Compte rendu

Commission d’enquête
sur les dysfonctionnements
obstruant l’accès à une justice adaptée aux besoins
des justiciables ultramarins

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :

- Mme Fabienne Le Roy, première présidente de la cour d’appel de Saint-Denis

- Mme Fabienne Atzori, procureure générale près la cour d’appel de Saint-Denis

- Mme Emmanuelle Wacongne, présidente du tribunal judiciaire de Saint-Denis

- Mme Véronique Denizot, procureure de la République près le tribunal judiciaire de Saint-Denis

- Mme Ludivine Lo Bono, directrice de greffe du tribunal de Saint-Denis

- M. Bertrand Pagès, président du tribunal judiciaire de Saint-Pierre

- M. Olivier Clémençon, procureur de la République près le tribunal de Saint-Pierre 2

– Présences en réunion................................22

 


Lundi
22 septembre 2025

Séance de 13 heures

Compte rendu n° 21

session 2024-2025

Présidence de
M. Frantz Gumbs,
Président de la commission

 


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La séance est ouverte à treize heures vingt.

M. le président Frantz Gumbs. Notre commission d’enquête, qui a pour objet d’évaluer la mise en œuvre de la politique d’accès au droit et à la justice dans les territoires ultramarins et d’identifier les obstacles qui subsistent dans ces territoires pour assurer l’égalité de tous nos concitoyens dans ce domaine, entendra aujourd’hui les chefs de cour et de juridiction de La Réunion, pour évoquer la situation dans ce département.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Fabienne Le Roy, Mme Fabienne Atzori, M. Bertrand Pagès, Mme Ludivine Lo Bono, Mme Emmanuelle Wacongne, Mme Véronique Denizot et M. Olivier Clémençon prêtent successivement serment.)

Mme Fabienne Le Roy, première présidente de la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion. Le ressort de la cour d’appel de Saint-Denis est composé, pour le département de La Réunion, de deux tribunaux judiciaires, ceux de Saint-Denis et de Saint-Pierre, qui comprennent chacun un conseil des prud’hommes, un tribunal mixte de commerce, ainsi que des juridictions de proximité. Le tribunal judiciaire de Saint-Denis compte notamment deux tribunaux de proximité, l’un à Saint-Benoît, l’autre à Saint-Paul.

Les deux tribunaux judiciaires comptent chacun dans leur ressort un établissement pénitentiaire et une antenne de la PJJ (protection judiciaire de la jeunesse). L’accès au droit est géré par la présidente du tribunal de Saint-Denis, qui préside le CDAD (conseil départemental de l’accès au droit), la procureure de la République étant vice-présidente.

Au sein de la cour d’appel, une conseillère est magistrate déléguée à la politique associative ; une substitute générale occupe les mêmes fonctions. En matière d’accès au droit, les relations avec le ministère et le financement sont donc gérés par la cour d’appel par l’intermédiaire de ces magistrats délégués.

La juridiction de la cour d’appel compte dix-huit magistrats du siège et cinq magistrats placés auprès de moi, que je répartis au sein de quatre juridictions – la cour d’appel, le tribunal de Saint-Denis, celui de Saint-Pierre et celui de Mamoudzou.

La cour d’appel est compétente pour juger en appel l’ensemble des décisions rendues en première instance à La Réunion, mais aussi les décisions des juges d’instruction et des juges des libertés et de la détention rendues à Mayotte, à travers la chambre de l’instruction. Les autres décisions rendues à Mayotte sont traitées par la chambre d’appel de Mayotte.

La cour d’appel s’appuie sur un greffe et sur le SAR (service administratif régional). Ce service important a été renforcé après le passage du cyclone Chido, de même que les effectifs de nos cabinets.

Les difficultés à La Réunion ne sont pas tout à fait les mêmes qu’à Mayotte. Ces deux départements sont confrontés à des problèmes d’effectifs et à des difficultés bâtimentaires, mais pour des raisons différentes.

Nous ne devons pas oublier les juridictions de La Réunion. Il est de notre responsabilité qu’elles ne soient pas sacrifiées au profit de celles de Mayotte.

Mme Fabienne Atzori, procureure générale près la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion. Précisons que le département compte en réalité trois établissements pénitentiaires : un à Saint-Pierre – une maison d’arrêt – et deux dans le ressort du tribunal judiciaire de Saint-Denis – le centre pénitentiaire de Domenjod et le centre de détention du Port. Nous connaissons une vraie pression en matière de population carcérale.

Pour la cour d’appel, aux cinq magistrats du parquet général, il faut ajouter quatre magistrats placés, puisque nous avons bénéficié d’une création de poste de substitut placé au mois de septembre.

La situation dans les tribunaux judiciaires est contrastée. La circulaire de localisation des emplois de magistrats et de fonctionnaires prévoit dix emplois pour le parquet de Saint-Denis ; neuf sont actuellement pourvus. Les sept emplois prévus pour le parquet de Saint-Pierre sont quant à eux pourvus.

Mme Emmanuelle Wacongne, présidente du tribunal judiciaire de Saint-Denis de La Réunion. Le tribunal judiciaire de Saint-Denis compte en théorie trente-trois magistrats du siège et dix magistrats du parquet, mais un poste est vacant au siège et un autre au parquet. Les deux tribunaux de proximité qui en dépendent sont situés à Saint-Paul, à l’ouest, et à Saint-Benoît, à l’est. Grâce à cette présence aux quatre points cardinaux, la justice est représentée sur l’ensemble du territoire.

Depuis maintenant deux ans, nous organisons des audiences d’assistance éducative dans le tribunal de proximité de Saint-Paul. Les juges des enfants s’y rendent avec leur greffe deux fois par mois afin que les justiciables résidant dans les Hauts de Saint-Paul, de Saint-Gilles, du Port ou de La Possession n’aient pas à faire la route jusqu’à Saint-Denis. De fait, les embouteillages sont fréquents et les conditions de circulation difficiles.

Des magistrats du tribunal de proximité de Saint-Paul, avec l’appui du greffe de ce tribunal, tiennent également des audiences délocalisées en matière d’affaires familiales. Nous avons lancé ce projet après avoir consulté les élus – notamment ceux de la mairie de Saint-Paul – lors d’un conseil de juridiction. Ceux-ci nous ont donné leur accord.

Le territoire de Saint-Benoît est fragilisé par la délinquance et a été particulièrement marqué par le passage du cyclone Chido. Nous projetons de la même façon d’y organiser des audiences délocalisées en matière d’affaires familiales et des audiences foraines en matière d’assistance éducative. Toutefois, dans le cadre d’un projet immobilier, le tribunal de Saint-Benoît a été démoli. Il ne reste qu’une salle d’audience vétuste – la mairie de Saint-Benoît accueille les bureaux du personnel et des magistrats jusqu’à la fin des travaux de reconstruction du tribunal. Pour l’heure, les conditions de sécurité des agents et des justiciables ne permettent donc pas d’accueillir des audiences foraines ou délocalisées dans ce tribunal. Nous attendons les crédits pour y remédier.

M. Olivier Clémençon, procureur de la République près le tribunal de Saint-Pierre de La Réunion. Près de 40 % de la population de l’île de La Réunion résident dans le ressort du tribunal de Saint-Pierre. Celui-ci compte dix points justice, où est délocalisée une petite partie de l’activité pénale de justice de proximité, grâce à six délégués du procureur et une association habilitée comme déléguée du procureur.

Alors que l’île de La Réunion est très étendue et que certaines zones sont difficilement accessibles, les points justice permettent un accès de proximité à une réponse pénale de premier niveau – les avertissements pénaux probatoires, les classements des affaires sous condition et les médiations pénales. Dans chaque point justice se tient au minimum une séance par mois ; parfois deux. Les délégués et les associations habilitées se déplacent d’un point à l’autre pour couvrir l’intégralité du ressort.

Les points justice ont l’avantage de rapprocher la justice de nos concitoyens. Toutefois, par rapport aux tribunaux, ils font perdre en solennité – les justiciables qui s’y rendent n’ont pas forcément l’impression d’être dans un lieu de justice, d’autant que les points justice servent également à donner des informations juridiques ou administratives. Il faut donc trouver un équilibre en matière de déconcentration judiciaire. C’est la raison pour laquelle nous ne délocalisons que les réponses de premier niveau, pour les infractions les plus faibles.

Les procédures de composition pénale – qui relèvent d’un niveau supérieur de réponse pénale – sont toutes menées à Saint-Pierre. Nos concitoyens doivent donc se rendre dans cette ville, même si je connais votre préoccupation à ce sujet. De fait, à La Réunion, comme dans d’autres territoires ultramarins, le manque de transports en commun peut poser problème. Il peut être difficile d’aller jusqu’à Saint-Pierre pour les habitants des Hauts.

Saint-Pierre n’échappe pas aux difficultés des autres tribunaux en matière d’audiencement des dossiers. Les justiciables sont convoqués tôt le matin, alors que leur affaire ne sera peut-être traitée que tard le soir. Le problème prend même un relief particulier à Saint-Pierre, au vu des difficultés de transport.

J’ai exercé dans un territoire qui connaît les mêmes problèmes, le Cantal. Là-bas aussi, certains justiciables doivent rouler une heure ou une heure et demie dans des conditions météorologiques parfois compliquées pour accéder au tribunal.

Mme Emmanuelle Wacongne. Pour compléter mon propos précédent, dans les points justice, nous organisons des permanences gratuites d’avocats, lesquels sont rémunérés par le CDAD. Nous organisons en outre des permanences d’aide aux victimes et des journées d’accès au droit dans l’ensemble du territoire. Il y en a eu onze en 2025, soit près d’une par mois, dans différentes communes. Samedi prochain, ce sera Saint-Paul ; il y a quinze jours, c’était Salazie – pour la première fois, d’ailleurs.

Ces journées permettent de regrouper différents intervenants : des avocats, des notaires, des huissiers, des conciliateurs et des représentants du Défenseur des droits, des associations de consommateur, de la DRFIP (direction régionale des finances publiques), de la CAF (caisses d’allocations familiales), de France Travail, de la CGSS (caisse générale de sécurité sociale), du conseil départemental, de l’inspection du travail ou de l’Iedom (Institut d’émission des départements d’outre-mer).

La fréquentation moyenne de ces journées est de 2 500 personnes. Elle est particulièrement élevée à Saint-Paul.

Pour un territoire plus isolé ou enclavé comme Mafate, nous organisons chaque année deux randonnées du droit – dont la finalité est évidemment professionnelle et non sportive. Lors de chaque randonnée, des notaires, des représentants de l’Office national des forêts (ONF) – dont la présence est justifiée par les nombreux problèmes de propriété ou de concession des parcelles –, des avocats, des huissiers, des conciliateurs et, éventuellement, des magistrats, visitent deux îlets.

Pour l’heure, une randonnée du droit dépend de la commune de Saint-Paul et l’autre de La Possession. La création d’une randonnée commune à ces deux collectivités est projetée, mais ce ne sera pas possible cette année, car la randonnée d’octobre devra être annulée, faute de crédits.

Les randonnées sont très suivies par la population et bien préparées en amont. Quand les professionnels se déplacent, ils répondent à une demande.

M. le président Frantz Gumbs. Vous citez le chiffre de 2 500 personnes. Est-ce la fréquentation moyenne annuelle des journées d’accès au droit ?

Mme Emmanuelle Wacongne. Non, c’est la fréquentation totale d’une seule journée, en moyenne. À Saint-Paul, la commune la plus étendue de l’île, il peut y avoir 1 500 ou 2 000 personnes en une journée ; c’est moins à Salazie.

M. le président Frantz Gumbs. Trouvez-vous toujours des volontaires pour participer aux randonnées du droit ? Combien de temps durent ces randonnées ?

Mme Emmanuelle Wacongne. Oui, nous trouvons toujours des volontaires, dans toutes les professions, pour délivrer des conseils juridiques gratuits et désenclaver Mafate.

Les randonnées durent deux jours. Les participants dorment en général dans un gîte dans l’un des îlets. Cette action est financée par le CDAD.

M. le président Frantz Gumbs. C’est un modèle très innovant, qui permet de s’adapter aux spécificités du terrain.

Mme Véronique Denizot, procureure de la République près le tribunal judiciaire de Saint-Denis de La Réunion. Le parquet de Saint-Denis compte dix magistrats ; un poste n’est pas pourvu. Une création de poste a été envisagée dans la circulaire de localisation des emplois de magistrats et de fonctionnaires de 2027. L’équipe autour des magistrats s’est renforcée ces dernières années, grâce à la création de postes d’attaché de justice, notamment en matière de violences intrafamiliales.

Le parquet de Saint-Denis manque d’effectifs, au regard des contentieux qu’il traite. Même si, à La Réunion, les chiffres de la délinquance sont maîtrisés et le ratio d’actes de délinquance par habitant est plutôt bien orienté, la nature des contentieux suppose une implication et un travail plus importants des magistrats. De fait, La Réunion est le deuxième département de France pour les violences intrafamiliales. Les magistrats du parquet doivent ainsi traiter non seulement la garde à vue de l’auteur de l’infraction pénale, mais également la protection de la victime et le devenir des enfants. De telles procédures impliquent, en plus des magistrats du parquet, ceux du siège ainsi que les greffiers. Des circuits de traitement ont donc été créés au sein de la juridiction.

Par ailleurs, l’évolution des contentieux et de la délinquance impose un traitement plus important de certaines affaires par les magistrats. Depuis 2022, nous constatons une augmentation des infractions à la législation sur les stupéfiants et les trafics de drogues, avec l’arrivée d’un grand nombre de mules par voie aérienne. Les contentieux économiques et financiers d’atteinte à la probité, qui supposent un traitement approfondi, sont importants. Actuellement, le parquet de Saint-Denis est insuffisamment doté pour faire face à l’ensemble de ces missions.

Le tissu associatif de La Réunion est très riche. Nous disposons de nombreux partenaires en matière de prévention de la délinquance et pour différents sujets sociétaux. Les magistrats du parquet sont très sollicités, notamment pour la prévention de la délinquance, mais, faute de disponibilités, nous devons souvent nous concentrer sur notre cœur de métier, le traitement des affaires pénales et les audiences.

M. le président Frantz Gumbs. Vous indiquez que le ratio d’actes de délinquance par habitant est « bien orienté ». Qu’entendez-vous par là ?

Mme Véronique Denizot. C’est-à-dire qu’il est plutôt bon. La délinquance est contenue ; les chiffres ne s’envolent pas. Alors que La Réunion est le département d’outre-mer le plus peuplé, les actes de délinquance y sont plutôt moins fréquents que dans d’autres territoires ultramarins. C’est un département où il fait bon vivre, sur le plan de la délinquance.

Cependant, la nature de la délinquance dans ce département impose des traitements qui consomment davantage d’effectifs. Les magistrats du parquet s’appuient sur huit délégués du procureur, qui exercent soit au sein du tribunal judiciaire de Saint-Denis, soit dans les différents points d’accès au droit, pour des mesures de médiation, de classement sous condition, ou d’indemnisation, par exemple.

M. le président Frantz Gumbs. Au vu de l’importance des violences faites aux femmes à La Réunion, des lieux d’accueil sont-ils prévus pour celles qui en sont victimes ?

Mme Véronique Denizot. Dans 80 % des cas, les victimes de violences conjugales sont effectivement des femmes : il y a donc une prévalence de genre. Mais le problème à La Réunion est plus large que celui des violences faites aux femmes ou des violences conjugales : c’est celui des violences intrafamiliales, lesquelles comprennent les violences au sein du couple, sur les enfants ou les ascendants. En la matière, les chiffres sont mauvais. Les violences intrafamiliales nous préoccupent particulièrement, car elles posent la question de la protection de l’enfance et des missions des juges des enfants.

Le tribunal judiciaire de Saint-Denis s’est engagé dans une politique dynamique de lutte contre les violences intrafamiliales. Depuis plusieurs mois, nous organisons des audiences spécialisées. Des circuits de traitement ont été créés. Plusieurs associations permettent d’accueillir les victimes de violences intrafamiliales, notamment les femmes. Malgré les innovations, notamment dans le ressort du tribunal judiciaire de Saint-Pierre, le nombre de places d’hébergement d’urgence pour les victimes reste toutefois insuffisant. Précisons que c’est souvent le 115 qui héberge les victimes, dans un premier temps.

Par ailleurs, chaque fois que c’est possible, c’est l’auteur des violences que nous cherchons à éloigner du domicile. Il est important, pour la qualité de leur prise en charge, que les mères de famille et leurs enfants puissent rester dans leur domicile.

Mme Fabienne Atzori. Les violences faites aux femmes – j’emploie délibérément cette expression – sont une véritable préoccupation pour le parquet général, que nous avons évidemment relayée auprès des parquets de première instance.

Je serai sans détour. Oui, nous manquons de places d’accueil de femmes, mais la question est de savoir ce que nous voulons : que des femmes quittent leur domicile avec leurs enfants ou, au contraire, que les hommes puissent être mis à l’écart, soit par le biais d’une mesure judiciaire ou familiale, soit de manière spontanée ? Lorsqu’on évoque l’accueil des femmes victimes de violences, on devrait parler en premier lieu, me semble-t-il, de l’accueil des auteurs des violences. Le principe devrait être – et nous nous efforçons de l’appliquer – le maintien de la femme et des enfants au sein du domicile.

Je fais une incidente pour vous dire que nous sommes confrontés, à La Réunion, à une spécificité très locale, mais peut-être commune à tous les outre-mer en réalité. Un couple – peu importe qu’il soit marié ou pacsé – reste souvent dans un local ou une cave situés sur un terrain familial, ce qu’on ne voit pas en métropole, où les couples prennent leur envol. Ici, la cellule familiale est encore très traditionnelle : la tendance à s’établir à l’endroit où vivent les parents est très marquée. C’est là que réside notre vrai problème.

Des actions sont menées pour y remédier. J’ai ainsi participé récemment à la signature d’une convention avec les bailleurs sociaux, qui ont des appartements prioritaires, mais en nombre insuffisant, pour les femmes victimes de violences. Il faut également saluer l’initiative de nos collègues de Saint-Pierre, qui sont parvenus, avec l’ancien maire de la commune, désormais décédé, à créer un centre non pas d’hébergement pour les femmes mais de prise en charge des hommes auteurs des violences. On peut toutefois déplorer que n’ait pas été obtenu, en dépit de l’énergie déployée par nos collègues de Saint-Pierre, le placement d’hommes sous contrôle judiciaire à cet endroit – une villa gérée par une association. Le constat que nous sommes en train de faire est celui d’une sous-occupation du lieu, ce qui devrait nous conduire à nous questionner sur son usage. Je le dis d’une manière extrêmement franche – vous avez dû comprendre que la diplomatie n’était pas forcément mon fort.

S’agissant des places d’accueil, une priorité absolue doit être donnée au maintien de la femme et des enfants dans leur lieu de vie. Lorsqu’un enfant ou une femme sont victimes de violences, ce n’est pas à eux mais au parquet d’apporter la réponse qui s’impose, et le parquet a besoin de moyens, de lieux d’hébergement pour pouvoir prononcer une mesure d’éviction du mari violent.

Mme Ludivine Lo Bono, directrice de greffe du tribunal de Saint-Denis. Les effectifs du greffe du tribunal judiciaire de Saint-Denis s’élèvent à 122 agents. Compte tenu des temps partiels et des congés maladie de longue durée, 114 fonctionnaires assurent le service de greffe du tribunal judiciaire et du conseil de prud’hommes ; le tribunal de proximité de Saint-Paul compte sept agents et celui de Saint-Benoît en a cinq.

S’agissant de l’accès au droit, il existe un service d’accueil unique du justiciable (Sauj) dans chaque tribunal judiciaire et dans chaque tribunal de proximité. Au tribunal judiciaire de Saint-Denis, ce service est assuré par quatre agents – trois greffiers et un contractuel de catégorie B. Nous disposons aussi de deux jeunes en service civique pour assurer un accueil de confidentialité et un accompagnement des demandeurs d’aide juridictionnelle. À Saint-Benoît et à Saint-Paul, le service d’accueil compte un agent à temps plein.

Nous rencontrons des difficultés concernant le bureau d’aide juridictionnelle (BAJ). Cinq agents – un greffier et quatre adjoints administratifs – y sont affectés, ce qui correspond normalement aux moyens prévus. Néanmoins, les délais de traitement s’allongent depuis 2024. Malgré une hausse de l’activité de 10 %, nous n’arrivons pas à augmenter notre capacité de traitement, et le délai en matière d’aide juridictionnelle est actuellement de cinq mois. Nous avons déployé des plans d’action et nous essayons de résorber le stock, mais nous avons beaucoup de mal à y parvenir en l’état actuel.

Pour ce qui est des perspectives d’ici à 2027, nous devrions bénéficier de la création de deux emplois de greffier.

Chaque année, la direction des services judiciaires mène une enquête anonyme sur la qualité de l’accueil. Au tribunal judiciaire de Saint-Denis, la dernière enquête, conduite du 9 septembre au 8 novembre 2024, fait état d’un taux de satisfaction de 93 % des justiciables. Il s’agit principalement de personnes qui se sont déplacées au tribunal : dans l’outre-mer, et c’est peut-être une particularité, les justiciables viennent. Nous avons besoin de maintenir des effectifs adaptés à cette réalité. Selon la même enquête, le plus important pour un accueil de qualité est l’écoute, à 65 %, puis la courtoisie, à 59 %, et la qualité des renseignements, à 55 %.

M. le président Frantz Gumbs. Vous avez évoqué le nombre d’agents. Cela correspond-il au nombre de postes ? Ces derniers sont-ils tous occupés ? Avez-vous de l’absentéisme ?

Mme Ludivine Lo Bono. Nous n’avons pas de vacances d’emploi actuellement. Quand elles se produisent, c’est pour quelques mois, lors d’un départ à la retraite. Nous sommes même en surnombre en ce qui concerne les directeurs de service de greffe et les adjoints techniques. En revanche, le taux d’absentéisme est assez élevé puisqu’il atteint 14,5 %. Cela s’explique par des arrêts maladie de durées assez longues.

Notre efficience est évaluée chaque année. Le ratio d’efficience des agents du tribunal judiciaire de Saint-Denis est très bon, puisqu’il est supérieur à celui des juridictions du même groupe dans l’Hexagone.

M. le président Frantz Gumbs. Ce que vous nous dites au sujet des effectifs témoigne de la bonne attractivité de La Réunion.

Mme Fabienne Le Roy. D’une manière générale, les juridictions de La Réunion ont un problème de très fort absentéisme. Les postes ne sont pas vacants, sauf exception, mais les titulaires sont absents d’une façon répétée, pour de longues durées. C’est une difficulté que nous connaissons aussi à la cour d’appel : beaucoup de personnes sont en arrêt maladie, de diverses natures, ce qui perturbe le fonctionnement de la juridiction. En revanche, nous n’avons pas de mal à avoir des candidats pour les postes, contrairement à Mayotte, qui a un problème pour avoir des candidatures – et des candidatures utiles.

Mme Fabienne Atzori. Il peut y avoir des interrogations sur les postes de fin de carrière. Ils font l’objet, et c’est assez logique, car on avance en âge, de congés maladies qui se répètent davantage. C’est le constat que nous faisons à la cour d’appel, mais je ne sais pas s’il est partagé par les tribunaux judiciaires.

M. Bertrand Pagès, président du tribunal judiciaire de Saint-Pierre de La Réunion. Je vous prie par avance de m’excuser si mes propos comportent des redites : j’ai compris, malgré les coupures, que M. le procureur de la République avait déjà présenté certains éléments.

Le tribunal de Saint-Pierre compte vingt magistrats du siège, sept magistrats du parquet et soixante-quinze agents de greffe. Notre ressort comptant 360 000 habitants, nous avons un magistrat du siège pour 18 000 habitants, ce qui est le ratio le plus défavorable dans les juridictions d’outre-mer.

Contrairement à Saint-Denis, nous n’avons pas de tribunaux de proximité. Nous n’avons pas la même difficulté qu’avec Mafate, où certains endroits ne peuvent être atteints que par hélicoptère ou en faisant de la marche.

Comme toutes les juridictions ultramarines, nous tenons beaucoup d’audiences, majoritairement au tribunal, où les gens viennent, ce qui est une particularité. J’ai eu une certaine expérience dans l’Hexagone : beaucoup plus de gens sont absents ; il y a une forte attente à l’égard de la justice chez nous. Nous tenons quand même des audiences foraines. Les juges de l’application des peines vont ainsi dans les établissements pénitentiaires – Mme la procureure générale en a parlé tout à l’heure. Par ailleurs, le juge des libertés et de la détention tient au moins deux fois par semaine des audiences à l’hôpital psychiatrique de Saint-Pierre et les juges des tutelles mènent des auditions dans tout le ressort. Nous sommes vraiment une juridiction qui se tourne vers l’extérieur.

Nous ne sommes pas responsables, à Saint-Pierre, du conseil départemental de l’accès au droit, mais je peux vous dire qu’il fonctionne en commun et d’une manière fluide. Quand des événements se passent dans le sud, en général, je m’y déplace. Il m’est ainsi arrivé d’aller aux journées d’accès au droit dans la commune de Saint-Joseph, et je peux vous confirmer non seulement l’attrait de ce type d’événement, mais aussi la mobilisation de tous les partenaires pour répondre aux questions du justiciable. Il m’est également arrivé d’aller dans les maisons France Services, où se rendent des conciliateurs de justice – je parle pour le siège.

M. le président Frantz Gumbs. Plusieurs freins limitent l’accès au droit et à la justice dans certains territoires, parmi lesquels des problèmes liés au bâti. Pouvez-vous faire le point sur cette question ? J’ai cru comprendre tout à l’heure que le tribunal de Saint-Benoît devait être reconstruit. Avez-vous une idée du délai dans lequel cela pourrait être fait ?

Mme Fabienne Le Roy. Les trois juridictions de La Réunion ont de beaux bâtiments. Mais quand on regarde la situation d’un peu plus près, on voit que des travaux importants doivent y être menés. Pour le dire très rapidement – chaque chef de juridiction pourra y revenir –, nous avons des soucis importants de climatisation, de réseaux électriques et d’étanchéité – ces derniers suscitent des craintes chaque année lors de la saison cyclonique. Nous avons donc besoin de crédits extrêmement élevés, qui font l’objet de demandes à la Chancellerie. Les situations bâtimentaires s’aggravent très rapidement dans l’outre-mer en raison des conditions climatiques. On parle beaucoup du passage de Chido à Mayotte, mais nous avons également subi un cyclone cette année, Garance. Bien qu’il ait eu nettement moins d’écho médiatique, il a montré les limites de la situation bâtimentaire à La Réunion.

À Saint-Benoît, l’ancien tribunal d’instance a été abandonné et la juridiction, devenue un tribunal de proximité, est hébergée dans d’autres locaux qui ne peuvent être que provisoires. Ma collègue vous en parlera, il existe un projet de construction d’un nouveau tribunal. Le ministère a acquis un terrain et il reste maintenant à construire le bâtiment. Quand je suis arrivée, on m’a dit qu’un projet était en cours depuis sept ans.

Mme Fabienne Atzori. Le projet actuel a été acté il y a trois ans. Il est bloqué pour des raisons strictement budgétaires.

Mme Fabienne Le Roy. Des agents et des magistrats sont installés dans des locaux qui ont le mérite d’exister mais qui ne sont pas adaptés. Les anciens locaux ne sont plus utilisables : ils ont été abandonnés à l’humidité et aux moustiques. Il y reste néanmoins une activité de régie. Le projet immobilier fait l’objet d’une demande forte chez les agents.

Mme Fabienne Atzori. Le tribunal judiciaire de Saint-Denis est aussi un point d’achoppement : il est resté dans son jus – je l’avais déjà connu en 1997. Il n’est pas question de confort, mais de place. La situation a conduit la cour d’appel à conclure une convention avec la DRFIP pour permettre la délocalisation de certains services dans des bâtiments modulaires situés à proximité. La vraie difficulté est que le coût du chantier fait qu’il relève de l’Agence publique pour l’immobilier de la justice. Nous sommes en train de réfléchir, dans l’hypothèse où cette agence ne se saisirait pas de la question, aux moyens financiers et aux ressources humaines que nous pourrions mobiliser pour conduire le projet.

S’agissant de Saint-Pierre, je ferai très court, mais je pense que la situation n’est pas inintéressante – et je rappelle que la question bâtimentaire relève des chefs de cour, présidents et procureurs. La difficulté est la même qu’ailleurs, à savoir des infiltrations récurrentes. Nous avons été un peu épargnés par Garance, mais beaucoup moins par Belal, en janvier 2024, qui a conduit le tribunal judiciaire à s’expatrier au sein de la cour d’appel, ce qui posait un problème en l’absence de réserve foncière. Le fait qu’une piscine ait quasiment vu le jour au tribunal judiciaire en 2024 a créé de vraies difficultés. La demande d’extension des locaux est en suspens – nous n’avons pas de réponse. J’ai bien conscience, comme la première présidente, les chefs de juridiction et le service administratif, des contraintes budgétaires, mais nous devons rester vigilants. Il faut permettre à nos équipes de travailler dans des conditions de sécurité et de confort minimales – je parle de confort au quotidien et non d’un confort qui serait celui d’un autre type de palais qu’un palais de justice.

La présidente du tribunal judiciaire de Saint-Denis et la procureure pourront vous décrire l’état de leur salle des pas perdus, où des espèces de sarcophages sont installées depuis deux ans. Les chefs de juridiction de Saint-Pierre pourront également vous parler des travaux particulièrement importants qui sont nécessaires. Je crois que nous partageons néanmoins le constat que nous ne sommes pas dans la même situation que le tribunal judiciaire et la chambre d’appel de Mamoudzou. Par ailleurs, je ne suis pas sûre, monsieur le président, que le bâti ait une influence en matière d’accès à la justice, même si cela peut se discuter. Il est certain, en revanche, que nous renvoyons une drôle d’image, si vous me permettez cette expression, à celles et ceux qui ont besoin de nos services.

Mme Emmanuelle Wacongne. Le tribunal judiciaire de Saint-Denis date de 1986. Il est en effet, comme on le dit communément, dans son jus. Tous les travaux y sont très délicats en raison de la présence hétérogène d’amiante, disséminé dans l’intégralité du bâtiment d’une manière irrégulière. Chaque fois qu’un travail de rénovation ou de transformation doit être entrepris, il faut effectuer des diagnostics, ce qui coûte extrêmement cher, étant entendu que la prise en charge est assurée soit au niveau de la cour d’appel soit dans notre budget de fonctionnement et que cela rend toute opération immobilière très compliquée, même pour des travaux de peinture – il est fortement recommandé de ne pas mettre en contact de la peinture et de l’amiante.

Le tribunal se dégrade un peu plus tous les ans. L’année dernière nous avons demandé à la directrice de greffe d’évaluer la part du budget de fonctionnement consacrée à la maintenance de l’établissement : c’est le poste le plus important, et il augmente tous les ans parce que le bâtiment se dégrade de plus en plus. La climatisation, qui date de la construction du palais, menace de nous lâcher chaque année. Nous faisons des réparations au petit bonheur la chance, avec les moyens que nous obtenons de la cour, qui elle-même les obtient à grand renfort de demandes auprès du ministère. Il arrivera un moment où la climatisation lâchera, comme le réseau électrique, dont les gaines sont complètement saturées. Et je pourrai énumérer encore bien d’autres ennuis.

Nous avons dû fermer pendant dix jours lors du passage du cyclone Belal, en 2024 : à la suite d’infiltrations dans la salle des pas perdus, les parements qui ornent le devant des salles d’audience se sont en partie effondrés, ce qui posait un risque de sécurité pour le personnel et les justiciables. Nous avons alors dû faire des diagnostics pour savoir s’il y avait de l’amiante dans les parements en train de s’effriter – on nous a d’abord dit « peut-être que oui », puis « peut-être que non ». En attendant, nous avons pris en urgence une mesure qui a permis de rouvrir dans un délai de dix jours : les parements ont été enturbannés dans une sorte de film plastique. Cette solution devait durer cinq ans, mais elle a tenu pendant trois mois : du film plastique pend désormais dans les salles d’audience. Nous ne pouvons pas le faire enlever très facilement, parce qu’il est très haut et que la question de l’amiante se pose.

S’agissant de l’accès à la justice, nous avons fermé dix jours, mais les affaires importantes ont été délocalisées à la cour d’appel et la continuité du service public de la justice a donc été assurée. En revanche, on peut dire que l’image de la justice est fortement dégradée dès qu’on entre dans le tribunal judiciaire de Saint-Denis, et je pense qu’il en est de même à Saint-Pierre.

M. Bertrand Pagès. En effet, nous connaissons exactement les mêmes problématiques à Saint-Pierre. Les bâtiments, qui ont été construits en 1974 et ont déjà fait l’objet de deux grandes rénovations, laissent passer l’eau, en particulier lors d’événements climatiques importants.

Nous avons aussi un problème de manque d’espace et d’inadaptation des locaux, qui fait que nous sommes obligés, malgré un recours accru au télétravail, de concentrer les agents dans les bureaux en réorganisant les espaces, avec les risques psychosociaux que cela peut impliquer. Nous essayons, en lien avec la cour d’appel, de trouver des solutions.

Un autre problème est celui de l’accueil du justiciable. Comme nous manquons d’espace, nous ne sommes plus en mesure d’avoir, comme auparavant, un bureau d’aide aux victimes et un point d’accès au droit à l’intérieur du tribunal. Des travaux sont planifiés, mais nous n’avons pas encore de visibilité complète sur leur réalisation. Les victimes se rendent dans les locaux d’une association, l’Arajufa (Association réunionnaise de l’aide judiciaire aux familles), où un point d’accès au droit est temporairement situé. Nous sommes en train de mener, avec le procureur et la directrice de greffe, une grande réflexion sur l’amélioration des conditions d’accueil des justiciables, qui pourrait peut-être passer par une différenciation. Il faudrait aussi trouver des lieux où les justiciables pourraient s’asseoir. Ils font actuellement la queue dans une grande salle des pas perdus quand ils veulent avoir des renseignements, ce qui n’est pas idéal, surtout quand ils viennent avec leur famille, en particulier des enfants. Nous voudrions faire mieux, mais nous faisons pour l’instant avec ce que nous avons.

M. le président Frantz Gumbs. Les dysfonctionnements en matière de bâti ont donc un impact sur la qualité du service de l’accès à la justice. Cet impact est-il significatif ?

Mme Fabienne Atzori. Je ne conteste pas la nécessité d’accueillir les victimes. Quand je dis que la véritable question qui se pose en matière d’accueil et d’accès à la justice est liée à l’image que nous donnons, c’est par rapport à la notion de sérénité de la justice.

Nous n’avons pas encore parlé des BAJ, les bureaux d’aide juridictionnelle, et de l’informatisation en la matière. J’avais fait passer un petit mot à ce sujet à la directrice de greffe, qui pourra vous en parler. La fracture numérique qui existe à Mayotte – elle a déjà été évoquée devant votre commission – est également très présente à La Réunion.

L’essentiel pour les personnes qui viennent dans une juridiction, c’est d’avoir les renseignements qu’elles souhaitent. Je pense qu’elles les obtiennent, même si ce n’est peut-être pas dans de bonnes conditions. C’est en ce sens qu’il me semblait opportun de dire que le bâti n’avait pas d’influence ou en tout cas que celle-ci était secondaire. Ce qui est important, c’est de parvenir à accueillir les personnes qui veulent des renseignements et celles qui sont susceptibles de les donner. Les propos du président de la juridiction de Saint-Pierre montrent que malgré tout, si je puis dire, nous parvenons à fournir ces renseignements.

M. le président Frantz Gumbs. Un autre frein, que vous venez d’évoquer, semble de nature à avoir un effet sur l’accès au droit et à la justice : c’est la tendance de toutes les administrations à dématérialiser de plus en plus l’accès aux services publics. Vos équipements vous donnent-ils satisfaction pour ce qui est du service rendu au public ? Nous avons été témoins de coupures intempestives du réseau lors de cette audition.

M. Bertrand Pagès. C’est une question très complexe, à laquelle je répondrai à la fois oui et non.

La particularité de Saint-Pierre, comme de Saint-Denis, est l’existence d’une procédure pénale totalement dématérialisée. Même s’il nous arrive d’avoir des problèmes de réseau – votre commission a pu le constater aujourd’hui, mais cela reste relativement rare –, c’est un véritable plus pour la qualité de vie au travail. Il n’est plus nécessaire d’archiver des dossiers qui encombraient nos bureaux et cela facilite ou fluidifie le travail chez soi, qui n’était pas nécessairement possible auparavant.

Il existe, c’est vrai, une fracture numérique, par exemple en matière d’aide juridictionnelle, mais nous constatons dans ce domaine, à notre étonnement, une montée en puissance des demandes faites grâce à un logiciel. À Saint-Pierre, elles sont passées de 10 ou 11 % au début de l’année à 16 %, ce qui est beaucoup par rapport au niveau national. Pour autant, les déserts numériques peuvent conduire à des difficultés : c’est une réalité qui freine effectivement l’accès au droit.

Mme Fabienne Le Roy. Il faut aussi avoir en tête, s’agissant de l’accès à la justice, que les possibilités d’échange par voie dématérialisée sont prévues par les codes de procédure civile et de procédure pénale et qu’on procède encore dans beaucoup de cas par voie papier – lettres simples ou recommandées. Cela dépend de ce que prévoient les textes dans chaque procédure, par exemple une convocation par un juge aux affaires familiales dans une affaire de paiement de pension alimentaire ou de garde d’enfant. On ne peut pas dire que toute la justice est aujourd’hui dématérialisée.

Le pénal l’est, mais les citations continuent à se faire par l’intermédiaire des commissaires de justice, par exemple. La procédure est dématérialisée entre les enquêteurs – services de police et de gendarmerie – et la juridiction, mais pas forcément, en tout cas pas contre leur volonté, à l’égard des justiciables. Pour qu’un échange puisse se faire par e-mail, ces derniers doivent donner leur accord. C’est tout aussi vrai en matière civile : les convocations se font encore par lettres simples ou recommandées, selon ce que prévoient les textes. Cela représente un coût extrêmement important pour les juridictions. Quand des services entiers fonctionnent, pour les notifications et les convocations, par lettres recommandées avec accusé de réception, cela a un impact financier, qui est quasiment fixe au sens où nous avons des obligations en la matière. La dématérialisation est loin d’être absolue et obligatoire en matière judiciaire.

Par ailleurs, les points d’accès au droit permettent d’aider les personnes qui ont du mal à accéder à un ordinateur ou qui tout simplement ne savent pas s’en servir. Beaucoup de personnes dans notre société, donc de justiciables, ont des difficultés dans ce domaine. Les points d’accès au droit et les permanences servent aussi à aider à remplir des dossiers, et les fonctionnaires du Sauj sont également là pour ça.

Les échanges avec les avocats sont dématérialisés, mais pas les échanges – en tout cas pas obligatoirement, je l’ai dit – avec les justiciables. La directrice de greffe du tribunal judiciaire de Saint-Denis pourra peut-être compléter mes propos.

Mme Ludivine Lo Bono. Les demandes d’aide juridictionnelle (AJ) ne sont pas aussi nombreuses chez nous : elles ne représentent que 11 % du total. Nous essayons d’aller plus loin car cela permet de gagner du temps de travail en matière d’enregistrement. Néanmoins, les dossiers qui arrivent en ligne ne sont pas complets – il faut chaque fois demander des pièces complémentaires. Le CDAD travaille donc avec les points d’accès au droit sur la formalisation des demandes en ligne. FranceConnect permet d’aider les justiciables à faire des demandes complètes, comportant toutes les pièces obligatoires.

Nous n’en sommes qu’au début de la dématérialisation en ce qui concerne l’aide juridictionnelle. Pour le moment, seules les demandes peuvent être adressées en ligne. Nous ne pouvons pas nous y prendre ainsi pour la transmission des décisions en matière d’AJ aux avocats, aux commissaires de justice et aux parties. Quand nous pourrons avancer sur ce plan, nous gagnerons du temps, ce qui permettra de réduire les délais. Dans certains ressorts, la part des demandes d’aide juridictionnelle formulées en ligne est de 40 % – on peut faire sa demande avec un téléphone portable.

M. le président Frantz Gumbs. Les points justice, qui permettent aux usagers de bénéficier d’un accompagnement pour leurs démarches en ligne, sont-ils équitablement répartis sur le territoire ?

Mme Fabienne Le Roy. Nous avons trente-quatre points justice dans le département, soit plus d’un par commune au total, même si deux communes ne sont pas encore couvertes – pour l’une, c’est en cours. Le maillage territorial est donc très important à La Réunion.

M. le président Frantz Gumbs. Est-il parfois nécessaire d’organiser des audiences foraines, en raison de l’éloignement des tribunaux ?

Mme Emmanuelle Wacongne. Nous tenons des audiences foraines au tribunal de proximité de Saint-Paul, en matière d’affaires familiales et d’assistance éducative.

En revanche, il n’est plus possible d’en tenir au tribunal de proximité de Saint-Benoît, celui-ci étant temporairement hébergé par la mairie dans des locaux qui ne sont pas habilités à recevoir du public. Les audiences foraines reprendront dès que le tribunal aura été reconstruit.

M. le président Frantz Gumbs. Permettez-moi de revenir sur la question des ressources humaines. En cas d’absence, quelles qu’en soient les raisons, bénéficiez-vous en temps et en heure d’un nombre suffisant de dispositifs de brigade ou de magistrats placés ?

Mme Fabienne Le Roy. À La Réunion, il n’existe ni système de brigade ni dispositif relevant de l’article LO. 125-1 du code de l’organisation judiciaire, que j’ai évoqué concernant Mayotte.

En revanche, nous bénéficions de magistrats placés, aussi bien auprès de la procureure générale que de moi-même : quatre au parquet et désormais cinq au siège, depuis que la Chancellerie a assis un poste qui était en surnombre. Les cinq magistrats placés au siège sont répartis dans les différentes juridictions ; cela reste insuffisant compte tenu du nombre d’absences et, dans une moindre mesure, de celui des vacances de poste.

La Chancellerie consent un autre effort pour pallier les vacances de poste : contrairement à ce qui est pratiqué dans l’Hexagone, elle anticipe les départs, notamment à la retraite, en affectant des remplaçants avant même que les postes soient officiellement libres.

Mme Fabienne Atzori. Il existe également, non pas une brigade au sens strict, mais quatorze postes de greffiers placés, dont deux seront pourvus à compter du 1er novembre. Séjournant six mois par an à Mayotte, ils ont vocation à se rendre dans chacune des juridictions de la cour d’appel pour pallier les vacances de poste. Ce chiffre, anormalement élevé pour une cour d’appel, a été arrêté pour permettre le bon fonctionnement des juridictions mahoraises. Nous sommes donc comptables des délégations effectuées plus massivement à Mayotte que dans le département de La Réunion.

M. le président Frantz Gumbs. Tous les personnels placés le sont-ils pour une durée de six mois ?

Mme Fabienne Atzori. Nous nous efforçons de procéder à des délégations par anticipation, pour les magistrats du parquet comme pour ceux du siège ; elles sont d’une durée de quatre mois pour les premiers. Nous n’avons pas encore décidé des délégations à venir ; le dialogue de gestion est prévu demain et nous attendons les prévisions pour octobre.

Quant aux greffiers, nous avons instauré une rotation, pour ne pas faire peser une charge trop lourde sur ceux qui se rendent à Mayotte – nous avons évoqué les difficultés d’y exercer. Sur quatorze greffiers, au moins six travaillent à Mayotte, au tribunal judiciaire et à la chambre d’appel ; les greffiers restants sont répartis entre les deux tribunaux judiciaires de La Réunion.

Avec la première présidente de la cour d’appel, nous procédons à cet arbitrage à intervalle régulier, afin de répondre aux demandes des différentes juridictions. Sauf demande expresse, au cours d’une année les greffiers ne restent pas à Mayotte plus de six mois, non consécutifs : ils y travaillent par périodes de deux mois, en revenant à La Réunion entre-temps.

La situation est différente pour les magistrats du parquet : une magistrate a été placée au tribunal judiciaire de Mamoudzou pour trois mois – jusqu’à la fin du mois de novembre. Nous avons instauré une rotation, de manière qu’aucun magistrat ne se sente lésé. Malgré la mise à disposition d’une voiture, être placé à Mayotte peut être considéré comme une épreuve puisque les personnels sont hébergés dans une structure collective. Comme à La Réunion, nous avons à cœur d’intégrer ces personnels dans les trois tribunaux judiciaires.

Mme Fabienne Le Roy. La juge placée à Mayotte, qui a pris ses fonctions en septembre, souhaite y rester pour des raisons familiales. Elle n’est donc pas concernée par la rotation, contrairement aux cinq autres magistrats du siège.

L’arrêt maladie de l’un des cinq magistrats placés ne m’a pas permis de répondre à toutes les demandes ; la présidente du tribunal judiciaire de Saint-Denis n’a pu bénéficier d’un magistrat placé au cours du dernier quadrimestre.

Les arrêts maladie concernent les magistrats comme les greffiers, mais aussi des collègues placés. Lorsque les remplaçants des personnes en arrêt maladie tombent malades à leur tour, la juridiction se retrouve dépourvue du soutien supplémentaire qui lui avait été accordé. Nous devons composer avec ces difficultés : une fois les personnels placés, nous ne disposons pas de ressources supplémentaires en cas de nouvelle absence.

Malgré tout, s’agissant du nombre de personnels, la situation à La Réunion est exceptionnellement favorable, en raison des mesures relatives à Mayotte. Notre territoire est trop attractif pour que nous bénéficiions de brigadistes.

M. le président Frantz Gumbs. Les personnes placées ont-elles le temps de prendre la mesure des situations auxquelles elles sont confrontées ? Leur présence n’est-elle pas trop courte pour qu’elles soient suffisamment efficaces auprès des justiciables ?

Mme Fabienne Le Roy. Si nous disposions uniquement de magistrats du siège statutairement affectés à une juridiction plutôt que des magistrats placés, la situation serait idéale.

Lorsqu’un magistrat est placé trois mois, il prend en charge un cabinet ou mène des audiences civiles et pénales. Il appartient à la juridiction d’organiser son travail avant son arrivée. Ainsi, il est impossible d’attendre que le juge des enfants prenne connaissance du cabinet et des dossiers pour lancer les convocations ; ses collègues doivent préparer en amont le calendrier des auditions. Un magistrat non spécialisé, qui rédige des décisions civiles ou tient des audiences correctionnelles, doit prévoir suffisamment de temps à la fin de sa mission pour rendre ses décisions signées par lui-même et le greffier.

Cette organisation demande beaucoup d’anticipation et entraîne d’inévitables pertes de temps, bien que les magistrats placés soient habitués à s’adapter en toutes circonstances et à acquérir très rapidement de nouvelles compétences. Polyvalents comme des couteaux suisses, ils sont capables de tenir une audience correctionnelle un jour et une audience d’assistance éducative le lendemain. Ils savent se former très rapidement à des procédures spécifiques qu’ils ne connaissent pas ; après quelques années, ils peuvent traiter n’importe quelle sorte de contentieux dans tout type de juridiction.

Mme Fabienne Atzori. Votre question mérite réflexion, monsieur le président, mais vaut-il mieux un poste vacant ou un poste pourvu par un personnel présent pour une durée limitée ?

Nous sommes très contents lorsqu’un magistrat du parquet est placé, prenant en charge des urgences et une permanence.

Mme Ludivine Lo Bono. Le renfort en personnels placés est nécessaire. Le tribunal judiciaire de Saint-Denis bénéficie de deux à trois greffiers placés pour des missions de trois mois. Ce sont des postes profilés : les greffiers sont choisis pour leur expérience, leur expertise, leur capacité d’adaptation et leur maîtrise des logiciels. Polyvalents, ils s’adaptent rapidement à notre juridiction. Ces placements de greffiers nous permettent d’assurer la gestion des cabinets, des audiences et des urgences.

Si nous sommes bien dotés en greffiers placés, nous manquons en revanche d’adjoints administratifs placés, notamment pour mener à bien les enregistrements qui s’accumulent, d’autant que nous disposons de peu de crédits pour embaucher des vacataires.

M. le président Frantz Gumbs. Plus généralement, avez-vous noté des difficultés d’adaptation des personnels judiciaires aux réalités socio-culturelles et linguistiques du territoire ?

Mme Fabienne Le Roy. Les enjeux d’adaptation aux réalités socio-culturelles existent partout : lorsque vous êtes nommé pour la première fois dans le Nord – quatre d’entre nous y ont travaillé –, à Besançon ou dans le Sud, vous découvrez une région dont vous ignorez l’histoire, la démographie, ou encore l’accent. En prendre connaissance et nous y adapter fait partie de notre travail ; les magistrats ont vocation à changer de poste, ne serait-ce que pour des raisons d’indépendance et de probité.

Par ailleurs, reconnaissons qu’il est très agréable de vivre et de travailler à La Réunion.

M. le président Frantz Gumbs. Les magistrats bénéficient-ils d’une formation particulière aux principales caractéristiques socio-culturelles des lieux dans lesquels ils sont nommés ?

Mme Fabienne Atzori. Outre une formation dispensée par l’ENM – École nationale de la magistrature – intitulée « Être magistrat en outre-mer », les magistrats bénéficient d’une formation dédiée aux nouveaux arrivants à La Réunion et à Mayotte, élaborée par notre magistrat chargé de la formation.

Quoique relativement superficielle, cette formation dresse un tableau historique et socio-économique de ces territoires. Malgré le succès qu’elle a rencontré, l’ENM ne l’a pas prise en considération cette année ; nous cherchons donc à la dispenser par d’autres moyens, parce qu’elle nous semble utile aux nouveaux arrivants.

M. le président Frantz Gumbs. Pensez-vous qu’il soit possible d’apporter des améliorations en matière de formation ?

Mme Fabienne Atzori. J’ai exercé à La Réunion entre 1997 et 2004, après avoir été en poste à Marseille ; j’ai été propulsée dans le cabinet d’instruction. Heureusement, ma greffière était réunionnaise et m’a rapidement fait comprendre que certains mots avaient un double sens.

M. Bertrand Pagès en est aussi à son deuxième séjour à La Réunion : lorsqu’il était juge d’application des peines (JAP), il a été confronté au même problème.

L’adaptation est rapide, d’autant que ce département est agréable à vivre, mais cette formation présente l’intérêt de fournir un lexique de créole qui permet de comprendre, même sommairement, ce qui nous est dit, avant que notre oreille ne s’habitue.

Mme Fabienne Le Roy. Cette formation à destination des nouveaux arrivants est dispensée sur place.

Les enjeux d’adaptation existent partout : ainsi, une journée d’accueil des nouveaux arrivants est organisée par la cour d’appel de Versailles, ainsi qu’à Lille. Cette pratique se développe dans différentes juridictions, parce qu’elle permet aux nouveaux arrivants d’endosser plus rapidement leur costume de magistrat ou de fonctionnaire du greffe.

Par ailleurs, des formations sont dispensées par la DSJ (direction des services judiciaires) aux personnes se portant candidates à des postes outre-mer – la Chancellerie pourra vous en parler. Des livrets, facilement accessibles sur l’intranet, renseignent sur l’histoire, la géographie, la démographie, les enjeux médicaux et socio-économiques, et l’organisation des juridictions et des autres services de l’État.

M. le président Frantz Gumbs. La durée de traitement des affaires est l’un des critères de la confiance des usagers dans la justice : les dossiers sont-ils traités en temps et en heure dans votre juridiction ?

Mme Emmanuelle Wacongne. Permettez-moi de vous présenter quelques chiffres, issus des données statistiques du ministère de la justice, relatifs à la durée moyenne de résolution des affaires – le délai théorique d’écoulement des stocks –, dans notre juridiction et dans des tribunaux de dimension comparables.

À Saint-Denis, le délai d’écoulement du stock en matière civile est en moyenne de 9,6 mois, contre 10 mois en métropole. Il en va de même pour le tribunal correctionnel, dont le délai est en moyenne de 4,1 mois contre 4,4 mois en métropole. Les chiffres suivent la même tendance en matière de contentieux de la protection et concernant le juge des libertés.

Seules quelques juridictions spécialisées connaissent des difficultés conjoncturelles en raison de la récente évolution du tissu socio-économique de La Réunion. L’augmentation du trafic de stupéfiants a entraîné une augmentation de l’activité de l’instruction et de la justice des mineurs ; il en résulte un ralentissement de l’écoulement des stocks depuis deux ans.

Mme Fabienne Le Roy. Cette situation devrait s’améliorer. En raison de l’augmentation de l’activité du tribunal pour enfant, nous avons obtenu de la DSJ la création d’un poste de juge des enfants : depuis septembre, un cinquième juge des enfants exerce au tribunal de Saint-Denis. Ce poste a été créé par la transformation d’un autre poste, dont l’activité ne justifiait pas le maintien. Cependant, l’augmentation de l’activité de l’instruction reste problématique à Saint-Denis.

M. Bertrand Pagès. À Saint-Pierre, le constat est globalement le même qu’à Saint-Denis : nos performances sont meilleures que celles des juridictions de taille comparable dans l’Hexagone. Le délai de traitement d’une affaire civile est inférieur de trois mois, en moyenne ; il en va de même s’agissant des affaires pénales.

Nous avons rencontré cette année de nombreuses difficultés en matière de ressources humaines, notamment des arrêts maladie. Avec le procureur et la directrice des services de greffe, nous avons dû établir des priorités et procéder à des rééquilibrages, en accord avec les chefs de pôle. Le tribunal de Saint-Pierre rend 15 500 décisions par an, dont un tiers de décisions pénales et deux tiers de décisions civiles.

M. le président Frantz Gumbs. Un nombre significatif d’arrêts maladie, comme vous l’avez évoqué, est souvent symptomatique d’un certain mal-être au travail. Est-ce que je me trompe ?

Mme Fabienne Le Roy. Ces arrêts concernent des personnes souffrant de maladies graves, ils ne sont pas symptomatiques d’un mal-être au travail.

Mme Fabienne Atzori. Il serait intéressant de comparer la courbe des âges des fonctionnaires exerçant en région parisienne, par exemple, et de ceux exerçant à La Réunion. J’ai travaillé dans plusieurs cours d’appel et j’ai toujours été frappée par la sédentarité des fonctionnaires. Il est troublant de constater l’âge des greffiers et des fonctionnaires en général, particulièrement à la cour d’appel. J’ignore celui des personnels du tribunal judiciaire mais, lorsque j’exerçais à Saint-Denis, certains venaient à La Réunion entre 58 et 60 ans, en vue d’y prendre leur retraite ; d’autres ont fait toute leur carrière à La Réunion, dans différentes juridictions, et attendent leur départ à la retraite.

Comme vous, nous nous sommes demandé si ces arrêts maladie résultaient d’un management déplacé ou brutal. Leur nombre s’accroît alors que le management, justement, est de plus en plus coopératif ; cela soulève d’autres questions relatives à la médecine du travail et à l’organisation du travail.

Mme Ludivine Lo Bono. Je n’ai pas de chiffres précis concernant l’absentéisme ; en 2025, nous avons dénombré plusieurs arrêts maladie, trois congés maternité et un congé parental. De plus, des personnels partis à la retraite n’ont pu être remplacés, parfois pendant huit mois, en raison de l’utilisation de leurs comptes épargne-temps.

Ces absences ont provoqué une surcharge de travail pour les fonctionnaires restants. Je constate depuis le début de l’année l’épuisement des équipes, auquel se sont ajoutées des conditions de travail pénibles : l’absence de climatisation pendant plusieurs semaines, alors que l’été a été particulièrement chaud, et un cyclone. De plus, des agents souffrant du chikungunya sont venus travailler malgré leurs douleurs articulaires. Au moment des vacances d’été, les équipes étaient déjà très fatiguées ; on ne voit pas le bout de cette année 2025.

L’épuisement des équipes du greffe, mais aussi des magistrats, m’inquiète.

M. le président Frantz Gumbs. Vous avez évoqué une particularité : des fonctionnaires prennent un poste à La Réunion pour y terminer leur carrière, en attendant leur retraite.

Mme Fabienne Atzori. Il serait intéressant d’établir une courbe des âges des fonctionnaires judiciaires. En revenant à La Réunion après vingt ans, j’ai retrouvé nombre d’entre eux.

Mme Fabienne Le Roy. Certains magistrats, qui se plaisent à La Réunion, n’en bougent plus.

M. le président Frantz Gumbs. N’y a-t-il pas des avantages pécuniaires à prendre un poste à La Réunion ?

Mme Fabienne Atzori. Contrairement au reste de la population locale, tous les fonctionnaires d’État et les fonctionnaires territoriaux bénéficient d’une sur-rémunération visant à compenser le coût de la vie, qui est très élevé. Toutefois, cette sur-rémunération ne concerne pas les pensions de retraite. Je ne crois pas que ceux qui quittent La Réunion après quelques années repartent avec un pactole.

M. le président Frantz Gumbs. La sur-rémunération ne s’applique pas aux pensions de retraite ?

Mme Fabienne Atzori. Plus maintenant !

Mme Fabienne Le Roy. Il a été mis fin à ce dispositif il y a quelques années.

M. le président Frantz Gumbs. Qu’est-il fait pour faciliter l’accès à la justice et à leurs droits des usagers qui en sont les plus éloignés géographiquement et socialement, ainsi que pour ceux qui sont victimes d’illettrisme et d’illectronisme ?

Mme Fabienne Le Roy. Les permanences d’accès au droit sont disséminées sur l’ensemble du territoire, rapprochant la justice des justiciables jusque dans des lieux qui ne sont pas accessibles par la route, notamment grâce aux caravanes de l’accès au droit.

Dans l’enceinte des palais de justice, les personnels des Sauj sont à l’écoute des justiciables et se consacrent à les aider. Lors des audiences, nous faisons des efforts pour leur expliquer la procédure, leur indiquer la date à laquelle la décision sera rendue et à qui elle sera envoyée – eux-mêmes ou leur avocat. Des actions visant les personnes ayant des besoins particuliers d’information sont prévues à différents moments et à plusieurs niveaux.

Enfin, lorsque c’est possible, les décisions rendues aux personnes non francophones le sont oralement, en présence d’un interprète, afin qu’ils en aient immédiatement connaissance.

Mme Emmanuelle Wacongne. Dans les Sauj du tribunal de Saint-Denis et des tribunaux de proximité, la grande majorité des fonctionnaires sont originaires de La Réunion et maîtrisent le créole. Ils sont en mesure d’expliquer aux personnes illettrées ou parlant surtout le créole les démarches qu’ils doivent mener, et de les aider à remplir les formulaires.

Il en va de même dans les points d’accès au droit ; les fonctionnaires de mairie qui y sont affectés sont des fonctionnaires territoriaux réunionnais maîtrisant parfaitement le créole. Ils sont donc à même de délivrer des informations compréhensibles à tous les justiciables et de comprendre leurs questions.

M. le président Frantz Gumbs. Les autres professionnels du droit – notaires, commissaires de justice, avocats – sont-ils suffisamment nombreux pour assurer le bon fonctionnement de l’institution ?

Mme Fabienne Le Roy. Contrairement à Mayotte, nous ne manquons pas d’avocats, même si le bâtonnier me disait que de moins en moins de jeunes avocats s’installent durablement : ils viennent quelques années et repartent.

Mme Fabienne Atzori. Je suis en poste à La Réunion depuis quatre ans, et j’y avais déjà officié auparavant. Je trouve qu’il y a plus d’avocats qu’avant, voire trop au regard de l’activité. J’en parle parfois avec de jeunes avocats. Le danger, c’est que la précarité entraîne des départs. Les barreaux de Saint-Denis et Saint-Pierre, qui ne comptaient respectivement que quatre-vingts et vingt-quatre avocats à une époque – ce qui est évidemment insuffisant –, sont aujourd’hui de grands barreaux. Je ne sais pas ce qu’en pensent mes collègues des tribunaux judiciaires, mais je n’ai pas le sentiment qu’il y ait un problème de disponibilité ou de couverture du territoire, y compris par les notaires ou les commissaires de justice.

M. Bertrand Pagès. Lorsque j’ai pris mes fonctions de président, il y a trois ans, le barreau de Saint-Pierre comptait 97 membres ; ils sont désormais 125. Au-delà de cette augmentation rapide des effectifs, je note que les avocats, qui étaient jusqu’alors concentrés à Saint-Pierre, s’installent de plus en plus dans d’autres villes, comme Saint-Joseph ou Saint-Leu, renforçant ainsi le maillage territorial. Les bâtonniers vous le confirmeront peut-être.

M. le président Frantz Gumbs. Je terminerai avec une question plus générale : pensez-vous que les Réunionnais font confiance à l’institution judiciaire et qu’ils en sont satisfaits ?

Mme Fabienne Atzori. La question est vaste. Vous nous demandez, en quelque sorte, de nous autoévaluer.

M. le président Frantz Gumbs. Non, de vous mettre à la place des Réunionnais.

Mme Fabienne Le Roy. Une chose est sûre, les justiciables et les avocats auxquels nous avons affaire au moment des audiences sont respectueux de l’autorité judiciaire et ne se plaignent pas de la façon dont ils sont traités, que ce soit à l’accueil, dans les couloirs ou lors de l’audience. On pourrait penser que les justiciables n’osent rien dire parce qu’ils sont bien élevés, mais même les avocats, qui ont davantage la possibilité de se plaindre et de faire part d’éventuelles difficultés, ne se plaignent pas. Le déroulement des audiences est tout à fait révélateur.

Par ailleurs, lors des Journées européennes du patrimoine qui se sont tenues le week-end dernier, les visiteurs ont, semble-t-il, été très heureux de visiter le tribunal et satisfaits des échanges qu’ils ont eus – ils l’ont écrit dans le livre d’or. Cet accès à la justice qui leur est régulièrement offert est très important : la justice est une institution beaucoup plus transparente qu’on ne le pense, et elle doit l’être. Nous y veillons, notamment en organisant des audiences solennelles pour expliquer les décisions. C’est d’ailleurs dommage que la presse ne soit pas davantage présente pour en rendre compte. Les portes du palais sont grandes ouvertes à qui souhaite venir voir comment nous travaillons.

Mme Fabienne Atzori. Comme nous tous, je souscris totalement à ces propos. J’ajouterai qu’on ne choisit pas de venir à La Réunion pour gagner de l’argent : on y vient pour le territoire et ses particularités. Nous avons la déontologie chevillée au corps, au moins autant que les collègues qui exercent ailleurs en France, que ce soit en région parisienne ou dans le Sud, où j’étais précédemment en poste. Nous faisons notre métier, je crois que nous en serons tous d’accord aussi, avec tout le dévouement possible, et avec à l’esprit le nécessaire équilibre entre le respect du droit et le respect de la personne humaine – c’est le principe d’équité qui prévaut en matière civile. Nous appliquons les règles sans dureté et avec le souci permanent d’être compris, car pour qu’une décision judiciaire soit acceptée, elle doit être comprise, donc clairement édictée et motivée.

Un mot encore sur les Journées européennes du patrimoine, puisque j’ai eu le bonheur de passer mon samedi à la cour, où nous avons accueilli 337 visiteurs contre 222 l’an dernier : c’était une journée très enrichissante. Les gens sont venus à la rencontre de la cour d’appel comme ils auraient pu venir à la rencontre du tribunal judiciaire : ils ont eu la curiosité d’entrer dans un lieu de justice. Je pense que la justice est respectée, même si elle est parfois critiquée – fort heureusement, d’ailleurs. Notre métier est de dire à quelqu’un s’il a tort ou raison, il me semble donc tout à fait normal que nous soyons critiqués sur le fond. Mais nous ne le sommes pas, je crois, sur la forme.

Mme Fabienne Le Roy. Il nous arrive même de dire aux deux parties qu’elles ont tort !

M. le président Frantz Gumbs. Je pense que nous avons fait le tour du fonctionnement de l’institution judiciaire à La Réunion. Merci beaucoup à tous pour votre présence. N’hésitez pas à nous faire parvenir tout document qui pourrait contribuer à notre réflexion.

La séance s’achève à quinze heures dix.

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Membres présents ou excusés

Présents. – M. Frantz Gumbs, M. Davy Rimane