Compte rendu
Commission
des affaires économiques
– Audition de M. Nicolas Forissier, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargé du Commerce extérieur et de l’Attractivité. 2
Jeudi 13 novembre 2025
Séance de 11 heures
Compte rendu n° 22
session ordinaire de 2025-2026
Présidence de
M. Stéphane Travert, Président
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La commission des affaires économiques a auditionné M. Nicolas Forissier, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargé du Commerce extérieur et de l’Attractivité.
M. le président Stéphane Travert. Monsieur le Ministre, notre commission est heureuse de vous accueillir pour échanger sur les enjeux du commerce extérieur, auxquels elle est très attentive, car le commerce extérieur est un bon indicateur de notre compétitivité internationale et de la capacité de la France à s’imposer à travers le monde par la qualité reconnue de ses productions. Il reflète également la capacité de notre pays à assurer sa souveraineté économique – au moins dans les domaines les plus stratégiques tels que l’agriculture, l’industrie et la défense.
La dynamique de notre commerce extérieur est plutôt bonne en 2025. Au troisième trimestre, en dépit d’un contexte international instable, les exportations françaises progressent de 2,2 % par rapport au trimestre précédent, tandis que les importations reculent de 0,4 %. Pour autant, tous les secteurs d’activité ne sont pas logés à la même enseigne. Si l’aéronautique, la chimie et la pharmacie confirment leur statut de champions à l’international, la filière agroalimentaire risque d’enregistrer pour la première fois depuis 1978 un solde négatif de la balance commerciale. Pouvez-vous nous confirmer ces tendances et nous livrer votre analyse à ce sujet ?
Par ailleurs, pensez-vous que le secteur agroalimentaire est particulièrement victime du contexte international et de l’état de nos relations avec un partenaire commercial historique de la filière céréalière ? Ce secteur est très préoccupé par l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur. Pouvez-vous nous rappeler la position du Gouvernement français à ce sujet ?
La France se donne des ambitions élevées en matière de protection de l’environnement, de lutte contre le changement climatique ou encore de protection des travailleurs. Or, ces exigences débouchent sur des normes qui sont souvent présentées comme plus contraignantes que celles que s’imposent nos partenaires commerciaux, ce qui soulève la question de la compétitivité de nos entreprises à l’exportation. Selon vous, la diplomatie économique consiste-t-elle aussi à promouvoir nos normes auprès de nos partenaires européens et mondiaux afin d’assurer notre souveraineté économique ? Comment la France et l’Union européenne peuvent-elles faire prévaloir leurs standards élevés dans ce domaine ?
En matière industrielle, comment éviter que l’interdiction européenne de vente de voitures neuves thermiques en 2035 donne un avantage significatif aux industriels chinois qui proposent des voitures électriques à des prix plus abordables que les constructeurs européens ?
Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières est censé rééquilibrer les conditions de concurrence entre les industries européennes et les fabricants extracommunautaires, en imposant aux importations de certains produits une tarification carbone équivalente à celle appliquée aux producteurs européens. Toutefois, le dispositif envisagé fait l’objet de nombreuses critiques : biais, risques de contournement, etc. Où en sont les travaux européens destinés à corriger ces défauts, qui pourraient transformer ce rééquilibrage en handicap pour nos entreprises ? Quelle est la position de la France dans ce dossier ?
Au-delà de ce mécanisme et des mesures de protection commerciales récemment prises en faveur des producteurs européens d’acier, quelles autres mesures l’Union européenne pourrait-elle mettre en œuvre pour mieux promouvoir et défendre ses propres intérêts, sans naïveté face aux pratiques abusives des géants américains du numérique et à la concurrence déloyale de nombreuses entreprises ?
M. Nicolas Forissier, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur et de l’attractivité. J’évoquerai ma feuille de route dans le contexte évolutif d’un commercial international bouleversé.
En 1993, au commencement de ma vie parlementaire, je siégeais dans votre commission, qui s’appelait alors la commission de la production et des échanges. Si ce nom sonne un peu « post-seconde guerre mondiale », cet organe de travail s’est beaucoup modernisé et je connais la qualité de vos débats.
Ma mission consiste d’abord à négocier et à défendre les positions françaises en matière de politique commerciale. C’est le cas, par exemple, quand les États-Unis imposent des droits de douane unilatéraux, quand la Chine lance une enquête sur le porc, quand nos exportations de cognac et d’armagnac sont menacées par des taxes douanières ou quand il faut défendre notre filière laitière.
Le rôle du ministre et de l’administration est de se rendre chez nos partenaires commerciaux, de discuter avec eux et de tenir bon. Il me paraît très important d’être opiniâtre dans la négociation commerciale alors que, encore une fois, le commerce international a été bouleversé depuis quelques années. La guerre en Ukraine provoquée par la Russie a déclenché de nouvelles difficultés. Et si la brutalité de la position américaine ne date pas d’aujourd’hui, elle a franchi une étape supplémentaire avec le second mandat du président Donald Trump : des droits de douane unilatéraux ont mené à l’accord conclu entre l’Union européenne et les États-Unis, le 21 août. C’est un pis-aller : 15 % de droits de douane valent mieux que les 30 % initialement annoncés par le président Trump – sans compter les droits additionnels dans certains secteurs comme l’acier, qui posent encore problème.
Nous sommes dans une logique de rapport de force. C’est pourquoi l’Europe a besoin de sortir de ses habitudes un peu naïves en matière de commerce international : son attitude doit être beaucoup plus ferme. Il faut que l’Europe utilise ses instruments de rétorsion et de défense commerciales : ils existent dans l’arsenal juridique européen (et ils ont besoin d’être renforcés), mais nous ne les avons jamais vraiment mobilisés.
Dans le même temps, nous devons essayer de conquérir des marchés, avec constance et détermination. C’est essentiel pour notre économie, nos entreprises, notre territoire et l’emploi. C’est aussi un exercice très compliqué, mais aller de l’avant est une obligation absolue.
Une première partie de notre travail touche donc à notre politique commerciale, soit dans les négociations bilatérales, soit dans le cadre du conseil européen des ministres chargés du commerce extérieur, soit dans d’autres enceintes – je pense notamment au G7, que la France va présider l’année prochaine et qui sera un moment important pour renforcer nos positions ainsi que celles de l’Union européenne.
Mais au-delà de ce travail – et c’est le deuxième point de ma feuille de route – il y a ce qui est peut-être le « cœur de métier » du ministre du commerce extérieur et de l’attractivité : le soutien de l’équipe de France à l’export. Par ce terme, j’entends les entreprises françaises qui, chacune dans leur domaine et quelle que soit leur taille, peuvent se projeter dans le monde. Je rappelle que les débouchés des exportations françaises se situent entre 60 % et 62 %, en fonction des années, dans l’Union européenne.
Il existe bien sûr d’autres destinations pour le commerce extérieur français, notamment le Maghreb, le Proche et le Moyen-Orient ou l’Afrique, qui doit être plus visitée – c’est d’ailleurs un de mes objectifs. Je pense également à toute la zone Asie-Pacifique, dont le cœur de cible est la Chine : je m’y suis rendu la semaine dernière pour soutenir nos entreprises et montrer que les autorités françaises, quelles qu’elles soient, sont à leurs côtés pour tenir nos positions commerciales.
Notre cœur de métier est ainsi d’emmener des entreprises françaises à l’étranger, d’ouvrir des portes, de constamment jeter des coups de projecteur sur l’offre française, partout où c’est nécessaire, où il y a des urgences ou des contrats en cours de discussion. Ce travail est concret : il ne se résume pas à des messages lointains ou à des colloques. Il nécessite d’être présent sur place. C’est en tout cas ainsi que je conçois cette mission.
C’est ce que nous avons fait, la semaine dernière, à l’occasion de la Foire internationale des importations de Shanghai, qui permet de présenter l’offre commerciale française, au-delà des relations bilatérales. Le marché chinois est dur, la concurrence y est forte. Dans ce contexte, cette foire était un moyen de montrer aux autorités chinoises que les entreprises européennes, en général, et françaises, en particulier (notamment dans l’agroalimentaire, la tech et d’autres domaines où nous sommes des champions, comme la parfumerie, la cosmétique et l’aéronautique), continuent à être présentes et à se battre opiniâtrement pour conquérir des marchés.
L’un de nos défis est de rendre la Team France Export, c'est-à-dire l’écosystème de soutien aux entreprises françaises sur les marchés internationaux, la plus efficace possible. Nous devons corriger certains défauts : je pense en particulier à Business France, principal opérateur de soutien à nos entreprises.
Allant de pair avec la projection vers les marchés extérieurs, notre troisième mission est d’attirer des investissements sur le territoire national de façon à accompagner le mouvement de réindustrialisation et de réappropriation de notre souveraineté, dans certaines filières en particulier. La covid-19 a permis de révéler ce problème et les choses ont évolué depuis : ce volet de mon périmètre ministériel lié à l’attractivité est incontournable.
Nous avons œuvré en ce sens, la semaine dernière, à Shanghai en rencontrant des investisseurs chinois. En effet, nous avons intérêt à ce que ceux-ci fassent en France ce que nos partenaires chinois nous demandaient il y a vingt ans de faire chez eux, c’est-à-dire créer de l’emploi. Je me souviens d’avoir visité, il y a quelques années, l’usine de montage d’Airbus à Tianjin : la création d’emplois locaux était une des conditions de l’implantation du constructeur aéronautique. Aujourd’hui, c’est à nous de poser cette question. La Chine évolue d’une façon extraordinaire : nous assistons à une nouvelle révolution. Nous devons nous y adapter, tenir bon et nous montrer plus exigeants à l’égard de nos partenaires chinois : s’ils souhaitent exporter vers l’Europe et la France, il faut qu’ils y investissent.
Ainsi, il est essentiel d’aller chercher des investisseurs, non seulement en Chine mais aussi dans toutes les autres grandes zones économiques, notamment aux États-Unis. Je rappelle qu’à ce sujet nous n’avons pas à rougir : même si elle doit se protéger, la France est un territoire d’accueil – elle est même championne. Nous occupons en effet la douzième place en matière d’attractivité et d’investissement direct étranger à l’échelle mondiale. C’est une fierté collective qu’il me revient de souligner.
En 2025, la France conserve, pour la sixième année consécutive, son rang de pays le plus attractif d’Europe, avec plus de 40 milliards d’euros (Md€) d’investissement annoncés, se traduisant par des projets porteurs d’emploi et de développement économique. Ainsi, le soutien de l’attractivité de la France, indissociable de l’accompagnement de nos entreprises à l’étranger, doit être poursuivi.
Nous devons réaffirmer trois principes et je compte bien le faire en étroite collaboration avec le Parlement.
Le premier de ces principes est de redonner à l’écosystème français de l’élan, de la confiance et de la fierté. J’insiste, car ce n’est pas si évident : faire en sorte que les entreprises françaises soient plus conquérantes que jamais sur les marchés extérieurs est ma priorité absolue.
La semaine dernière à Shanghai, j’ai tenu à ce que soient réunis les volontaires internationaux en entreprise (VIE) et les volontaires internationaux en administration (VIA) présents sur place, c'est-à-dire des stagiaires et des étudiants. J’ai dit à cette centaine de jeunes : « Vous êtes l’avenir, soyez fiers du drapeau français ! Le futur dépend de la façon dont vous accompagnez nos entreprises pour qu’elles conquièrent, ou au moins défendent, nos positions. » Aujourd’hui, tout est extrêmement difficile en matière de commerce international. Nous avons quitté cette époque bénie d’il y a vingt ans, caractérisée par un certain confort et des habitudes. Des organismes, comme à l’époque Ubifrance, avaient alors peu de difficultés, notamment budgétaires, pour mener à bien leur mission.
Un autre exemple : je sors d’une réunion avec l’écosystème de la fintech, c’est-à-dire des sociétés de services financiers. Ces start-up françaises qui essaient de se développer à l’étranger représentent énormément d’emplois. Or, elles attendent aussi que le ministre du commerce extérieur, comme d’ailleurs les parlementaires intéressés par ce sujet, se mobilisent afin de les accompagner.
Le deuxième principe consiste à sortir de la naïveté à laquelle nous nous étions habitués : il nous faut de nouveau protéger nos filières, en particulier les secteurs sensibles dans le domaine agroalimentaire. Nous parlerons sûrement du Mercosur ou d’autres traités commerciaux : nous devons instaurer, en étant extrêmement moteurs au sein de l’Union européenne, les protections nécessaires pour que certaines filières ne soient pas sacrifiées au bénéfice d’autres qui récolteraient des résultats beaucoup plus intéressants dans le cadre d’accords commerciaux.
Mais nous devons le faire – et c’est ma troisième ligne de conduite – en étant extrêmement pragmatiques et volontaristes. C’est pour cette raison qu’au-delà de la fierté et de l’esprit de protection, j’évoquais tout à l’heure la nécessaire détermination dans la conquête de marchés. Soutenir et mieux faire fonctionner notre écosystème est essentiel.
De ce point de vue, j’estime qu’il est utile de signer des accords commerciaux bilatéraux. Et quand j’entends dans le débat public national que ces accords internationaux sont dangereux, je pense exactement le contraire, en toute franchise : sous réserve de veiller à la protection de nos filières sensibles, il vaut mieux que nous sécurisions nos approvisionnements et nos exportations de façon diversifiée dans le monde plutôt que d’être dépendants. Il est donc très important d’aborder ces questions prudemment.
Par exemple, je pense que l’Accord économique et commercial global (Comprehensive Economic and Trade Agreement, Ceta) a été extrêmement bénéfique à notre économie, particulièrement aux filières agroalimentaires. Il existait des raisons d’être prudent sur les filières sensibles, Mais, après plusieurs années de mise en œuvre, on peut en tirer un bilan : on constate que c’est un traité utile.
La France soutient les négociations que mène actuellement l’Union européenne – puisque c’est elle qui a la responsabilité des accords de libre-échange bilatéraux. L’Inde, l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, l’Australie et les Émirats arabes unis sont autant de pays avec lesquels les négociations avancent bien.
Il nous faut être extrêmement prudents, notamment avec l’Australie en matière agricole ; poser nos limites et nos exigences. Pour autant, il est de l’intérêt de l’Union européenne, de la France et de nos entreprises de montrer de l’allant concernant ces accords, car ils sécurisent ces dernières. Ils nous permettent aussi de diversifier nos exportations face aux risques introduits par la Chine ou les États-Unis, qui nous prennent en étau.
À cet égard, nous devons faire preuve d’initiative, avec toute la prudence qui s’impose. La naïveté et l’ouverture dont nous avons fait preuve pendant des décennies, sans protections suffisantes, ne sont plus de mise : elles nous conduiraient à notre perte. La France est un élément moteur pour exiger que l’Union européenne fasse évoluer sa politique commerciale et son attitude en la matière.
M. le président Stéphane Travert. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Hervé de Lépinau (RN). Monsieur le ministre délégué, dans mon rapport pour avis sur le commerce extérieur, vous pourrez lire que notre balance commerciale est toujours déficitaire, ce qui est particulièrement préoccupant.
Selon le Gouvernement, la reprise économique serait là, avec 0,5 % de croissance au troisième trimestre 2025, un chiffre à peine plus élevé que les 0,4 % de l’année dernière. Cette hausse ne vient pas d’une reprise de la consommation ni d’une hausse de l’investissement, mais d’un sursaut du commerce extérieur porté par l’anticipation de l’entrée en vigueur des taxes américaines et du carnet de commandes de l’industrie aéronautique, particulièrement plein en ce moment.
Si on s’intéresse plus largement à l’état de notre balance commerciale, on s’aperçoit que le déclassement français, commencé il y a huit ans, continue, avec un déficit commercial en forte hausse en septembre (6,2 Md€, contre 5,5 Md€ en août). Le cumul sur douze mois devrait par ailleurs dépasser 80 Md€ (contre 58 Md€ en 2017) : c’est une énième réussite de la politique économique macroniste.
Revenons à l’intitulé complet de votre ministère : vous êtes également ministre de l’ « attractivité », un terme qui cache une réalité bien plus sombre que celle vantée par le Président de la République à chacun des sommets Choose France. Il nous explique que nous serions le pays le plus attractif d’Europe, alors qu’en réalité nous sommes devenus un supermarché à ciel ouvert pour les puissances américaine et chinoise, capables de racheter nos entreprises à prix avantageux, car celles-ci sont sous-capitalisées. Après Alstom, Technip, Atos, Latécoère, MB Aerospace, Lafarge, Alcatel, Opela, nous avons désormais un nouveau nom à ajouter à la liste : Exaion, champion français du minage de cryptomonnaie et filiale du groupe EDF, qui devrait bientôt passer sous le contrôle de l’américain Mara Holdings.
En réponse à une question de notre collègue Éric Ciotti sur le sujet, le Premier ministre a rappelé que le bureau du contrôle des investissements étrangers en France (Cief) devrait se saisir du dossier et rendre un avis sur cette cession dans les mois à venir ; mais il a été incapable d’indiquer si Exaion était considérée comme stratégique par l’État : c’est pourtant une condition indispensable pour obtenir un blocage de la vente.
Nous sommes nombreux à penser qu’Exaion est stratégique et doit rester française. C’est pourquoi nous avons alerté vos prédécesseurs sur la nécessité de renforcer le contrôle des investissements étrangers en France (IEF) et d’élargir le décret « Montebourg », sans qu’aucune mesure concrète n’ait pour l’instant été prise. L’attractivité n’est pas un couloir à sens unique : elle doit rester un contrat exigeant avec la nation en matière d’emplois, de technologies et de retombées économiques. La France n’exporte plus ce qu’elle produit ; elle se vend en livrant ses champions à des intérêts étrangers. Êtes-vous prêt à travailler avec tous les groupes parlementaires pour renforcer le contrôle des investissements étrangers en France ? Seriez-vous disposé à reprendre les dispositions de la proposition de loi de notre regretté collègue Olivier Marleix, visant à mieux défendre notre appareil productif dans les secteurs stratégiques lors d’opérations de rachats d’actifs par un investisseur étranger ?
M. Nicolas Forissier, ministre délégué. Mon prédécesseur avait déjà été alerté au sujet d’Exaion et j’y reviendrai.
Concernant la balance commerciale, nous revenons de niveaux de déficit autrement plus élevés que ceux que nous connaissons aujourd’hui. Je rappelle les chiffres précisément : le déficit de la balance commerciale s’élevait à 162 Md€ en 2022. Nous en connaissons les circonstances, mais toujours est-il qu’on est descendu très bas. Il était d’environ 99 Md€ en 2023, puis de 79 Md€ en 2024. J’observe que les choses continuent à s’améliorer puisque le déficit commercial lié aux biens hors énergie et hors matériel militaire s’est résorbé, en net, de 11 Md€ entre 2023 et 2024. Et comme l’a rappelé le président Travert, le commerce extérieur a progressé de 2,2 % au troisième trimestre 2025. C’est un des éléments moteurs qui permettent de maintenir la croissance à un niveau plus élevé, contrairement aux anticipations. Ainsi, en la matière, on revient de loin : soyons donc positifs, car les choses évoluent.
Mme Sandra Marsaud (EPR). Les accords commerciaux que la France et l’Union européenne signent avec leurs partenaires apportent aussi des bénéfices concrets à nos filières agroalimentaires et industrielles, comme le président Travert et vous-même l’avez rappelé. En effet, ils montrent notre compétitivité, soutiennent notre diversification et renforcent notre attractivité. Par exemple, j’estime très positif l’accord de partenariat économique entre l’Union européenne et le Japon, qui a permis d’éliminer progressivement les droits de douane sur les vins et spiritueux français et qui a entraîné une hausse de près de 30 % de nos exportations vers le Japon en quelques années. C’est une très bonne chose pour la région du Cognaçais, qui a subi une crise dans les années quatre-vingt-dix.
Je souhaitais également mentionner le Ceta, signé avec le Canada : cet accord a non seulement ouvert des quotas pour nos fromages sous appellation d’origine contrôlée (AOC), sécurisant ainsi des débouchés essentiels pour nos producteurs, mais il a aussi permis de mieux protéger nos appellations dans le secteur des vins et spiritueux. Si ces derniers souffrent beaucoup actuellement dans tout le territoire national, le cognac et l’armagnac bénéficient désormais d’une reconnaissance juridique renforcée. Rappelons qu’en 2017, la majorité présidentielle a demandé une vérification des fameuses « clauses-miroirs » du Ceta et un suivi de cet accord, qui me semble être toujours disponible sur les sites du Gouvernement.
Ces accords ne sont pas seulement des outils de compétitivité, mais également des leviers de sécurisation pour notre économie et nos filières stratégiques. Pouvez-vous préciser la stratégie de souveraineté agroalimentaire et industrielle de la France ? Comment garantir la protection des savoir-faire et des appellations d’origine ?
Enfin, vous avez parlé de soutien aux exportations. Avec notre collègue Sylvain Carrière, nous avons présenté un rapport sur les stratégies de marché de la filière vitivinicole, qui souffre beaucoup. Nous y évoquons la stratégie très énergique de l’Italie, qui opère jusqu’au cœur des ambassades : une bannière promotionnelle « Italie » apparaît au moment de Noël sur les sites internet européens et donc, bien sûr, français. Notre filière vitivinicole pourrait s’en inspirer, car son plan stratégique a du mal à émerger. Comment aider à le développer ?
M. Nicolas Forissier, ministre délégué. Il me semble que personne ne peut dire le contraire : un certain nombre d’accords commerciaux bilatéraux (ou conclus dans le cadre européen) sont absolument essentiels pour diversifier et sécuriser nos exportations. La réalité, c’est qu’il existe un vrai risque lorsque vous êtes pris en étau entre deux mastodontes qui se font la guerre. De plus, il est à craindre que la Chine redistribue ce qu’elle ne pourra pas vendre aux États-Unis sur le marché de l’Union européenne, qui est très attractif avec ses 450 millions de consommateurs.
Nous devrons non seulement résister à cela, mais aussi être offensifs pour diversifier les débouchés de nos entreprises sur les marchés internationaux. C’est pourquoi le Ceta est une réussite – je le disais il y a quelques années déjà, à rebours parfois de mes propres amis politiques.
Encore un exemple : les exportations de fromage français ont progressé à un rythme de 60 %, supérieur à celui de nos concurrents. La situation étant favorable, nous devons poursuivre dans ce sens.
Quant aux vins et spiritueux, je suis prêt à y travailler avec vous et à envisager des opérations particulières de mise en lumière. C’est une filière qui compte énormément dans notre excédent commercial. Sur certains marchés, elle est parfois en danger. C’est pourquoi nous devons nous battre.
Mme Manon Meunier (LFI-NFP). Concernant l’accord avec le Mercosur, les blagues les plus courtes sont les meilleures et celle-ci commence à trop durer ! Quel niveau de culot faut-il à M. Emmanuel Macron pour nous dire qu’il est « plutôt positif » quant à la possibilité d’accepter cet accord, alors que ce dernier prévoit l’importation de 99 000 tonnes de viande bovine, dont des pièces de qualité qui entreront directement en concurrence avec l’élevage bovin français ?
J’ai une pensée émue pour madame Annie Genevard, ministre de l’agriculture, qui fait le tour des plateaux audiovisuels pour calmer la colère du monde agricole en répétant que la France affiche un « non » très ferme à cet accord. Le dire sur les plateaux, c’est bien ; le dire à la présidente von der Leyen, ce serait mieux, puisqu’on attend depuis des années qu’Emmanuel Macron fasse quelque chose. Il ne s’est pas opposé au splitting de l’accord, alors que c’est précisément en son pouvoir. Cela permet à madame von der Leyen de faire passer l’accord « en douce », parce que votre véritable plan – et c’est la ministre Annie Genevard qui en parle le mieux – est de faire passer cet accord une fois que des clauses-miroirs seront acceptées et validées par les membres du Mercosur.
Mais ces clauses-miroirs ne seront jamais respectées, vous le savez comme moi… de même que les mesures-miroirs déjà existantes avec le Mercosur, en raison de la corruption des contrôleurs qu’on y trouve et du manque de moyens mis en œuvre par l’Union européenne pour en assurer l’exécution. Un rapport de la Commission européenne affirme que nous importons déjà du bœuf aux hormones provenant du Mercosur : comment ferons-nous respecter ces clauses-miroirs ?
Notre élevage est exigeant. En particulier, l’élevage bovin français est majoritairement herbagé. Nos exploitations familiales ne seront jamais concurrentielles face au modèle du Mercosur. Or, c’est ici que se jouent les politiques de souveraineté alimentaire : elles doivent se trouver du côté du protectionnisme et mettre fin à ces accords internationaux, qui utilisent souvent notre agriculture comme variable d’ajustement.
Si nous voulons un modèle qui nourrisse la France en premier lieu, nous devons arrêter de fonder constamment l’agriculture sur des politiques de compétitivité internationale, car cela a pour conséquences de toujours aligner l’agriculture sur le moins-disant international et de sortir de modèles durables.
Les modèles du Mercosur ne sont pas durables, ils ne sont pas non plus souhaitables et ils ne répondent pas aux attentes des Français. Alors, à La France insoumise, nous agissons : notre collègue européenne Manon Aubry, présidente du groupe au Parlement européen, a saisi la Cour de justice de l’Union européenne sur ce sujet de manière à suspendre l’accord. Nous défendons une proposition de résolution d’opposition à ce traité. Nous attendons que le Gouvernement fasse de même et s’y oppose clairement auprès de la présidente von der Leyen : il y va de la souveraineté alimentaire de la France.
M. Nicolas Forissier, ministre délégué. J’entends vos arguments. Je voudrais d’abord rappeler que le projet d’accord avec le Mercosur ne prévoit pas d’évolution sensible en volume de nos importations de viande bovine : le risque porte plus sur une baisse des prix. D’où les exigences françaises qui portent sur trois sujets.
Le premier, c’est la clause de sauvegarde renforcée : une première réponse a été apportée par la Commission européenne. La France considère – et cette position a été rappelée par le Président de la République – que cette réponse n’est pas suffisante. En effet, nous avons besoin de plus de précisions quant à la mise en œuvre opérationnelle : quand une filière est déstabilisée – et cela concerne en particulier la filière bovine –, même dans un seul pays, on doit pouvoir arrêter les choses très rapidement.
Deuxièmement, il faut des clauses-miroirs et des mesures-miroirs – ce n’est pas tout à fait la même chose. Ici aussi, nous voulons que les choses soient opérationnelles et que le sujet progresse. D’ailleurs, les mesures-miroirs présentent de l’intérêt pour toutes les importations, pas uniquement celles qui sont liées au Mercosur.
Troisièmement, s’agissant des contrôles, je vous rejoins. Cela passe par de vrais contrôles sur pièces et sur place, pas simplement dans les ports des pays exportateurs, mais aussi dans leurs exploitations et leurs abattoirs. Certaines substances ne sont plus détectables au bout de trois jours : leur utilisation crée à la fois un risque au regard de nos normes et un problème de concurrence biaisée. La position de la France est extrêmement claire : notre exigence en la matière est absolue et tant que les réponses attendues ne seront pas apportées, notre pays aura une position négative concernant l’accord avec le Mercosur.
Mme Mélanie Thomin (SOC). Je souhaiterais revenir à mon tour sur la chronologie de ces derniers jours, tant on a du mal à suivre les palinodies de l’exécutif français.
Jeudi 6 novembre, en plein démarrage de la COP30 au Brésil, le Président de la République s’est dit « plutôt positif » concernant le traité avec le Mercosur. Doit-on déjà rappeler, à ce stade, l’indécence de se féliciter d’un traité de libre-échange en pleine conférence climatique, alors que les scénarios de réchauffement à plus de 1,5 degré sont déjà dépassés ?
Trois jours plus tard, dans les colonnes du Journal du dimanche, la ministre Annie Genevard tenait des propos dissonants, rappelant que la France ne signerait pas un accord qui condamnerait ses agriculteurs.
Hier, mercredi 12 novembre, alors qu’Emmanuel Macron rencontre à Toulouse des agriculteurs mécontents – nous les comprenons, tant ce traité est injuste et mortifère –, il déclare désormais que le traité recueillera un « non » très ferme de la France.
À quel saint se vouer dans ce double discours permanent du Président de la République ? Quelle déclaration est la bonne ? Combien de jours le président Macron tiendra-t-il sur cette ligne de fermeté ? Quelle garantie de résultat pour les agriculteurs ? Les soubresauts incessants du Président de la République et de votre Gouvernement heurtent le monde agricole et les parlementaires, soudés dans cette mobilisation unitaire. Ces mots, vos mots, abîment l’image et la crédibilité de notre pays. Rappelons que contrairement à l’exécutif, les parlementaires socialistes sont restés constants : nous nous opposons très fermement au traité UE-Mercosur. Pas de « oui, mais », pas de changement de position à la moindre sollicitation médiatique : simplement « non ». La ministre de l’agriculture a signalé que la mise en œuvre d’une clause de sauvegarde agricole dans cet accord était une ligne rouge, mais elle est juridiquement floue et moins-disante en matière de normes de production. Ces clauses ne permettent pas de protéger les éleveurs, le secteur laitier ou les céréaliers français.
Mais la ministre ANnie Genevard a également évoqué, comme vous l’avez fait à l’instant, les mesures-miroirs, et je l’incite fortement à privilégier cette piste de travail. Dans une proposition de résolution européenne adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, les députés socialistes ont proposé de généraliser le recours à des mesures-miroirs universelles, concrètes et efficaces en matière sociale, sanitaire et environnementale.
En particulier, nous proposons d’inverser la charge de la preuve au moment de l’entrée des produits sur le sol européen grâce la mise en place de contrôles par des organismes agréés par l’Union européenne directement dans les pays tiers.
Seules des mesures-miroirs fortes pourront protéger nos agriculteurs et préserver la souveraineté agricole de la France. Nous appelons le Gouvernement à se ressaisir et à imposer ces mesures pour encadrer – et surtout réguler – un juste échange. Ma question est simple : comptez-vous reprendre à votre compte cette demande de mesures-miroirs que la représentation nationale a revendiquées avec force ? Quand allez-vous véritablement mener une stratégie nationale de défense de notre souveraineté alimentaire et des intérêts de nos agriculteurs ?
M. Nicolas Forissier, ministre délégué. Tout d’abord, les responsables de la filière laitière, en particulier le Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (Cniel), signalent que l’accord avec le Mercosur est très favorable au secteur laitier, notamment en matière de produits dérivés (fromage, yaourt et autres). C’est d’ailleurs la même chose pour le Ceta.
Ensuite, je vous rejoins concernant les mesures-miroirs. Je précise que la France est extrêmement motrice à ce sujet au sein des instances de l’Union européenne. En matière de progression des mesures-miroirs, deux sujets sont à l’étude : les niveaux de résidus de produits phytosanitaires dans les produits importés et les questions liées au bien-être animal.
Au-delà des mesures-miroirs, si on souhaite progresser, il faut surtout qu’il existe des contrôles effectifs : c’est la principale exigence de la France. Cela demande de mobiliser des moyens et de réaliser deux tiers des contrôles sur place et un tiers dans les ports – et non l’inverse, comme actuellement.
Nous avons besoin d’accords de commerce – en la matière, je crois que nous ne serons pas d’accord. Simplement, il nous faut aussi faire preuve de fermeté. Nous devons tenir bon sans naïveté : c’est la position de la France, celle qui a été exprimée à propos de l’accord avec le Mercosur par le Premier ministre et la ministre de l’agriculture. Je le fais à nouveau de façon extrêmement déterminée.
M. Guillaume Lepers (DR). Alors que notre pays affiche un déficit commercial de près de 80 Md€ en 2024, un effort majeur doit être engagé pour rétablir l’équilibre de nos échanges extérieurs. Le groupe Droite républicaine sait pouvoir compter sur vos compétences et votre détermination pour relever ce défi.
Je souhaite évoquer ici les deux menaces qui sont, pour moi, les plus flagrantes et qui pèseront à court terme sur notre balance commerciale. Je pense d’abord aux plateformes asiatiques d’e-commerce : elles importent massivement du textile, des jouets, de la décoration et de l’ameublement sans respecter nos règles fiscales, sociales et environnementales. L’opération de contrôle de deux cent mille colis Shein, la semaine dernière à Roissy, l’a montré : huit produits sur dix n’étaient pas conformes.
Dans nos circonscriptions, les méfaits de ces plateformes sont déjà visibles. Des usines s’arrêtent, des magasins ferment et nos centres-villes meurent. Les marques françaises et européennes sont affaiblies sur le marché intérieur et ne peuvent plus aller chercher de nouveaux débouchés à l’export. Quelles mesures de rétorsion la France pourrait-elle immédiatement prendre ? Compte-t-elle défendre ce sujet à Bruxelles afin d’entraver l’arrivée de milliers de colis chaque jour ?
La seconde menace est celle qui pèse sur l’agriculture, secteur historiquement excédentaire de notre balance commerciale ; mais c’est terminé, à cause de normes aberrantes, de surtranspositions réglementaires et de l’« agribashing » permanent. Soyons clairs : l’accord avec le Mercosur pourrait planter le dernier clou dans le cercueil de l’agriculture française.
Le Président de la République a réaffirmé hier l’opposition de la France à cet accord en l’état. Je salue cette position, mais j’ai bien du mal à le croire. En effet, les clauses de sauvegarde ne figurent pas dans le projet d’accord et devront être votées a posteriori. Nous n’avons donc aucune garantie et les syndicats agricoles le disent unanimement : ces clauses ne sont pas à même d’offrir une protection à la mesure de la menace que représente la concurrence des produits agricoles d’Amérique du Sud.
Dans les négociations à Bruxelles de l’accord avec le Mercosur, quelles sont les exigences de la France pour que son agriculture soit réellement protégée de cette concurrence totalement déloyale ?
M. Nicolas Forissier, ministre délégué. Vous pouvez compter sur moi : dans ma vie politique, je me suis toujours fortement engagé sur les questions agricoles.
Avant d’y revenir, un mot sur Shein : la semaine dernière en Chine, j’ai informé mon homologue que la France engagerait des poursuites et une mesure de suspension et saisirait l’Union européenne. C’est ce qui a été fait : le 6 novembre, mes collègues Roland Lescure et Anne Le Hénanff ont adressé une demande d’enquête à la Commission européenne, l’appelant à user de ses pouvoirs de sanction – une amende pouvant aller jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires mondial de la plateforme et des mesures de suspension de son activité. La France sera extrêmement vigilante, parce qu’elle a été directement touchée : cette affaire a suscité beaucoup d’émotion dans notre pays. Le sujet est donc suivi de très près.
S’agissant du Mercosur, je redis que nous voulons obtenir des certitudes sur le caractère opérationnel de la clause de sauvegarde renforcée. C’est la première fois qu’un accord commercial contient ce type de clause de sauvegarde. Cela implique une protection potentielle extrêmement puissante en cas de dérives de marché, de prix ou de volume, mais nous souhaitons une confirmation et donc une acceptation par les pays du Mercosur. La procédure prévue consiste en un échange de lettres. Tant qu’ellen’a pas eu lieu, la France garde une position extrêmement restrictive. L’autre sujet est la réalité des moyens de contrôle.
L’opposition de la France à l’accord avec le Mercosur, tant que ces conditions ne sont pas remplies, a du poids, bien que nous ne soyons pas majoritaires au sein du Conseil européen.
M. Pascal Lecamp (Dem). L’Union européenne joue un rôle essentiel dans la définition de notre commerce extérieur. Sans elle, nous ne pourrions prendre toute notre place dans les enjeux de ce monde. Je tiens à rappeler ici la position historique du groupe Les Démocrates : nous soutenons les accords de libre-échange justes et équilibrés. Toutefois, ces derniers mois, la voie suivie par l’Union européenne a parfois semblé en contradiction avec nos positions nationales et avec les intérêts de nos concitoyens. Certains accords signés au nom de l’Union et engageant la France ne prennent pas suffisamment en compte les priorités de nos filières agricoles, ni les besoins de nos entreprises. Le président Travert l’a rappelé en propos liminaire et nous l’avons malheureusement constaté cet été en Écosse.
S’agissant de l’accord avec le Mercosur, que défendra le Gouvernement à Bruxelles le mois prochain ? L’accord, en l’état, ne remplit aucune des trois demandes que nous avons exprimées ensemble dans la résolution transpartisane que j’ai proposée en juin 2023 et qui a été largement adoptée : clause suspensive, opposition à la scission entre accord commercial et accord politique, mesures-miroirs. Ces dernières sont un point crucial.
Ma deuxième question porte sur l’accord conclu cet été entre l’Union européenne et les États-Unis concernant les droits de douane, qui a pour ambition d’apaiser nos différends tarifaires et de relancer un dialogue transatlantique essentiel. Pour autant, l’esprit même de cet accord étonne : l’Europe a semblé céder à la pression américaine plutôt que d’affirmer sa propre stratégie. Quelles conséquences ces engagements pourraient-ils avoir pour nos entreprises et pour notre balance commerciale ?
Je voudrais ensuite revenir au solde de notre balance commerciale, qui reste durablement déficitaire. Ayant consacré une partie de ma carrière à Business France, je suis convaincu que la compétitivité de nos entreprises est un levier essentiel pour rééquilibrer ce solde.
Le secteur agroalimentaire m’inquiète particulièrement. Comment protéger la capacité exportatrice de ce secteur ? Le Mercosur ne va sans doute pas remédier à ce problème, en tout cas à court terme.
Les États-Unis et la Chine restent les locomotives du commerce mondial, mais ils sont des partenaires de moins en moins fiables (pour l’Europe, en particulier). Comment repenser nos relations commerciales et les diversifier ?
Enfin, concernant la stratégie française de reconstruction de l’Ukraine, quels instruments la France peut-elle mettre à disposition de cet effort de solidarité ? Une opération « ReBuild Ukraine » se tient aujourd’hui et demain en Pologne, incluant la présence de 57 entreprises françaises. L’Italie, de son côté, a organisé au printemps 2023 une opération à ce sujet rassemblant sept cents entreprises. Comment agit la France pour garantir que la reconstruction de l’Ukraine devienne un véritable projet européen, structurant et coordonné, à la différence de ce qu’on a parfois constaté dans les années quatre-vingt-dix dans les Balkans – j’étais en poste à l’époque à Zagreb ? Il serait judicieux d’envisager la création d’une « task force » française à ce sujet.
M. Nicolas Forissier, ministre délégué. Trois points précis en réponse. D’abord, la balance commerciale agroalimentaire s’élèvera cette année, d’après les estimations, à 156 millions d’euros (M€) de solde positif. Pour l’instant, cette balance affiche un solde négatif de 190 M€. Par rapport aux belles années où l’excédent atteignait près de 20 Md€, le niveau d’aujourd’hui doit donc nous inciter à réagir. C’est d’ailleurs un sujet que j’ai abordé hier au cours d’une réunion avec le président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) : il appelait à trouver des formes d’action en commun et je suis très ouvert à toutes les propositions en la matière. C’est une de mes priorités, particulièrement eu égard à mes fonctions passées.
Ensuite, il vaut mieux avoir 15 % de droits de douane et continuer la discussion avec les États-Unis plutôt que les 30 % qui nous étaient promis en premier lieu, et qui auraient été désastreux. En effet, ils se seraient appliqués à toutes les filières dès le 1er août. L’accord signé cet été n’est pas satisfaisant, mais c’est un moindre mal.
Enfin, l’Ukraine est une priorité. Un fonds de 200 M€ a été ouvert pour financer, sous forme de dons, des petits projets très concrets. Il sera abondé cette année, si le Parlement l’approuve, de 80 M€. Ces projets seront menés essentiellement par des entreprises françaises de taille moyenne ou intermédiaire (PME et ETI). D’ailleurs, même si ce n’est pas facile, je compte emmener une délégation en Ukraine afin d’intéresser et de rassurer les entreprises françaises quant à la préparation de la reconstruction.
M. Thomas Lam (HOR). Les entreprises de taille intermédiaire constituent le maillon clé du tissu productif national. Elles incarnent un modèle d’équilibre entre performance économique et ancrage territorial. Le siège de 68 % d’entre elles se trouve loin des grandes métropoles. Véritables piliers de l’économie locale, elles irriguent leur territoire en fédérant un réseau dense de sous-traitants, de prestataires et de logisticiens. La structure familiale de trois quarts d’entre elles, la stabilité de leur actionnariat, leur enracinement local et leurs fortes composantes industrielles constituent un véritable bouclier anti-délocalisation. Elles constituent donc un atout majeur dans la réindustrialisation de notre pays.
Depuis trente ans, le nombre d’ETI a fortement progressé en France. Selon l’Insee, elles étaient 4 600 en 2008 (date de la création de la catégorie) et sont plus de 6 200 aujourd’hui.
Elles pèsent désormais lourd dans notre économie, avec 3,4 millions de salariés et près de 1 000 Md€ de chiffre d’affaires, mais nous sommes encore loin d’un véritable Mittelstand à la française.
La France reste distancée par ses principaux voisins. L’Italie compte environ 8 000 ETI, le Royaume-Uni 10 000 et l’Allemagne 12 500. Nous saluons les efforts consentis afin de converger vers l’objectif fixé en 2020 par le Président de la République de créer un millier d’ETI supplémentaires d’ici 2027. Des programmes tels que Stratégie Nation ETI ou ETIncelles ont eu le mérite de placer le sujet au cœur du débat économique et de redonner à ces entreprises la visibilité qu’elles méritent.
Mais alors que les ETI produisent, investissent et recrutent en France, elles subissent encore un décalage de compétitivité. Je salue à ce titre la suppression progressive de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) votée dans le cadre de l’article 11 du projet de loi de finances pour 2026. C’est un signal positif qui doit être suivi d’autres mesures pour alléger les coûts de production et du travail, afin d’améliorer notre compétitivité-prix.
Nos ETI sont fortement tournées vers l’international. Elles représentent à elles seules un tiers des exportations françaises. Plus vulnérables que les grands groupes et moins flexibles que nos PME, elles sont en première ligne face au protectionnisme américain et à la pression chinoise croissante.
Quelles mesures prévoyez-vous pour consolider les nouvelles ETI et éviter qu’elles ne retombent dans la catégorie des PME ? Où en sommes-nous de l’objectif fixé en 2020 d’un millier d’ETI supplémentaires à l’horizon 2027 ?
M. Nicolas Forissier, ministre délégué. La France et l’Allemagne comptaient un nombre comparable d’ETI dans les années quatre-vingt. Puis, notre pays est descendu à quatre mille ETI quand nos voisins d’outre-Rhin en recensaient douze mille. Aujourd’hui, on dénombre entre 6 500 et 6 800 ETI françaises, selon les derniers chiffres : nous pouvons faire mieux. En particulier, la question de la transmission est essentielle dans l’émergence d’une ETI. En France, transmettre son entreprise coûte 11 % de sa valeur. Ce pourcentage est de 5 % en moyenne dans l’Union européenne et même nul dans certains pays comme l’Italie ou l’Allemagne, quand les choses sont bien organisées.
Plus globalement, l’export est l’un des moyens possibles pour qu’une PME devienne une ETI. Business France conduit, avec l’ensemble de l’écosystème, un travail pour instaurer des mesures qui privilégient l’effet de levier transformant des PME en ETI et en vue d’accompagner celles-ci, notamment sur les marchés à forte croissance. Un effort particulier sera consacré au ciblage des moyens humains, techniques et financiers à cet effet. C’est une priorité que j’ai assignée à Business France dès mon arrivée.
M. David Taupiac (LIOT). Depuis le début de l’année, les exportations sont en progression de 4,1 %, principalement tirées par le secteur aéronautique dont les ventes ont bondi ces derniers mois et ces dernières années. D’autre part, les importations augmentent de seulement 0,9 % ; mais ces chiffres apparemment bons cachent une réalité disparate selon les secteurs d’activité et les territoires.
Ainsi, sur les sept premiers mois de l’année, l’excédent commercial agricole n’atteint que 367 M€ en 2025, soit une baisse dramatique de 92 % : ce chiffre s’élevait à 4,6 Md€ en 2024.
Ceci traduit une réalité très complexe pour l’agriculture, qui connaît des problèmes de production, liés en particulier aux aléas climatiques. Je serai d’ailleurs à l’initiative d’un débat à l’Assemblée nationale, en début d’année prochaine, sur l’évaluation de l’assurance récolte, qui n’entraîne pas les effets escomptés et provoque des difficultés chez nos agriculteurs. Il faudrait aussi évoquer les enjeux sanitaires et les budgets, notamment dans le cadre de France 2030, destinés à accompagner la recherche au sujet de nouvelles variétés et de solutions de biocontrôle pour notre agriculture. Mentionnons également les aides publiques européennes et françaises qui mènent à de la non-production, avec des effets d’aubaine dans certains cas. Dans mon territoire, de la coriandre n’est pas récoltée, provoquant une perte de surface et de production ainsi qu’une incapacité d’amortir des outils de production en place depuis de nombreuses années.
À cela, on ajoute des pertes de marché à l’export, notamment liées à une baisse de compétitivité de notre agriculture, dont les coûts de production ont augmenté. Le 1er janvier 2026 entrera en vigueur une taxe sur les engrais importés des pays hors de l’Union européenne : elle affectera largement la compétitivité de notre agriculture.
Le contexte géopolitique rend également la situation difficile, à commencer par la guerre en Ukraine et le boycott de la Russie, légitime, mais qui nous a fait perdre un marché important, notamment pour les vins et les spiritueux. De plus, en réponse aux taxes européennes sur les véhicules électriques, la Chine a instauré des droits de douane supérieurs à 30 % sur les spiritueux européens : le cognac et l’armagnac se retrouvent en grande difficulté. Le président Trump a annoncé, au fil des mois, des taxes sur les alcools européens variant entre 10 % et 200 %. Les vins et spiritueux étant les premiers contributeurs à l’excédent commercial agricole, ayons en tête les conséquences importantes de ce contexte géopolitique sur notre balance commerciale.
L’annonce du Président de la République au sujet de l’accord avec le Mercosur a mis le feu aux poudres. Les clauses de sauvegarde sont largement insuffisantes et il est nécessaire d’instaurer des clauses-miroirs.
Enfin, les enjeux d’aménagement du territoire sont au cœur de la balance commerciale. Quand l’agriculture sera en difficulté, ce seront tous nos territoires ruraux qui deviendront des déserts.
M. Nicolas Forissier, ministre délégué. Les exportations concernent fortement nos territoires : un salarié sur quatre en dépend, dans la filière agricole et agroalimentaire comme dans l’industrie et dans les services. La conquête de marchés comme la défense de nos positions sont donc utiles à l’emploi.
S’agissant du solde de la balance commerciale agricole, il sera sans doute proche de zéro, en effet. Il faut donc reprendre les choses en main, car le modèle alimentaire français représente un atout considérable, qui n’a pas été assez mis en valeur ces deux dernières décennies. Lorsque j’étais secrétaire d’État chargé de l’agriculture, il y a vingt ans, la situation était différente. C’est pourquoi nous devons faire un effort particulier – j’en parlais hier avec le président de la FNSEA et avec d’autres responsables, notamment de la Bourse de commerce.
En ce qui concerne les exportations de cognac vers la Chine, nous avons négocié une augmentation du prix d’entrée, qui annule les droits de douane supérieurs à 30 % initialement annoncés. Le problème n’est pas réglé pour 4 % du volume de cognac et d’armagnac envoyé en Chine – de petites maisons, en général.
Ces discussions ont été difficiles, mais elles ne sont qu’une étape : nous continuerons à discuter avec les autorités chinoises. En réalité, il n’y a pas de dumping des producteurs français : les taxes que la Chine avait prévues sont simplement une mesure de rétorsion contre la hausse des droits de douane visant ses véhicules électriques. Ce n’est pas facile mais nous continuons à nous bagarrer !
M. Julien Brugerolles (GDR). Le 15 octobre, la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale a voté, à la quasi-unanimité, une résolution de mon collègue Emmanuel Maurel s’opposant à l’accord commercial négocié l’été dernier entre la présidente von der Leyen et le président des États-Unis. Cet accord prévoit notamment que la plupart des produits européens exportés vers les États-Unis se voient désormais soumis à un droit plancher de 15 %. Il inclut aussi un accès préférentiel au marché européen pour les biens industriels américains ainsi qu’à certains produits alimentaires et agricoles : fruits à coque, produits laitiers, fruits et légumes frais et transformés, certaines semences, huile de soja, viande de porc, sans parler du gaz naturel liquéfié et du pétrole – un problème majeur, vu les engagements qui ont été pris. Ce renoncement au rapport de force avec Washington a provoqué une onde de choc en Europe et fait naître un sentiment d’humiliation – ce qui ne semble pas susciter de réaction particulière de la part de l’exécutif, ce que je regrette.
Conjugué à l’ « effet-devise » lié à la dépréciation significative du dollar, cet accord affecte des filières très exposées. Le volume d’exportation des vins et spiritueux a chuté de 12 % en deux ans, alors que ce secteur pèse lourd dans notre balance commerciale : c’est très inquiétant.
Dans le bassin thiernois, la coutellerie connaît des difficultés. Les États-Unis représentent plus de 50 % des exportations de nombreuses entreprises de cette filière, en particulier des très petites entreprises (TPE) et des PME. Or, les exportations de coutellerie chutent très fortement depuis le mois d’août, alors que ces produits se vendent aux États-Unis essentiellement avant Noël. J’ajoute que la coutellerie française est doublement taxée, puisqu’elle subit non seulement les 15 % de droits de douane communs à l’ensemble des exportations européennes aux États-Unis, mais aussi la surtaxe de 50 % touchant les produits dérivés de l’acier.
Au-delà de la nécessité de changer la politique commerciale européenne, quel levier la France s’engage-t-elle à actionner afin d’obtenir des exemptions, allégements ou accompagnements spécifiques pour ces filières extrêmement exposées ?
M. Nicolas Forissier, ministre délégué. J’entends ce que vous dites, mais sans l’accord entre l’Union européenne et les États-Unis conclu cet été, les droits de douane communs à toutes les exportations européennes n’auraient pas été de 15 %, mais de 30 %, plus les 50 % sur les produits dérivés de l’acier, qui concernent la coutellerie ; et il faut en effet ajouter l’effet lié au change.
Nous vivons une guerre commerciale d’une violence et d’une difficulté extrêmes. Il a donc fallu trouver un accord, qui pour moi ne représente pas une humiliation – des droits de douane trop élevés ne sont dans l’intérêt ni de notre économie ni de nos producteurs. Cela ne signifie pas que la discussion s’arrête.
Du fait d’une accumulation de taxes et parce que beaucoup de petites entreprises et de territoires fragiles sont concernés, la coutellerie fait partie des microfilières qui devraient être prises en compte prioritairement dans les discussions qui se poursuivent au sein de l’Union européenne et de façon bilatérale.
L’objectif est d’obtenir une application optimale de cet accord entre les États-Unis et l’Union européenne, avec des exemptions maximales pour nos filières. Par exemple, toute l’aéronautique bénéficie d’une exemption de droits et nous essayons d’en obtenir d’autres. Il n’est pas exclu qu’on y parvienne pour une filière aussi spécifique que la coutellerie ; je suis à votre disposition pour en reparler.
M. le président Stéphane Travert. Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Julien Gabarron (RN). Monsieur le ministre délégué, loin de moi l’idée de mettre en question votre opiniâtreté et celle de votre équipe ; mais j’ai de la mémoire, bien que jeune parlementaire, et je me souviens notamment des auditions de deux anciens ministres, M. Antoine Armand et M. Laurent Saint-Martin : ils ont tous deux appelé à « plus d’Europe », ils ont précisé que la compétence commerciale revenait à 100 % à la Commission européenne et ils ont dit que nous devions faire confiance à l’Europe. Puis, l’été est passé. Entre-temps, avec un discours aussi volontariste que le vôtre et en déléguant encore plus de pouvoir à l’Europe, sont survenus l’épisode des tarifs douaniers avec les États-Unis, puis celui de l’accord avec le Mercosur – tous deux signés dans le dos de la France et contre la volonté du peuple français. Dans ce contexte de compétences exclusives de l’Europe et au-delà des expressions volontaristes – que je salue, car elles sont très importantes… mais que nous avons déjà entendues –, quelle est votre marge d’action réelle en tant que ministre français dans la conduite du commerce extérieur de notre pays ?
Mme Sandra Marsaud (EPR). Il y a une grande hypocrisie de la part de collègues, groupes ou partis politiques qui se plaignent du manque d’attractivité de la France et demandent au Gouvernement de soutenir davantage les exportations de certains secteurs dont le chiffre d’affaires diminue, tout en refusant que nos filières soient compétitives sur les marchés mondiaux. Pour cette raison, je soutiens les traités de libre-échange – qu’il faut évidemment bien négocier.
M. Pascal Lecamp (Dem). L’attractivité est un sujet très important pour les investissements étrangers, mais nous avons peu parlé de Business France. Comment garantir la pérennité du modèle économique de cet opérateur, dont les recettes sont réparties à parts égales entre dotation de l’État et facturation aux entreprises, compte tenu de toutes les missions dont Business France est chargé ? Qu’envisagez-vous à l’avenir pour pérenniser le financement de cet organisme ?
Pour revenir au sujet des salons, j’observe que la surface totale des stands des 57 entreprises françaises participant à ReBuild Ukraine à Varsovie est deux fois plus petite que celle du pavillon italien, dont les entreprises sont pourtant moins nombreuses…
M. Joseph Rivière (RN). Je voudrais attirer votre attention sur les aberrations administratives subies par les producteurs de La Réunion qui, pour exporter leurs productions agricoles ou artisanales vers les pays voisins comme l’Inde ou Dubaï, doivent obligatoirement les acheminer, dans un premier temps, vers Rungis.
Que pouvez-vous faire afin de nous permettre d’exporter nos ananas, notre vanille, nos rhums, nos confitures et nos produits artisanaux directement vers l’Inde, la Chine ou Dubaï à moindre coût et en un temps réduit ?
M. Nicolas Forissier, ministre délégué. Monsieur Gabarron, s’agissant du « trop d’Europe », je conçois que vous craigniez que mes propos volontaristes ne soient pas mis en pratique.
Mais vous pouvez compter sur moi, je me battrai et nous aurons l’occasion d’en reparler.
Réaffirmer la fierté de la France, c’est aussi être pragmatique et savoir s’adapter. C’est l’Union Européenne qui a, en effet, la responsabilité des négociations commerciales ; mais sans cette négociation entre, d’un côté, la présidente von der Leyen et la Commission européenne et, de l’autre, l’administration du président Trump, la France se serait retrouvée seule. Regardez la Suisse : leurs exportations, qui n’ont pas bénéficié de cet accord, sont touchées par des droits de douane de 39 %. C’est pourquoi faire partie de l’Union européenne comporte tout de même des avantages, même s’il faut que nous soyons plus exigeants sur le caractère opérationnel des mesures de sauvegarde, des clauses de sauvegarde, des mesures-miroirs et des contrôles. La France est exigeante et souhaite évoquer ouvertement les problèmes, mais elle est la seule à le faire concernant l’accord avec le Mercosur. J’aimerais donc vous montrer que ces dossiers comportent certaines évolutions positives.
Il faut que l’Union européenne change et qu’elle soit moins naïve. Elle doit utiliser les mesures de rétorsion qui sont dans son arsenal, mais aussi les faire évoluer, tout comme les mesures-miroirs et les clauses-miroirs. La France est motrice dans ce sens. En attendant, nous devons faire le mieux possible avec ce qui existe.
Madame Marsaud, je vous rejoins au sujet des traités de libre-échange, mais il ne faut pas se voiler la face : certaines filières sont dans une situation délicate, par exemple la viande bovine ou de volaille, le miel (dont on ne parle pas souvent), le bioéthanol dans le cadre de l’accord avec le Mercosur, etc. D’autres filières d’exportation très puissantes où nous occupions les premières places mondiales, comme la parfumerie ou les médicaments, sont menacées.
Ces dernières années, la filière vitivinicole a été « prise en otage » en Chine et aux États-Unis. Nous devons nous battre pour elle.
Le meilleur moyen de diversifier nos exportations, donc de sécuriser nos entreprises et nos filières, est de multiplier des accords de libre-échange avec un certain nombre de grands pays, tout en continuant à être fermes dans la négociation commerciale.
J’en viens à Business France. J’ai voulu rencontrer toutes les équipes de cet opérateur, résultat du regroupement, entre autres, d’Ubifrance, de l’Agence pour la coopération technique, industrielle et économique (Actim) et du Centre français du commerce extérieur (CFCE), qui est de grande qualité. Des décisions doivent être prises rapidement.
Premièrement, il faut nommer un directeur général, car le poste est vacant depuis plusieurs mois – c’est une de mes préoccupations les plus urgentes. Je suis en discussion à ce sujet avec le Premier ministre et les services concernés.
Deuxièmement, certaines réorientations doivent être menées pour accroître l’effet de levier. En particulier, nous devons aider les entreprises, notamment les ETI et les grosses PME, à augmenter leur chiffre d’affaires à l’export dans des zones stratégiques ou à haut potentiel. Il nous faut aussi continuer à accompagner les petites entreprises et les filières. Cela suppose de mettre l’accent sur l’accès aux salons : c’est une de mes priorités.
Vous avez eu raison de les évoquer, monsieur Lecamp, car les salons sont le cœur de la vie d’un exportateur : c’est là que tout commence, que tout se poursuit et que tout réussit (ou non).
C’est pourquoi je n’oublie pas les petites entreprises ou les primo-exportateurs. Nous devons optimiser notre approche, en particulier nos coûts. En effet, le montant que représente, pour une petite entreprise, la présence dans un salon n’est pas assez favorable, notamment en comparaison avec certains de nos concurrents comme l’Italie. Comme nous ne pouvons pas éluder les contraintes budgétaires, nous devrons donc nous montrer habiles et agiles. Nous ne pourrons pas tout obtenir immédiatement, mais je me bats pour améliorer la situation.
Monsieur Rivière, je rejoins votre sentiment concernant les exportations depuis La Réunion. C’est un problème juridique lié à l’organisation traditionnelle des échanges. Le Quai d’Orsay, sous la direction de Jean-Noël Barrot et Éléonore Caroit, a engagé une réflexion au sujet de l’évolution des possibilités d’exportation depuis la France d’outre-mer sans passer par Rungis – ce qui est absurde, particulièrement en matière écologique… Nous devons clarifier certains points juridiques. Je suis à votre disposition pour parler de ce sujet qui peut aussi concerner la Caraïbe : il pourrait y avoir là un effet de levier économique très important pour nos territoires ultramarins.
Je précise que le comité interministériel des outre-mer se penche précisément sur le commerce de chaque territoire ultramarin dans son bassin géographique. Je souhaite que ce sujet avance. Le problème du contrôle dans les ports touche aussi les outre-mer : là aussi, ce sujet est en cours.
S’agissant de l’ouverture commerciale, les accords de libre-échange défendent nos appellations d’origine protégée (AOP) et nos indications géographiques protégées (IGP). Tel a été le cas pour le Ceta et c’est aussi prévu dans l’accord avec le Mercosur. Ce point intéresse particulièrement le secteur vitivinicole.
Je souhaite aussi signaler que la France a conclu avec les États-Unis un accord de prix concernant le cognac, de même qu’avec la Chine : le prix est plus important à l’entrée du marché, mais le produit est exempté des droits de douane supplémentaires annoncés. Ce processus est bien moins coûteux pour les producteurs ; mais la négociation, en particulier avec la Chine, doit se poursuivre : le dossier n’est pas réglé. Il va bien falloir que les États-Unis acceptent de revenir à la situation stabilisée avant les mesures instaurées cet été par le président Trump.
Concernant la question des investissements étrangers en France, je ne connaissais pas le dossier Exaion il y a encore quelques semaines : comme je me suis penché dessus, je peux vous répondre très précisément, monsieur de Lépinau. L’encadrement juridique et les contrôles des investissements étrangers en France ont connu une évolution très importante, car le sujet pose un véritable enjeu de sécurisation – donc de souveraineté. Je vous l’accorde, il faut aller plus loin, mais je rappelle l’existence du décret « Montebourg », qui a étendu en mai 2014 le champ des activités contrôlées aux activités de réseaux, d’énergie, de transport et de télécommunications, au-delà de la sécurité nationale. Ensuite, la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi « Pacte », a réformé le régime et étendu le champ des opérations contrôlées, notamment en matière de participation. Enfin, au début 2024, de nouvelles extensions réglementaires ont ajouté des matières premières critiques aux secteurs contrôlés et soumis à conditions et abaissé le seuil de contrôle à l’acquisition, par un investisseur non européen, de plus de 10 % des droits de vote dans une entité cotée.
La proportion des autorisations d’investissement étranger soumis à conditions est particulièrement élevée par rapport à la moyenne européenne : 54 % en France contre un peu moins de 30 %. On peut toujours faire mieux, mais la rigueur des contrôles est particulièrement élevée dans notre pays.
Le Premier ministre l’a rappelé récemment : le dossier d’Exaion, une société qui vend des calculateurs de haute performance, est en cours d’instruction. De ce fait, ma réponse sera limitée. Je peux tout de même indiquer que, si à l’issue de l’instruction, il apparaît que cette vente présente des risques pour les impératifs protégés par le régime de contrôle des investissements étrangers en France, le ministre de l’économie pourra assortir l’autorisation de conditions visant à assurer la pérennité et la sécurité des activités protégées ainsi que le maintien des savoir-faire. Et je pense que le ministre de l’économie le fera.
Le contrôle parlementaire est essentiel dans ce type d’affaires et il n’est pas seulement a posteriori. Le Gouvernement est très favorable à ce que le Parlement se saisisse de ce dossier, dans le respect de la confidentialité de certaines données. J’encourage donc votre commission à utiliser pleinement ses prérogatives afin que cela soit tout à fait transparent – sans pour autant alourdir les procédures, parce que ces dossiers représentent parfois d’importants investissements potentiels.
En conclusion, je vous répète ma très grande détermination à renforcer notre commerce extérieur et à tout faire pour que la France soit à la pointe de l’attractivité. Cette tâche sera ardue, car les tensions économiques et géopolitiques sont devenues extrêmement importantes : les règles du commerce international sont bouleversées, nous sommes pris en tenaille. L’Union européenne et la France, en particulier, doivent réagir, revenir sur leurs habitudes naïves et cesser de se montrer faibles ou trop peu ambitieuses sur certains marchés. D’où l’importance d’aller très loin dans la négociation des accords de commerce.
Au-delà de l’échelle européenne, de la politique commerciale et de la défense de nos intérêts dans les négociations, notre capacité à mobiliser les forces vives de notre pays est cruciale. La Team France Export doit être considérée au sens large : les conseils régionaux, les chambres de commerce et les conseillers du commerce extérieur de la France ont un rôle majeur, tout comme les organisations de filière, socioprofessionnelles ou syndicales. L’écosystème ne se réduit pas à Business France, aux régions, aux chambres de commerce et à BPIFrance, dont le rôle est capital en matière de financement : c’est, plus globalement, une volonté collective de construire des partenariats en partant du terrain.
Avant la défense d’entreprises françaises dans le monde, ma démarche commence donc dans nos régions. J’ai commencé par la mienne, Centre-Val de Loire, mais j’ai bien l’intention de les visiter toutes. Nous commençons, je crois, par la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et la Normandie.
Je suis à votre disposition pour répondre à vos sollicitations et continuer à travailler en étroite relation avec la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale.
M. le président Stéphane Travert. Merci d’avoir répondu à notre invitation et tracé des perspectives. Nous sommes tous disposés à travailler, échanger avec vous et vous accompagner sur le terrain pour faire valoir les intérêts de la France.
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du jeudi 13 novembre 2025 à 11 heures
Présents. - M. Julien Brugerolles, M. Jean-Luc Fugit, M. Julien Gabarron, M. Thomas Lam, Mme Nicole Le Peih, M. Pascal Lecamp, M. Guillaume Lepers, M. Hervé de Lépinau, Mme Sandra Marsaud, Mme Manon Meunier, M. Joseph Rivière, M. David Taupiac, Mme Mélanie Thomin, M. Stéphane Travert
Excusés. - M. Maxime Laisney, Mme Hélène Laporte, M. Max Mathiasin, M. Philippe Naillet, Mme Sandrine Nosbé