Compte rendu

Commission
des affaires économiques

 Audition, conjointe avec la commission des affaires économiques du Sénat, de M. Stéphane Séjourné, vice-président exécutif pour la prospérité et la stratégie industrielle de la Commission européenne              2

 

 


Mardi 14 octobre 2025

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 4

session ordinaire de 2025-2026

Présidence de

M. Stéphane Travert, président, et de
Mme Dominique Estrosi Sassone, Présidente de la commission des affaires économiques du Sénat


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La commission des affaires économiques a auditionné, conjointement avec la commission des affaires économiques du Sénat, M. Stéphane Séjourné, vice-président exécutif pour la prospérité et la stratégie industrielle de la Commission européenne.

 

M. Stéphane Travert, député, président. La commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale se réunit aujourd’hui avec celle du Sénat pour une audition importante et prévue de longue date, organisée à l’initiative des présidentes Dominique Estrosi Sassone et Aurélie Trouvé.

Nous sommes très heureux d’accueillir M. Stéphane Séjourné, vice-président exécutif pour la prospérité et la stratégie industrielle de la Commission européenne. Il nous semble en effet important que les membres de la Commission européenne viennent échanger avec les parlements nationaux.

Monsieur le commissaire Séjourné, nos commissions ont souhaité vous auditionner pour évoquer les enjeux de souveraineté industrielle et numérique. Toutefois, eu égard à l’étendue de vos responsabilités, vous serez sans doute amené à répondre à des questions connexes, portant notamment sur les enjeux commerciaux ou énergétiques, dont les effets sur la compétitivité de nos industries sont déterminants.

Avant de céder la parole à la présidente Dominique Estrosi Sassone, je souhaiterais vous poser quelques questions.

Le 7 octobre, vous avez présenté, avec le commissaire européen au commerce, de nouvelles mesures pour protéger le marché européen de l’acier face à une concurrence mondiale, notamment chinoise, très agressive. Vous avez ainsi annoncé une diminution de moitié du quota d’acier pouvant être importé sans droits de douane – les 27 États membres ne pourront donc plus importer que 18,3 millions de tonnes par an – ainsi qu’un doublement des droits de douane de 25 % à 50 %. Ces mesures remplaceront les précédentes clauses de sauvegarde, dont l’efficacité était amoindrie par des stratégies de contournement. Comment comptez-vous neutraliser ces dernières ? Comment le secteur de la sidérurgie accueille-t-il ce plan ? Les récentes exigences du président des États-Unis pourraient-elles le remettre en cause ? L’enjeu est majeur, en particulier pour ArcelorMittal, dont la situation nous inquiète.

Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) est censé rééquilibrer les conditions de concurrence entre les industries européennes et les fabricants extracommunautaires, en imposant aux importations de certains produits une tarification carbone équivalente à celle appliquée aux producteurs européens. Toutefois, le dispositif envisagé fait l’objet de nombreuses critiques, notamment en raison de sa limitation aux produits bruts et des possibilités de contournement. Comment ses principaux biais, qui limitent son efficacité et pourraient avoir des effets destructeurs, pourraient-ils être corrigés ?

Le rapport de M. Mario Draghi sur la compétitivité européenne, publié en septembre 2024, soulignait le besoin de réduire la charge administrative des entreprises – vous avez vous-même reconnu la nécessité d’un « choc de simplification » dès le début de votre mandat. Quelle est la stratégie de la Commission européenne dans ce domaine ? Quelles sont les actions envisagées pour soutenir la compétitivité des entreprises européennes, notamment dans le secteur industriel ?

Les relations commerciales internationales sont actuellement marquées par une forte instabilité, allant parfois jusqu’à une forme de guerre commerciale, dans laquelle les principaux concurrents de l’Union européenne, américains et chinois notamment, n’hésitent pas à privilégier leurs entreprises nationales. En réaction, la Commission européenne étudie-t-elle la possibilité d’introduire une préférence européenne dans les marchés et contrats publics des États membres ?

Par ailleurs, quelle est votre analyse concernant les enjeux de souveraineté économique et industrielle liés au numérique et à l’intelligence artificielle – notre commission a récemment publié un rapport à ce sujet –, compte tenu de la dépendance des entreprises européennes à l’égard d’acteurs non européens, américains notamment ? Enfin, quelle est votre stratégie pour défendre la souveraineté européenne vis-à-vis des matières premières critiques, dont beaucoup se trouvent en Chine ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, sénatrice, présidente. Réunir nos deux commissions est un format inhabituel, qui souligne l’importance du dialogue entre la Commission européenne et les parlements nationaux.

Ma première question est d’ordre général et porte sur la compétitivité européenne face aux États-Unis et à la Chine, à l’heure du pacte vert pour l’Europe, le Green Deal – ce pacte qui fait figure de boussole de la politique économique européenne – et alors que de nombreuses entreprises alertent sur le coût économique de la réglementation et de la transition énergétique. Comment la stratégie industrielle européenne décline-t-elle les objectifs du pacte vert ? Quelles mesures restent à mettre en œuvre ? Comment la Commission européenne entend-elle concilier transition écologique, préservation de notre base industrielle et compétitivité, notamment des PME ?

Il y a quelques mois, devant notre commission, un interlocuteur résumait ainsi la situation : « Partout dans le monde, il y a des plans de développement ; en Europe, il y a la décarbonation ». Si la décarbonation finit par entraîner la désindustrialisation, elle sera un échec sur les plans technologique, économique, social et même écologique, puisque les usines seront ailleurs.

Ma deuxième question concerne la filière sidérurgique européenne, qui est plus menacée que jamais. Je compléterai les propos du président Travert en évoquant la filière inox. J’ai été alertée sur la situation d’Aperam à Gueugnon, en Saône-et-Loire, par mon collègue Fabien Genet. Vous reconnaîtrez là l’ancrage sénatorial ! Ce site, qui emploie plus de 800 personnes et fut longtemps leader mondial dans son secteur, est menacé, de manière directe et immédiate, par les dispositifs massifs de contournement des protections européennes instaurés par ses concurrents chinois et indonésiens, via Taïwan, la Turquie ou le Vietnam.

À titre d’exemple, entre 2023-2024 et 2024-2025, le tonnage d’acier inoxydable importé de Taïwan est passé de 82 000 à 234 000 tonnes. Cherchez l’erreur ! À ce niveau-là, c’est de la génération spontanée ! Dans ce contexte, c’est tout autant la survie de notre industrie et de nos emplois que la crédibilité de la Commission et de l’Union européenne qui sont en jeu. Comment comptez-vous réagir face à cette situation d’urgence ?

Enfin, je conclurai par une question relative à votre compétence en matière de marché unique et au développement des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI), qui constitue un volet important de la feuille de route que vous a confiée Ursula von der Leyen. Il nous semble essentiel que l’Europe dispose d’un tissu entrepreneurial solide, créateur d’emplois, innovant et exportateur, comme c’est le cas en Italie et en Allemagne. Sous l’impulsion de Gérard Larcher, le Sénat s’est d’ailleurs doté d’une délégation aux entreprises, ce qui est une spécificité par rapport à l’Assemblée nationale.

Lors de votre nomination, la présidente de la Commission vous écrivait : « Vous vous emploierez à améliorer l’accès au financement des PME, à simplifier leur environnement réglementaire et à les encourager à innover. Vous devriez étudier la faisabilité d’un passeport spécifique pour les PME afin de réduire leur charge administrative et leurs coûts. Vous dirigerez les travaux portant sur l’établissement d’une nouvelle catégorie de petites entreprises à moyenne capitalisation et évaluerez si la réglementation existante entrave de manière injustifiée leur développement. » Cela fait écho à l’une des propositions du rapport qu’Enrico Letta était venu présenter au Sénat : élaborer un code des affaires européen pour rendre le marché unique plus fluide, ce vingt-huitième régime se substituant aux vingt-sept lois nationales.

Où en est la mise en œuvre du rapport Letta ? Où en êtes-vous de l’application de votre feuille de route destinée à simplifier la vie des PME et ETI ?

Nous attendons de votre part des réponses claires et sincères à l’ensemble de nos questions. La capacité de la Commission européenne d’agir à la hauteur des enjeux et la prospérité de nos économies nationales en dépendent.

M. Stéphane Séjourné, vice-président exécutif pour la prospérité et la stratégie industrielle de la Commission européenne. Lors de tous mes déplacements, je propose aux parlements nationaux de les rencontrer. Je me suis exprimé la semaine dernière devant les Cortes Generales dans un format semblable à celui qui nous réunit aujourd’hui.

Je suis responsable devant le Parlement européen et non devant les parlements nationaux. Toutefois, il est normal que nous puissions nous prêter à cet exercice, mes collègues commissaires et moi-même, afin de répondre aux questions et d’enrichir nos propres réflexions.

Pour faire face aux tensions commerciales internationales, l’objectif de la Commission est de bâtir une politique industrielle européenne qui ne soit pas la juxtaposition de vingt-sept politiques industrielles nationales. Nous devons éviter de nous faire concurrence, construire le marché intérieur et créer les conditions d’un nouveau modèle économique européen qui permette de surmonter les difficultés que nous rencontrons.

D’un côté, nous assistons à la fermeture des frontières et à l’adoption, un peu partout dans le monde, de mesures de plus en plus protectionnistes. De l’autre, nous devons diversifier nos échanges commerciaux pour sortir de situations de dépendance, qui sont encore trop fréquentes dans beaucoup de domaines et nous exposent à de possibles chantages. Vous avez notamment évoqué le problème des matières premières, pour lequel nous avons déjà obtenu de premiers résultats au niveau européen.

La nouvelle Commission est en place depuis six mois. Dans le contexte actuel, l’une de nos priorités est de diversifier à la fois nos exportations et nos importations. La guerre commerciale actuelle a montré que certains secteurs étaient totalement dépendants du marché américain à l’exportation. La perte de ce débouché les place dans une situation très délicate. Dans d’autres secteurs, nous sommes totalement dépendants pour nos importations. Ce sont des éléments de faiblesse pour l’Union européenne.

L’objectif est donc de conclure de nouveaux accords avec des partenaires fiables. Nous avons notamment engagé des discussions commerciales avec les pays du G7. Le Canada, le Japon ou l’Australie sont des démocraties qui respectent le droit international du commerce et partagent nos valeurs. Ils pourraient offrir des débouchés à nos secteurs très exportateurs.

La présidente de la Commission a commencé à travailler à la construction de ces partenariats avec mon collègue Maroš Šefčovič, qui est chargé du commercial international.

Dans le domaine des matières premières, j’ai présenté quarante-sept projets visant à rouvrir des mines en Europe. Dix-sept matières premières critiques, pour lesquelles nous sommes presque totalement dépendants, ont été identifiées. En ce qui les concerne, nous espérons produire 10 % de notre consommation à l’horizon 2030. Vous devez penser que ce n’est pas énorme. Néanmoins, pour le lithium par exemple, nous pourrions atteindre 70 % ou 80 %, si les futures exploitations atteignent les rendements escomptés.

Nous apporterons des garanties et des subventions à ces projets. Nous pourrons également les labelliser pour attirer des investisseurs privés. Cette diversification de nos approvisionnements est essentielle, car les tensions sont très fortes, en particulier avec la Chine. Dans vos territoires, vous avez probablement eu connaissance d’entreprises soumises à des chantages pour obtenir certaines matières premières, comme les terres rares. La Chine délivre de moins en moins de licences d’exportation et le stockage est impossible. En échange des livraisons, des documents confidentiels portant sur des secrets de fabrication commencent à être demandés, ce qui est nouveau. Nous permettre de sortir de cette situation de dépendance, qui n’est jamais souhaitable d’un point de vue économique, est désormais une priorité absolue pour la Commission européenne.

Nous avons la chance de disposer d’un marché intérieur de 450 millions de consommateurs, qui serait une formidable zone de repli pour les entreprises dont les débouchés internationaux ont disparu. Malheureusement, il reste très fragmenté, avec des réglementations différentes selon les pays. C’est la raison pour laquelle beaucoup d’acteurs, notamment français, se sont internationalisés avant de s’européaniser.

Nous avons entrepris d’identifier les dix principales barrières, celles dont la suppression aurait le plus d’impact économique. Pour lever ces freins, il faudra revoir une partie des législations nationales et revenir sur les surtranspositions effectuées par certains États membres – la France n’est pas la seule à le faire ! Au nom de la Commission, j’ai proposé une méthodologie aux chefs de gouvernement et aux ministres de l’industrie. Il s’agit de mener une analyse par secteur économique et de recenser les évolutions qui seraient nécessaires pour conforter l’existence du marché intérieur.

Au moment où la plupart des pays du monde se replient sur leur propre économie, nous avons particulièrement besoin de ce débouché de 450 millions de consommateurs. Les entreprises françaises, qui, du fait de la taille du marché national, sont souvent plus grandes que les autres entreprises européennes, ont des atouts à faire valoir pour s’imposer sur le marché intérieur.

Toutefois, la diversification de nos partenariats et accords commerciaux et le renforcement du marché intérieur n’ont de sens que si nous protégeons les frontières extérieures de l’Union européenne. Tous ces chantiers doivent être menés en même temps. C’est une condition pour que le renforcement du marché intérieur rime avec prospérité économique et opportunités pour nos entreprises, et qu’il ne soit pas uniquement une réforme libérale visant à supprimer des règles.

Nous avons engagé une très importante réforme des douanes, qui prévoit notamment la création de l’Autorité douanière européenne. Elle permettra d’harmoniser les contrôles menés dans les ports et les aéroports.

Dans un port français, 1 produit sur 2 000 est rejeté par les douanes, contre 1 produit sur 2 millions dans un port du nord de l’Europe – je ne citerai volontairement pas de nom de pays. Comme la France ne reçoit probablement pas plus de produits défectueux que ses voisins, les écarts qui sont constatés ne peuvent provenir que d’une absence de contrôles.

Si nous ne voulons pas que le marché européen soit un « gruyère », nous devons agir. La réforme, qui prévoit également la suppression de l’exemption tarifaire pour les colis de moins de 150 euros qui arrivent de Chine et leur taxation, est examinée en trilogue. La pression est mise sur le Parlement européen et le Conseil européen pour faire avancer le dossier et permettre à la Commission de concrétiser rapidement sa mise en œuvre.

Pour assurer l’équilibre de notre nouveau modèle économique et permettre la préférence européenne, nous allons engager une réforme des marchés publics et favoriser l’utilisation des fonds européens pour les entreprises européennes. Le contexte économique et les tensions commerciales ont fait tomber un tabou. Dans ce domaine, nous avons davantage avancé en six mois qu’au cours des quinze années précédentes. Je défendrai personnellement ce dossier, en proposant dès 2026 la révision de 8 directives et de 64 règlements sectoriels.

Un effort de simplification est indispensable. Afin d’éviter les contestations, les pouvoirs adjudicateurs retiennent souvent le prix comme unique référence, pour des raisons juridiques, afin d’éviter que le marché ne soit « retoqué ». Pourtant, les marchés publics pourraient être un formidable outil pour réorienter notre politique industrielle et commerciale, au moins dans certains secteurs. En Europe, la dépense publique représente 2 000 milliards d’euros par an, dont 750 milliards d’euros couverts par les directives sur les marchés publics européens. Cette somme est supérieure au budget européen.

Je compte sur l’Assemblée nationale et le Sénat pour soutenir l’introduction d’une préférence européenne dans les marchés publics – je sais que des travaux ont déjà été menés en ce sens. Nous avons commencé à consulter l’ensemble des États membres pour obtenir un consensus et soumettre une proposition législative au Parlement européen le plus rapidement possible.

Pour résumer, l’équilibre économique et commercial que nous devons mettre en place repose sur des mesures de diversification, de réduction de nos dépendances et de protection de notre marché. Nous devons en finir avec une certaine naïveté. Tous les pays, que ce soient les États-Unis, l’Inde ou la Chine, imposent une préférence nationale dans leurs marchés publics. Pourquoi l’Union européenne serait-elle la seule à ne pas le faire ?

Les investissements internationaux sur le sol européen doivent également être conditionnés à des transferts de technologie, à l’utilisation de notre chaîne de valeur et à la création d’emplois locaux. Avant la fin de l’année, nous transmettrons au Parlement européen un texte reprenant les propositions des rapports Draghi et Letta.

Les investissements internationaux doivent être des relais de croissance pour l’Union européenne. Nous avons trop souvent été confrontés à des projets, notamment chinois, qui ne créent aucune valeur, comme des usines d’assemblage de composants importés. Parfois, ces investissements servent à racheter des entreprises européennes pour les fermer et permettre à des producteurs asiatiques d’approvisionner le marché. À partir du moment où les conditions seront les mêmes dans tous les États membres, nous ne serons plus en compétition entre nous et il n’y aura plus de zone franche. Disposer d’un cadre européen nous protégera des tentatives de chantage commercial.

M. Stéphane Travert, député, président. Nous en venons aux questions des députés et sénateurs.

M. Alexandre Loubet, député (RN). L’effondrement économique de l’Europe est flagrant. Nous sommes en train de décrocher dans la compétition mondiale. Or, dans de très nombreux secteurs, la désindustrialisation est organisée, voire planifiée, par la Commission européenne.

Pour prendre l’exemple de la filière automobile, les constructeurs français affirment que 100 000 emplois industriels – auxquels s’ajouteront des emplois dans les services ou la distribution – seront supprimés d’ici dix ans. Cette situation est directement liée à l’interdiction de la vente de véhicules à moteur thermique en 2035.

Pourquoi vous obstinez-vous à maintenir cette interdiction qui saccage la filière automobile française et européenne ? Le chancelier allemand vient d’ailleurs de déclarer qu’il ferait tout pour la lever.

Vous avez insisté sur la nécessité de protéger les frontières commerciales européennes. J’en suis ravi. Cependant, je n’ai rien vu de tel lorsque la présidente von der Leyen s’est « mise à plat ventre » devant le président des États-Unis, qui imposait des tarifs douaniers à nos industries. Si la stratégie européenne de protection des frontières consiste uniquement à taxer les petits colis, nous aurons du mal à redresser la barre !

J’ai eu l’occasion de vous auditionner dans le cadre d’une commission d’enquête sur l’industrie. À l’époque, vous aviez indiqué que des travaux étaient en cours pour améliorer le dispositif de taxe carbone aux frontières européennes. En l’état, il pénalisera les entreprises européennes, puisque les matières premières dont elles ont besoin pour produire seront taxées à leur entrée dans l’Union européenne. Où en est ce dossier ?

Enfin, les négociations pour la levée des surtaxes sur les véhicules électriques chinois se poursuivent-elles ? Notre industrie automobile est déjà en difficulté. Une telle décision serait dramatique.

Mme Dominique Estrosi Sassone, sénatrice, présidente. Un rapport d’information sur la filière automobile, rédigé de manière transpartisane, sera présenté demain à la commission des affaires économiques du Sénat. Il comportera certainement des propositions intéressantes.

Mme Anne-Catherine Loisier, sénatrice (UC). Un rapport sur la compétitivité de la filière bois a été présenté à la commission des affaires économiques du Sénat. Il nous a fait prendre conscience des difficultés auxquelles est confrontée la filière meuble en Europe et particulièrement en France. En moins de vingt ans, la part de production nationale dans le marché français est passée de 77 % à 37 %. Ce recul s’explique par la hausse des importations et notamment par le développement de la fast déco chinoise.

Les acteurs industriels nous ont alertés sur la complexité du protocole de dépôt de plainte en matière de lutte antidumping, qui le rend inaccessible pour de nombreuses PME françaises. Serait-il possible de revoir cette procédure et de modifier le règlement pour élargir la notion de produits concernés ?

Par ailleurs, nous nous interrogeons sur la compatibilité des lois Egalim avec le projet européen. Le Parlement européen a travaillé sur la révision du règlement concernant l’organisation commune des marchés. Il a notamment abordé le volet relatif à la coopération entre les autorités de contrôle des pratiques commerciales déloyales et prévoit de leur donner davantage d’outils, notamment pour faciliter les échanges d’informations et la réalisation d’enquêtes au niveau européen. Pouvons-nous compter sur le soutien de la Commission européenne pour que les lois de police françaises, dont les lois Egalim, soient respectées ?

M. Stéphane Séjourné. Je suis ici pour vous éclairer sur les travaux de la Commission et échanger avec vous, même si nous sommes en désaccord. En revanche, je ne suis pas votre ministre. Je ne suis pas venu pour me faire engueuler ! Je vous demande un peu de respect, pour que nos discussions se passent aussi bien que dans les autres parlements nationaux.

S’agissant de l’échéance de 2035, il est faux de dire que nous sommes inflexibles. Nous avons supprimé les amendes qui devaient intervenir dès 2025. Nous étions dans une situation ubuesque où nous demandions plusieurs millions d’euros aux constructeurs, alors que, dans le même temps, mes services au sein de la Commission recherchaient de l’argent pour les aider.

Par ailleurs, la clause de revoyure que le texte fixait en 2026 a été avancée en 2025. L’objectif est de donner de la visibilité aux constructeurs et, de manière pragmatique, d’échanger avec eux sur leur capacité à tenir le cap du « tout-électrique » et sur les conséquences économiques et sociales qui en découleraient. Certaines technologies n’étaient pas disponibles il y a deux ans, mais elles pourraient entrer dans le calcul du CO2. Nous avons notamment prévu de labelliser de l’acier bas-carbone qui pourrait être utilisé dans l’industrie automobile. Les discussions sont en cours. Nous disposerons de l’ensemble des paramètres avant la fin de l’année.

Je suis favorable à une plus grande flexibilité. Plusieurs solutions sont envisageables pour conserver l’échéance de 2035 sans fragiliser les emplois. Nous pourrions retenir un principe de neutralité technologique, voire accepter l’hybridation ou les prolongateurs d’autonomie, par exemple.

Je ne souhaite pas politiser un débat, qui, au Parlement européen comme ici, est très sensible. J’ai toutefois la conviction qu’un chemin est possible pour aller vers le tout-électrique aux alentours de 2035, à condition de l’assortir de mesures de flexibilité. La filière a déjà investi des milliards d’euros. Par conséquent, revenir sur l’objectif fixé pourrait aussi entraîner des suppressions d’emplois. Il faut trouver un équilibre.

Concernant la filière bois, des mesures provisoires de sauvegarde doivent être mises en place avant que les écosystèmes s’effondrent. Il faut inverser la logique en fermant le marché pour le protéger, quitte à le rouvrir ensuite. Pour la Commission européenne, l’enjeu est d’arriver à anticiper et à réagir avant que les entreprises soient soumises à une concurrence déloyale comme celle que vous évoquiez.

Les lois Egalim renvoient à la question du marché intérieur. Nous échangeons avec nos partenaires pour les convaincre de se doter d’un système européen. Ajouter des barrières en France conduit à morceler le marché intérieur, ce qui n’est pas cohérent avec l’objectif que nous visons. Des discussions sont en cours entre le Parlement européen et le Conseil à ce sujet. La Commission intervient uniquement en tant qu’arbitre, mais elle œuvre pour que le sujet soit traité au niveau communautaire et pour éviter un morcellement du marché.

Mme Marie Lebec, députée (EPR). Vous avez annoncé des mesures fortes en matière de souveraineté industrielle, comme la clause de sauvegarde sur l’acier, le plan Batteries ou le dialogue stratégique sur l’automobile – qui est très important pour mon territoire des Yvelines, où cette industrie est historiquement implantée.

Les initiatives prises par la Commission européenne marquent un tournant. Elles traduisent la volonté de l’Europe de cesser de subir et d’agir pour protéger ses industries stratégiques, tout en accélérant sa décarbonation. Mes questions porteront sur la manière d’y parvenir.

Avec l’Inflation Reduction Act (IRA), les États-Unis assument une politique de subventions massives. La Chine soutient ses industries depuis longtemps. N’est-il pas temps que l’Union européenne repense sa doctrine en matière d’aides d’État pour mieux sécuriser ses chaînes de valeur ? Quelles sont les pistes de réflexion dans ce domaine ?

En tant que membre du conseil d’administration de France 2030, je suis convaincue que la décarbonation reste un avantage stratégique pour les entreprises européennes. La Chine a cependant développé un appareil productif qui lui permet d’exporter des produits bas-carbone vers l’Union européenne et de ne pas être affectée par les barrières qui ont été mises à l’entrée. Par conséquent, nous ne devons pas nous tromper de combat. Les industriels nous disent qu’ils ont besoin d’une commande publique européenne et nationale qui soutienne la décarbonation, et de prix de l’énergie qui soient compétitifs pour leur permettre de mener à bien leur transformation. Vous avez déjà apporté quelques éléments de réponse s’agissant de la commande publique, mais quelles garanties pouvez-vous nous donner concernant les prix de l’énergie ?

Mme Martine Berthet, sénatrice (LR). Les mesures qui ont été annoncées à propos de l’acier marquent une avancée, mais beaucoup d’autres secteurs souffrent. Dans mon département de la Savoie, Ferroglobe a arrêté ses fours pour trois mois et Tokai Cobex a déprogrammé des investissements.

Avant d’attirer des entreprises pour produire les matières premières identifiées comme critiques, il faudrait commencer par aider celles qui les produisent déjà, en Europe et plus particulièrement en France. Des mesures antidumping voire des clauses de sauvegarde sont demandées pour le silicium, le sodium ou la fibre de verre.

S’agissant de la Chine, la difficulté tient aux contournements auxquels elle se livre, parfois avec des pays amis de l’Europe.

Des entreprises comme Fysol ou Owens Corning produisent la fibre de verre indispensable à certaines de nos industries stratégiques comme la défense – avec Airbus –, l’automobile ou les énergies renouvelables. Néanmoins, quinze usines de ce secteur ont fermé en Europe au cours des dernières années, entraînant la perte de plus de 7 000 emplois. Un site a encore fermé cet été. Des mesures antidumping avaient été prises pour se protéger des importations chinoises, mais la Chine a implanté une très grande usine en Égypte pour exporter vers l’Europe. À elle seule, elle représente déjà 10 % du marché et, grâce à trois nouveaux fours en construction, en détiendra bientôt 20 %. Ses coûts de production sont très inférieurs à ceux de nos usines.

Nous ne pouvons plus attendre. Il est urgent d’agir pour protéger nos industries et leurs emplois. Leur disparition pourrait avoir un impact destructeur sur de nombreuses autres filières qui utilisent ces matières premières.

M. Stéphane Séjourné. Ma collègue Teresa Ribera, vice-présidente de la Commission, a beaucoup travaillé sur les aides d’État. Un nouveau cadre a été publié il y a quelques mois. Pour les secteurs considérés comme stratégiques par l’Union européenne, il réduit la bureaucratie et permet d’être plus réactif. Il améliore également la transparence.

Le Fonds européen pour la compétitivité, qui sera doté de 450 milliards d’euros, permettra par ailleurs de soutenir la recherche et le développement, d’accompagner le passage à l’échelle industrielle des start-up et probablement d’activer de nouveaux outils de politique industrielle sous forme d’aides européennes, ce qui évitera des débats sur les aides d’État.

Le sujet des aides d’État est toujours très sensible au sein de l’Union européenne. La France et l’Allemagne font partie des rares pays à pouvoir déployer de tels dispositifs de manière assez massive. Les autres pays n’ont pas les mêmes capacités budgétaires.

Des tabous sont tombés à la Commission. Le Fonds européen pour la compétitivité permettra notamment d’entrer au capital de certaines entreprises, ce qui enverra un signal aux investisseurs privés : ils sauront que le secteur est considéré comme stratégique au niveau européen. Grâce à de tels mécanismes, ainsi qu’aux évolutions prévues en matière de marchés publics, nous devrions réussir à bâtir une nouvelle politique industrielle, qui renforce la solidarité entre les États membres et laisse un peu de côté la question des aides d’État.

La Commission européenne a conscience des difficultés auxquelles sont confrontés les producteurs de silicium. S’agissant de Ferroglobe, l’enquête n’a pas été conclusive, parce que la France a compensé par des aides d’État la perte enregistrée par cette entreprise au cours d’un de ses exercices. J’ai proposé au gouvernement français de relancer une enquête avec de nouvelles données, afin d’adopter rapidement des mesures de sauvegarde et de protéger le marché.

Mme Aurélie Trouvé, députée (LFI-NFP). Vous répétez que l’Europe doit redevenir une puissance industrielle, mais, pour le moment, nous constatons surtout qu’elle capitule devant ceux qui polluent, qu’elle s’incline devant Washington et qu’elle oublie ceux qui produisent.

Prenons le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières : alors qu’il devait être une arme pour préserver notre souveraineté et accélérer la décarbonation, il est devenu un guichet pour les multinationales. Les géants de l’acier, du ciment ou de la chimie, qui ont bénéficié de quotas gratuits pendant quinze ans, réclament aujourd’hui des compensations financières pour continuer d’exporter. Cette prime à la pollution devra être payée par les citoyens européens. En France, ArcelorMittal conditionne ses investissements à Dunkerque à ces nouvelles largesses. Allez-vous céder à ce chantage industriel ?

Prenons l’investissement productif : alors que les États-Unis et la Chine investissent des centaines de milliards d’euros, l’Europe décroche. Nous avons besoin de plans industriels nationaux pour développer les transports collectifs, les énergies renouvelables ou les infrastructures numériques, et non d’un énième diaporama sur la compétitivité. Allez-vous libérer l’Union européenne d’un carcan budgétaire mortifère et d’une Organisation mondiale du commerce (OMC) moribonde, pour nous permettre d’investir enfin dans l’économie réelle ?

Prenons enfin le protectionnisme et la préférence européenne : ce ne sont que des slogans. L’importation croissante de panneaux solaires chinois ou de microprocesseurs américains le prouve. Alors que les États-Unis, comme toutes les grandes puissances du monde, appliquent la préférence locale dans leurs marchés publics, cette disposition reste interdite par le droit de la concurrence européen. La conséquence, c’est que nos PME se retrouvent exclues de la compétition par une concurrence complètement biaisée. Allez-vous rompre avec ce néolibéralisme dogmatique totalement hors d’âge ? Quels engagements pouvez-vous prendre dans ce domaine ?

Mme Évelyne Renaud-Garabedian, sénatrice (LR). La Commission européenne, ainsi que certains États membres, envisagent de taxer les petits colis importés, notamment lorsque leur valeur est inférieure à 150 euros, pour corriger les distorsions de concurrence liées à l’afflux de produits à bas coûts venant de pays tiers, qui échappent souvent à tout contrôle douanier. Cette mesure répond à un impératif de justice commerciale, mais revêt également une dimension industrielle stratégique. Il s’agit en effet de protéger nos filières européennes, nos PME et nos capacités de production face à une concurrence fortement subventionnée.

Comment la Commission entend-elle garantir que cette taxe sera appliquée de manière harmonisée entre les différents États membres, qu’elle sera efficace sur le plan douanier et qu’elle restera proportionnée, afin de ne pas peser excessivement sur les consommateurs et les petites entreprises européennes dont l’activité est liée au commerce en ligne ?

M. Stéphane Séjourné. S’agissant du MACF, le commissaire Wopke Hoekstra déposera une proposition législative le 10 décembre. Ce texte, qui est en train d’être finalisé, prévoit d’étendre le mécanisme à de nouveaux secteurs et aux produits en aval, afin de couvrir l’ensemble des secteurs qui subissent une concurrence déloyale en Europe. Il s’accompagnera de mesures anticontournement et de mesures visant à éviter que les producteurs européens soient pénalisés lorsqu’ils exportent. Je ne détaillerai pas l’ensemble des dispositions – la primeur reviendra à la commission Industrie du Parlement européen –, mais elles couvriront toutes les préoccupations que vous avez évoquées.

L’entrée des petits colis sur le marché intérieur n’est pas un sujet marginal. L’année prochaine, nous en attendons 6,5 milliards. Or plus de 80 % d’entre eux contiennent des produits défectueux, qui ne respectent pas nos normes ou nos critères sociaux et environnementaux. Il en résulte une très forte distorsion de concurrence par rapport aux entreprises européennes qui interviennent dans les mêmes secteurs d’activité.

L’accord qui est en voie de finalisation entre le Parlement européen et le Conseil prévoit de supprimer l’exemption de droits de douane dont bénéficient les petits colis d’une valeur inférieure à 150 euros. À l’avenir, ils devraient être soumis aux droits de douane européens, avec un montant fixe de taxation qui pourrait être de 3 euros. Ce chiffre pourra être augmenté dans la discussion parlementaire ou ultérieurement. Notre objectif est en tout cas de réduire les volumes de petits colis qui arrivent dans l’Union européenne.

M. Dominique Potier, député (SOC). Dans le silence assourdissant de la France, sinon sa complicité, l’Europe est en train de massacrer trois textes qui avaient été inspirés par les travaux du législateur français ainsi que par une partie du monde de l’entreprise, des syndicats et des associations : la directive sur le reporting extra-financier, la directive sur le devoir de vigilance et le règlement sur la taxonomie des investissements verts.

Ces trois textes ouvraient la voie à une évolution profonde de l’économie en instaurant un principe de responsabilité pour les grandes entreprises. Celles-ci devaient s’impliquer dans la recherche de solutions et ne pouvaient plus passer sous silence le travail des enfants ou les écocides au bout du monde.

Les propos tenus par le Président de la République lors du sommet Choose France, selon lesquels il fallait non seulement simplifier, mais encore abroger le devoir de vigilance, sont dramatiques quand on sait que 200 défenseurs de l’environnement sont assassinés chaque année, à l’initiative, parfois, de donneurs d’ordre que vous êtes en train de protéger. Je suis désespéré et profondément choqué que l’extrême droite et la droite se soient unies pour imposer le massacre de ces textes et, plus encore, que la France n’ait pas défendu des avancées qui résultaient d’un combat historique mené, ici même, en 2017.

Mme Amel Gacquerre, sénatrice (UC). La filière automobile traverse une crise sans précédent. Les constructeurs que je rencontre évoquent des suppressions d’emplois, des fermetures d’usines et des perspectives inquiétantes. Vous avez évoqué l’objectif de 100 % de véhicules neufs électriques en 2035, mais quelle est votre feuille de route pour les dix-huit prochains mois ? Comment allez-vous accompagner concrètement les industriels du secteur ?

Les constructeurs chinois contournent les droits de douane en s’implantant directement en Europe, comme BYD en Hongrie. Selon vous, est-ce une bonne nouvelle pour l’emploi européen ou un cheval de Troie ?

Dans dix ans, l’Europe disposera-t-elle encore d’une industrie automobile forte ? Les décisions que vous prenez aujourd’hui suffiront-elles à inverser la tendance ou assistons-nous, impuissants, à notre déclin inéluctable face à la Chine ?

M. Stéphane Séjourné. La question de M. Dominique Potier renvoie aux « omnibus de simplification », selon la terminologie désormais consacrée au Parlement européen, qui révisent différents textes en vue de réduire la bureaucratie.

Même s’il peut être compliqué de l’entendre depuis Paris, les socialistes, la droite, les libéraux et les conservateurs ont trouvé un accord pour simplifier les trois textes évoqués. Si l’objectif était une dérégulation totale, un amendement de suppression pure et simple aurait été déposé. Certains groupes du Parlement européen y sont d’ailleurs favorables, mais ce n’est pas notre cas. Nous souhaitons que les grands principes de ces textes perdurent. En revanche, nous voulons simplifier au maximum un reporting largement inutile – c’est ce que remontent les entreprises. Pourquoi ? Parce que les États membres ne veulent pas s’y plier. La France ne peut pas être la seule à appliquer des directives que les autres États membres n’ont même pas transposées. Pour sortir de cette situation de blocage, nous souhaitons réduire la bureaucratie qui entoure ces textes, en espérant qu’ils pourront ainsi être mieux acceptés par les parlements nationaux.

S’agissant de l’industrie automobile, l’une des difficultés est liée à l’insuffisance de la demande. Le sujet ne relève pas uniquement de la compétence de l’Union européenne, mais des leviers peuvent néanmoins être activés. Des propositions seront faites pour accélérer le renouvellement des flottes professionnelles – la moitié des voitures neuves sont achetées dans un cadre professionnel – et ainsi soutenir le carnet de commandes des constructeurs. Par ailleurs, nous réfléchissons à créer un cadre réglementaire simplifié pour la petite voiture citadine. Il s’agirait d’un véhicule électrique assez simple, vendu entre 15 000 et 20 000 euros, pour lequel les obligations des constructeurs seraient allégées.

L’exemple de l’usine BYD en Hongrie illustre parfaitement ce que je disais sur la conditionnalité des investissements étrangers : ce site assemble des pièces venues exclusivement de Chine, ce qui n’est pas acceptable. Pour créer de la richesse sur notre territoire, nous devons conditionner l’implantation de constructeurs étrangers à l’utilisation d’acier européen, de batteries européennes, etc. Ils doivent s’insérer dans la chaîne de valeur européenne.

M. Guillaume Lepers, député (DR). Nous sommes au cœur d’une bataille commerciale entre les trois puissances les plus riches de la planète. Deux d’entre elles ont conscience des enjeux et font tout pour affaiblir et désindustrialiser la troisième. La dégradation de nos indicateurs économiques confirme qu’elles y parviennent.

Je vous remercie de la sincérité de vos propos sur la naïveté dont nous avons fait preuve depuis des décennies. Il est temps de repenser notre politique industrielle en relançant une économie de production volontariste plutôt qu’en misant sur la consommation. Nous devons créer un environnement propice à l’innovation et soutenir les secteurs industriels stratégiques pour notre souveraineté économique.

Disons-le clairement : il faut plus d’ingénieurs, moins d’ingénieurs de la norme. Notre groupe alerte depuis longtemps sur le caractère crucial de cette réindustrialisation. Des freins tels que des directives européennes trop contraignantes en matière de droit de la concurrence, d’environnement ou de marchés publics fragilisent malheureusement nos efforts.

Plusieurs mesures concrètes pourraient être prises rapidement : procéder à une revue générale des outils de la politique commerciale européenne pour éliminer les surtranspositions de règles internationales et les complexités procédurales inutiles ; évaluer l’impact de chaque politique publique sur l’industrie ; renforcer les relations entre la recherche universitaire et les entreprises du secteur privé, principalement les PME ; prendre systématiquement en compte les enjeux industriels dans la conception des politiques accompagnant la transition écologique.

La Commission européenne partage-t-elle notre constat ? Quelles mesures, autres que celles que vous avez déjà évoquées, envisagez-vous pour adapter les règles et développer une politique industrielle européenne plus compétitive face aux deux géants que sont les États-Unis et la Chine ?

Mme Marie-Lise Housseau, sénatrice (UC). Depuis dix ans, la France, l’Allemagne et l’Espagne travaillent à la mise au point du système de combat aérien du futur (Scaf). Ce projet associe Dassault Aviation et les filiales allemande et espagnole d’Airbus. Malheureusement, en raison de désaccords persistants, notamment sur la propriété intellectuelle et le partage des technologies développées par Dassault Aviation, il est désormais enlisé.

Ce programme est pourtant crucial pour notre défense et notre souveraineté industrielle et technologique. Que fait la Commission pour le faire aboutir ? Comment concilier la protection de la propriété intellectuelle des entreprises nationales avec les exigences d’un projet d’intérêt majeur européen ? J’ai évoqué le Scaf, mais les mêmes difficultés pourraient concerner d’autres secteurs stratégiques.

M. Stéphane Séjourné. S’agissant des barrières au sein du marché intérieur, des propositions ont été faites aux États membres ; la balle est désormais dans leur camp. Nous avons proposé une méthode pour réduire les surtranspositions et avons identifié les barrières dont la suppression permettrait des gains de productivité significatifs au niveau européen.

Il revient maintenant aux chefs d’État et de gouvernement ainsi qu’aux ministres de l’économie de s’emparer du sujet et de modifier les règles internes. Les documents leur ont été envoyés, et j’adresserai probablement aux responsables de chaque pays un courrier leur précisant les éléments qui entravent le fonctionnement du marché intérieur dans leur législation. La décision d’entreprendre ces modifications relève cependant de la souveraineté nationale.

Lorsqu’ils légifèrent, les parlements nationaux doivent avoir conscience que certaines règles peuvent entraver le marché intérieur. Pour de bonnes et de mauvaises raisons, le secteur privé a souvent eu tendance à encourager l’adoption de barrières économiques. Il me semble néanmoins qu’il a compris – en tout cas en France – qu’il fallait désormais privilégier une autre stratégie et se donner les moyens d’investir tout le marché européen et ses 450 millions de consommateurs.

Pour sa part, la Commission a une responsabilité à l’égard des secteurs. Nous devons ainsi créer et organiser un secteur européen des télécoms, avec un cadre réglementaire et un marché adéquats, en lieu et place des réglementations nationales. De nombreuses entreprises françaises pourraient s’y déployer si le cadre s’y prêtait. Il nous faut également créer le marché des capitaux pour financer les innovateurs, les investisseurs et les start-up. Telle est ma responsabilité, ciblée sur un certain nombre de secteurs, l’objectif étant de développer l’investissement industriel et de nous doter d’un marché porteur.

En revanche, le Scaf ne relève pas de la Commission. Ce projet est régi par des accords entre les États membres et la Commission ne participe pas à sa gouvernance.

En matière de défense, nous allons toutefois promouvoir l’achat conjoint de matériel pour soutenir la demande et intégrer le critère du « made in Europe » dans les dispositions de financement. Le programme européen pour l’industrie de la défense (Edip) a participé d’une grande bataille : l’argent était-il bien utilisé pour acheter des équipements fabriqués en Europe, et non à l’étranger ? Cette bataille, nous l’avons remportée, puisque 65 % de l’argent européen dépensé dans le domaine de la défense doit profiter à l’industrie européenne. Un autre tabou est tombé.

M. François Ruffin, député (EcoS). Depuis vingt ans, je plaide pour qu’on protège l’industrie et qu’on identifie cent produits (acier, aliments, vêtements, médicaments…) devant faire l’objet de taxes aux frontières, de barrières douanières et de quotas d’importation pour lutter contre la concurrence des pays à bas coûts. Depuis vingt ans, les libéraux – auxquels vous appartenez, monsieur Séjourné – me répondent : libre-échange, concurrence libre et non faussée, libre circulation des capitaux et des marchandises.

Aujourd’hui, vous nous dites qu’il faut « sortir de la naïveté ». Mais vous rendez-vous compte que ce que vous appelez de la naïveté s’appelle chez moi Parisot Sièges de France, Abélia, Whirlpool ou Goodyear ? Ce que vous appelez de la naïveté, ce sont des millions d’ouvriers licenciés et des familles en souffrance, dans le malheur. Ce que vous appelez de la naïveté, c’est une industrie détruite, c’est une démocratie en péril.

D’ailleurs, je ne crois pas que c’était de la naïveté – ni même de la nullité. C’était un choix, celui de privilégier les intérêts des firmes, des actionnaires et des PDG bien avant les intérêts des Français et des ouvriers.

Vous n’êtes pas venu « pour vous faire engueuler », avez-vous dit, mais pour moi, si – et encore, nous sommes gentils. Les communistes ont fait leur autocritique avec l’URSS ; les libéraux doivent faire la leur concernant les politiques qu’ils ont menées et qui ont entraîné du malheur durant des années – je devrais d’ailleurs parler au présent, car ce n’est pas fini. La présidente von der Leyen veut que l’Europe soit la championne du libre-échange dans le monde. Elle signe des accords avec les États-Unis, le Mercosur et la Nouvelle-Zélande et négocie avec le Vietnam, l’Inde et l’Australie. Sortir de la naïveté, est-ce vraiment cela ?

M. Philippe Grosvalet, sénateur (RDSE). Malheureusement, les filières industrielles ne renaissent pas de leurs cendres. Dans mon département, une entreprise spécialisée dans le domaine du photovoltaïque a fermé ses portes l’an dernier, entraînant la perte de centaines d’emplois. C’est l’illustration d’une bataille que nous avons perdue. Nos concitoyens ont trop souvent le sentiment que nous avons toujours un combat de retard.

En matière d’éolien, tout n’est pas encore joué. Néanmoins, alors que la Chine vient d’installer l’éolienne offshore la plus puissante du monde – d’une capacité de 26 mégawatts –, General Electric Vernova a annoncé la suppression de centaines d’emplois en Loire-Atlantique. Sur quels dispositifs travaillez-vous pour permettre à cette filière de perdurer ? Le temps est compté. Si nous ne réagissons pas assez vite, nous perdrons aussi la bataille de l’éolien offshore.

M. Stéphane Séjourné. La semaine dernière, nous avons proposé au Parlement européen une mesure de sauvegarde sur l’acier – je crois que vous la demandiez depuis longtemps, monsieur Ruffin. Les droits de douane seront relevés à 50 % sur l’acier importé. Le marché sera fermé, puisque nous n’importerons que de quoi satisfaire 10 % de la demande européenne. Nous instaurons par ailleurs un label pour l’acier vert européen, qui nous permettra de soutenir la demande dans les marchés publics et de remplir le carnet de commandes de nos aciéries.

Je me suis rendu à Dunkerque pour présenter ce projet, après avoir rencontré les syndicats – nous les avons même tous réunis à la Commission européenne avec les aciéristes. Nous travaillons depuis six mois sur ce dossier. Cela ne se fait pas tout seul : j’ai dû aller dans toutes les capitales européennes pour convaincre mes collègues et proposer une mesure susceptible de trouver une majorité. Je veux bien que vous prôniez l’indignation permanente, mais je n’ai pas honte de ce que j’ai fait, au contraire. Je pense que j’ai réussi, même s’il faut évidemment poursuivre nos efforts pour d’autres secteurs en difficulté.

Coconstruire le dispositif avec les syndicats et les organisations patronales et, parallèlement, aller convaincre l’ensemble des partenaires européens du bien-fondé des règles me semble être la bonne méthode pour mettre fin à la naïveté d’un marché ouvert dans ce domaine.

S’agissant de l’éolien, l’enjeu porte moins sur les mesures de sauvegarde que sur l’utilisation des aides d’État. Comme l’ensemble des fonds européens, ces dernières doivent être réservées aux entreprises qui font fonctionner la chaîne de valeur européenne. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas.

M. Pascal Lecamp, député (Dem). L’accord conclu cet été en Écosse entre l’Union européenne et les États-Unis sur les droits de douane marque une nouvelle étape dans notre relation transatlantique. Après plusieurs mois de tension commerciale, il avait pour objectif d’apaiser les différends tarifaires et de relancer un dialogue que nous savons essentiel. Néanmoins, l’accueil qui lui a été réservé en France s’est avéré plus que mitigé.

En effet, derrière la volonté d’apaisement, l’esprit du texte nous amène à nous interroger. En signant cet accord, l’Europe a semblé céder à la pression américaine plutôt que de défendre ses propres intérêts et d’affirmer son statut de puissance économique et commerciale, lié à l’existence d’un marché unique de 450 millions d’habitants.

Certes, nous avons préservé nos échanges avec les États-Unis, mais à quel prix ? L’Europe s’est engagée à accroître ses achats dans les secteurs de l’énergie, du matériel militaire et de la haute technologie. Elle devra ainsi acheter à l’Amérique pour 750 milliards de dollars d’énergie et y investir 600 milliards supplémentaires, contre 450 milliards l’an dernier. Ces engagements sont-ils réalistes ? Quelles conséquences auront-ils pour notre balance commerciale et pour nos entreprises, notamment les plus petites ? Plus généralement, comment faire fructifier nos atouts pour accroître la résilience de l’Europe face à la fragilisation des règles commerciales internationales ?

Puisque vous avez la responsabilité de la stratégie industrielle européenne, je voudrais vous alerter sur les difficultés que rencontrent des secteurs de niche historiques de l’industrie française. Dans mon département, une commune de 3 000 habitants abrite une usine de bonbonnes de gaz qui emploie 200 salariés et permet de chauffer 11 millions de personnes. Malheureusement, elle risque de disparaître. Quelles mesures envisagez-vous pour aider de telles entreprises ? Pourraient-elles être éligibles au Fonds européen pour la compétitivité ?

Mme Micheline Jacques, sénatrice (LR). La deuxième plus grande réserve de nickel au monde se situe en Nouvelle-Calédonie ; la plus grande réserve d’or au monde se situe en Guyane, territoire qui dispose aussi d’une filière bois et qui abrite le centre spatial de Kourou, fleuron de l’industrie européenne – pour ne citer que ces exemples.

L’Europe partage 730 kilomètres de frontières avec le Brésil et 520 kilomètres avec le Suriname. Grâce aux territoires ultramarins, elle dispose de petites bases avancées dans tous les océans.

Comment l’Europe compte-t-elle améliorer l’intégration de ces territoires dans le cadre commercial européen et dans les relations commerciales mondiales ?

Le président Trump avait annoncé des droits de douane à 10 % pour ces territoires. Pourquoi ne pas en avoir tenu compte dans les négociations entre l’Europe et les États-Unis ?

M. Stéphane Séjourné. Je ne veux pas me substituer au ministre de l’industrie nouvellement nommé et je n’entrerai donc pas dans le détail de tous les sujets industriels qui concernent vos territoires. Ma responsabilité est de définir un cadre réglementaire européen et de proposer des perspectives communes.

En créant le Fonds européen pour la compétitivité, nous allons fusionner quatorze fonds. C’est à la fois un exercice de simplification et de transparence, puisque les entreprises pourront s’adresser à un guichet unique. Les PME, qui ne disposent pas d’un service juridique et qui ne sont pas accompagnées par des cabinets de conseil, pourront ainsi accéder plus facilement à ce dispositif et seront aiguillées.

S’agissant de l’accord entre les États-Unis et l’Union européenne, je m’abstiendrai de juger la forme. Les réactions ont d’ailleurs été très différentes selon les États membres. Pour ce qui est du fond en revanche, nous avons obtenu des droits de douane de 15 % maximum. Contrairement au Royaume-Uni, qui a obtenu 10 %, ils ne s’ajoutent pas à l’existant.

L’accord que nous avons signé est probablement le meilleur de tous ceux qui ont été conclus avec les États-Unis. Il nous apporte en outre de la stabilité. Attention toutefois aux tentations de l’administration américaine, qui pourrait exprimer de nouvelles demandes et recréer de l’instabilité. Si l’équilibre que nous avons trouvé était régulièrement remis en cause pour des raisons politiques, cet accord aurait beaucoup moins d’intérêt pour nous.

Quant aux territoires ultramarins, ils font partie de notre stratégie dans le domaine des matières premières. J’ai lancé un nouvel appel afin que des entreprises élaborent des programmes dans ce domaine ; il sera clôturé le 15 janvier prochain. Je présenterai donc de nouveaux projets miniers en outre-mer au second semestre 2026.

M. Julien Brugerolles, député (GDR). L’approche « omnibus » se veut pragmatique. Toutefois, sous couvert de simplification, n’assistons-nous pas au détricotage du pacte vert et à la remise en cause des droits sociaux, environnementaux et humains ?

Il y a quelques jours, l’ONG Reclaim Finance a révélé que dans les négociations relatives à la loi omnibus, vous aviez rencontré presque exclusivement des entreprises mais quasiment aucune ONG, aucun syndicat et aucun universitaire. Le confirmez-vous ?

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que 70 % des demandes formulées par les grandes fédérations patronales soient reprises telles quelles dans la version finale du texte et que les obligations de vigilance soient désormais limitées aux fournisseurs directs, avec des seuils d’application relevés à plus de mille salariés. À l’avenir, 80 % des entreprises ne seraient plus concernées par ces règles. Confirmez-vous ce chiffre ?

En pleine crise climatique et dans un contexte de concurrence internationale accrue, estimez-vous normal d’abaisser notre niveau d’exigence en matière de responsabilité sociale et environnementale des entreprises ? Considérez-vous qu’une Europe souveraine sur le plan industriel et tournée vers l’avenir est une Europe qui renonce à la justice sociale et écologique au nom de la simplification et de la compétitivité ?

M. Olivier Rietmann, sénateur (LR). Je souhaite vous interroger sur le projet de règlement relatif à l’accès aux données financières, dit Fida. La France semblait y être plutôt opposée, mais elle s’est retrouvée un peu isolée, notamment face à la volonté de la commissaire Maria Luís Albuquerque d’aller vite. Dans les négociations en trilogue, il aurait été envisagé, notamment compte tenu de la position de l’Allemagne, d’exclure les Big Tech de ce partage des données financières de nos concitoyens. Quelle est votre position à propos de ce dossier ? Où en sont les discussions ?

M. Stéphane Séjourné. En tant que commissaire à l’industrie, je rencontre des entreprises et je les renseigne dans le registre de transparence. En revanche, je ne mentionne pas mes échanges avec les syndicats, que je vois pourtant régulièrement dans tous les secteurs.

La démarche omnibus de simplification relève de la responsabilité des membres du collège, qui organise l’ensemble des consultations et des textes. Tous les textes omnibus ne sont pas placés sous ma responsabilité ; ceux que vous évoquez relèvent précisément d’autres commissaires. Je suis donc assez tranquille : il me paraît normal que le commissaire à l’industrie rencontre des industriels et des syndicats, et qu’il laisse ses collègues mener à bien les textes dont ils sont responsables. Néanmoins, comme dans un gouvernement, tous les membres du collège sont solidaires des décisions prises. À partir du moment où il y a un consensus et que nous avons voté, la Commission s’exprime d’une seule voix. Dans ce cadre, je viens vous expliquer les décisions de la Commission en transparence.

Les six textes omnibus auxquels vous faites référence ont fait l’objet de discussions entre nous. Je peux vous les expliquer, mais je ne suis pas juridiquement responsable de la préparation de l’omnibus concernant les directives relatives à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) et au devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CS3D), par exemple. Elles relèvent des portefeuilles du commissaire Michael McGrath et, pour certains points, de Maria Luís Albuquerque.

Notre stratégie est inchangée : décarbonation et réindustrialisation. Je crois beaucoup à la décarbonation, dans laquelle je vois une stratégie économique. Les énergies fossiles font partie des dépendances que nous pourrions réduire. Les achats européens de pétrole et de gaz représentent 450 milliards d’euros, que nous pourrions réorienter vers d’autres secteurs si nous parvenions à décarboner notre économie. Nous devons le faire avec de la flexibilité, sans casse sociale, en accompagnant les entreprises pour qu’elles modifient leurs systèmes et leurs organisations de production. Ces transformations peuvent être l’occasion de moderniser l’appareil productif européen et d’y investir davantage. Nous l’avons fait pour l’acier ; nous le ferons pour le ciment et pour tous les secteurs qui rencontrent des problèmes de compétitivité.

Dans les négociations en trilogue, nous prônons un alignement de l’Europe sur les standards internationaux. Je ne connais pas l’issue de ces discussions – elles se déroulent dans un cadre très complexe, équivalent de vos commissions mixtes paritaires (CMP) –, mais nos ambitions ne sont pas remises en cause.

En ce qui concerne les données, l’enjeu est certes de les protéger, mais aussi de les valoriser. Aujourd’hui, nos données personnelles partent de l’autre côté de l’Atlantique pour être commercialisées et constituent une manne financière pour des entreprises étrangères.

M. Robert Le Bourgeois, député (RN). Le 7 octobre, les syndicats agricoles vous ont adressé un courrier pour vous alerter sur les risques induits par la promotion quasi idéologique d’un marché unique européen en matière agricole et alimentaire. À ce jour, ils n’ont pas eu de réponse. Pourtant, les enjeux sont importants.

Les centrales d’achat européennes – dont les distributeurs prétendent qu’elles visent à contrer la stratégie de fragmentation du marché menée par les multinationales, mais auxquelles agriculteurs et industriels reprochent de contourner nos lois – n’ont eu de cesse de tendre les négociations commerciales et de creuser le fossé entre des acteurs qui devraient réussir à travailler en relativement bonne intelligence.

Le lobby EuroCommerce, étonnamment soutenu par des députés européens de la CDU/CSU, vous enjoint d’« abattre les obstacles réglementaires nationaux », comme si la voix des nations ne comptait plus. Or, il y va de la survie de nos agriculteurs.

Pouvez-vous clarifier votre position à ce sujet ? Vous engagez-vous à refuser l’emprise absolue du marché unique et à permettre à la France de continuer à lutter contre toutes les distorsions de concurrence ?

Mme Nicole Le Peih, députée (EPR). Le pacte vert pour l’Europe fixe des objectifs de neutralité carbone qui risquent de pénaliser la compétitivité de nos industriels face à des concurrents extra-européens moins contraints. Comment concilier accélération de la décarbonation et maintien de la compétitivité de l’industrie européenne ? En matière d’agrofournitures par exemple, 60 % des engrais azotés consommés en France sont importés.

M. Stéphane Séjourné. J’ai reçu la semaine dernière le courrier que vous avez évoqué. Je l’étudierai.

Mon collègue commissaire à l’agriculture se fera un plaisir de s’exprimer devant vous et de vous expliquer la stratégie. Des enjeux très importants sont liés au futur budget européen ; nous aurons besoin de l’éclairage et de la pression amicale des parlementaires français.

L’objectif de la Commission européenne est d’assurer le meilleur revenu aux agriculteurs. D’ailleurs, le commissaire Christophe Hansen soumettra au Parlement européen une proposition de directive visant à lutter contre les pratiques déloyales. Elle traitera une partie du sujet. L’approche qui prévaut dans les lois Egalim est, en revanche, très controversée dans certains États membres, en particulier dans l’est et le nord de l’Europe. Selon les pays, les négociations commerciales entre les agriculteurs, les producteurs et les distributeurs ne sont pas empreintes de la même conflictualité.

Notre intérêt est d’avoir un dispositif européen qui englobe tout le monde et qui ne crée pas de nouvelles barrières au sein du marché intérieur. Ces dernières pourraient fragiliser certains agriculteurs ou producteurs en les privant de débouchés. Une fermeture du marché français aurait en effet des conséquences sur les exportations intra-européennes.

S’agissant de la décarbonation, je répète qu’elle peut être l’occasion de moderniser l’appareil productif européen, dont la moyenne d’âge est de 40 ans. Rénover et décarboner partiellement une usine avec un vapocraqueur représente un investissement de 1,5 milliard d’euros, mais cela permet des gains de productivité. Cette transformation, que nous devons accompagner financièrement, est un moyen de retrouver de la compétitivité, y compris à l’export. Nous devons faire ce pari pour la chimie et pour d’autres secteurs comme l’agroalimentaire.

M. Matthias Tavel, député (LFI-NFP). Votre réponse concernant l’éolien en mer est indigente. Il ne suffit pas de réserver les aides d’État aux entreprises européennes. Pour que cette filière survive et qu’elle ne soit pas engloutie par la concurrence étrangère, comme l’a été la filière photovoltaïque, nous avons besoin, urgemment, d’un protectionnisme commercial.

Vous vous défaussez beaucoup sur les autres commissaires. Pourtant, vous êtes comptable de tout ; vous êtes la voix de la France au sein de la Commission européenne. Peut-être le costume est-il trop grand pour vous ? Il ne semblait pourtant pas l’être pour votre prédécesseur, M. Thierry Breton – qu’en tant qu’homme de gauche, je ne pensais pas regretter un jour.

L’accord avec Donald Trump, comme l’accord avec le Mercosur, a été imposé par la Commission européenne contre les intérêts de la France et contre l’avis de beaucoup de ses parlementaires. À Bruxelles, le rôle du commissaire français est-il de jouer contre la France ?

M. Philippe Naillet, député (SOC). Les propositions présentées par la Commission le 16 juillet dans le cas du futur cadre financier pluriannuel (CFP) post-2027 pourraient remettre en cause des décennies d’avancées en matière de compensation des handicaps structurels des régions ultrapériphériques (RUP) de l’Union européenne, auxquelles appartiennent La Réunion et d’autres territoires d’outre-mer. Leurs spécificités sont pourtant reconnues par l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

Selon nos informations, l’approche spécifique envers les RUP serait abandonnée à partir de 2028, entraînant la disparation de dispositifs essentiels comme le programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (Posei) ou le volet spécifique du Fonds européen de développement régional (Feder), et menacerait les plans de compensation des surcoûts dans la pêche. Or, ces mécanismes sont vitaux pour nos filières locales agricoles, artisanales et industrielles. Leur suppression mettrait en péril la production, les exportations et, par voie de conséquence, des milliers d’emplois.

Les territoires ultramarins, déjà fragilisés par des crises successives, ne peuvent pas se permettre un tel recul. Pouvez-vous nous garantir que la Commission respectera l’article 349 du TFUE ? Quelles mesures permettront de maintenir les mécanismes de soutien aux RUP dans le prochain CFP et d’éviter que nous ne soyons sacrifiés sur l’autel d’une logique budgétaire qui ignore totalement les réalités de nos territoires ? Je compte sur vos réponses pour rassurer les acteurs économiques et les citoyens des RUP, qui attendent de l’Europe qu’elle soit à la hauteur de ses engagements.

M. Jean-Pierre Vigier, député (DR). Nos commerçants, TPE, PME et ETI industrielles subissent la concurrence de produits importés à bas coûts, souvent fabriqués hors d’Europe dans des conditions sociales et environnementales très éloignées de nos standards. Cette situation fragilise leur activité et menace l’emploi local. L’Union européenne a commencé à réagir en adoptant un règlement sur les subventions étrangères, en réalisant des enquêtes sur les distorsions de marché et en affichant sa volonté de renforcer les filières stratégiques. Ces mesures seront-elles suffisantes pour protéger durablement notre base industrielle et commerciale et notre compétitivité ? Comment la Commission compte-t-elle agir plus concrètement pour soutenir nos TPE, nos PME, nos ETI et notre commerce local face à une concurrence étrangère de plus en plus déloyale ?

M. Charles Fournier, député (EcoS). Vous dites que l’Europe doit sortir de la naïveté. J’en prends acte et j’en déduis que la naïveté était la logique qui prévalait jusqu’à présent, celle du néolibéralisme et de la sacro-sainte concurrence libre et non faussée.

Pour s’engager dans une logique protectionniste – que vous refusez d’ailleurs de nommer ainsi, préférant évoquer des mesures économiques de réciprocité –, le rapport Draghi estimait qu’il fallait investir 800 milliards d’euros par an. Or, le budget qui est annoncé n’est pas du tout à la hauteur de ces ambitions. Le programme InvestUE n’apporte pas non plus les garanties dont les investisseurs privés auraient besoin pour s’engager. Et qu’en est-il du Buy European Act que vous aviez évoqué ? Pendant que la loi américaine de 2022 sur la réduction de l’inflation (IRA) continue de s’appliquer, nos marchés restent ouverts. Rien n’a changé.

Vous parlez de « big bang législatif », de simplification et d’accélération, autant de mots que nous avons entendus à l’occasion de l’examen du projet de loi de simplification de la vie économique ; ma crainte est de revivre ce qui s’est produit alors : une réduction des normes et des protections écologiques et sociales.

« Il faut agir en Européens » : tout le monde a cette expression à la bouche. Mais quelle coordination, quelle planification et quelle organisation sont prévues pour les cinquante projets de gigafactories de batteries en Europe ? La concurrence intra-européenne existe, mais elle n’a pas encore été évoquée.

Enfin, vous n’avez pas répondu à mon collègue François Ruffin à propos des accords de libre-échange. Comment pouvons-nous nous protéger ? La diplomatie européenne est-elle prête à une nouvelle donne en matière économique ?

M. Stéphane Séjourné. Les spécificités des outre-mer seront prises en compte. Au sein de la Commission, nous sommes quelques-uns, plus sensibles à ce sujet, notamment en raison de notre nationalité, à œuvrer en ce sens. La configuration du futur budget est encore en discussion. Des échanges auront lieu au Parlement européen et dans les États membres. Néanmoins, nous aurons probablement besoin d’un texte spécifique – je n’ose pas dire « omnibus », puisque vous semblez rejeter cette approche – qui permettra de balayer l’ensemble de l’acquis européen et d’y apporter éventuellement des modifications. Nous aurons l’occasion d’en reparler.

Concernant les TPE et les PME, nous souhaitions disposer d’une définition européenne de ces entreprises afin de mieux les protéger. Nous avons mené ce travail au cours des six premiers mois de la Commission. Le plafond de cette catégorie a été rehaussé à 750 salariés pour éviter que des entreprises de taille moyenne se retrouvent assujetties aux mêmes obligations que les très grandes entreprises, avec pour conséquence de devoir embaucher des personnes chargées de la bureaucratie et du reporting. Grâce à cette mesure, 55 000 entreprises – peut-être davantage si le Parlement européen fixe le plafond à 1 000 salariés – seront libérées de cette charge administrative. Elles pourront aussi bénéficier de protections particulières, notamment dans les marchés publics.

Par ailleurs, nous allons créer un « passeport » pour les PME, qui leur évitera de devoir constamment prouver leur statut à l’administration européenne et aux administrations nationales. Il leur permettra d’opérer partout en Europe, ce qui est important dans le cadre de la création du vingt-huitième régime. Les PME françaises qui le souhaitent pourront plus facilement partir à la conquête de nouveaux marchés chez nos voisins européens.

Dans le cadre de la réforme des marchés publics, des clauses de préférence européenne seront introduites, ce qui est une forme de Buy European Act. Nous réfléchirons aux critères du « made in Europe » – les critères de résilience sont désormais insuffisants, puisque la Chine les contourne en envoyant une partie de sa production décarbonée en Europe – ainsi qu’à la place à accorder aux PME.

J’ai évoqué les accords de libre-échange en introduction. Nous devons diversifier à la fois nos importations et nos exportations, pour ne plus être entièrement dépendants d’un pays dans tel ou tel secteur. Nous le sommes trop souvent en ce qui concerne les exportations, en particulier vers les États-Unis, ce qui nous place en situation de faiblesse dans les négociations. Les responsables politiques, les syndicats, les entreprises ont convenu qu’il ne fallait pas faire de vagues et éviter les surenchères pour espérer parvenir à un accord avec les Américains. C’est ce mandat qui nous a été donné par les États membres. Nous devons nous ouvrir à de nouveaux marchés internationaux pour sortir de ces situations de dépendance.

Il en est de même pour nos importations, notamment de matières premières. La diversification de nos sources d’approvisionnement passe par la signature d’accords commerciaux – même si je sais que vous ne les appréciez pas. Vous avez évoqué les éoliennes, mais elles contiennent des terres rares que nous importons exclusivement de Chine : nous sommes dépendants à 100 % ! Nous devons trouver des solutions alternatives si nous ne voulons pas revivre les difficultés commerciales connues par le passé.

Mme Hélène Laporte, députée (RN). Le 8 septembre, la Commission a adopté l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur, en scindant le texte pour échapper à la règle de l’unanimité du Conseil. Compte tenu des enjeux, une telle pratique est un scandale.

L’accord est présenté comme une aubaine pour l’industrie européenne, alors qu’il profitera surtout à l’industrie allemande. Pendant que le secteur manufacturier français décline – à rebours de la fable de réindustrialisation vantée par le Président de la République Emmanuel Macron –, la suppression des droits de douane sur 91 % des exportations vers le Mercosur ouvre un marché en or aux industriels, notamment aux constructeurs automobiles d’outre-Rhin. La contrepartie est toutefois dramatique pour l’agriculture française, qui a été sacrifiée sur l’autel du libre-échange. En effet, 100 000 tonnes de bœuf, 180 000 tonnes de volaille et autant de tonnes de sucre vont être exemptées de droits de douane. La seule garantie est un mécanisme de traçabilité illusoire, que seul l’Uruguay imposera probablement aux producteurs.

Nos agriculteurs paieront le prix fort. Quelle considération avez-vous pour la santé des Français modestes ? Dans un contexte de hausse du coût de la vie, vous les incitez à se tourner vers une viande brésilienne issue de bêtes dont la croissance a été accélérée par des antibiotiques et des hormones. Vous mangez certainement de la viande française et de qualité. Malheureusement, tout le monde ne peut pas se le permettre.

En janvier 2024, vous jugiez cet accord inacceptable en l’état. Devenu commissaire européen, estimez-vous avoir défendu les intérêts de la France ? Quels sont les réels bénéfices de cet accord pour les industriels français ?

Mme Valérie Rossi, députée (SOC). Vous parlez de prospérité et d’économie sociale de marché. Pour ma part, je voudrais évoquer l’économie sociale et solidaire (ESS), qui représente des millions d’emplois en Europe.

Le précédent commissaire au marché intérieur avait la responsabilité de l’économie sociale et solidaire. Avec l’économie de proximité, elle était l’un des quatorze écosystèmes industriels clés pour la reprise et la résilience de l’Europe. Qu’en est-il du plan d’action qui devait renforcer la visibilité du secteur de l’ESS, faciliter son accès aux financements et encourager l’innovation sociale ? Y êtes-vous impliqué ? Que sont devenus ces quatorze écosystèmes industriels ?

L’économie sociale et solidaire sera-t-elle intégrée dans votre stratégie industrielle, au même titre que l’économie de marché traditionnelle ? Dans quelles conditions aura-t-elle accès aux financements européens ?

M. Maxime Amblard, député (RN). Dans un continent qui frôle la récession, le portefeuille dont vous avez la responsabilité depuis presque un an, celui de la prospérité et de la stratégie industrielle, est essentiel.

Nous ne pouvons que souhaiter cette prospérité, même si pour le moment, c’est surtout chez les autres qu’elle progresse. Elle est intimement liée à la compétitivité de nos industries, et donc à la question énergétique.

L’Union européenne finance massivement les énergies renouvelables au moyen d’une myriade de leviers : projets importants d’intérêt européen commun (Piiec), Fonds pour l’innovation, Banque européenne d’investissement (BEI), InvestUE. En revanche, le nucléaire – pourtant source d’électricité bas-carbone pilotable et abondante, qui permet à la France d’être exemplaire en matière de décarbonation de son électricité – reste exclu de ces mécanismes.

L’Union européenne prévoit-elle de cofinancer le nucléaire au même niveau, voire davantage, que les énergies renouvelables, afin de faire baisser durablement le prix de base de l’électricité, tout en permettant la décarbonation du mix électrique de nos voisins, particulièrement l’Allemagne ?

Pouvez-vous garantir que la future préférence européenne dans les marchés publics n’empêchera pas la France d’utiliser des clauses nationales de sauvegarde pour protéger ses filières stratégiques, dont le nucléaire ?

Enfin, les investissements dans les réseaux électriques européens vont s’intensifier au cours des prochaines années et leurs coûts risquent d’être répercutés sur les consommateurs, par l’intermédiaire du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (Turpe), de l’accise sur l’électricité ou d’autres taxes qui pourraient être inventées. Pouvez-vous vous engager à ce que le financement européen mobilisé dès 2026 permette d’éviter toute hausse des factures d’électricité ?

M. Julien Gokel, député (SOC). Je tiens à vous remercier pour votre présence vendredi sur le site d’ArcelorMittal à Dunkerque et à saluer les annonces que vous avez faites, le 7 octobre, à propos du plan acier européen. La réduction significative des quotas d’importation, le relèvement des droits de douane sur les volumes excédentaires – avec la volonté de les inscrire dans la durée – ou la préférence locale dans les marchés publics européens constituent des signaux forts, que les élus et les acteurs industriels attendaient depuis longtemps. Ces mesures sont indispensables pour protéger notre industrie face à une concurrence mondiale souvent déloyale.

Ce plan européen marque un tournant. Je dois reconnaître que vous avez « fait le job » ! En revanche, la direction d’ArcelorMittal doit assumer ses responsabilités. À Dunkerque, le projet de décarbonation prend du retard et aucun calendrier n’a été communiqué. Les salariés, les syndicats et les élus ne savent pas quand ni comment les investissements prévus vont se concrétiser.

Comment l’Union européenne entend-elle peser dans le rapport de force avec un groupe comme ArcelorMittal, maintenant qu’elle a répondu à la quasi-totalité des demandes formulées par les industriels ? Comment peut-elle, avec les États membres, contraindre un groupe à tenir ses engagements ? Comment peut-elle se prémunir contre un éventuel refus de la part d’ArcelorMittal si, bien que toutes les conditions favorables soient réunies, le projet de décarbonation de Dunkerque n’était pas lancé ?

Ce projet répond certes à une exigence écologique, mais il est également essentiel pour la pérennité de nos emplois et pour notre souveraineté industrielle européenne.

M. Stéphane Séjourné. Les négociations pour aboutir à un accord avec le Mercosur ont débuté il y a vingt-cinq ans. Quand je suis arrivé à la Commission, il y a huit mois, le dossier était pratiquement clos. La présidente de la Commission avait décidé de le soumettre aux colégislateurs, c’est-à-dire au Parlement et au Conseil européens.

Entretemps, nous avons fait pression pour ajouter une clause de sauvegarde concernant l’agriculture. Elle pourra être déclenchée par un seul État dans un délai de vingt et un jours après la détection d’anomalies sur le marché, et ce dernier pourra être fermé. Cette mesure me paraît de nature à rassurer le secteur agricole. La présidente a transmis ce texte additionnel aux colégislateurs afin qu’ils l’examinent. Il est actuellement dans les mains du Parlement européen et sera finalisé dans le cadre d’un trilogue.

L’ESS ne fait pas partie de mon portefeuille. Elle a été confiée à ma collègue Roxana Mînzatu, commissaire roumaine, qui est également chargée des qualifications professionnelles et des relations avec les syndicats. Des liens existent toutefois entre l’économie sociale et solidaire et les sujets dont j’ai la responsabilité. Pour cette raison, j’ai rencontré régulièrement les associations et d’autres acteurs du secteur, et mes équipes et moi-même sommes prêts à travailler avec vous pour avancer dans ce domaine.

Mon portefeuille n’a pas exactement le même découpage que celui de Thierry Breton. Ainsi, je n’ai pas la responsabilité de la défense, puisqu’un commissaire européen à la défense a été nommé. L’économie sociale et solidaire ne m’est pas non plus rattachée, comme le numérique, qui a été confié à la commissaire finlandaise. Je m’occupe du marché intérieur, de l’industrie, de l’analyse des budgets nationaux et des réglementations financières et bancaires.

S’agissant de l’énergie, un Piiec sera consacré au nucléaire. Par ailleurs, la BEI finance le projet d’enrichissement de l’uranium en France. Depuis que j’ai pris mes fonctions, nous avons remplacé dans tous les textes européens le mot « green », c’est-à-dire « vert », par « clean », qui signifie propre et donc bas-carbone, pour pouvoir intégrer l’industrie nucléaire dans tous nos financements. C’est la preuve que le nucléaire devient un sujet clé – voilà encore un tabou qui est tombé. Il doit dorénavant être traité en tant qu’énergie au même titre que l’éolien ou le photovoltaïque.

M. Frédéric Weber, député (RN). La semaine dernière, lors du sommet de l’automobile, la coalition menée par le chancelier allemand Friedrich Merz s’est prononcée pour une révision de l’objectif européen mettant fin au moteur thermique en 2035. Cet objectif est un suicide industriel.

Pendant que la Chine envahit notre marché avec ses véhicules électriques subventionnés, la Commission européenne saborde notre compétitivité, condamne nos emplois et ruine le pouvoir d’achat des automobilistes européens, qui ne peuvent pas tous s’offrir une voiture électrique. Les négociations concernant la levée des surtaxes sur les importations de véhicules électriques chinois se poursuivent-elles ?

Concernant la situation d’ArcelorMittal, j’espère que le gouvernement actuel aura plus de chance que le gouvernement socialiste qui, en 2012, avait fait confiance à Mittal.

M. Patrice Martin, député (RN). Les états généraux de l’alimentation, la révision du règlement sur l’organisation commune des marchés et le projet européen sur les pratiques commerciales déloyales ont cherché à enrayer la concurrence internationale et transfrontalière qui fragilise nos agriculteurs. Rien n’est plus louable que de protéger l’équilibre économique de la filière, de garantir une juste rémunération à nos producteurs et de préserver notre souveraineté alimentaire.

Notre agriculture n’est pas une variable d’ajustement. C’est une filière stratégique pour l’avenir du pays et une part inestimable de notre identité nationale. Pour cette raison, le Rassemblement national appelle à une exception agriculturelle, qui permettrait au secteur de ne plus être négligé dans la conduite des politiques publiques et dans les négociations économiques.

Comment la Commission européenne entend-elle enfin instaurer les conditions d’une concurrence loyale pour nos agriculteurs ?

M. Dominique Potier, député (SOC). Dans votre réponse à notre collègue Julien Brugerolles concernant le devoir de vigilance, vous avez oublié l’essentiel. En supprimant la responsabilité civile pour renvoyer à la responsabilité des États, vous réduisez considérablement la portée normative des textes. C’est certes une question de droits de l’homme et de protection de l’environnement, mais également de souveraineté industrielle, en particulier dans les secteurs sensibles.

Je suis en contact, comme vous, avec des personnes qui ambitionnent de produire du photovoltaïque en Europe. Or, elles affirment que sans ces protections fondées sur la responsabilité sociale et environnementale, il y a peu de chance que nous atteignions un minimum d’autonomie et de souveraineté dans l’approvisionnement en composants indispensables à cette filière et, partant, à la reconquête de notre production d’énergie électrique.

Le courrier qui vous a été adressé le 7 octobre n’était pas signé uniquement par la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et les Jeunes Agriculteurs (JA), mais également par l’Institut de liaisons et d’études des industries de consommation (Ilec), l’Association nationale des industries alimentaires (Ania), Pact’Alim pour les PME et ETI et la Coopération agricole pour les coopératives, par lesquelles transitent 40 % du commerce agricole. Tous vous disent que les super-centrales d’achat européennes sont une négation du droit de régulation dont disposent les nations, qu’elles s’opposent à tous les principes de régulation – comme ceux que nous essayons de créer dans les lois Egalim – et qu’elles sont une forme d’insulte à nos efforts de construction de prix équilibrés. Elles remplissent en outre une fonction pour le moins opaque, notamment d’optimisation fiscale. Elles s’inscrivent dans une vieille tradition de destruction de l’emploi au bénéfice des consommateurs. En ce qui nous concerne, notre ambition est celle d’une France qui défende à la fois les consommateurs et les producteurs.

M. Stéphane Séjourné. Je ne prétends pas remplacer les ministres de l’industrie ou de l’économie. La responsabilité de la Commission est de créer les conditions de la compétitivité des entreprises. Nous devons faire évoluer le cadre réglementaire et le simplifier. Le commerce extérieur doit également être intégré dans les politiques publiques européennes.

S’agissant d’ArcelorMittal, la Commission ne dispose pas de tous les leviers que peuvent avoir les États membres, notamment fonciers ou fiscaux, pour contraindre une entreprise à réaliser les investissements promis. Néanmoins, nous apportons notre contribution et nous continuerons à le faire au cours des prochains mois. Il est très important que la clause de sauvegarde soit adoptée par le Parlement européen et qu’elle entre en vigueur le plus rapidement possible. Le renforcement du MACF, dès le 10 décembre, sera également un élément sur lequel vous pourrez vous appuyer. Tous ces éléments vous permettront de demander le respect d’engagements qui étaient conditionnés à des objectifs européens, lesquels sont atteints. J’utiliserai toute mon influence politique au sein de la Commission pour que le rapport de force avec les industriels vous soit favorable.

Nous ne négocions pas avec la Chine pour supprimer les droits de douane. La façon dont elle procède pour les matières premières, nous l’avons déjà vécue avec le gaz. Il ne faut donc pas nous limiter à une approche économique mais engager une discussion diplomatique avec la Chine pour aboutir à un deal global dans le cadre de notre relation commerciale.

J’ai évoqué différents sujets dont les petits colis, les matières premières ou les surcapacités dans certains secteurs industriels ou de services. Je le répète : nous devrons avoir une discussion avec les Chinois, car l’équilibre actuel ne va pas ; il tue les entreprises européennes et fragilise notre souveraineté à certains égards.

L’urgence est de « dérisquer » notre relation avec la Chine en concluant avec d’autres pays des accords commerciaux – n’en déplaise à certains groupes politiques – pour sortir de la dépendance. Parallèlement, nous devons revoir les conditions d’entrée des entreprises étrangères sur le marché intérieur : obligation de créer des joint ventures avec nos entreprises, transferts de technologie, utilisation de la base industrielle européenne pour s’approvisionner en composants nécessaires à leur chaîne de production... Tout cela doit être discuté.

Soyons clairs, nous ne menons pas une négociation pour réduire les droits de douane sur les voitures électriques qui soit indépendante d’une négociation globale. La tendance est plus à un durcissement qu’à un assouplissement de notre relation commerciale avec la Chine.

Je crois avoir répondu à toutes vos questions.

Mme Dominique Estrosi Sassone, sénatrice, présidente. Je vous remercie pour votre disponibilité.

M. le président Stéphane Travert, député, président. Je vous remercie également.

 


Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

 

Réunion du mardi 14 octobre 2025 à 18 heures

 

Présents.  M. Laurent Alexandre, M. Maxime Amblard, M. Karim Benbrahim, M. Julien Brugerolles, M. Charles Fournier, M. Julien Gabarron, Mme Géraldine Grangier, Mme Hélène Laporte, Mme Nicole Le Peih, Mme Marie Lebec, M. Robert Le Bourgeois, M. Pascal Lecamp, M. Guillaume Lepers, M. Hervé de Lépinau, M. Alexandre Loubet, Mme Sandra Marsaud, M. Patrice Martin, M. Philippe Naillet, M. René Pilato, M. Dominique Potier, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, Mme Valérie Rossi, M. François Ruffin, M. Matthias Tavel, M. Lionel Tivoli, M. Stéphane Travert, Mme Aurélie Trouvé, M. Frédéric-Pierre Vos, M. Frédéric Weber

 

Excusés.  Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Arthur Delaporte, Mme Mathilde Hignet, M. Max Mathiasin, M. Joseph Rivière, M. Vincent Rolland, M. Boris Tavernier

 

Assistaient également à la réunion.  M. Julien Gokel, M. Jean-Pierre Vigier