Compte rendu

Commission d’enquête
sur les dysfonctionnements
obstruant l’accès à une justice adaptée aux besoins
des justiciables ultramarins

– Audition, ouverte à la presse, de M. David Barjon, directeur général de l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ) 2

– Présences en réunion................................12

 


Jeudi
3 juillet 2025

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 5

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Frantz Gumbs,
Président de la commission

 


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La séance est ouverte à onze heures vingt.

M. le président Frantz Gumbs. Notre commission d’enquête a pour objet d’évaluer la mise en œuvre de la politique d’accès au droit et à la justice dans les territoires ultramarins et d’identifier précisément les obstacles qui subsistent pour assurer l’égal accès de tous nos concitoyens au droit et à la justice.

Cela nécessite des tribunaux accessibles, répondant à un maillage territorial pertinent et en état de fonctionnement. Cela suppose également un cadre bâti adapté aux contraintes, notamment climatiques et géologiques, du territoire d’implantation, ainsi qu’aux besoins de la population, parfois allophone.

Plusieurs projets immobiliers d’ampleur sont en cours de développement dans les outre-mer. L’Agence publique pour l’immobilier de la justice (Apij) en a la charge et joue à ce titre un rôle très structurant et concret dans l’accès au droit et à la justice. Il nous a donc semblé intéressant d’entendre dès le début de nos travaux son directeur général, M. David Barjon, architecte et urbaniste général de l’État, afin de dresser un état des lieux complet de ces projets.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. David Barjon prête serment.)

M. David Barjon, directeur général de l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (Apij). Le questionnaire que vous m’avez adressé servira de guide à mon intervention liminaire.

Je vais tout d’abord vous présenter l’Agence publique pour l’immobilier de la justice. Cela vous permettra d’identifier son rôle, son périmètre, son fonctionnement, mais aussi de comprendre pourquoi il me sera difficile de répondre à certaines questions.

L’Apij est un établissement public administratif sous la tutelle du ministère de la justice et du ministère des comptes publics. Elle bénéficie de 164 équivalents temps plein (ETP) et dispose d’un budget de fonctionnement d’environ 19 millions d’euros. Elle réalise pour le compte du ministère de la justice des opérations immobilières aussi bien judiciaires que pénitentiaires, correspondant au champ de compétences de ce dernier. Elle peut également effectuer des opérations pour d’autres ministères, dès lors que l’une des composantes du projet relève du ministère de la justice. En outre-mer, c’est le cas par exemple à Saint-Martin, où nous réalisons la cité administrative et judiciaire.

Nous ne nous occupons pas de l’ensemble des projets immobiliers du ministère de la justice ; seulement des plus grands. Aucun seuil n’est défini : cela est laissé à l’appréciation du ministère, mais notre organisation et nos compétences sont plutôt ciblées sur les grands projets. La zone Antilles-Guyane connaît toutefois une particularité, puisque compte tenu d’un déficit d’ingénierie en interne, notamment au ministère de la justice, nous y réalisons des prestations de moindre ampleur, comme de petites opérations de réhabilitation telles qu’un changement de groupe froid, chose que nous n’effectuons jamais dans l’Hexagone.

Au-delà de la construction elle-même, l’Apij joue auprès du ministère de la justice un rôle de conseil en matière immobilière. Nous élaborons ainsi les guides de programmation qui correspondent au cadre donné à la construction. Il s’agit par exemple de définir comment un palais de justice – il en irait de même dans le domaine pénitentiaire – doit fonctionner. Ces guides sont évidemment établis en collaboration avec la direction des services judiciaires et le secrétariat général du ministère, mais nous jouons une part active dans leur rédaction et leur actualisation. Un guide de programmation générique donne les orientations pour l’ensemble des palais de justice, qu’ils soient situés dans l’Hexagone ou en outre-mer. Puis nous élaborons pour chaque opération un guide spécifique au palais de justice et à la région concernés. Ainsi, les variations rencontrées dans une construction située outre-mer ne figurent pas dans le programme générique, mais dans le guide de programmation propre à l’opération, qui mentionne toutes les spécificités liées au territoire. Il n’existe pas de guide générique dédié aux outre-mer : ces territoires présentant chacun des spécificités, il n’était pas possible de produire un guide commun. Nous rédigeons donc pour chaque opération un guide tenant compte des spécificités du territoire concerné.

Votre questionnaire évoquait les défis rencontrés dans les outre-mer. La gouvernance de l’Apij est assurée par un conseil d’administration qui délibère sur des commandes passées par le ministère de la justice. Puis l’Agence exécute les délibérations votées. Nous n’avons donc pas de rôle en matière de stratégie immobilière à l’échelle d’une région par exemple. Il ne nous appartient pas de déterminer qu’il faudrait construire un palais de justice à tel endroit et de telle capacité : c’est le ministère de la justice qui exprime son besoin, par rapport à l’activité juridictionnelle et dans la zone géographique visée. Dans ce cadre, il est attendu de nous que nous menions l’opération en respectant les délais et les coûts fixés par le ministère et validés par le conseil d’administration, tout en garantissant la qualité d’exécution.

Face à ces enjeux, les défis que nous rencontrons en outre-mer sont de plusieurs ordres. Le premier concerne la partie foncière. Certains des territoires concernés sont accidentés et il est difficile de construire des bâtiments judiciaires, et plus encore pénitentiaires, dans les pentes ou les zones à risque. La géographie et la nature des risques, notamment naturels, que l’on trouve particulièrement en outre-mer sont un facteur limitant à la recherche foncière.

Nous sommes également confrontés à des difficultés de concurrence, avec d’éventuels effets sur le coût. Le nombre de candidats intéressés par les opérations que nous conduisons outre-mer est en effet souvent moitié moins élevé que celui observé pour les opérations menées dans l’Hexagone. Connaissant la problématique, nous essayons, grâce à une démarche de sourcing, de prendre contact avec les entreprises très en amont afin de les mobiliser pour qu’elles soient candidates à nos appels d’offres.

Se pose par ailleurs la question du coût, plus élevé en outre-mer que dans l’Hexagone. Les entreprises ont des contraintes objectives. La disponibilité des matériaux, tout comme leur acheminement, représente un coût supplémentaire. Le fait d’être contraint par l’existence d’un marquage Communauté européenne constitue également une difficulté. Des évolutions sont en cours, mais ne sont pas encore complètement opérationnelles : elles permettront aux entreprises qui réalisent nos projets de s’approvisionner dans une zone géographique plus proche, y compris si elle ne relève pas de la Communauté européenne. Ces pistes permettront peut-être de faire baisser les coûts dans les années à venir ; ce n’est pas encore le cas.

Les entreprises qui agissent pour nous sur ces territoires nous font en outre part de difficultés à recruter de la main-d’œuvre, aussi bien quantitativement que qualitativement. Ces pénuries de personnel jouent sur les délais, mais aussi sur la qualité des réalisations. Nous en connaissons malheureusement des exemples. Les difficultés de réalisation techniques combinées à un allongement des délais enchérissent le coût des chantiers.

Parmi les spécificités des outre-mer – je généralise le propos, il conviendrait bien évidemment d’analyser la situation territoire par territoire, car il existe des différences –, figurent aussi les crises territoriales, qui y sont plus régulières que dans l’Hexagone et ont un effet sur notre activité. Un mouvement des dockers par exemple freinera l’approvisionnement en matériaux et aura un impact sur les réalisations. De même, lorsque se produisent des manifestations de grande ampleur ou des émeutes, les chantiers s’arrêtent, voire subissent des dégradations, ce qui peut entraîner des dérapages en matière de délais et de coûts.

Le questionnaire évoque par ailleurs la couverture de l’outre-mer en infrastructures judiciaires. Plusieurs questions sont liées à leur répartition et à leur adéquation avec les territoires. Nous pouvons difficilement y répondre, puisque l’Apij n’a pas une vision globale de l’immobilier judiciaire. Nous avons une connaissance de chaque opération que nous menons et du territoire proche de son lieu d’implantation, mais ne sommes pas capables d’aller au-delà, sauf si nous avons reçu du ministère de la justice une commande de schéma directeur immobilier, généralement à l’échelle d’un ressort, afin d’examiner par exemple des optimisations immobilières ou une stratégie immobilière à développer. Dans ce cas seulement, nous disposons d’une vision presque globale de l’état de l’immobilier judiciaire sur ce ressort.

Nous constatons en revanche que l’immobilier judiciaire a tendance à se dégrader davantage en outre-mer que dans l’Hexagone. Cela est essentiellement lié aux conditions climatiques et à la qualité de l’exploitation et de la maintenance, les deux facteurs allant de pair.

Une fois dressé ce constat d’une spécificité de l’outre-mer, il convient de souligner que de très nombreux projets sont en cours pour remettre en état l’immobilier judiciaire ultramarin. Cela ne concerne pas tous les territoires. Aux Antilles et en Guyane par exemple, lorsque toutes les opérations auront été réalisées, le patrimoine judiciaire sera quasiment remis à neuf. Cela est moins vrai en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie. Un gros travail est effectué à l’échelle de certains territoires et va améliorer considérablement l’infrastructure immobilière judiciaire.

Nous ne pouvons pas répondre à votre question sur le maillage géographique des juridictions, puisque ce dernier n’est pas établi par l’Apij mais par le secrétariat général du ministère en lien avec la direction des services judiciaires. Nous pouvons néanmoins signaler une évolution dans au moins un territoire d’outre-mer, la Guyane : le chantier de la cité du ministère de la justice devrait en effet démarrer bientôt à Saint-Laurent-du-Maroni, dans un secteur couvert auparavant par Cayenne, mais pour lequel la réalisation d’un tribunal de plein exercice va constituer une offre nouvelle. J’imagine que le ministère a veillé à mettre parfaitement en adéquation les besoins de ce territoire avec l’infrastructure à venir.

Vous posez par ailleurs la question du recrutement, de la fidélisation des personnels et du lien entre l’attractivité d’un territoire et la qualité de l’outil immobilier. J’ignore dans quelle proportion, mais il me semble évident que ces éléments sont liés. Je ne ferais toutefois pas nécessairement de différence sur ce point entre l’outre-mer et l’Hexagone : tous les personnels souhaitent travailler avec un outil moderne, leur offrant une qualité de vie au travail propice à l’exercice de leurs missions. Nous ne disposons pas sur ce sujet des éléments nous permettant d’effectuer des comparaisons entre territoires d’outre-mer.

Il est également compliqué d’établir des comparaisons entre territoires sur la question budgétaire, dans la mesure où l’Apij ne s’occupe que d’un volet de la partie immobilière. Le ministère dispose en effet de crédits qu’il utilise en outre-mer dans le domaine immobilier et sur lesquels nous n’avons pas nécessairement de visibilité. Cela concerne notamment le gros entretien renouvellement.

La priorisation des projets entre l’Hexagone et les outre-mer ou entre les territoires ultramarins ne relève pas non plus de l’Apij. Ce travail est effectué par le ministère de la justice, qui nous passe ensuite commande d’une ou plusieurs opérations.

Le lien avec les territoires s’effectue de l’amont à l’aval. En amont des projets, cela concerne la recherche de foncier. Nous travaillons avec les acteurs locaux, c’est-à-dire aussi bien avec les services déconcentrés de l’État qu’avec les collectivités locales, pour trouver les terrains adaptés au cahier des charges. Nous associons par ailleurs les collectivités au choix du projet, notamment de l’architecte, dans le cadre de commissions ou de jurys que nous organisons. Il existe donc une concertation.

Pendant la réalisation de chaque projet, des interfaces ont nécessairement lieu avec les collectivités pour tous les éléments relevant de leurs compétences, qu’il s’agisse de l’accès, de la voirie ou du réseau notamment.

Une autre spécificité ultramarine, dont il existe un exemple en Guyane, réside dans la mise en place, compte tenu des défis précédemment évoqués, d’une cellule socio-économique rassemblant sous l’autorité du préfet l’ensemble des acteurs intéressés, impliqués ou concernés par le projet, afin d’anticiper les problèmes potentiels, parmi lesquels la formation de la main-d’œuvre ou l’accueil des compagnons intervenant sur le chantier. Le chantier de Saint-Laurent-du-Maroni va ainsi mobiliser sur le site jusqu’à 400 personnes, qu’il va notamment falloir loger. Viendront ensuite les personnels. La cellule socio-économique explore l’ensemble des questions soulevées en amont du chantier. Cela concerne également le recours aux matériaux locaux, qui est une bonne chose mais nécessite de sécuriser le niveau de production. Cela est important sur des chantiers de cette ampleur. La concertation avec les acteurs locaux est donc large et s’effectue à différents niveaux.

Concernant la conception des palais de justice, j’aimerais là aussi évoquer certaines spécificités des territoires ultramarins, où l’activité juridictionnelle est parfois très différente de celle rencontrée dans l’Hexagone. L’activité pénale notamment peut y être bien supérieure. Nous adaptons par conséquent les programmes spécifiques, en prévoyant par exemple, dans certains projets, davantage de salles pénales, de salles d’assises et des boxes conçus différemment, pour accueillir un grand nombre de prévenus.

Comme certains publics viennent de loin, pour la journée, il faut être en mesure de les accueillir, notamment grâce à une offre de restauration sur place et à des parkings – lorsque les transports en commun ne sont pas assez développés, les gens viennent en voiture. Alors qu’on n’aurait pas forcément prévu des parkings dans l’Hexagone, on le fait dans les territoires ultramarins, même si la question du foncier y est compliquée. Il faut aussi des protections contre les intempéries et le soleil, comme les carbets en Guyane.

Il existe également des spécificités, en matière de RH comme de locaux, liées à la présence de publics allophones. Il faut des locaux pour les interprètes et la signalétique fait l’objet d’un travail spécifique. Nous utilisons plutôt des pictogrammes et, en complément, un accueil directionnel.

En matière de sécurisation des palais de justice, nous avons réalisé des travaux complémentaires en Martinique, par exemple, à la suite des émeutes. Les expériences acquises dans les différents territoires d’outre-mer nous servent à adapter nos programmes spécifiques au fur et à mesure.

Je pourrai, à l’issue de cette audition, vous adresser une note écrite.

M. le président Frantz Gumbs. Merci pour ces explications qui, me semble-t-il, ont le mérite d’être claires.

Attribuez-vous des marchés de conception-réalisation, séparez-vous ces deux aspects ou bien faites-vous vous-mêmes les plans d’architecture ?

M. David Barjon. S’agissant des outre-mer, nous recourons majoritairement à des marchés globaux de performance – conception, réalisation, exploitation et maintenance – en lien avec les défis que j’ai évoqués.

Les difficultés, importantes, d’approvisionnement n’ont pas seulement des conséquences en matière de coûts : elles causent, par ailleurs, des retards importants. Quand on utilise ce type de marché, on a tout de suite le concepteur mais aussi les autres entreprises : on peut donc anticiper en ce qui concerne les approvisionnements.

J’ai également parlé des difficultés d’exploitation et de maintenance. L’avantage de ces marchés est de mettre tout de suite le mainteneur dans le groupement. On peut ainsi prendre en compte dès la conception ses besoins au niveau technique et ce qu’il sera ensuite capable de faire. En effet, il ne sert à rien de prévoir des systèmes hypersophistiqués si, par la suite, le mainteneur n’arrive pas à se les approprier. Il vaut mieux développer des solutions simples, qui seront durables et que le mainteneur pourra maîtriser. Tout cela est facilité par le recours aux marchés globaux.

M. Davy Rimane, rapporteur. Vous avez dit ne pas être en mesure d’établir un comparatif entre les différents territoires pour ce qui est du patrimoine immobilier du ministère de la justice, parce que vous n’avez pas tous les éléments. Lors de son audition, le secrétaire général adjoint du ministère nous a pourtant dit de vous poser la question, car vous seriez plus à même d’y répondre. À qui devons-nous nous adresser pour avoir des réponses sur ce point ?

M. David Barjon. Prenons le cas de la Guyane. Ce que nous connaissons bien, ce sont les opérations qui seront mises en chantier ou qui font l’objet d’études préalables. En revanche, nous n’avons pas d’éléments concernant les locaux actuellement occupés par le ministère de la justice. Nous n’assurons pas l’exploitation et la maintenance, pas même s’agissant des opérations que nous réalisons. Les marchés globaux de performance incluent cette partie, mais elle relève ensuite du ministère. Nous préparons le marché, puis nous l’exécutons ; à partir de l’exploitation et de la maintenance, il est repris et suivi par le secrétariat général.

Nous avons une visibilité sur nos opérations : nous pouvons faire, en ce qui les concerne, des comparaisons entre la Guyane et la Martinique, par exemple ; en revanche, nous ne pouvons pas faire de comparaison entre les territoires pour ce qui est du patrimoine immobilier de la justice. L’Apij – je suis catégorique sur ce point – ne le peut pas, parce qu’elle n’a pas tous les éléments nécessaires.

M. Davy Rimane, rapporteur. À qui devons-nous donc nous adresser au sein du ministère ?

M. David Barjon. C’est le service de l’immobilier ministériel, le SIM, qui a, au sein du secrétariat général, une vision globale dans ce domaine. Il a non seulement des données concernant l’existant mais aussi nos propres données – nous les lui fournissons pour toutes nos réalisations.

M. Michaël Taverne (RN). J’ai eu l’occasion de m’intéresser en tant que rapporteur, sous la précédente législature, à la problématique que constitue l’attribution des marchés publics pour la DRHFS (direction des ressources humaines, des finances et des soutiens) du ministère de l’intérieur. Pensez-vous qu’il faudrait un assouplissement ? Certaines entreprises potentiellement très compétentes, sur le plan technique, pour ce qui est de l’outre-mer, ne peuvent pas concourir en raison des normes et de la réglementation auxquelles elles sont confrontées. Elles abandonnent, contrairement à de plus grosses entreprises.

M. David Barjon. C’est une vaste question. Nos marchés représentent des sommes importantes. Il est donc nécessaire que les entreprises aient les reins suffisamment solides et qu’elles aient déjà réalisé des opérations de nature équivalente. Cela fait partie de nos critères, afin de sécuriser les opérations. Il est dès lors évident que certaines entreprises ne peuvent pas se présenter, du moins comme mandataires, c’est-à-dire en tant qu’entreprises principales. Elles n’ont pas une surface financière suffisante ou les compétences demandées. On peut en revanche les retrouver parmi les sous-traitants. Les majors du BTP se portent candidates pour nos opérations, mais des entreprises locales le font aussi de temps en temps, et nous pouvons les retenir, non pas pour les marchés pénitentiaires, dont l’ampleur est encore plus grande, mais pour les marchés judiciaires.

Au-delà de la question de l’accès à la commande publique, pour nos opérations, il faudrait peut-être commencer par résoudre les difficultés que j’ai évoquées tout à l’heure. L’entreprise mandataire pour la cité administrative et judiciaire de Saint-Martin est locale – elle est antillaise. Bien qu’elle ne soit pas de petite taille, elle a des difficultés, puisqu’elle est actuellement en redressement. Nous avons donc aussi, par ricochet, une difficulté.

Je suis conscient de ne pas vous répondre entièrement, mais nous sommes moins préoccupés par l’évolution de la commande publique que par les difficultés que rencontrent les entreprises. La question, pour nous, serait plutôt de savoir comment solidifier les entreprises locales afin de leur permettre de répondre plus facilement à nos appels d’offres. Elles n’en sont pas exclues, je l’ai dit : comme nous retenons des groupements d’entreprises, on les retrouve souvent non pas en tant que mandataires, mais dans le groupement, en cotraitance ou sous-traitance. Elles sont en général présentes : à ma connaissance, nous ne menons pas, dans l’outre-mer, de chantier uniquement avec des entreprises hexagonales. Il y a toujours au moins une entreprise locale dans nos opérations actuelles.

M. Élie Califer (SOC). Même si vous avez presque répondu, par anticipation, à toutes les questions que nous nous posions, j’aimerais savoir quels sont les surcoûts liés aux difficultés et aux particularités que vous avez évoquées.

Quelles commandes, s’agissant de l’outre-mer, avez-vous en stock ?

L’opération concernant Basse-Terre a été confiée à une entreprise installée chez nous, mais qui a une dimension nationale. Nous avons de grosses entreprises, mais ce sont souvent de grandes succursales d’autres entreprises. Par ailleurs, il ne faut pas nier la partie formation et qualifications : il y aurait des efforts à faire dans ce domaine.

Je pense que nous sommes tous satisfaits de voir que vous prenez en compte les spécificités. Néanmoins, il va falloir trouver des solutions pour traiter les blocages. J’aimerais savoir comment on pourrait accélérer les choses, mais je comprends que vous faites partie d’une chaîne : on vous passe des commandes et vous vous occupez de la réalisation – nous pensions que vous aviez la main.

M. David Barjon. Les surcoûts sont variables selon les territoires. Je vais vous donner quelques chiffres, qui sont à prendre avec des précautions parce que nous n’avons pas un échantillon statistique suffisant – nous ne réalisons pas dix opérations dans chaque territoire, mais plutôt une seule en général. Les surcoûts par rapport à l’Hexagone vont de 60 à 100 %.

Je vais citer les noms des entreprises retenues en Guadeloupe, à Basse-Terre – ils sont de toute façon publics et il ne faudra pas y voir une forme de publicité. Pour la maison d’arrêt de Basse-Terre, il s’agit de Bouygues – une major –, en cotraitance avec ICM, qui est une entreprise locale. On trouve le même cas de figure à Baie-Mahault. S’agissant de Saint-Martin, ICM est la seule entreprise mandataire : il n’y a pas d’entreprise nationale, de major. En Martinique, la SAS (structure d’accompagnement vers la sortie) de Ducos est réalisée par Comabat – ce n’est pas une opération judiciaire, mais un établissement pénitentiaire de taille intermédiaire, qui représente quelques dizaines de millions d’euros.

M. Élie Califer (SOC). Et qu’en est-il des commandes ?

M. David Barjon. Nous avons un chantier en cours, celui de la cité administrative et judiciaire de Saint-Martin.

D’autres opérations sont également en cours mais sans que les chantiers aient encore commencé. D’ailleurs, il devrait y avoir quelques décalages liés au contexte budgétaire, pour permettre un lissage des engagements du ministère de la justice.

Cela concerne notamment le palais de justice de Basse-Terre et le palais historique de Pointe-à-Pitre.

En Martinique, la réhabilitation et l’extension du tribunal judiciaire de Fort-de-France sont au stade des études préalables.

En Guyane, deux chantiers devraient démarrer très prochainement, celui de la cité judiciaire de Cayenne et celui de la cité du ministère de la justice à Saint-Laurent-du-Maroni. La phase de préparation de chantier est prévue pour cet été.

À Mayotte, nous avons réalisé les études préalables concernant la cité judiciaire de Mamoudzou. Néanmoins, nous ne savons pas si l’opération va se poursuivre sous la forme qui a été étudiée, compte tenu des discussions budgétaires entre le ministère de la justice et Bercy, auxquelles l’Apij n’est pas partie – nos informations ne sont donc pas forcément actualisées au jour le jour. Ces discussions auront une influence sur la programmation immobilière : certaines opérations pourraient être décalées dans le temps, faute de disponibilités budgétaires. S’agissant de la cité judiciaire de Mamoudzou, un bien foncier a été identifié, mais non acquis. L’évaluation financière est élevée, ce qui pose une question du côté du ministère de la justice.

En ce qui concerne La Réunion, nous avons une commande d’études préalables pour la réhabilitation du tribunal judiciaire de Saint-Denis.

En Nouvelle-Calédonie, c’est d’un schéma directeur qu’il s’agit, c’est-à-dire d’études visant à définir les investissements immobiliers à réaliser dans un ressort.

En Polynésie, nous avions fait des études et lancé un concours pour une nouvelle cité judiciaire à Papeete. À ce stade, dans le cadre des discussions budgétaires en cours, l’opération est suspendue. Nous avons gagné le contentieux portant sur le jury de candidature, mais l’opération s’est arrêtée là pour l’instant.

M. le président Frantz Gumbs. Vous avez fait le tour de tous nos pays, je vous en remercie. Un détail : la prison de Basse-Terre sera-t-elle livrée dans les prochains jours ?

M. David Barjon. Plusieurs phases sont prévues. La première, celle de l’extension, avec une construction neuve, s’achèvera bientôt – cet été. En revanche, je ne connais pas la date de la mise en service. Une fois que la première phase sera terminée, il faudra faire basculer les détenus pour réhabiliter l’existant.

M. le président Frantz Gumbs. Pouvez-vous nous dire si à chaque tribunal judiciaire correspond, dans les faits ou dans les règles, un établissement pénitentiaire ?

M. David Barjon. Je crains d’être inexact.

M. le président Frantz Gumbs. La décision de scinder en deux le tribunal judiciaire de Basse-Terre serait quelque part dans les tuyaux, comme on dit. Il s’agirait de créer un tribunal judiciaire pour la Guadeloupe et un autre pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Cela ne relève pas de votre compétence, bien sûr, mais la question, que je reposerai dans un autre cadre, était dès lors de savoir si on met une prison en parallèle de chaque tribunal judiciaire.

Quelle est la composition de votre conseil d’administration ?

M. David Barjon. Il est présidé par un conseiller maître à la Cour des comptes et constitué, d’une part, par des représentants de nos ministères de tutelle – issus de l’administration pénitentiaire, des services judiciaires et du secrétariat général, pour le ministère de la justice, ainsi que du ministère du budget – et, d’autre part, de personnalités qualifiées – des directeurs interrégionaux des services pénitentiaires, procureurs généraux ou premiers présidents de cour d’appel et des personnes désignées pour leurs compétences dans d’autres domaines, venant de la direction de l’immobilier de l’État ou encore du ministère de la transition écologique.

M. Davy Rimane, rapporteur. J’aimerais mieux comprendre le fonctionnement du CA au sujet des commandes, d’autant que vos propos et ceux du secrétaire général adjoint du ministère de la justice divergent. Pourquoi le conseil d’administration doit-il délibérer sur la commande faite par le ministère puisque celle-ci s’accompagne d’une enveloppe budgétaire déjà définie ?

Vous avez mentionné des coûts de construction plus importants en outre-mer. Lors de l’élaboration du projet, les réalités environnementales, climatiques, géologiques de chaque territoire sont-elles prises en compte ? Nous nous rendons compte que les bâtiments vieillissent très mal, parce que les matériaux choisis n’étaient pas appropriés, ce qui renchérit le coût de la maintenance. Ces retours d’expérience sont-ils pris en compte ?

Selon un rapport parlementaire, il est question de créer une cellule spécifique à l’immobilier outre-mer, à l’image du service immobilier placé auprès du secrétariat général. Où en est ce projet ?

M. David Barjon. Le conseil d’administration évalue d’abord la capacité de l’Apij à exécuter la commande dans les conditions fixées par le ministère, notamment en matière de délai. Il évalue ainsi les moyens en ressources humaines et les éléments budgétaires dans leur ensemble. Il peut arriver que Bercy, qui est représenté au conseil d’administration, s’exprime pour indiquer que l’opération ne lui paraît pas réalisable compte tenu de la chronique budgétaire. Cette évaluation par le conseil d’administration permet donc de sécuriser les opérations de l’Apij.

M. Davy Rimane, rapporteur. Je n’imagine pas que le ministère puisse faire une commande hors de tout contexte budgétaire, que ce soit sur un ou plusieurs exercices. J’essaie de comprendre la pertinence du recours au conseil d’administration de l’Apij. Arrive-t-il qu’il refuse une commande faite par le ministère ?

M. David Barjon. Il peut arriver que l’Apij refuse une commande, mais elle le fait lors d’une réunion préparatoire au conseil d’administration. En général, on n’expose pas en conseil d’administration des délibérations qui poseraient un vrai problème ; nous les avons traitées en amont.

Un budget est en effet alloué à chaque opération. Sa soutenabilité budgétaire est évaluée à l’année, mais le ministère du budget regarde aussi les décaissements à venir les années suivantes. Les appréciations du ministère de la justice et de Bercy sur la gestion de crédits au-delà de l’annualité budgétaire peuvent diverger. Il peut donc arriver que certains dossiers présentés par le ministère de la justice à la suite d’un engagement politique, par exemple, ne soient pas soumis à la délibération du conseil d’administration parce que Bercy a identifié un problème de budget global. Cela arrive plus souvent aujourd’hui que lorsque la situation budgétaire était stable. Dans le contexte tendu que nous connaissons actuellement, il y a d’autant plus de discussions entre les deux ministères.

En outre-mer, le sujet environnemental est au moins aussi prégnant qu’en Hexagone, voire plus. Nous prenons en compte les questions liées au climat et aux matériaux dès le début. Ainsi, dans nos appels d’offres en outre-mer, nous demandons des références attestant que le groupement d’entreprises possède des compétences qui lui permettront de traiter des problématiques spécifiques à l’outre-mer en général et parfois au territoire en particulier.

Nos réalisations tiennent donc compte des conditions environnementales et climatiques. C’est le cas notamment à Saint-Laurent-du-Maroni, où les établissements pénitentiaire et judiciaire ont été conçus en fonction de l’orientation des vents, pour assurer une meilleure ventilation naturelle, et de leur exposition aux pluies, pour mieux les protéger. Leurs matériaux de construction – terre crue et bois – sont locaux, dans la mesure de la capacité locale de production. En Guyane, où le chantier va démarrer, nous nous sommes assurés que les prestataires avaient les compétences et l’expérience nécessaires dans ce domaine. Nos cahiers des charges fixent des objectifs bien particuliers pour chacune des opérations.

S’agissant de l’existence d’une cellule spécifique à l’outre-mer, nous disposons d’une antenne en Guadeloupe pour couvrir la zone des Antilles. Pour les autres territoires, les dossiers sont traités en majeure partie depuis Paris et un assistant à maîtrise d’ouvrage assure une présence locale. Nous pouvons faire beaucoup de choses depuis Paris, mais certaines phases requièrent une présence locale. Nos équipes se déplacent d’ailleurs régulièrement. Je précise que notre antenne en Guadeloupe est composée de deux équipes opérationnelles sur les douze de l’Agence. Cette présence aux Antilles s’explique par l’activité importante dans la région.

M. Élie Califer (SOC). Le palais de justice de Basse-Terre a été construit après le passage du cyclone de 1928. J’ai visité la parcelle où doit être édifié le nouveau bâtiment. Les opérations vont-elles bientôt démarrer ou sont-elles encore susceptibles de subir des arbitrages budgétaires ? Cela risquerait de décevoir nos autorités judiciaires.

M. David Barjon. Nous nous sommes arrêtés après avoir retenu l’architecte. Une discussion sur le décalage calendaire de la réalisation du projet est en cours. Je ne peux pas vous donner plus de précisions, car cette décision relève du ministère, qui la prendra en fonction de la planification budgétaire et immobilière.

M. le président Frantz Gumbs. Les autorités locales de Saint-Martin ont exprimé la nécessité de disposer d’un établissement pénitentiaire adapté à la taille de ce petit territoire. Avez-vous été informé de cette demande ?

M. David Barjon. Nous n’avons pas de commande pour un tel établissement.

M. Davy Rimane, rapporteur. Je reste un peu sur ma faim. J’ai vraiment du mal à saisir la logique de fonctionnement du CA de l’Apij, d’autant plus si les délibérations gênantes en sont exclues et que les discussions ont lieu en amont. Qu’est-il d’autre finalement qu’une simple chambre d’enregistrement ? C’est en fait toute l’organisation autour de la commande qui m’interpelle.

M. le président Frantz Gumbs. Monsieur Barjon, je vous remercie d’avoir répondu à nos questions avec toute la transparence que vous pouviez. N’hésitez pas à nous transmettre les documents que vous jugeriez utiles.

 

La séance s’achève à douze heures trente-cinq.

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Membres présents ou excusés

Présents. – M. Elie Califer, M. Frantz Gumbs, M. Davy Rimane, M. Michaël Taverne

Excusés. – M. Philippe Gosselin, Mme Nicole Sanquer, M. Jiovanny William