Compte rendu
Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire
– Examen pour avis des crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 » (Recherche) du projet de loi de finances pour 2026 (n° 1906) (M. David Taupiac, rapporteur pour avis ) 2
Lundi 27 octobre 2025
Séance de 21 heures 30
Compte rendu n° 9
Session ordinaire de 2025-2026
Présidence de
Mme Sandrine Le Feur,
Présidente
— 1 —
La Commission a procédé à l’examen pour avis des crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 » (Recherche) du projet de loi de finances pour 2026 (n° 1906) (M. David Taupiac, rapporteur pour avis).
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Nous examinons les crédits de la mission Investir pour la France de 2030, consacrée en particulier à la recherche et à l’innovation en matière de développement durable. L’avis de notre collègue David Taupiac porte sur les programmes 424 et 425, consacrés respectivement au Financement des investissements stratégiques et au Financement structurel des écosystèmes d’innovation.
J’ai déclaré irrecevable un amendement portant sur le programme 423, Accélération de la modernisation des entreprises, car hors du champ de la saisine de la commission. Quatre autres ont été déclarés irrecevables comme non conformes aux exigences de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf).
Quatre amendements restent donc en discussion.
M. David Taupiac, rapporteur pour avis. Chers collègues, nous examinons les résultats et les perspectives du plan d’investissement France 2030. Ce programme, lancé en octobre 2021, représente un effort important de notre pays pour répondre aux défis de l’innovation, de la compétitivité et de la transition écologique.
Avec une enveloppe de 54 milliards d’euros, il ne s’agit pas seulement d’un plan de relance ponctuelle, mais d’une stratégie de transformation à moyen et à long terme. Le plan obéit à une logique d’investissement vertueuse : 50 % des dépenses doivent servir à la décarbonation de l’économie et aucune dépense ne doit nuire à l’environnement.
Je rappellerai d’abord brièvement le fonctionnement du dispositif France 2030. Piloté par le secrétariat général pour l’investissement, il est mis en œuvre par quatre grands opérateurs : Bpifrance (Banque publique d’investissement), l’Agence nationale de la recherche, l’Agence de la transition écologique (Ademe) et la Caisse des dépôts. Il fonctionne sur la base d’appels à projets, pour lesquels des jurys d’experts, de scientifiques et d’économistes sélectionnent les meilleurs candidats.
Du point de vue financier, la mission repose sur une logique d’investissement particulière : les autorisations d’engagement sont ouvertes de manière anticipée, puis les crédits de paiement sont versés au fur et à mesure des besoins, en fonction du rythme d’avancée des projets.
Cette mécanique peut paraître complexe, mais elle présente deux atouts majeurs. D’abord, elle donne de la visibilité aux filières, car les engagements sont sécurisés. Ensuite, elle permet une exécution financière souple, adaptée à des projets de recherche qui se déploient par définition sur plusieurs années. L’objectif est de financer tout le cycle de vie de l’innovation, de la recherche la plus fondamentale jusqu’au déploiement et à l’industrialisation.
Depuis son lancement en 2021, ce plan a évolué de manière significative. Il a connu une très nette montée en charge. En 2023, plus de 18 milliards d’euros avaient été engagés et près de 6 milliards effectivement versés. Aujourd’hui, sur les 54 milliards d’euros du plan, 38 milliards ont été engagés. Cette dynamique traduit un certain volontarisme : nous ne sommes pas face à une enveloppe qui dort, mais à un dispositif qui irrigue progressivement la recherche et l’économie réelle.
À l’horizon 2026, les crédits du volet dirigé, qui financent directement les grandes filières stratégiques, connaîtront un léger tassement, tandis que le volet structurel, qui soutient les écosystèmes d’innovation, montera en puissance. Ce n’est pas une surprise : après l’impulsion initiale, nous devons accompagner la diffusion et la maturation des projets.
Bien sûr, ces chiffres seraient vains s’ils ne se traduisaient pas par des réussites visibles. Dans le domaine de la santé, France 2030 finance les biothérapies, la recherche vaccinale et l’émergence de start-up biomédicales. Dans l’énergie, il soutient les batteries, l’hydrogène bas-carbone et les petits réacteurs modulaires, autant de solutions indispensables à notre souveraineté énergétique. Dans l’industrie, il favorise la relocalisation des chaînes de valeur, notamment dans les semi-conducteurs. Ces réussites ont d’ailleurs été relevées par la Cour des comptes comme par le Sénat dans de récents rapports consacrés au programme.
Je voudrais insister sur un volet souvent moins médiatisé et pourtant essentiel, celui de l’agriculture et de l’alimentation, angle d’attaque de mon rapport. Sur les 54 milliards d’euros du plan, près de 2,3 milliards sont fléchés vers l’agriculture et l’agroalimentaire. La mission est claire : concilier souveraineté alimentaire, transition écologique et compétitivité des filières. Cela passe par des appels à projets innovants, des programmes de recherche partenariale et des investissements directs dans certaines filières.
Prenons deux exemples concrets, que j’ai souhaité mettre en avant. Dans la filière viticole, les crédits accompagnent la recherche variétale, le biocontrôle, les alternatives aux pesticides, l’adaptation au changement climatique et la réduction de l’empreinte carbone des exploitations. La filière viticole française, un pilier de notre patrimoine et de nos exportations, se dote ainsi d’outils pour rester leader mondial et tenir le choc face aux ravageurs de la vigne, notamment le mildiou et l’oïdium.
Dans la filière de la noisette, évoquée lors de la discussion de la loi Duplomb, France 2030 soutient à la fois la diversification des cultures, la mécanisation adaptée et la structuration des débouchés industriels. D’autres recherches, menées hors de ce plan, avec l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), portent sur le biocontrôle des noisettes, afin de les rendre plus résistantes aux ravageurs.
Dans un contexte de forte demande mondiale, la France peut ainsi renforcer une production locale de qualité et réduire sa dépendance aux importations. Ces recherches au long cours sont indispensables pour trouver des alternatives à l’acétamipride et doivent se doubler d’une aide d’urgence, pour que la filière dépasse la crise qu’elle connaît et puisse survivre au contexte économique.
Ces exemples montrent que France 2030 n’est pas réservé aux laboratoires de haute technologie et aux grands groupes industriels. Il s’ancre aussi dans nos territoires, au bénéfice de nos agriculteurs et de nos filières alimentaires.
Sur le plan environnemental, le programme contribue également à la transition écologique. La moitié des crédits doivent être consacrés à la décarbonation. Le respect du principe de non‑nuisance écologique, qui impose de ne pas causer de dommages environnementaux significatifs, est intégré aux procédures. Certes, ce contrôle n’est pas encore parfait et doit être renforcé par des audits indépendants. La dynamique est cependant enclenchée : France 2030 oriente massivement les financements publics vers des projets qui réduisent les émissions, améliorent l’efficacité énergétique et favorisent l’économie circulaire.
Mon rapport évoque également les points de vigilance et les limites des dispositifs. La première concerne la lisibilité budgétaire : le suivi des trésoreries des opérateurs reste perfectible. Pour le Parlement comme pour les citoyens, il est parfois difficile de savoir précisément où en sont les crédits, entre engagements, décaissements et restes à payer.
La deuxième limite concerne la lisibilité de l’organisation du dispositif, elle aussi perfectible : héritée des programmes d’investissements d’avenir (PIA), l’organisation du plan multiplie les strates, comités, stratégies, filières, objectifs, indicateurs, comme notre pays en a le secret. Cela nuit certainement à son efficacité.
La troisième limite touche à l’évaluation environnementale et sociétale : le principe de non-nuisance écologique est une avancée, mais il faut le rendre pleinement opérationnel, par des contrôles rigoureux et indépendants, avant et après les projets.
La quatrième limite porte sur la recherche fondamentale, notamment sur des enjeux de long terme tels que l’environnement. Elle a besoin de crédits pérennes et prévisibles au profit des centres de recherche. La logique d’appels à projets ne saurait s’y substituer.
Ces limites ne doivent pas masquer le chemin parcouru, mais elles appellent des correctifs. La Cour des comptes a formulé des recommandations que le gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre.
Des amendements ont par ailleurs été déposés afin d’améliorer le dispositif, en lui assignant par exemple de nouveaux objectifs sur l’innovation sociale, la sobriété industrielle et le recyclage des métaux – des idées intéressantes que nous évoquerons. La question de la conditionnalité des aides du plan, également abordée par amendement, soulève davantage de difficultés, même si le débat est ouvert.
En somme, le budget présenté poursuit l’effort pour financer des travaux de recherche stratégique dans de nombreux domaines d’avenir, y compris l’agriculture. Votre rapporteur pour avis émet donc un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Investir pour la France de 2030.
Néanmoins, dans quelques années, le plan France 2030 arrivera à son terme. Il paraît donc essentiel d’évaluer en profondeur ce dispositif et ses lourdeurs, et de rappeler que la recherche française ne peut se financer uniquement par des appels à projets successifs, qui n’assurent ni la pérennité ni la prévisibilité nécessaires aux activités de recherche.
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Pierre Meurin (RN). Comme le souligne la Cour des comptes, ni le jaune budgétaire qui accompagne la discussion du projet de loi de finances, ni le vert centré sur l’environnement, ni aucun autre document transmis aux parlementaires ne suffisent à établir le rapport relatif à la mise en œuvre et au suivi des investissements d’avenir tel que le prévoit l’alinéa 17 de l’article 179 de la loi de finances initiale pour 2020.
Le plan France 2030, financé par plusieurs milliards d’euros d’argent public, souffre donc d’une réelle opacité, concernant aussi bien les choix que les investissements réalisés. Il serait bon de mettre un peu d’ordre dans tous ces investissements, même s’ils partent d’une bonne intention.
J’aborderai aussi la question de la filière automobile, puisque France 2030 vise la production de 2 millions de voitures électriques et hybrides d’ici à 2030. Or en 2024, nous avons atteint l’un des chiffres les plus bas en plus de soixante ans de production, avec 1,34 million de véhicules fabriqués. La part de la France dans la production automobile européenne n’est plus que de 7,4 %, contre 8 % il y a deux ans et 12,1 % en 2018. Le plan France 2030, qui semble manquer sérieusement sa cible, n’est‑il pas mal construit ?
Vu la masse d’argent public en cause, il faut à la fois mettre de l’ordre, recalibrer les objectifs et les priorités d’investissement et fournir aux parlementaires une information éclairée sur les choix d’investissements, ce qui ne paraît pas être le cas. Je ne peux que répéter qu’à l’issue de mes recherches, je n’ai pas trouvé de documents permettant d’étayer ces investissements et que le dispositif est relativement opaque. Peut-être pourra-t-on évoquer ce sujet lors de la discussion des amendements.
Mme Danielle Brulebois (EPR). Mes chers collègues, au nom des députés du groupe Ensemble pour la République, je tiens à saluer le travail de qualité de notre collègue M. David Taupiac sur la mission Investir pour la France de 2030, qui incarne une vision ambitieuse pour notre pays : faire de la France une puissance industrielle, scientifique et environnementale capable de relever les défis du XXIe siècle.
Lancé en 2021, le plan France 2030 entre désormais dans une phase décisive, celle de la transformation industrielle et territoriale, après une première étape dédiée à l’architecture et à la structuration des projets. Avec 39,4 milliards d’euros engagés au 30 juin 2025 et plus de 5 400 projets soutenus, il confirme son rôle d’accélérateur de l’innovation en alignant ses efforts sur dix objectifs stratégiques – la décarbonation, l’hydrogène, les batteries et véhicules électriques, les biomédicaments, l’aéronautique bas‑carbone, l’espace et bien d’autres encore.
Le PLF (projet de loi de finances) pour 2026 marque une évolution majeure, celle d’un État qui passe du statut de financeur à celui d’investisseur stratège, en recentrant ses efforts sur l’impact, l’industrialisation et la territorialisation des innovations. Le budget 2026 reflète cette ambition, avec une progression de 4,42 % des crédits de paiement, qui passent de 5,27 milliards à 5,50 milliards d’euros. Cette augmentation, bien que modeste, est le fruit d’une réallocation ciblée des ressources visant à renforcer les écosystèmes d’innovation et à accélérer le déploiement des technologies stratégiques.
Parmi les évolutions marquantes, le programme 421, dédié à l’enseignement et à la recherche, voit ses crédits augmenter de 16,07 %, avec une attention particulière portée aux grandes universités. Cette hausse reflète une volonté de massifier la qualité plutôt que de diluer les moyens, en ciblant l’excellence académique et les filières porteuses d’emploi.
À l’inverse, certains programmes voient leurs crédits réduits, non par désengagement, mais par redéploiement stratégique. Le programme 422, consacré à la valorisation de la recherche, voit ainsi ses crédits chuter de 84 %. Cette baisse s’explique par une mutation du rôle de l’État. Plutôt que de financer de façon dispersée des démonstrateurs ou des projets de maturation, l’effort est désormais concentré sur des écosystèmes performants et des filières industrielles dont l’impact est maximal.
Cette logique de concentration des moyens sur les leviers les plus efficaces se retrouve également dans le programme 424, relatif aux investissements stratégiques. Bien que ses crédits diminuent légèrement, la réallocation interne est éloquente. Le déploiement et l’industrialisation deviennent prioritaires.
Nous, députés, ne sommes pas forcément au courant des investissements du plan France 2030. Je citerai donc un exemple que j’ai récemment découvert, celui d’une entreprise de recyclage des DEEE, des déchets d’équipements électriques et électroniques, qui a innové avec une chaîne très performante utilisant les rayons X, unique en Europe. Financée par ce plan, elle va permettre de traiter les déchets et de récupérer les terres rares. Or ces dispositifs de financement sont mal connus, y compris des entreprises.
M. Carlos Martens Bilongo (LFI-NFP). Je n’ai pas eu le temps de lire votre rapport, mais je suis rapporteur spécial pour la commission des finances sur le dispositif France 2030. Ce plan inédit se veut ambitieux et vise la transformation durable de différents secteurs de l’économie – énergie, automobile, numérique, intelligence artificielle ou encore espace –, par l’innovation et l’investissement industriel, ainsi que par une volonté de positionner la France en leader de l’économie de demain.
Ce plan mobilise environ 54 milliards d’euros pour répondre à des défis écologiques, démographiques, économiques, industriels et sociaux. Mais comme la Cour des comptes, je dénonce le manque d’évaluation socio-économique des projets financés par la mission. Je rappelle que cette évaluation est prévue par l’article 17 de la loi de programmation des finances publiques du 31 décembre 2012 et le décret du 23 décembre 2013.
Certes, en 2024, un rattrapage a eu lieu pour l’un des plus gros projets, celui d’ArcelorMittal, à Dunkerque. Mais ce projet est désormais bloqué, en raison de ce manque d’étude avant l’investissement. L’enveloppe du projet de décarbonation du site de Dunkerque s’élève, je le rappelle, à 850 millions d’euros.
Dans le PLF pour 2026, la mission Investir pour la France 2030 fait l’objet de modifications conséquentes : les budgets des programmes Soutien des progrès de l’enseignement et de la recherche et Financement structurel des écosystèmes d’innovation augmentent ainsi respectivement de 16 % et 76 %, tandis que ceux des programmes Valorisation de la recherche, Accélération de la modernisation des entreprises et Financement des investissements stratégiques diminuent respectivement de 84 %, 8 % et 5 %.
Comme lors du printemps de l’évaluation, j’ai axé mes travaux sur le site d’ArcelorMittal Dunkerque. Mes recommandations sont spécifiquement liées aux subventions de France 2030 – 5,5 milliards cette année. La première est de conditionner les financements étatiques alloués à des entreprises au maintien de leur activité sur le territoire national pour une période d’au moins dix ans à compter de la date de leur perception, et au maintien des effectifs de salariés à un niveau au moins identique à celui de l’année de leur perception.
La seconde est de définir une stratégie industrielle conjointe entre l’entreprise bénéficiaire et les opérateurs de France 2030 – l’Ademe, la Caisse des dépôts, mais également Bpifrance. Nous devons garder un lien constant avec les opérateurs et les entreprises en amont, au cours et à la fin du projet, afin de suivre les subventions allouées à ces structures.
M. Fabrice Barusseau (SOC). Cette mission représente un effort public considérable pour transformer notre économie, soutenir la recherche et accélérer la transition industrielle. Le plan France 2030 concentre ses moyens sur quelques filières de pointe – hydrogène, nucléaire, santé, numérique, spatial. Ses priorités sont légitimes mais leur gouvernance reste excessivement centralisée et technocratique.
Les grandes entreprises, les écoles d’ingénieurs et les laboratoires d’envergure captent l’essentiel des appels à projets, alors que les collectivités, les universités de proximité, les PME régionales ou les acteurs de l’économie sociale sont peu associés à ce plan. Le risque est clair : une politique d’excellence qui accentue les fractures territoriales et sociales au lieu de construire une transition juste.
Nous devons redonner du sens à l’investissement public, territorialiser les crédits en accordant un vrai rôle aux collectivités territoriales, en premier lieu les conseils régionaux, conditionner les aides à des critères écologiques et sociaux mesurables et stabiliser les financements de la recherche en restaurant une logique d’investissement pérenne là où les dotations non consomptibles assuraient autrefois la visibilité des universités.
Cette mission prévoit des indicateurs mesurant surtout des retours financiers, mais aucun indicateur ne mesure directement les effets environnementaux, les créations d’emplois de qualité ou les impacts sociaux des projets soutenus.
Concernant la recherche, la suppression des dotations pérennes, qui assuraient un revenu aux universités et aux organismes de recherche, a fragilisé la visibilité de long terme. Nous devons retrouver une logique d’investissement stable dans l’enseignement supérieur et la recherche publique, seul garant de l’indépendance scientifique et de l’innovation durable.
Enfin, le volet agricole de France 2030 concentre toutes les contradictions du plan. Doté de 2,3 milliards d’euros seulement, soit moins de 5 % du total, ce volet traduit une ambition encore trop modeste au regard de l’urgence climatique. Notre agriculture est en première ligne face au dérèglement climatique. Elle est à la fois victime et levier de la transition. Or le soutien apporté par France 2030, bien que réel, reste fragmenté, dispersé entre appels à projets complexes, calendriers inégaux et multiples opérateurs.
Comme le souligne le rapporteur, cette architecture rend le dispositif peu lisible pour les exploitants et les filières. L’innovation agricole ne se résume pas aux technologies de rupture ou à la robotisation. Elle concerne aussi la formation, la transmission, la recherche agronomique, la préservation des sols et de l’eau, bref, une politique de souveraineté alimentaire et de justice climatique.
La méthode de gouvernance à plusieurs étages – comité stratégique, exécutif ministériel, opérateurs – crée une superposition d’acteurs et de procédures. La Cour des comptes et le rapporteur pour avis de notre commission le rappellent, la multiplication des comités nuit à la lisibilité et à la cohérence de l’action publique.
Il est donc nécessaire de réorienter France 2030 vers une planification plus démocratique, plus territoriale et véritablement écologique, pour que l’investissement d’avenir soit d’abord un investissement d’intérêt général.
M. Jean-Pierre Taite (DR). Je vous remercie pour la présentation de ce rapport, qui s’intéresse à l’unique promesse de campagne du président Macron après son premier mandat. Les préoccupations étaient alors bien différentes de celles qui font notre actualité politique. Le débat ne portait pas sur la dette et l’étouffement de nos finances publiques par le poids des intérêts. L’heure était aux annonces.
Pourtant, même s’il relevait également d’un exercice de communication qui n’a échappé à personne, ce plan avait du sens, parce que l’État ne peut se permettre de laisser la France sur le bas-côté du progrès scientifique, technologique et industriel. Il avait du sens parce que l’argent investi dans la recherche, pour peu qu’il soit bien orienté, est souvent un vecteur de croissance. Il avait du sens, enfin, parce que la France menace de se faire distancer par des puissances concurrentes qui ne rechignent pas sur les moyens.
Mais si le plan a bien vu le jour, il s’est néanmoins concrétisé dans une complexité administrative qui a nui à son pilotage, à sa lisibilité et à son efficacité. À cet égard, votre constat, monsieur le rapporteur pour avis, reprend les critiques énoncées l’an dernier par notre collègue Constance de Pélichy et demeure aussi juste.
La multiplication des guichets, des services et des instances de pilotage donne le tournis. Selon votre rapport, « à un niveau opérationnel, quatorze comités de pilotage ministériel assurent le pilotage et le suivi des différentes thématiques de France 2030, en y associant les ministres concernés et différentes personnalités qualifiées ». Il est difficile de se figurer que ces quatorze comités peuvent incarner la performance et la clarté que l’on est en droit d’attendre de l’action publique.
Par ailleurs, la deuxième critique que vous formulez sur un plan qui ne s’apparente au fond qu’à un fusil à un coup nous apparaît également pertinente : le temps de la recherche et de l’innovation est un temps long et qui ne correspond pas toujours à un projet bien défini avant de porter ses fruits, de telle sorte que France 2030, dans sa mise en œuvre, n’a pas toujours correspondu au mieux à la réalité de ceux que le plan voulait accompagner.
Enfin, je reviendrai sur l’un de vos constats. Lorsque vous évoquez dans votre deuxième partie le financement de l’agriculture durable, vous dites que vous ne pouvez que relever la complexité liée à la multiplicité des aides publiques pouvant être apportées à l’agriculture. Nous pourrions malheureusement appliquer cette affirmation, que nous partageons, à bien des champs de l’action publique.
Au-delà de la complexité des aides, c’est aussi l’absence d’évaluation des politiques publiques qui est regrettable. La Cour des comptes l’écrit dans son rapport : « l’absence d’une évaluation robuste et consolidée de l’ensemble des projets, dispositifs et processus de suivi et de gestion ne permet pas de renforcer l’action publique et d’optimiser les investissements. »
L’efficacité des politiques publiques doit redevenir la boussole de l’action de l’État, et le travail du rapporteur pour avis nous en convainc encore davantage.
M. Charles Fournier (EcoS). L’année dernière, j’étais à la place de M. le rapporteur en commission des affaires économiques, puisque le sujet se promène entre les deux commissions. J’ai relu les observations que j’avais faites alors et je pourrais présenter à peu près les mêmes. D’année en année, nous pourrions refaire quasiment les mêmes.
La première, déjà évoquée sur ces rangs, concerne le problème de lisibilité de ce programme, dont les sujets ont été empilés : dix objectifs, six leviers, quatorze stratégies d’accélération, le tout correspondant à une volonté de communication du président de la République. Il avait mis des sujets les uns à côté des autres, sur lesquels le programme court depuis.
C’est un paquebot sur lequel nous n’avons aucune maîtrise. Je tente depuis deux ou trois ans d’insérer de nouveaux sujets. Mais il est quasiment impossible d’influer sur les orientations et le contenu de ce programme. Il y a donc vraiment un problème de lisibilité et un problème de contenu.
Je fais ainsi de nouveau remarquer cette année l’absence d’objectifs autour de la sobriété – des matières, de l’eau, des ressources… Ce sujet, essentiel pour l’ensemble de nos activités, est pourtant totalement absent du plan France 2030. Il s’agit là d’une vraie difficulté.
Le deuxième problème majeur concerne la transparence du fonctionnement de ce programme. Ses quatre opérateurs n’avaient pas tous les mêmes règles ni les mêmes conditionnalités. Un groupe de travail a été mis en place et je serais curieux de savoir s’il est parvenu à des conclusions sur les conditionnalités et les critères d’appréciation des projets pour chacun des opérateurs.
Le troisième problème concerne l’évaluation. Comme je le dis chaque année, nous constatons les crédits, soit le décaissement, sans constater le fond – l’effectivité du plan, ce qu’il apporte, ce qu’il change, comment il prépare la France de 2030, puisque telle est l’ambition.
Une quatrième observation porte sur la suite, puisque la fin du programme approche. Ainsi, la recherche aura vu ses moyens doubler pendant la période. Mais quid demain des moyens structurants pour la recherche, comme vous le soulignez dans votre rapport ?
Il s’agit aussi de nous interroger sur la manière de nous réengager éventuellement dans un programme. L’évaluation sera alors nécessaire afin de le construire à partir d’une vision de France 2030. J’ai par exemple déposé des amendements sur l’innovation sociale, qui est totalement absente de la vision de ce plan. La France de 2030 semble être exclusivement technologique. Je regrette profondément que tous les autres sujets soient absents.
J’ai enfin une proposition, déjà faite par voie d’amendement. Si l’on veut que France 2030 soit au service d’une vision, alors nous devrions rapprocher le secrétariat général à la planification écologique SGPE) et le secrétariat général pour l’investissement (SGPI). Comment peut-on avoir d’un côté les investissements, et d’un autre côté la vision pour la France de 2030 ? Il est temps de commencer à travailler sur ces sujets car nous approchons de la fin du programme.
Enfin, j’ai déposé un certain nombre d’amendements qui ont été déclarés irrecevables cette année alors qu’ils ne l’étaient pas l’an dernier. Il y a quand même des mystères que j’aimerais un jour pouvoir élucider avec vous, madame la présidente.
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Quels sont ces amendements ?
M. Charles Fournier (EcoS). L’un concernait une demande de rapport, qui a été considérée comme n’étant pas liée au sujet, alors qu’elle l’était.
D’autres amendements portaient sur les crédits de paiement. Mais pour être déclarés recevables, cette année, ils devaient toucher aussi les autorisations d’engagement, celles-ci étant toutes à zéro, l’exercice est un peu compliqué. Je ne comprends toujours pas l’irrecevabilité de ces amendements, même après avoir écrit et reçu une explication.
M. David Taupiac, rapporteur pour avis. Monsieur Meurin, vous demandez une planification industrielle pour la construction automobile, mais l’objectif de la mission Investir pour la France de 2030 n’est pas d’ordre industriel. Il est d’accompagner l’innovation, la compétitivité et la transition écologique.
Je partage en revanche vos remarques et celles des autres représentants de groupe concernant le manque de visibilité sur la consommation des crédits et l’organisation de la mission.
Madame Brulebois, même si ce plan n’est pas suffisamment connu par le grand public ou les entreprises, il a profité à notre écosystème de recherche et économique. La liste des projets financés dans le cadre du plan est disponible sur internet. Il faut encore accroître la notoriété de la mission, à mon avis.
Il faudra également renforcer le lien entre la recherche fondamentale, importante dans cette mission, et ses applications industrielles. Puisqu’il faut souvent plusieurs années de recherche pour qu’une application industrielle aboutisse, il faut que les financements de la mission s’inscrivent dans la durée.
Oui, l’évaluation est un peu légère, notamment sur les plans socio-économique et environnemental, comme je l’ai noté dans mon rapport.
Il faut effectivement territorialiser le dispositif et mieux associer les régions aux financements, car elles sont compétentes pour promouvoir le développement économique. Or, pour créer des ponts, il faudrait que l’action de l’État soit plus lisible – je pense non seulement à la mission Investir pour la France de 2030, mais aussi à FranceAgriMer (l’Établissement national des produits de l’agriculture et de la mer), dans le domaine agricole. Les acteurs, notamment dans le monde agricole, ont du mal à s’y retrouver entre les différents guichets.
Avec un peu plus de 2 milliards d’euros, le volet agricole de la mission n’est pas important, alors que, avec le changement climatique, les enjeux de transition agroécologique apparaissent considérables. De nombreuses productions se trouvent dans des impasses techniques, avec des baisses de rendement, des difficultés d’adaptation, et ainsi de suite. Oui, il faut renforcer la recherche fondamentale et développer ses applications, afin de déployer de nouvelles pratiques. Des actions ont été lancées dans la viticulture, mais il leur faudra une dizaine d’années pour aboutir, avec de nouveaux cépages et de nouvelles pratiques adaptés au changement climatique.
Effectivement, il est difficile de savoir comment les budgets ont été alloués, quel est l’état de la consommation budgétaire et comment s’organisent les différents acteurs – il faut notamment distinguer entre les opérateurs et les différents comités d’évaluation. En matière de gouvernance, il faudra tirer les enseignements du plan France de 2030, quand il sera achevé. Le dispositif qui lui succédera devra simplifier son action, être plus lisible pour les acteurs, y compris les députés.
Monsieur Fournier, votre proposition de rapprocher le SGPE et le SGPI est intéressante. De fait, cette mission a vocation à décarboner les industries et à intégrer la transition écologique.
Enfin, le fonctionnement par appel à projets n’apparaît pas approprié pour la recherche fondamentale, où les travaux mettent des années à aboutir. Plusieurs milliards d’euros ont été fléchés dans ce cadre. Il faudra assurer le maintien de ces financements dans la durée pour que les programmes de recherche fondamentale qui ont bénéficié de cette impulsion se poursuivent.
Nous partageons la majorité des objectifs. Ne nous trompons pas, toutefois. Cette mission vise à favoriser la recherche, l’innovation, la compétitivité et la transition écologique. Elle ne concerne pas la planification industrielle, qui devrait être abordée par ailleurs.
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Monsieur Fournier, les demandes de rapport sont toujours déclarées irrecevables dans le cadre du PLF.
Vos autres amendements ont probablement été déclarés irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution, après avoir été examinés en commission des finances. Peut-être que, l’an dernier, la commission des affaires économiques n’avait pas soumis vos amendements à la commission des finances préalablement à leur présentation ? Cela expliquerait que certains de vos amendements aient été déclarés irrecevables cette année, mais pas l’an dernier. Il faudra vérifier.
Article 49 et état B : Crédits du budget général
Amendement II-CD41 de M. Charles Fournier
M. Charles Fournier (EcoS). Merci pour ces explications, madame la présidente. Toutefois, ceux de mes amendements qui ont été adoptés en commission des affaires économiques l’an dernier ont forcément été examinés par la commission des finances. C’est que les avis de cette année concernant la recevabilité des amendements contredisent ceux de l’an dernier.
Actuellement, tous les crédits de la mission sont concentrés sur l’innovation technologique, au détriment de l’innovation sociale. Le présent amendement vise donc à créer une ligne budgétaire relative à ce type d’innovation. L’innovation sociale a de nombreuses dimensions : la satisfaction des besoins sociaux qui ne le sont pas actuellement ; la modernisation des formes d’organisation des entreprises ; et le développement d’organisations sociétales créatrices de progrès ou permettant la sobriété. D’ailleurs, au sein du projet de loi de finances dans son ensemble, les crédits alloués à l’innovation sociale ne sont plus très nombreux.
Alors que les acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS) représentent 10 % du PIB et 14 % des salariés non publics, ils n’arrivent pas à bénéficier des différents programmes de cette mission, qui ne sont pas pensés pour eux. Pourtant, eux aussi préparent la France de 2030 et innovent.
M. David Taupiac, rapporteur pour avis. Je partage vos objectifs. La logique d’investissement de la mission Investir pour la France de 2030, qui consiste à consacrer « 50 % de[s] dépenses à la décarbonation de l’économie » et qui exclut tout crédit nuisant à l’environnement est un premier levier, si nous voulons que la planète reste habitable et que notre économie s’adapte au dérèglement climatique.
Vous proposez d’aller plus loin. L’innovation sociale est un vrai enjeu pour notre société. En la matière, les départements, notamment le mien, le Gers, sont en pointe, en lien avec les acteurs de l’ESS.
Les besoins sociaux pourraient être identifiés par le SGPI et les quatre opérateurs qui pilotent la mission, avec l’aide, s’ils le souhaitent, des acteurs de l’ESS, par exemple le Centre français des fonds et fondations. Avis favorable.
La commission adopte l’amendement.
La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Investir pour la France de 2030, modifiés.
Article 52 et État G – Liste des objectifs et des indicateurs de performance
Amendement II-CD38 de M. Charles Fournier
M. Charles Fournier (EcoS). Cet amendement vise à intégrer à la mission un indicateur de performance relatif à la sobriété. La sobriété n’est pas seulement le moindre recours à des ressources, mais aussi les manières de nous organiser pour consommer moins de ressources, telles l’eau et les matières premières. Pour que l’économie soit performante, nous avons besoin d’inclure cette dimension, actuellement absente de la mission.
M. David Taupiac, rapporteur pour avis. Effectivement, les indicateurs de performance retenus pour cette mission concernent notamment sa contribution à l’effort national de recherche et développement et le nombre d’essais cliniques réalisés dans le cadre des projets qu’elle finance, mais pas la part des projets qu’elle finance qui contribuent à la sobriété industrielle. C’est regrettable, pour un plan qui a une vocation écologique. Votre amendement est donc tout à fait adapté et correspond aux objectifs fondateurs de la mission. Avis favorable.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-CD40 de M. Charles Fournier
M. Charles Fournier (EcoS). Cet amendement vise à ajouter un indicateur de performance relatif au taux de métaux recyclés pour la production industrielle. L’an dernier, j’avais ciblé mon examen de cette mission sur les matériaux stratégiques et critiques – un enjeu peu évoqué, alors qu’il est colossal. J’ai d’ailleurs déposé une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête, afin d’en débattre. Alors que ce sujet touche toutes nos activités, il échappe au Parlement.
M. David Taupiac, rapporteur pour avis. Effectivement, actuellement, aucun indicateur du programme ne permet d’évaluer ce point central. Toutefois, dans la rédaction actuelle, l’indicateur proposé engloberait toute l’économie française. Il devrait plutôt porter sur la part des projets financés par la mission Investir pour la France de 2030 qui contribuent au recyclage des métaux. En outre, il faut faire attention à ne pas multiplier les indicateurs.
Avis de sagesse.
La commission adopte l’amendement.
Après l’article 71
Amendement II-CD3 de M. Laurent Alexandre
Mme Sylvie Ferrer (LFI). L’amendement est défendu.
M. David Taupiac, rapporteur pour avis. Cet amendement concerne les grandes entreprises, définies comme celles qui comptent plus de 5 000 employés et dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 1,5 milliard d’euros. Il vise à soumettre l’octroi d’aides à de telles entreprises à trois conditions, dans le cadre de la mission : le maintien de l’activité sur le territoire national pendant au moins les dix années suivant l’allocation de l’aide ; le maintien des effectifs de salariés ; la signature d’une stratégie conjointe entre l’opérateur financeur et l’entreprise bénéficiaire, qui tienne compte du maillage territorial et des compétences.
Ces critères semblent bien choisis pour protéger l’emploi et le maintien des grandes entreprises en France. L’idée d’une telle conditionnalité des aides fait son chemin dans le débat public et paraît légitime.
Toutefois, en demandant le maintien des effectifs salariés au-dessus de leur niveau de l’année où la subvention a été reçue, vous oubliez que, parfois, des gains de productivité permettent l’allégement ou le redéploiement du personnel. Dans le secteur de l’innovation et de la recherche, notamment, des tâches sont parfois automatisées, robotisées. Avis de sagesse. L’amendement pourrait être retravaillé en vue de la séance publique.
M. Charles Fournier (EcoS). Je soutiens cet amendement. J’ai proposé de soumettre l’allocation du crédit d’impôt recherche à des conditions à peu près identiques, dans un amendement adopté en commission des finances.
Effectivement, les propositions consistant à assortir l’allocation des aides à des conditions pour en vérifier l’efficacité ne sont plus reçues de la même manière.
La commission rejette l’amendement.
————
Membres présents ou excusés
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire
Réunion du lundi 27 octobre 2025 à 21 h 30
Présents. - M. Fabrice Barusseau, Mme Danielle Brulebois, Mme Sylvie Ferrer, Mme Sandrine Le Feur, M. Pierre Meurin, M. Jean-Pierre Taite, M. David Taupiac
Excusés. - M. Anthony Brosse, M. Jean-Victor Castor, M. Denis Fégné, M. Jean‑Marie Fiévet, M. Stéphane Lenormand, M. Marcellin Nadeau, Mme Christelle Petex
Assistaient également à la réunion. - M. Carlos Martens Bilongo, M. Charles Fournier