Compte rendu

Commission d’enquête
sur les défaillances
des politiques publiques de prise en charge de la santé mentale et du handicap et les coûts de ces défaillances pour la société

 Audition, ouverte à la presse, de Mme Véronique Bustreel, directrice Innovation, évaluation et stratégie de l’Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées (Agefiph)              2

– Présences en réunion................................16

 


Mercredi
17 septembre 2025

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 10

session 2024-2025

Présidence de
Mme Nicole Dubré-Chirat,
Présidente,
 


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La séance est ouverte à neuf heures trente.

 

La commission auditionne de Mme Véronique Bustreel, directrice Innovation, évaluation et stratégie de l’Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées (Agefiph).

Mme la présidente Nicole Dubré-Chirat. Je souhaite la bienvenue à Mme Véronique Bustreel, directrice de l’innovation, de l’évaluation et de la stratégie de l’Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées (Agefiph).

Je vous remercie, madame, de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Véronique Bustreel prête serment.)

Mme Véronique Bustreel, directrice de l’innovation, de l’évaluation et de la stratégie de l’Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées. Je vous remercie de nous associer à cette commission d’enquête dont le sujet nous intéresse beaucoup.

Notre association a été créée il y a près de quarante ans dans l’objectif d’améliorer l’emploi des personnes en situation de handicap. Elle collecte les fonds – 500 millions d’euros par an environ – des entreprises qui répondent peu, mal ou imparfaitement à l’obligation d’emploi qui leur incombe, et les utilise pour fournir des aides et services aux personnes handicapées et aux entreprises. Employant 500 collaborateurs, dont un tiers au siège, elle agit au quotidien dans l’ensemble du territoire, en métropole comme dans les outre-mer.

Chaque année, 40 % des moyens de l’association sont gagés. À la demande de l’État, ils sont alloués aux Cap emploi – dont l’Agefiph est le principal financeur –, à l’emploi accompagné, aux entreprises adaptées – à hauteur de 50 millions par an pour les trois prochaines années – ainsi qu’au financement de l’aide à l’emploi des travailleurs handicapés (AETH), qui relève de la reconnaissance de la lourdeur du handicap (RLH) mise en place il y a une vingtaine d’années.

Les moyens restants sont distribués à parts égales entre les entreprises et les personnes en situation de handicap, sous forme d’aides et de services. C’est important, car l’emploi n’existe pas sans les employeurs.

Il est essentiel à nos yeux de couvrir l’ensemble du territoire national et de veiller à l’équité de traitement. Ce n’est pas toujours facile et il nous faut parfois opérer des régulations par des actions spécifiques adaptées aux territoires – aux outre-mer et au monde rural, par exemple. Nous réalisons environ 200 000 interventions par an, au plus près des territoires.

L’Agefiph a vocation à travailler en complémentarité avec les dispositifs existants : elle ne se substitue pas aux aides de droit commun, mais fait en sorte que les personnes en situation de handicap accèdent à leurs droits. Cette approche par les droits, aujourd’hui essentielle, n’était pas celle qui prévalait il y a quarante ans. À l’époque, nous agissions sur le mode de la compensation, parfois de la substitution. Nous avons changé de démarche il y a une petite dizaine d’années, dans un souci de bonne gestion des moyens dont nous disposons, mais aussi de respect des obligations juridiques, en particulier de celles fixées par la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH) ; il ne s’agit plus seulement de se substituer à ceux qui ne font pas ce qu’ils devraient.

Nous nous sommes lancés, en particulier, dans un travail sur l’accompagnement du droit commun, lequel recouvre essentiellement le Réseau pour l’emploi et les organismes de formation. La population reconnue en situation de handicap est en forte croissance, comme en atteste le nombre de décisions favorables des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Cela peut être vu comme une bonne nouvelle, si l’on considère que ces personnes accèdent à leurs droits et que, pour elles, la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) n’est pas nécessairement un obstacle mais peut constituer un atout.

Ce constat peut aussi conduire à revoir les moyens afin qu’ils suivent l’évolution de la population. Certaines situations de handicap sont aujourd’hui mieux prises en compte ; c’est le cas par exemple du handicap psychique, depuis sa reconnaissance dans la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances. L’accompagnement des personnes concernées n’est certes pas suffisant, mais il s’est amélioré. Dans le champ de l’emploi, en tout cas, des ressources ont été mises en place. La neurodiversité est mieux appréhendée et diagnostiquée plus précocement qu’autrefois. Je rencontre encore des personnes d’une cinquantaine d’années – surtout des femmes – dont l’autisme n’a pas été reconnu, ce qui a pesé sur leur carrière professionnelle. Je pense, de façon optimiste, que ces situations seront moins fréquentes dans les années à venir car les handicaps auront été identifiés, diagnostiqués et accompagnés. Les choses sont en voie d’amélioration.

Mme la présidente Nicole Dubré-Chirat. Sait-on pourquoi le taux requis de 6 % de personnes en situation de handicap dans les entreprises n’est pas atteint ? La situation est-elle différente selon les types de handicap ? On sait par exemple que le handicap psychique est invisible et parfois plus difficile à intégrer en entreprise.

Les sanctions actuellement prévues sont-elles suffisantes pour inciter les entreprises à recruter des personnes handicapées ?

Le recul du taux de chômage pousse les employeurs à aller chercher des personnes en situation plus difficile. Mais perçoit-on déjà les effets de la loi « travail », notamment du double accompagnement ?

Enfin, comment se concrétise le passage à une démarche axée sur les droits des personnes plutôt que sur les compensations ou la substitution ?

Mme Véronique Bustreel. Votre première question est fondamentale. L’un des difficultés que nous rencontrons est le manque de données, particulièrement de données genrées et suffisamment fines pour permettre de comprendre les mécanismes à l’œuvre. Le nombre de personnes reconnues en situation de handicap progresse dans la société comme au sein des entreprises mais, d’après les chiffres de la Dares (direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques), les personnes qui se déclarent handicapées sont deux fois plus nombreuses que les bénéficiaires de la RQTH. Ce phénomène de sous-déclaration, qui complique l’analyse des données, s’explique en grande partie par les discriminations dont sont victimes les personnes en situation de handicap, documentées et régulièrement confirmées par les rapports annuels du Défenseur des droits.

Chaque année, dans le cadre du baromètre sur la perception du handicap, nous interrogeons des personnes en situation de handicap, des dirigeants d’entreprise, des salariés et des Français au sujet du handicap et de l’emploi. La huitième édition du baromètre, à paraître demain, est porteuse d’une bonne nouvelle : deux tiers des répondants indiquent que leur regard sur ce sujet a changé depuis les Jeux paralympiques. Mais trois quarts d’entre eux considèrent qu’il est compliqué de recruter une personne en situation de handicap, et les deux mots les plus fréquemment choisis pour illustrer l’emploi en situation de handicap – difficultés et fauteuil roulant – renvoient à des stéréotypes : les personnes en fauteuil ne sont pas majoritaires parmi la population en situation de handicap, principalement composée de personnes souffrant de troubles musculo-squelettiques, de maladies invalidantes ou de déficiences sensorielles. La représentation faussée des situations de handicap constitue un frein majeur à l’emploi. Elle peut dissuader de déclarer son handicap ou d’embaucher un travailleur handicapé, et entraîne des discriminations très importantes.

De surcroît, la situation économique entraîne depuis l’an dernier un recul – renforcé par la stigmatisation et les stéréotypes – de la volonté de recruter des personnes en situation de handicap.

À l’occasion des vingt ans de la loi de 2005, nous avons souhaité prendre du recul en travaillant sur un bilan rétrospectif avec notre observatoire. Nous nous sommes interrogés sur la raison pour laquelle le taux d’emploi des personnes en situation de handicap atteint quasiment 6 % de façon globale dans le secteur public, alors qu’il n’est que de 3,7 % dans le secteur privé – sachant qu’il est beaucoup plus élevé si on prend en considération la survalorisation des personnes de 50 ans ou plus, qui représentent la moitié des salariés en situation de handicap. Ce sont aussi 50 % des demandeurs d’emploi en situation de handicap qui ont 50 ans ou plus. De fait, l’âge a une forte incidence sur le handicap : c’est avec l’âge que surviennent certaines situations de handicap, mais aussi que certaines personnes, fragilisées, décident de faire reconnaître leur situation.

Nous souhaitions savoir si le taux d’emploi avait augmenté. En valeur absolue, le nombre de personnes en situation de handicap au travail a progressé, passant de 600 000 il y a vingt ans à 1,3 million. Dans le même temps, le nombre de salariés du privé passait de 17 à 27 millions, mais le secteur public ne connaissait pas la même évolution : le nombre de fonctionnaires est passé de 4,5 millions en 2003 à 5 millions environ. Outre que l’assiette est ainsi plus étroite dans le secteur public, celui-ci est soumis à des règles spécifiques qui n’existent pas dans le privé, comme l’intégration dans l’obligation d’emploi des personnes reclassées.

D’après les chiffres de France Travail, 200 000 personnes entrent chaque année dans l’emploi privé. Mais les flux de sortie sont également importants du fait de l’âge moyen relativement élevé des salariés, qui se traduit par des départs à la retraite – sachant qu’une partie des personnes en situation de handicap sont soumises, sur ce point, à des règles spécifiques. Ce phénomène d’érosion naturelle joue sur le taux d’emploi et ne permet pas toujours d’atteindre l’objectif.

Au vu des dernières données publiées dans le cadre de l’enquête Autonomie de la Drees (direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), l’objectif de 6 % pourrait d’ailleurs être supérieur : il y a 7,5 % de personnes en situation de handicap dans la société française. La question du relèvement du taux s’adresse notamment aux parlementaires. La loi de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel dispose en effet qu’il peut être revu pour prendre en considération les évolutions de la société.

Le taux d’emploi des personnes handicapées dans les entreprises évolue très lentement – de l’ordre de 0,1 point par an. Il faudrait trente ans au rythme actuel pour qu’il atteigne 6 %. La Dares a toutefois récemment souligné que le taux d’atteinte directe de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés, donc sans tenir compte des modalités hors emploi direct, est de 84 %.

Le premier frein au recrutement des personnes en situation de handicap est leur niveau de formation. Il est important que des référents soient présents dans les organismes de formation et les CFA (centres de formation des apprentis), afin qu’une réflexion de fond y soit menée sur l’accompagnement. Il faut également aider les régions et France Travail à prendre en considération la question du handicap dès l’origine lors de leurs achats de formations. En l’absence d’aménagements ou d’adaptations, en effet, les personnes ne vont pas jusqu’au bout du cursus.

Le Cereq (Centre d’études et de recherches sur les qualifications) mène de façon régulière une enquête auprès des jeunes, intitulée « Génération ». L’Agefiph a décidé de participer au financement d’un module consacré au handicap qui en avait disparu il y a quinze ans. Nous avons souhaité savoir ce que devenaient à la sortie de leurs études les jeunes en situation de handicap, de plus en plus nombreux à être scolarisés en milieu ordinaire. Les éléments de réponse que nous obtiendrons l’année prochaine nous permettront de déterminer si et comment nous devons accompagner ces jeunes dans leur accès à l’emploi. Il se produit en effet souvent des ruptures dans ce moment de transition entre scolarité et emploi. Les articulations entre la sphère de l’éducation et celle du travail ne sont certainement pas assez fluides et il doit être possible d’améliorer les trajectoires de ces jeunes.

Une réflexion doit aussi être menée sur les environnements de travail : qu’est-ce qu’un environnement inclusif ? Comment peut-il assurer l’accessibilité pour l’ensemble des salariés, y compris des travailleurs en situation de handicap ? On sait que 85 % des handicaps surviennent à l’âge adulte et qu’ils résultent souvent d’un accident de la vie quotidienne, d’une maladie, voire d’un événement professionnel. Si l’environnement de travail n’est pas conçu nativement comme inclusif, il est difficile de maintenir les personnes en emploi. Pour nous, c’est un vrai sujet. Il ne s’agit pas seulement d’agir sur l’accès à l’emploi, mais aussi de sécuriser les parcours.

D’après le rapport de la DGT (direction générale du travail) – dont nous avons la chance de bénéficier depuis deux ans –, les services de santé au travail, qu’ils soient interentreprises ou autonomes, font 130 000 à 140 000 déclarations d’inaptitude par an, dont 95 % aboutissent à un licenciement. Là, il y a un combat à mener. L’Agefiph, en intervenant avec le réseau Cap emploi, accompagne environ 30 000 situations par an. Ce n’est pas assez ; il faudrait que nous puissions en prendre en charge quatre fois plus pour éviter des catastrophes.

La taille des entreprises, enfin, est un facteur à prendre en compte. Les petites, en particulier celles qui comptent moins de vingt salariés, ont plus de difficultés à respecter leur obligation d’emploi : leur taux d’emploi s’établit à 2,8 %, contre 4,8 % pour celles de plus de 1 000 salariés. Il est nécessaire de les accompagner plus spécifiquement, car elles n’ont peut-être pas de structures RH suffisamment développées.

Mme la présidente Nicole Dubré-Chirat. Travaillez-vous avec les missions locales sur la sortie de scolarité des jeunes en situation de handicap ?

Les arrêts de travail parfois longs ou multiples engendrent de l’absentéisme ; la prise d’un traitement peut parfois créer des difficultés au travail. Ces facteurs ont-ils un effet dissuasif sur les entreprises ?

M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur. Notre commission d’enquête a choisi d’aborder le sujet sous l’angle des coûts évités. Dans cette perspective, l’accompagnement et le maintien dans l’emploi doivent évidemment être encouragés, tant pour des raisons économiques que pour répondre aux aspirations des personnes concernées.

Le financement de l’Agefiph a été menacé l’an dernier de coupes budgétaires. Ce fut douloureux pour ceux qui sont persuadés que 1 euro qui y est investi, ce sont 2,3 ou 4 euros économisés. Vous n’avez sans doute pas accueilli favorablement cette proposition. À l’approche du débat budgétaire, y a-t-il des signaux d’alerte concernant une éventuelle reprise des fonds que vous collectez ?

Pouvez-vous nous communiquer une liste des entreprises qui sont vertueuses et une autre de celles qui ne le sont pas, sur la base de la collecte que vous opérez ? Est-il bien exact, d’ailleurs, que plus une entreprise contribue à l’Agefiph, moins elle emploie de personnes en situation de handicap, ou ce raisonnement est-il trop simpliste ? Nous aimerions auditionner les entreprises qui font de gros efforts, y compris dans des secteurs d’activité où ce n’est pas simple, et celles qui ne font pas leur part du boulot.

On ne traite pas de la même façon un handicap psychique et une maladie neurodégénérative comme la sclérose en plaques, et les employeurs ne sont pas nécessairement en mesure d’appréhender les spécificités d’une pathologie. Adaptez-vous vos dispositifs d’accompagnement aux différents types de handicap ?

Enfin, les entreprises doivent employer 6 % de personnes en situation de handicap, mais il existe des modalités, d’externalisation notamment, qui leur permettent de déroger à leurs obligations. Pourriez-vous nous les rappeler ? Estimez-vous nécessaire de renforcer nettement les sanctions pour contraindre les entreprises qui ne prennent pas leur part du travail, à défaut de les convaincre ? Il est en effet vertueux pour la société tout entière de travailler à l’insertion des personnes en situation de handicap ou à leur maintien dans l’emploi.

Mme Véronique Bustreel. Nous avons lancé avec France Stratégie il y a cinq ans des travaux sur la performance en entreprise des personnes en situation de handicap, que nous avons renforcés il y a trois ans en y associant le cercle Vulnérabilités et société. Le handicap est souvent vu, en effet, comme un frein pour l’entreprise, et nous ne disposons que de données partielles à ce sujet. Nous avons travaillé sur une revue de littérature internationale et européenne, et en creusant le sujet avec des entreprises.

En fait, ces travaux nous révèlent que l’implication de travailleurs en situation de handicap n’a pas d’impact mesurable sur la performance économique de l’entreprise. Leur présence dans un collectif de travail a un effet globalement neutre. En revanche, on a pu identifier un effet extrêmement positif sur la performance sociale de l’entreprise, en particulier sur le bien-être des collaborateurs au travail. De plus, les entreprises accueillant des personnes en situation de handicap enregistrent un taux d’absentéisme moins élevé que les autres. C’est un point très important car, souvent, on ne s’intéresse qu’à l’absentéisme des personnes en situation de handicap. Celui-ci ne peut pas être négligé – les personnes handicapées peuvent connaître des problèmes récurrents de santé –, mais il ne doit pas pour autant être surévalué, car cela risque de renforcer les stéréotypes.

Nous avons conclu une collaboration avec l’Union nationale des missions locales et chacun de nos délégués régionaux travaille avec les ARML (associations régionales des missions locales) pour créer du lien avec le tissu local. Nous travaillons également avec les Cap emploi et avec France Travail, car les jeunes ne sont pas toujours pris en charge par une mission locale.

Nous essayons de travailler dans les interstices, par exemple sur les Neet (Not in Education, Employment or Training ; ni en emploi, ni en études, ni en formation), avec nos partenaires sur le terrain, en particulier les associations, qui peuvent être des capteurs de situations de handicap. C’est important parce que cette population, moins repérée et identifiée, arrive relativement tard sur le marché du travail – je les qualifie souvent de « vieux jeunes » parce que ce sont rarement des jeunes de 16 ou 17 ans, mais plutôt des personnes dans leur vingtaine. C’est l’intérêt des mesures pour l’emploi qui permettent à des personnes en situation de handicap d’accéder à l’apprentissage beaucoup plus tard, sans barrière d’âge, pour faciliter leur accès à la formation et à l’emploi.

Nous travaillons avec les missions locales sur l’appui à la professionnalisation et au développement des compétences pour identifier et interconnecter les réseaux – Cap emploi, missions locales – et pour qu’ils s’approprient notre offre de services.

Je pense en particulier à notre service d’appuis spécifiques visant à répondre à des besoins particuliers. Il consiste à analyser les capacités et les besoins de compensation et à accompagner la mise en œuvre de la compensation nécessaire en fonction du handicap. Cela concerne aussi bien des problèmes moteurs que des déficiences sensorielles, des troubles psychiques ou cognitifs. Cela nous permet de travailler globalement. Or la sclérose en plaques, par exemple, peut nécessiter plusieurs types d’accompagnement ou de compensation. Nous faisons en sorte que nos équipes travaillent avec nos prestataires pour apporter le meilleur service possible à ces personnes, qui peuvent présenter une diversité de troubles – cognitifs et moteurs – associés.

Notre offre de services est souvent proposée par l’intermédiaire de Cap emploi et a été amplifiée par la mise en œuvre du lieu unique d’accompagnement et de l’offre partagée avec France Travail. Nous allons interconnecter notre plateforme d’appui à la professionnalisation à l’Académie France Travail dans les jours à venir, ce qui permettra à l’ensemble du Réseau pour l’emploi d’accéder aux ressources, de se former et de s’outiller.

Le risque de diminution de nos ressources nous inquiète. Comme une partie est d’ores et déjà gagée, une réduction des moyens disponibles pour le reste de notre activité pénaliserait les personnes en situation de handicap et les entreprises, parce que nous ne pourrions plus – ou moins – leur fournir des aides et des services. Cela nous a amenés, l’année dernière, à opérer des changements dans nos modes d’intervention dans le registre de la formation, d’une part parce que la dynamique d’emploi était très forte – c’est une bonne nouvelle, parce que cela signifie que les acteurs savent s’emparer de l’offre de services de l’Agefiph –, d’autre part parce que notre collecte est contrainte, ce qui nous oblige à être attentifs aux moyens que nous utilisons. L’Agefiph s’est désengagée du cofinancement de formations au bénéfice des autres aides et services qu’elle sert par ailleurs – aides à la mobilité et à l’aménagement des situations de travail ; aides à l’accompagnement des personnes concernées par les services de santé au travail et le Réseau pour l’emploi.

Nous espérons ne pas revivre une telle inquiétude cette année. Il faut être très prudent, car de plus en plus de personnes sont reconnues en situation de handicap et se font connaître en entreprise. Même si l’on atteignait demain le taux d’emploi requis, il y aurait quand même des besoins de compensation. Il faut donc être très attentifs aux moyens qui doivent être investis pour accompagner et compenser les situations de handicap. Tous les acteurs de notre réseau, avec qui nous avons partagé notre inquiétude, se demandent comment cela pourrait fonctionner si des besoins sont non couverts et si des personnes ne peuvent travailler ; cela présenterait un risque pour la société. Nous le constatons avec l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée : 25 % des personnes qui en bénéficient sont en situation de handicap ; elles peuvent ainsi retrouver un emploi durable et devenir consommatrices à leur tour, et cela a des impacts positifs sur leur santé – elles ont moins recours aux services de santé, certains problèmes de santé, notamment mentale, pouvant être résolus parce qu’elles travaillent.

La question des moyens est donc pour nous une source d’inquiétude quotidienne. Chaque année, nous scrutons le PLF (projet de loi de finances) pour vérifier qu’on ne pense pas que l’Agefiph a trop d’argent ; en réalité, nous n’en avons pas assez pour répondre aux besoins de tous. À ce stade, nous n’avons pas d’information sur ce sujet.

M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur. J’en reviens à la liste des entreprises. Une liste précise existe-t-elle ? Pouvez-vous nous la communiquer ? Il s’agit d’un élément très important pour nos travaux : j’ai besoin de comprendre pourquoi certaines entreprises sont si peu allantes, ce qui me paraît inconcevable compte tenu de la situation que vous avez évoquée.

Mme Véronique Bustreel. L’Agefiph ne possède pas une telle liste. L’ensemble des déclarations passant désormais par l’Urssaf, les données sont disponibles auprès de cet organisme. Ces données étant personnelles, l’Agefiph n’a pas le droit de les diffuser ni de les utiliser à d’autres fins. C’est l’Urssaf qui les gère.

Nous travaillons vraiment très bien avec certaines entreprises.

Ainsi, l’entreprise Stef, dans le secteur de la logistique, accomplit depuis plusieurs années un travail remarquable, son taux d’emploi des personnes handicapées atteignant 7,6 % alors même que les métiers qu’elle propose ne sont pas réputés faciles – certains nécessitent même des capacités spécifiques, ce qui prouve bien que cela est possible.

J’ai aussi en tête l’entreprise de transport Linevia, qui est exemplaire : elle permet à des personnes en fauteuil roulant, hémiplégiques ou monomanuelles de conduire des autocars.

Ainsi, quand des entreprises s’engagent et s’en donnent les moyens, les choses deviennent possibles. Cela vient souvent du top management : si celui-ci n’est pas impliqué dans la démarche, si le collectif de travail lui-même n’est pas impliqué et s’il n’est pas accompagné, alors cela ne fonctionne pas.

Concernant les sanctions, je ne sais pas s’il en faut davantage. La loi de 1987 avait prévu un régime de sanctions qui a été renforcé par la loi de 2005, puis par celle de 2018. L’enjeu ne me semble pas tant de sanctionner davantage que d’améliorer l’accompagnement ; telle est la logique dans laquelle nous nous inscrivons. Ce n’est sans doute pas suffisant, mais des changements sont en cours, notamment avec la mise en place des référents handicap dans les entreprises de 250 salariés et plus.

En l’absence d’obligation de déclaration, il n’existe pas de liste des référents handicap. Toutefois, lorsqu’une entreprise en désigne, nous le voyons : notre baromètre à cet égard est sans appel. D’une manière générale, 40 % à 50 % des recruteurs estiment qu’il est relativement facile d’embaucher une personne handicapée. Quand l’entreprise est accompagnée par l’Agefiph, ce taux passe à 77 % et quand elle intègre un référent handicap, il s’établit à 90 %. Le constat est clair : quand il y a une ressource en interne et des engagements structurés de l’entreprise, cela marche beaucoup mieux.

M. David Magnier (RN). Il serait intéressant de connaître le pourcentage de travailleurs handicapés dans le secteur public. Celui-ci met-il en œuvre des moyens suffisants pour les accueillir ?

Le taux d’activité des personnes handicapées s’élève à 45 % en France contre 51 % dans l’Union européenne. À quoi cet écart est-il dû ?

L’une des missions centrales de l’Agefiph est de proposer une offre de services dans l’ensemble du territoire. Pourtant, les politiques publiques demeurent inégales selon les régions. Quels leviers mobilisez-vous pour garantir, de l’école à l’université, un accompagnement de qualité pour les personnes en situation de handicap ?

Quelles relations entretenez-vous avec les missions locales et, plus largement, avec les services publics de l’emploi ? Comment s’organise concrètement votre coopération ? Existe-t-il un risque de chevauchement des actions, ou constatez-vous au contraire un effet de synergie et de démultiplication de l’efficacité ?

Enfin, les personnes en situation de handicap souffrent encore trop souvent d’un déficit de qualification et de formation. Vous avez dit que vous collaboriez avec les acteurs du secteur afin de sécuriser leur parcours professionnel, mais avez-vous observé des évolutions positives ces dernières années ? Dans un contexte budgétaire contraint, surtout avec le prochain budget, quels leviers privilégieriez-vous pour améliorer les dispositifs existants en optimisant ceux déjà en place ?

Mme Élise Leboucher (LFI-NFP). Dans notre société qui fait de la productivité son objectif principal et où l’humain passe au second plan, certaines entreprises ne préfèrent-elles pas payer plutôt que de travailler avec vous à l’amélioration de l’emploi des personnes en situation de handicap ?

Concernant les différents types de handicap, quel regard portez-vous sur les aides à l’insertion et surtout au maintien de l’emploi ? Un handicap physique est concret et l’aide nécessaire est quantifiable. C’est beaucoup plus difficile pour les troubles du spectre autistique ou psychiques, qui nécessitent un aménagement de l’ambiance de travail, des horaires, des rythmes et des tâches. De plus, le code du travail n’est pas très souple : il ne permet pas toujours au salarié de se sentir bien dans son poste de travail et de conserver un revenu digne, ni à l’employeur de répondre à ses besoins.

Les dispositifs d’accompagnement existants ne sont-ils pas méconnus ?

Mme Anaïs Belouassa-Cherifi (LFI-NFP). À l’approche de la période budgétaire, nous espérons tous que les crédits destinés à l’insertion professionnelle des personnes handicapées ne subiront pas, comme l’année dernière, une tentative de coupe de 20 %.

Les personnes en situation de handicap rencontrent beaucoup de difficultés pour accéder à l’emploi. Cela se traduit très concrètement dans leur taux de chômage, qui est presque deux fois supérieur à celui de la population générale. Cela entraîne une très grande précarité, dont on sait à quel point elle peut avoir des effets sur la dégradation de la santé mentale.

Dans les structures telles que les Esat (établissements et services d’aide par le travail), où la rémunération des travailleurs se situe bien en deçà du SMIC, l’accompagnement vers le milieu ordinaire est quasi inexistant – on estime que seuls 1 % des travailleurs en Esat parviennent à aller travailler en milieu ordinaire. Or nous sommes dans l’incapacité d’obtenir des données statistiques sur leur nombre et sur les secteurs d’activité concernés. Ce manque de disponibilité des données nous empêche de mener des politiques publiques efficaces.

L’ONU nous a alertés sur les conditions de travail dans les Esat, où il existe des problèmes de discrimination et de ségrégation. Certains établissements ont connu des scandales, comme Georges-Couthon, à Amiens. La mission d’évaluation de la loi de 2005, à laquelle plusieurs membres de notre commission ont participé, a recommandé un processus de désinstitutionnalisation : au lieu de placer systématiquement les personnes en situation de handicap dans des Esat, l’objectif est de les orienter vers le milieu ordinaire, en forçant au besoin les entreprises à adapter les postes de travail et à recruter ces personnes comme il se doit.

Quelles mesures l’Agefiph prend-elle pour lutter contre la précarité et accompagner les personnes en situation de handicap vers un emploi mieux rémunéré ?

Quelles actions estimez-vous nécessaires afin de favoriser une meilleure insertion professionnelle ?

Mme la présidente Nicole Dubré-Chirat. La Défenseure des droits, que nous avons auditionnée hier, a évoqué la difficulté récente pour certains étudiants à obtenir des adaptations lors des examens. En avez-vous eu connaissance ?

Mme Véronique Bustreel. Le secteur public entre dans le périmètre non pas de l’Agefiph mais du FIPHFP (fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique), avec lequel nous travaillons de manière très étroite et en synergie totale : nous proposons des offres coportées et des services communs pour en faciliter la lisibilité. J’entends qu’il est toujours très compliqué d’obtenir des données, mais nous nous astreignons à communiquer une information fiable. C’est parfois difficile, parce qu’il existe beaucoup de canaux de communication. Plus nous serons nombreux à partager cette information, mieux nous serons outillés. C’est tout l’intérêt également de travailler avec le Réseau pour l’emploi et l’ensemble des acteurs fédérés. Il est parfois difficile d’accéder à certains interlocuteurs, comme les services de santé au travail, qui sont souvent débordés et dans lesquels nous avons une myriade d’interlocuteurs.

Du côté de la fonction publique, le taux d’emploi des personnes handicapées s’établit, je l’ai dit, aux alentours de 6 %. Le taux est très variable selon les fonctions publiques – État, hospitalière et territoriale –, mais globalement élevé. Cela tient moins aux recrutements qu’au maintien en emploi des agents de la fonction publique.

Vous m’avez interrogée sur les données comparatives. Nous suivons de près les indicateurs que sont le taux d’activité, le taux d’emploi et le taux de chômage des personnes handicapées. S’agissant du taux de chômage, sa diminution – de 17 % à 12 % – est une très bonne nouvelle. Pour moi qui suis ces évolutions depuis une trentaine d’années, cela me fait même penser que nous servons peut-être à quelque chose et que l’engagement de chacun a son utilité. Le taux d’activité, quant à lui, reste relativement faible : nous nous situons dans la moyenne européenne. Cela dit, les définitions du handicap et l’organisation du travail variant d’un pays à l’autre, les comparaisons sont difficiles à établir. Il existe une grande diversité des modalités d’emploi des personnes handicapées, par exemple. Je vous renvoie aux travaux que Fanny Jaffrès a menés sur la France et la Suède.

S’agissant de la formation, l’essentiel nous paraît être de mieux accompagner les organismes qui en ont la charge. Nous travaillons avec eux pour améliorer l’accessibilité des contenus de formation et des trajectoires. La ressource Handicap formation que nous avons mise en place, outil partagé avec le FIPHFP, a vocation à les soutenir dans leurs démarches. En nous appuyant sur le référentiel Qualiopi, nous les aidons aussi à signer des chartes de progrès.

En ce qui concerne les universités, nous n’avons pas forcément les mêmes témoignages que ceux que vous avez reçus car nos liens avec elles sont ténus. Des connexions existent au niveau local, mais il est certain que mieux relier monde du travail et monde de la formation initiale constituerait un progrès.

Les freins à la formation sont de deux sortes : objectifs – je vous renvoie à ce que nous disions sur les contenus de formation et les modalités d’accès – et subjectifs. Notre baromètre de la perception de l’emploi nous montre que les personnes en situation de handicap s’autocensurent alors même que le champ des possibles s’est élargi grâce aux mutations technologiques et à l’émergence de l’intelligence artificielle, par laquelle des compensations s’opéreront. Des trajectoires sont donc entravées du fait de causes exogènes, mais aussi endogènes : l’intégration des contraintes par les personnes concernées les empêche d’identifier les possibles – mais il faut dire qu’elles ne sont pas toujours accompagnées pour le faire.

En ce qui concerne la grande diversité des situations de handicap accompagnées, le handicap psychique concentre les plus forts stigmates, les dernières données disponibles l’ont encore montré. Cette année 2025 où la santé mentale est grande cause nationale sera réussie si elle provoque un déclic et permet d’engager des processus pérennes au sein des entreprises et de la société. Un tiers des entreprises disent aujourd’hui prendre en compte la santé mentale, mais toutes devraient mettre en place des conditions appropriées pour l’inclusion des personnes concernées par les troubles psychiques et agir pour favoriser la libération de la parole dans le collectif de travail. Il est assez facile de se figurer les aménagements matériels liés aux handicaps physiques, mais beaucoup moins aisé d’imaginer des adaptations liées aux relations humaines.

Mme Élise Leboucher (LFI-NFP). Accompagnez-vous ce type d’aménagement ?

Mme Véronique Bustreel. Notre offre de services permet d’identifier les bonnes compensations en fonction des situations de handicap et nous disposons de financements adossés. Pour les aménagements concernant les adaptations liées aux situations de travail, nous finançons plutôt ce qui touche au fonctionnel et à l’organisationnel. Dans le cadre de la reconnaissance de la lourdeur du handicap et de l’aide à l’emploi des travailleurs handicapés, nous finançons des aides aux déplacements pour compenser les surcoûts parfois très élevés que doivent subir certaines personnes en situation de handicap et des aides humaines opérationnelles pour compenser une moindre efficience sur un poste de travail. Ce sont des sujets émergents : ces situations étaient moins reconnues auparavant.

Mme la présidente Nicole Dubré-Chirat. Pouvez-vous revenir à la question sur les Esat ?

Mme Véronique Bustreel. Cette question ne nous concerne pas directement. Toutefois, l’aide à l’emploi dont je viens de parler, aujourd’hui automatisée, permet d’accompagner les personnes sortant d’un Esat ou d’une entreprise adaptée et de favoriser le maintien dans l’emploi dans certains secteurs, notamment en milieu rural. Nous savons que la population concernée est réduite : le taux de sortie est de 1 % pour les Esat, cela a été dit, et de 7 % pour les entreprises adaptées, structures qui emploient respectivement 140 000 et 40 000 personnes, chiffres à rapporter au nombre total de personnes en situation de handicap qui travaillent en France, soit 1,5 million.

Cette aide reste mal connue et est utilisée de manière inégale selon les territoires. Avec les services de l’État, nous sommes en train de repenser cette allocation de moyens auprès des entreprises. D’un montant élevé – 12 000 euros –, elle est utilisée par des entreprises comme Café Joyeux, qui montrent qu’il est possible pour les personnes en situation de handicap de travailler en milieu ordinaire avec un contrat de travail et tous les droits qui y sont attachés.

M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur. J’appuie vos propos sur la santé mentale, qui, je le rappelle, est le premier motif des arrêts maladie de longue durée, ce qui représente un coût massif pour la sécurité sociale et les entreprises. Il serait vertueux de mieux prendre en considération l’enjeu qu’elle représente.

Quand une personne est frappée par le handicap, il n’est pas simple pour elle d’arriver au bout de l’aventure que représentent les démarches malgré tous les efforts qui sont déployés. Il importe de mener une réflexion approfondie pour améliorer la lisibilité des dispositifs et simplifier l’accès aux droits.

Les entreprises adaptées et les emplois accompagnés ont une plus-value démontrée – ce qui nous ramène à l’enjeu des coûts évités. Les dispositifs d’emploi accompagné sont encore trop peu répandus et insuffisamment soutenus. Pourtant, ils comportent des vertus majeures pour l’accès à l’emploi, puisqu’ils permettent 60 % à 70 % de sorties positives. Quant à l’emploi dans les entreprises adaptées, pourrait-il être davantage stimulé par des modalités d’accompagnement plus conformes à la réalité des besoins ? Je dois dire que je comprends mal les plafonds qu’impose actuellement la loi en matière de proportion minimale de travailleurs reconnus handicapés. Reste que, dans ces entreprises, il y a une appropriation des enjeux liés à l’adaptation aux situations de handicap plus poussée que dans le secteur ordinaire.

Mme Véronique Bustreel. La majorité des personnes en situation de handicap qui travaillent le font en milieu ordinaire. Je le dis et je le répète, car c’est une réalité très importante à avoir à l’esprit pour lutter contre les représentations selon lesquelles ce ne serait pas possible. Beaucoup de personnes en situation de handicap font reconnaître leur handicap et accèdent à l’emploi, mais des freins demeurent. C’est la raison pour laquelle des outils et des dispositifs ad hoc sont mis en place. L’emploi accompagné permet précisément d’accompagner des situations particulières de manière pérenne, puisque ces situations perdurent tout au long de la vie.

Vous parliez, madame la députée, des difficultés à comprendre les attitudes et les comportements et à trouver des moyens de faciliter le geste métier. C’est tout l’intérêt du travail que nous menons avec l’association Vivre et travailler autrement. Je suis très fière que des services d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés (Samsah) dédiés à l’emploi se développent au niveau national et j’espère que, demain, il y en aura un dans chaque département de France. Pour les finances publiques, ce sera une avancée importante, car les coûts seront divisés par deux pour un accompagnement de bien meilleure qualité. Des personnes qu’on imaginait plutôt se diriger vers un foyer d’accueil médicalisé ou vers une maison d’accueil spécialisée sont reconnues, grâce à l’efficience du travail qu’elles fournissent, par leurs familles, par leurs proches, mais aussi au sein même des entreprises qui les emploient, auxquelles elles apportent une valeur ajoutée certaine. Avoir un contrat de travail, recevoir un salaire à la fin du mois, gagner en autonomie est un motif de fierté pour ces travailleurs handicapés. Il faut saluer le choix remarquable que font des entreprises comme L’Oréal, Andros ou Guerlain qui s’engagent dans cette voie, même si cela ne concerne que de petites unités. Voici la preuve que lorsqu’une méthodologie et des moyens adéquats sont mis en place, cela fonctionne.

Le dispositif de l’emploi accompagné, instauré par la loi El Khomri en 2016, concerne 10 000 personnes et l’objectif, ambitieux, est d’atteindre à 30 000 personnes, même s’il existe des freins à son développement, notamment de nature administrative. Toutefois, du fait de l’absence de données récentes, il est difficile d’évaluer le nombre de personnes ayant besoin d’être accompagnées et d’estimer la diversité des situations de handicap dans l’emploi. Personne n’est aujourd’hui capable de nous dire combien de places en emploi accompagné sont nécessaires. Toutefois, l’enquête Autonomie, dont les résultats seront connus l’année prochaine, nous permettra de savoir quelles ont été les évolutions depuis 2008, date à laquelle remontent les dernières données, et de disposer de chiffres plus fiables.

Dans le monde entier – car il ne s’agit pas d’un dispositif propre à la France –, l’emploi accompagné a montré son efficacité. La moitié des personnes qui travaillent dans ce cadre présentent des troubles psychiques et des troubles du neurodéveloppement. On peut penser qu’elles en auront besoin aussi à l’avenir, mais sans que cela soit un fil à la patte. Chacun doit avoir la liberté de choisir d’avoir ou non cet accompagnement et d’y mettre un terme – il ne doit pas forcément durer toute la vie.

Quant aux entreprises adaptées, elles sont complémentaires d’autres dispositifs. Y travaillent souvent des personnes en deuxième partie de carrière ou qui ont eu des trajectoires un peu particulières. Ces structures devraient pouvoir davantage participer aux transitions vers le retour à l’emploi en milieu ordinaire classique. Les CDD Tremplin mis en place il y a huit ans au sein des entreprises adaptées ont entraîné des transformations : le taux de sortie vers le milieu ordinaire atteint désormais 7 % à 8 %, ce qui est beaucoup plus que par le passé, mais nous sommes loin encore de l’objectif de 30 % qui était visé. Cela reste un outil très utile, notamment parce qu’il est collaboratif ; or, je vous le disais, ce qui importe pour nos organisations, c’est la capacité à coopérer avec l’ensemble des acteurs du tiers-secteur et de l’entreprise classique. Nous le voyons bien dans le dispositif Territoires zéro chômeur de longue durée ou les structures d’insertion par l’activité économique, où les personnes en situation de handicap sont présentes en nombre.

Pour renforcer la participation de ces entreprises, notre offre de services est là. Elle doit être davantage connue, partagée et utilisée. La mise en place de l’Académie France Travail et le fait que le réseau puisse ainsi mieux diffuser les informations va y contribuer.

Les référents handicap dans les entreprises sont aussi des relais très précieux. Les entreprises ne sont pas des ennemies. Je ne suis pas sûre que les forcer à recruter aboutisse à des résultats : les personnes sortent alors de l’emploi, ce qui n’est ni dans leur intérêt ni dans celui des employeurs. En revanche, déployer outillage, étayage et soutien, ça marche, j’en suis convaincue. Simplement, il nous faut des moyens, comme il nous faut pouvoir évaluer les besoins pour accompagner les personnes au plus près des territoires et des entreprises.

Mme la présidente Nicole Dubré-Chirat. Le ministère du travail est en train d’estimer les taux de sortie positive des entreprises adaptées, sachant qu’il existe de très grandes variations lors du passage du milieu protégé au milieu ordinaire.

Trois freins principaux ont été identifiés : le logement, le transport, la garde d’enfants. A-t-on une idée de leur impact respectif dans la reprise de l’activité ?

Mme Véronique Bustreel. Je reviens à une question précédente : 30 % des entreprises se situent au-delà du taux obligatoire de 6 %, 30 % n’emploient pas de personnes en situation de handicap et pour le reste, elles se situent au milieu du gué. Celles qui ne répondent pas à l’obligation d’emploi sont les plus petites. Nous devons mieux les accompagner, car elles disposent de moins de structures.

Au sein des entreprises adaptées, il existe une hétérogénéité de cultures. Or une culture partagée et l’ouverture à un autre type d’accompagnement sont nécessaires, en particulier pour une entrée par les droits : comment, moi, citoyen français en situation de handicap, puis-je exercer mon droit d’accéder à l’emploi comme toute autre personne ? Vous avez parlé de désinstitutionnalisation, madame la députée, mais travailler en Esat peut être bon, je vous le dis par expérience ; simplement, chacun doit pouvoir choisir. Il s’agit pour nous d’éclairer la personne concernée en vue de renforcer l’autodétermination et de soutenir la formulation d’une préférence. On ne peut pas dire à sa place ce qui est bien ou pas bien pour elle.

J’en viens aux freins. Les personnes en situation de handicap sont des personnes comme les autres. La moitié d’entre elles sont des femmes et les problèmes qui se posent aux femmes en général se posent à elles en particulier. Ces freins qu’elles subissent ne doivent pas faire l’objet d’un traitement spécifique. Simplement, lorsque les politiques publiques sont définies, il importe que l’impact sur les personnes handicapées, dans toute la diversité de leurs situations, donc de leurs besoins, soit pris en compte.

Prenons l’exemple des transports. Pour les personnes ayant tel ou tel handicap physique, aux difficultés d’accès aux transports en commun, qui engendrent des compensations dont on sait les coûts, peut s’ajouter l’impossibilité de conduire elles-mêmes un véhicule individuel. L’Agefiph finance des solutions reposant sur les aides aux déplacements, pouvant atteindre 12 000 euros, et sur les aides au transport adapté. Il en va de même pour le FIPHFP. La situation se complique quand les personnes habitent des territoires ruraux dépourvus d’offres de transports en commun ou quand elles sont en situation de précarité. Les personnes en situation de handicap sont moins nombreuses à occuper des postes à responsabilité et, quand c’est le cas, elles ont tendance à ne pas déclarer leur handicap. Une étude que nous avons menée l’année dernière avec l’Apec (Association pour l’emploi des cadres) montre ainsi que parmi les cadres, 7 % sont en situation de handicap mais que seuls 2 % ont fait reconnaître leur handicap, écart qui s’explique par la peur de la stigmatisation et des discriminations.

En 2012, une circulaire a été publiée par Jean-Marc Ayrault, alors premier ministre, pour prendre en compte le handicap dans les projets de loi, mais je dois dire avoir souvent pleuré devant la fragilité des mesures d’impact envisagées dans les textes. Nous devons systématiser cette démarche, en l’étendant aux propositions de loi, aux décisions des collectivités locales et des entreprises. Le dialogue social doit y contribuer, mais le débat public a, bien sûr, un rôle majeur à jouer.

Mme la présidente Nicole Dubré-Chirat. Je vous remercie pour vos propos aussi passionnés que détaillés. N’hésitez pas à nous transmettre des compléments d’information.

Mme Véronique Bustreel. Je vais vous donner les documents de type varié que j’ai apportés : données statistiques, analyses de la Dares, ainsi que des études sur le cancer, l’autisme, la santé mentale, la déficience visuelle qui, croisant les points de vue des acteurs concernés, mettent en avant une solution pour chaque situation. Notre approche par branche professionnelle montre aussi qu’il est possible à une personne en situation de handicap de travailler, par exemple, dans l’agriculture ou dans la logistique et le transport ; nous sommes en train de nous pencher sur le secteur culturel. Le partage de ces informations contribuera à une meilleure connaissance des situations.

Mme la présidente Nicole Dubré-Chirat. Merci, madame.

 

La séance s’achève à onze heures.


Membres présents ou excusés

 

Présents. – Mme Anaïs Belouassa-Cherifi, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Élise Leboucher, M. David Magnier, M. Sébastien Saint-Pasteur

Excusé. – Mme Sylvie Bonnet