Des initiatives ont certes été mises en œuvre au niveau local – la justice foraine en Polynésie, la Pirogue du droit en Guyane ou le Justibus en Martinique –, mais l’accès au droit et à la justice n’est toujours pas satisfaisant. Plusieurs rapports l’ont souligné.
Chacun utilisera le qualificatif qu’il veut, mais n’y a-t-il pas une défaillance de l’État ou au moins un manque de volonté ? Depuis le temps que les constats ont été faits, pourquoi n’a-t-il pas réussi, en concertation avec les différentes parties concernées, à trouver des solutions pour ces territoires ?
En 2025, beaucoup de nos concitoyens n’ont toujours pas accès au droit et à la justice. Le problème ne vient-il pas d’un fonctionnement trop centralisé de l’appareil de l’État, qui ne permettrait pas de toucher les personnes les plus éloignées ou qui ne parlent pas la même langue ? Ne faudrait-il pas renforcer la décentralisation et donner plus de libertés et de moyens aux territoires ?
Mme Eurydice Chabant. Les différents rapports consacrés à la justice en outre-mer – quelques-uns ont été rédigés par l’inspection générale de la justice ou d’autres, mais il n’y en a pas eu beaucoup – prônent le renforcement de la transversalité plus que la décentralisation. L’enjeu est de mettre nos ressources en commun et de les regrouper, par exemple au sein de maisons France Services, pour ne pas émietter la représentation de l’État dans les territoires ultramarins.
Plusieurs structures peuvent intervenir dans les territoires. Pour le ministère de la justice, vous avez le service de l’accès au droit et à la justice et de l’aide aux victimes (Sadjav), la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) ou la direction des services judiciaires (DSJ). La situation est comparable pour le ministère de l’éducation nationale et tous les autres ministères. La préconisation est de mettre en commun certains outils ou certains lieux pour offrir une proposition multiservices. La justice n’est pas le seul service auquel les populations doivent avoir accès.
En préparant cette audition, nous avons relevé des problèmes de connexion informatique dans certains territoires. Quand la justice ne peut pas travailler sur telle île ou telle zone reculée parce qu’aucun réseau n’est disponible, les autres administrations sont confrontées à la même difficulté. L’idée est de réussir à nous regrouper, peut-être pour développer des maisons France Services, qui commencent à bien fonctionner sur le territoire hexagonal.
M. Karl Lequeux. Je ne suis pas un porte-parole de mon ministère, mais j’ai vingt ans d’expérience et je connais les outre-mer pour y avoir vécu quasiment toute ma vie. De nombreux progrès ont été réalisés. Il en reste sans doute à faire, notamment dans le cadre d’initiatives locales, adaptées aux réalités du terrain. Néanmoins, l’implantation et la structuration de la justice – au sens strict du terme – se sont beaucoup améliorées.
Les microstructures qui existaient au départ sont devenues plus importantes. C’était attendu depuis très longtemps, mais un tribunal judiciaire de plein exercice va être ouvert dans les prochaines années à Saint-Laurent-du-Maroni, en Guyane. À La Réunion, le tribunal de proximité de Saint-Benoît est en travaux et va être agrandi pour devenir un lieu de justice pour les personnes résidant dans l’est de l’île. En Polynésie, la section détachée de Raiatea, qui ressemblait à une grande maison où on rendait la justice quand je l’ai connue, ressemble désormais à un tribunal.
Il faut reconnaître que des progrès ont été faits, même si, selon les territoires, la justice a probablement besoin de diversifier ses implantations géographiques. Ma collègue a évoqué les maisons France Services. C’est un modèle intéressant, car les gens – dont je fais partie – ont besoin de justice, mais aussi d’éviter l’injustice. Or l’injustice, c’est aussi que le service public ne soit pas représenté, si ce n’est à proximité, au moins suffisamment près de chez soi pour pouvoir faire valoir ses droits ou se renseigner. Les maisons France Services ne sont pas l’alpha et l’oméga de l’implantation judiciaire, mais elles peuvent constituer une avancée.
Les obstacles ne sont pas insurmontables, mais les problèmes peuvent cependant être réels. Implanter des services publics dans tel ou tel territoire, que ce soit un tribunal, un greffe détaché ou une maison France Services, nécessite des accès au réseau. Rien n’est impossible. Néanmoins, les décisions qui pouvaient être très simples à mettre en œuvre auparavant – dès lors qu’existait une volonté politique et ministérielle –, peuvent désormais prendre du temps pour se concrétiser, en raison des contraintes de nos métiers.
M. le président Frantz Gumbs. Vous avez évoqué l’enjeu culturel. Quelles solutions y apportez-vous, notamment concernant les aspects linguistiques ? Vous pouvez être confrontés à des langues très différentes selon les territoires et parfois à un illettrisme français. Certaines populations peuvent avoir une langue vernaculaire tout en étant francophones, mais parfois ce n’est pas le cas. La pratique de la justice peut par ailleurs être ancrée dans les traditions. Comment prenez-vous en compte la dimension coutumière ? Au-delà du dimensionnement des effectifs, la question des profils et des moyens nécessaires pour faire le lien entre le système judiciaire de la République et les justiciables concernés est également importante.
Mme Eurydice Chabant. Le multilinguisme est en effet une réalité dans les territoires ultramarins.
S’agissant de l’accueil des justiciables, il nous semble indispensable que les agents des services d’accueil unique du justiciable (Sauj) des tribunaux judiciaires soient le plus possible « bilingues ».
Les agents des Sauj sont souvent des greffiers ou des adjoints administratifs. Or désormais, un texte de notre administration centrale facilite le retour au pays de certains agents. Je ne sais plus s’il s’applique à tous les corps ou seulement aux corps communs. Mon collègue le sait peut-être.
M. Karl Lequeux. Tous les corps sont concernés.
Mme Eurydice Chabant. Ce texte s’applique donc à tous les corps. Il permet de pourvoir les postes d’accueil de premier niveau par des agents capables de parler la même langue que les personnes qu’ils reçoivent.
S’agissant du traitement des procédures, la maîtrise des langues locales n’est pas nécessaire. Puisque de plus en plus d’applications ont migré sur le web – c’est un axe d’évolution fortement soutenu par le garde des sceaux –, nous pourrions imaginer que lorsque le réseau informatique le permet, l’activité soit gérée à distance. Nous avons évoqué ce sujet dans le cadre de la CNDG. Grâce au numérique, le traitement des dossiers d’aide juridictionnelle par le système d’information de l’aide juridictionnelle (Siaj) ne nécessite pas forcément de mobiliser des agents dans les territoires ultramarins, à Mayotte, à La Réunion, en Guadeloupe ou à la Martinique. Puisqu’il est entièrement dématérialisé, il pourrait être effectué en métropole.
En revanche, l’accueil des justiciables, notamment pour les aider à déposer leur dossier d’aide juridictionnelle, impose d’être sur place.
Nous pourrions donc faire la distinction entre le traitement de la procédure, qui pourrait être effectué à distance, et l’accueil des justiciables, et profiter des moyens modernes qui sont à notre disposition pour mieux gérer le multilinguisme et la dimension culturelle.
M. Karl Lequeux. La difficulté qu’ont certaines personnes à s’exprimer en français renforce l’obligation d’un panachage dans l’origine des personnels de greffe judiciaire. En outre-mer, les agents doivent majoritairement être originaires du territoire concerné. Néanmoins, ce n’est pas une garantie qu’ils en parlent la langue. Ce n’est pas parce que vous êtes originaire de La Réunion, par exemple, que vous parlez créole !
M. Davy Rimane, rapporteur. La maîtrise de la langue ne pourrait-elle pas devenir un critère de recrutement ? Certains de nos justiciables n’arrivent pas à se faire comprendre ou à comprendre les informations qui leur sont données. Or l’assistance d’un traducteur officiel reste compliquée à organiser. Je le constate au tribunal de Cayenne. Puisque nous connaissons ces réalités, pourquoi ne pas prendre en compte la maîtrise de la langue et éventuellement en faire une priorité ?
M. Karl Lequeux. Dans les corps soumis à des mouvements de mobilité classiques, vous ne pouvez pas imposer le plurilinguisme comme critère de recrutement. Statutairement, ce n’est pas possible, même pour les corps de directeurs et de greffiers, qui sont des corps spécifiques à la direction des services judiciaires.
Il est peut-être possible – je n’en suis pas du tout certain – de proposer des postes à profil en nombre limité, pour lesquels le plurilinguisme serait l’un des critères objectifs – et non pas un critère subjectif – de sélection.
Quand vous recrutez un interprète ou un traducteur, son cœur de métier est le plurilinguisme. Ce dernier peut donc être un critère objectif de sélection. En revanche, pour un fonctionnaire de la fonction publique d’État qui exerce une mission qui ne concerne pas la traduction ou l’interprétariat, ce n’est pas possible, sauf erreur de ma part.
Pour une grande partie des corps offerts à la mobilité dans les tribunaux outre-mer, des entretiens préalables peuvent être réalisés. Un panel de candidats peut parfois être proposé à l’administration centrale, qui prendra la décision finale. Dans le cas des greffiers, il ne s’agit que d’entretiens d’information avec l’ensemble des personnes intéressées par une affectation sur tel territoire. L’état du droit positif ne permet pas de les obliger à être bilingues et à maîtriser la langue du territoire où elles souhaitent aller.
En outre, ce n’est pas parce que vous êtes réunionnais d’origine, que vous y êtes né et que vous y avez vécu un certain nombre d’années que vous êtes capable de comprendre tous les justiciables qui peuvent se présenter à vous. Après avoir résidé quelque temps en métropole, vous pouvez avoir oublié celle qui était votre deuxième langue maternelle après le français.
Mme Eurydice Chabant. Nos collègues qui ont accepté de contribuer aux réponses que nous avons apportées à votre questionnaire l’ont également souligné. Il ne suffit pas d’être issu d’un territoire ultramarin pour en maîtriser le multilinguisme et l’ensemble des enjeux.
Nous ne pouvons pas faire l’économie d’une formation, y compris pour les agents qui sont issus d’un territoire ultramarin et qui y reviennent après une période plus ou moins longue. Leur absence peut correspondre seulement à la durée de la formation initiale, qui est de dix‑huit mois pour les greffiers. Néanmoins, ce n’est pas parce qu’ils sont originaires d’un territoire qu’ils en maîtrisent tous les enjeux culturels, sociétaux ou démographiques ou qu’ils en maîtrisent toutes les langues susceptibles d’y être utilisées.
M. le président Frantz Gumbs. Les membres de cette commission d’enquête sont des législateurs. Par conséquent, ce qui n’est pas possible aujourd’hui pourrait le devenir demain.
Pensez-vous que le développement du concept de poste à profil, tel qu’il existe dans l’éducation nationale, permettrait de mieux prendre en compte la situation culturelle et linguistique particulière des territoires ultramarins ?
Par ailleurs, estimeriez-vous utile de systématiser la formation ou au moins une information approfondie de tous les candidats qui souhaiteraient occuper un poste en outre‑mer ?
Mme Eurydice Chabant. Dans votre questionnaire, vous nous avez demandé la proportion de personnes originaires de chacun des territoires ultramarins. Dans tous les cas, elle est majoritaire. Cela confirme qu’il ne suffit pas d’avoir une majorité d’agents issus du territoire pour couvrir tout le spectre des besoins.
La formation est effectivement un axe à développer, qu’il s’agisse de la formation initiale ou, surtout, de la formation continue. Lors de la préparation de cette audition, plusieurs collègues ont souligné la nécessité de proposer une formation continue adaptée à l’exercice de missions dans les territoires ultramarins.
Quant aux postes à profil, ils doivent s’appuyer sur une fiche de poste. Une telle approche présente l’inconvénient de réduire la polyvalence au sein des équipes. Le directeur de greffe n’aurait plus la même souplesse dans son organisation. Or elle fait aussi la force de ces juridictions. Profiler peut être une solution, à condition de la limiter à des cas circonstanciés et de ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire.
M. Davy Rimane, rapporteur. La loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice (LOPJ) prévoyait-elle des efforts particuliers en direction des territoires ultramarins ?
Les greffiers sont au cœur de la justice. Ils sont indispensables pour que la justice soit rendue. Le fonctionnement actuel vous semble-t-il optimal ? Le ministère a constitué des brigades de magistrats qui peuvent intervenir en renfort et pallier certaines difficultés. Le même dispositif existe-t-il pour les greffiers ?
Mme Eurydice Chabant. S’agissant de la LOPJ, les effectifs post-états généraux de la justice (EGJ) ont fait l’objet de discussions avec les chefs de cour et les chefs de juridiction concernés. La programmation a toutefois été effectuée dans une période moins troublée qu’actuellement du point de vue budgétaire. Pour le moment, nous ne connaissons pas les localisations d’emplois de greffiers post-EGJ. Nous avons reçu un projet, selon lequel le nombre des greffiers localisés dans l’ensemble des territoires ultramarins augmenterait de 496 en 2024 à 509 en 2025, mais nous n’avons pas eu de notification officielle. Je mets donc toutes les réserves de rigueur autour de ce chiffre.
La programmation s’étale sur trois ans, jusqu’en 2027 et prévoit des transformations d’emplois pour renforcer le nombre des greffiers. J’espère que les effectifs localisés pour 2025 seront publiés lorsque nous vous transmettrons le tableau que nous avons préparé. Vous disposerez ainsi de toutes les informations concernant les créations d’emplois de greffiers envisagées par le ministère.
M. Davy Rimane, rapporteur. Dans certains territoires, le fonctionnement des greffes rencontre des difficultés, ce qui allonge les délais pour rendre la justice. Des brigades peuvent-elles intervenir en renfort, comme pour les magistrats ? M. Lequeux a souligné que des progrès avaient été réalisés, mais la situation actuelle peut-elle être considérée comme satisfaisante ?
M. Karl Lequeux. J’étais encore récemment en fonction à La Réunion et à Mayotte, qui est l’un des deux départements, avec la Guyane, qui ont bénéficié du renfort des bridages du greffe, créées en 2023, si je ne me trompe pas.
Ce dispositif particulièrement novateur a été mis en place en très peu de temps. Il a nécessité une évolution des textes, car je crois qu’il ne concernait précédemment que la Nouvelle-Calédonie. Désormais, tous les territoires ultramarins peuvent en bénéficier, même s’il n’a été déployé qu’à Mayotte et en Guyane.
Les brigades du greffe ont-elles permis d’améliorer les délais et de réduire les temps de traitement des dossiers ? Je peux vous répondre pour ce que je connais, en l’occurrence Mayotte. Malheureusement, le département a connu l’une des pires catastrophes climatiques de son histoire, qui a détruit le peu de stabilité que les juridictions avaient réussi à créer. Les effectifs de sédentaires, les effectifs placés – qui sont en nombre – et les brigades du greffe ne parviennent pas à « manger le stock ».
Je ne sais pas ce qu’il en est en Guyane. En tout cas, la difficulté – que connaissent aussi certains endroits de métropole, mais ce n’est pas le sujet qui nous occupe aujourd’hui –, est souvent de « manger le stock », afin de permettre aux agents affectés dans les territoires ultramarins de se consacrer au quotidien des besoins de justice.
La catastrophe qu’a connue le département de Mayotte n’a pas permis d’y arriver. J’étais présent pendant la crise sanitaire, qui s’était prolongée et dont les conséquences avaient déjà ébranlé fortement ce colosse aux pieds d’argile. Avec le cyclone, il s’est effondré et ne s’est pas encore relevé. Les édifices judiciaires ont été détruits en deux minutes et leur reconstruction est compliquée.
Ces brigades avaient notamment – pas seulement – vocation à intervenir en soutien, dans les territoires et départements ultramarins qui avaient un stock judiciaire trop ancien, dont ils ne parvenaient pas à venir à bout. Le dispositif est très utile. Le fonctionnement judiciaire au quotidien ne peut pas reposer sur lui, mais je ne sais pas – n’étant plus en fonction en outre‑mer – si l’activité judiciaire pourrait s’envisager sans lui aujourd’hui.
Vous avez demandé si nous disposions des effectifs nécessaires, en particulier de greffiers. À La Réunion et à Mayotte, des postes supplémentaires ont été créés. Pour Mayotte, cela ne résout pas tout. La Guyane souffre du même problème, mais de manière moins aiguë, d’après les échanges que j’ai pu avoir avec les gens qui sont sur place. Créer des emplois budgétaires est une première étape, mais il faut aussi trouver des candidats pour les pourvoir.
Tout l’enjeu est là. Comment améliorer l’attractivité, pas forcément des fonctions, mais de la vie dans ces territoires ? Répondre à cette question dépasse les compétences de l’employeur judiciaire. Nous ne pouvons pas lutter contre les réalités sociologiques, économiques ou sécuritaires. Nous n’avons pas la maîtrise de ces sujets. Donc, créer des emplois est nécessaire, mais il faut aussi réussir à les pourvoir.
Mme Eurydice Chabant. Les brigades d’outre-mer ont été créées par un texte du 27 janvier 2023.
Les responsables de la direction des services judiciaires nous ont indiqué qu’ils n’avaient aucune difficulté à pourvoir la liste annuelle qui constitue ces brigades outre-mer. Le système a donc de la consistance. Chaque année, des agents de toute catégorie sont prêts à partir en outre-mer pour des missions de trois mois renouvelables une fois, soit un maximum de six mois, et aller épauler les équipes qui ont besoin de renfort.
M. le président Frantz Gumbs. Souhaitez-vous appeler l’attention des membres de la commission d’enquête sur d’autres sujets ? Je vous rappelle que nous sommes des législateurs et que nous pouvons relayer auprès des bons interlocuteurs les difficultés que vous souhaiteriez évoquer.
Mme Eurydice Chabant. Nous avons identifié quelques pistes de réflexion pour remédier au défaut d’attractivité de certains territoires ultramarins. Nos collègues d’outre-mer ont souligné qu’en la matière, tous ne se valaient pas, ce que confirme l’expérience de M. Lequeux. Je l’ai également constaté au sein de la juridiction versaillaise. Les agents des Antilles qui veulent rentrer au pays doivent souvent attendre très longtemps avant de pouvoir le faire.
Il est important d’anticiper la vacance de poste. Elle se fait sentir durement dans toutes les juridictions, hexagonales ou ultramarines. Néanmoins, l’effet est renforcé en outre-mer, en raison des délais supplémentaires qui s’appliquent au départ et à l’arrivée. Il s’y ajoute un temps plus long d’adaptation que pour une mutation entre Lyon et Saint-Étienne ou Lyon et Bordeaux, par exemple.
Pour anticiper la vacance de postes et mieux la gérer, il faut jouer sur les modalités de recrutement que sont les concours externes et les concours internes, utiliser le vivier de la promotion au choix et profiter de ce phénomène d’accordéon. En outre, les territoires d’outre‑mer bénéficient régulièrement de concours nationaux à affectation locale (Cnal), qui permettent de cibler et d’attirer des personnes motivées pour y travailler.
Le déroulement de carrière est un vaste débat. Faut-il permettre aux agents d’évoluer et de construire leur carrière outre-mer pour les fidéliser ou faut-il privilégier la mixité et des allers-retours entre l’outre-mer et l’Hexagone ? La CNDG n’a pas de réponse à cette question. Il faut toutefois ouvrir la réflexion sur la manière d’optimiser la carrière des agents originaires des territoires ultramarins et de faire évoluer les agents venus de l’Hexagone. Dans votre questionnaire, vous avez évoqué le contrat de mobilité, qui existe pour les magistrats, et demandé s’il devait être étendu à d’autres fonctionnaires. Il faut l’étudier, mais cette solution pourrait être intéressante pour les territoires qui sont moins attractifs que d’autres.
La durée d’affectation, qui est liée au déroulement de carrière, est également un sujet que nous souhaitions évoquer, de même que la formation continue des agents. Cette dernière doit être adaptée aux spécificités de chacun des territoires ultramarins.
M. Karl Lequeux. J’ajouterai un point, qui a été mentionné par l’ensemble de nos collègues qui travaillent en outre-mer. Je viens du département de Mayotte, où la sur-rémunération suscite une forte incompréhension depuis plusieurs années. Le problème concerne toute la fonction publique et n’est pas propre au ministère de la justice. À Mayotte, la sur-rémunération est de 40 %, alors qu’elle est de 40 % plus 13 % d’indexation, soit 53 %, dans l’île sœur de La Réunion. L’argent n’est pas l’alpha et l’oméga en matière d’attractivité et il ne serait pas souhaitable de créer une brigade de mercenaires qui ne viendraient que pour cela. Néanmoins, il faut penser aux Mahorais qui travaillent pour le ministère de la justice à Mayotte et qui mériteraient une sur-rémunération plus élevée.
Nous devons d’abord penser aux personnels locaux, car ce sont eux qui restent. Les gens comme moi font différents séjours, plus ou moins longs. Ils essayent d’apporter leur expérience et leurs compétences professionnelles dans les différents postes qu’ils occupent, mais ils ne restent pas. Je mets donc un petit caillou dans la chaussure. Je sais que les règles qui s’appliquent sont celles de la fonction publique générale. Cependant, une majoration supplémentaire me semble opportune pour Mayotte, car la vie y est extraordinairement chère.
M. le président Frantz Gumbs. La population de Mayotte connaît en outre des besoins tout particuliers en ce moment.
Je vous remercie.
La séance s’achève à quatorze heures quarante-cinq.
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Présents. – M. Frantz Gumbs, M. Davy Rimane
Excusés. – M. Philippe Gosselin, Mme Nicole Sanquer, M. Jiovanny William