Compte rendu
Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire
– Examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, élargissant la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements d’avoir recours au modèle de la société portuaire pour l’exploitation de leurs ports (n° 1605) (Mme Liliana Tanguy, rapporteure) 2
– Information relative à la commission.....................12
Mercredi 26 novembre 2025
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 16
Session ordinaire de 2025-2026
Présidence de
Mme Sandrine Le Feur,
Présidente
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La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a examiné la proposition de loi, adoptée par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, élargissant la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements d’avoir recours au modèle de la société portuaire pour l’exploitation de leurs ports (n° 1605) (Mme Liliana Tanguy, rapporteure).
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Je souhaite vous faire part d’une demande de mise au point que j’ai reçue du président du Parc national de forêts, à la suite de propos tenus par notre collègue Sébastien Humbert, également destinataire de ces précisions. M. Humbert a affirmé lors de nos débats sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2026 : « Ce parc s’est […] prononcé en faveur de projets éoliens, totalement contraires à la protection de la faune et de la biodiversité. Nombre d’espèces, comme le milan royal ou la cigogne noire, sont décimées à cause de ces outils de production énergétique inutiles […] ». Le Parc national de forêts a fait savoir que, jusqu’à présent, tous les dossiers de projets éoliens portant sur son territoire, examinés au cas par cas, ont fait l’objet, après consultation du conseil scientifique, d’un avis conforme défavorable. Ces avis ont été suivis par les autorités administratives compétentes, ce qui a conduit au rejet – confirmé par tous les arrêts des cours administratives – des demandes d’autorisation environnementale. Les avis rendus ont été motivés par l’impératif de conservation de diverses espèces d’oiseaux et de chauves-souris protégées et des paysages ruraux.
Nous en venons à la proposition de loi élargissant la possibilité, pour les collectivités territoriales et leurs groupements d’avoir recours au modèle de la société portuaire pour l’exploitation de leurs ports, adoptée par le Sénat le 18 juin après engagement de la procédure accélérée. Je me réjouis que, malgré la période budgétaire chargée, le gouvernement ait trouvé un créneau – en l’occurrence, le 9 décembre – pour inscrire ce texte à l’ordre du jour, et ce pour au moins trois raisons : d’abord, parce qu’il donnera de la souplesse aux collectivités et permettra de parachever la décentralisation des ports en supprimant des restrictions qui n’ont plus lieu d’être ; ensuite, parce qu’il est très attendu dans certains territoires, notamment bretons, soucieux de soutenir leurs ports face aux évolutions économiques – le modèle de la société portuaire ayant déjà fait ses preuves ; enfin, parce qu’il concerne l’économie bleue, c’est-à-dire l’économie maritime et littorale, dont je tiens à souligner l’importance.
Mme Liliana Tanguy, rapporteure. Le système portuaire français, qu’il s’agisse des grands ports maritimes ou des ports décentralisés, des ports de commerce, de pêche ou de plaisance, est un atout formidable pour notre pays.
La répartition des compétences entre l’État, les régions, les départements et le bloc communal est le fruit des vagues successives de décentralisation. Les outils juridiques à la disposition des autorités portuaires se sont adaptés à ces nouvelles réalités, mais de manière imparfaite, comme en témoigne le fait que le modèle des sociétés portuaires ne concerne pas tous les ports. L’objet de la présente proposition de loi de nos collègues sénateurs Nadège Havet, Michel Canévet et Yves Bleunven est de mettre en cohérence le droit avec la réalité. L’ensemble des groupes du Sénat ont voté ce texte issu du terrain, efficace, pragmatique, qui vise un objectif de simplification.
Permettez-moi un bref rappel historique. En 1983, le législateur a donné compétence aux départements pour créer, aménager et exploiter 304 ports maritimes de commerce et de pêche, et a conféré la même compétence aux communes s’agissant de 228 ports de plaisance. La loi de décentralisation de 2004 a marqué une nouvelle étape majeure en transférant aux régions la propriété et la compétence concernant 17 ports d’intérêt national métropolitains et un port ultramarin. Puis la loi du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire a créé le statut de grand port maritime qui s’est appliqué aux onze ports maritimes relevant de l’État. Enfin, la loi de 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi NOTRe », a offert la possibilité aux départements de transférer la propriété et l’exploitation des ports relevant de leur compétence à d’autres collectivités ou groupements.
La France compte plus de 600 ports décentralisés, qui représentent 22 % du tonnage total de marchandises du pays, 600 millions d’euros de valeur ajoutée et 11 000 emplois directs – 27 000 en incluant les emplois indirects.
Les collectivités disposent de plusieurs outils pour assurer la gestion de leurs ports : la régie, dans le cas d’une gestion directe ; la concession, avec délégation à un tiers – historiquement, le réseau des chambres de commerce et d’industrie (CCI) est très mobilisé dans le cadre de ce mode de gestion ; la société publique locale (SPL), dont le capital n’est ouvert qu’aux collectivités territoriales et à leurs groupements, ce qui exclut les CCI ; enfin, la société d’économie mixte (SEM), à actionnariat majoritairement public, mais qui peut associer des acteurs privés qui détiennent au moins 15 % du capital.
La loi du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports a créé le modèle des sociétés portuaires, qui constitue, pour les collectivités, un outil supplémentaire de gestion des ports. Il présente un double avantage : d’une part, il autorise les collectivités territoriales à s’associer avec des chambres de commerce et d’industrie ; d’autre part, il permet de bénéficier d’une certaine souplesse, propre au régime de la quasi-régie, en matière de mise en concurrence et de publicité des concessions. Toutefois, en 2006, le législateur avait réservé ce statut aux dix-huit ports dont la compétence avait été transférée aux régions en 2004 ; à l’époque, le besoin n’apparaissait pas de l’étendre aux autres ports décentralisés.
La présente proposition de loi part des réalités du terrain et d’un manque juridique injustifié : d’un côté, nos ports ont des besoins d’investissement massifs, de l’autre, il est complexe de conjuguer les capacités d’investissement des collectivités et celles des chambres de commerce et d’industrie. À cet égard, la société portuaire offre une souplesse bienvenue ; on comprend mal pourquoi ce statut ne serait pas ouvert à tous les ports décentralisés, d’autant que le transfert des contrats de travail, qui est prévu en cas de changement de concessionnaire, s’appliquera lors de la création de la société portuaire.
Il n’existe pour l’heure que deux sociétés portuaires : BrestPort, créée en 2021 et détenue à 50 % par la région Bretagne, à 39 % par la CCI du Finistère et à 11 % par Brest Métropole, et Port de Bayonne, créée en 2024 et détenue à 70 % par la région Nouvelle-Aquitaine, à un peu plus de 27 % par la CCI Bayonne Pays basque et à un peu moins de 2,7 % par la CCI des Landes.
D’autres ports pourraient avoir recours à ce modèle, comme ceux du pays de Cornouaille, qui viennent de se constituer en société publique locale. Seul le port de Concarneau est éligible au modèle de gestion en société portuaire, les six autres ports du pays de Cornouaille ne le pouvant pas juridiquement. Or une gestion unifiée par les collectivités et la CCI permettrait d’augmenter la capacité d’investissement dans les infrastructures – en particulier dans l’outillage de levage, le froid et la transition écologique.
C’est la raison pour laquelle l’article unique de la proposition de loi a pour objet de supprimer les dispositions qui réservent le recours au modèle de la société portuaire aux dix-huit ports transférés aux régions par la loi de 2004, cette restriction n’étant pas justifiée. J’ajoute qu’en l’absence d’investisseur privé – ce qui est le cas dans les deux sociétés portuaires existantes –, la société est éligible au modèle de la quasi-régie et n’est donc pas soumise aux obligations de publicité et de mise en concurrence lors du renouvellement des contrats de concession.
Cette proposition de loi nous offre l’occasion de voter une mesure utile, qui a fait ses preuves sur le terrain. Je plaide pour que nous l’adoptions sans modification. Un large vote en sa faveur constituerait un interlude de concorde parlementaire en cette période marquée par des débats parfois vifs.
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Béatrice Roullaud (RN). La présente proposition de loi vise à offrir aux collectivités territoriales un nouvel outil de gestion de leurs ports : la société portuaire. Il répond à une réelle attente des territoires et apporte une souplesse indispensable pour adapter la gouvernance portuaire aux réalités économiques.
Les auditions ont mis en exergue la grande complexité de la gestion portuaire. Il pourrait être utile que notre commission crée une mission flash ou une mission d’information sur la simplification législative dans ce domaine, tant les besoins et les attentes sont forts. Ce texte constitue un premier pas en ce sens. Le statut de la société portuaire offre en effet une plus grande sécurité que celui de la société publique locale, qui exclut toute participation d’acteurs privés, tels que les chambres de commerce et d’industrie – alors que ces dernières sont essentielles à l’exploitation des criées. Il est également plus souple que celui de la société d’économie mixte, qui est soumise à des obligations de mise en concurrence souvent incompatibles avec les activités portuaires, en particulier lorsque les filières sont fragilisées. Rappelons, à cet égard, que le secteur de la pêche en France traverse une période difficile : il est en décroissance, est déficitaire dans de nombreux ports et fait face à une concurrence internationale déloyale.
Dans ce contexte, la délégation de service public n’est plus adaptée. Le modèle fondé sur la prise en charge du risque par le concessionnaire ne fonctionne plus lorsque l’activité se contracte. Le statut proposé permettra aux collectivités de reprendre la main. Elles pourront investir dans la modernisation des infrastructures, soutenir l’activité des criées et assumer certaines dépenses qui pèsent actuellement, à titre exclusif, sur les pêcheurs. En offrant la possibilité à toutes les collectivités propriétaires d’un port de créer une société portuaire, la proposition de loi met à la disposition des territoires un outil souple, efficace et adapté, qui répond aux enjeux économiques, sociaux et maritimes.
Pour toutes ces raisons, notre groupe soutiendra ce texte.
Mme Sandrine Lalanne (EPR). La France est la deuxième nation maritime au monde, avec un littoral de plus de 20 000 kilomètres. Elle est aussi le deuxième fabricant mondial, et le premier en Europe, de bateaux de plaisance. Pourtant, les deux tiers des produits de la mer que nous consommons sont importés ; notre potentiel nous permettrait de prendre une plus grande part au commerce maritime. Ce paradoxe montre combien l’attractivité économique de certains territoires littoraux et leur capacité à s’appuyer sur des ports résilients sont importantes pour soutenir les économies de proximité.
Outre les 11 grands ports maritimes – qui sont des établissements publics de l’État –, plus de 600 ports décentralisés – 470 ports de plaisance, 100 ports de pêche et 50 ports de commerce – jouent un rôle économique majeur à l’échelle territoriale. Ils représentent 22 % du tonnage total de marchandises, 600 millions d’euros de valeur ajoutée et 11 000 emplois – 27 000 si l’on tient compte des emplois indirects.
Depuis la loi du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports, les collectivités territoriales peuvent prendre des participations dans des sociétés portuaires. Toutefois, cette possibilité est réservée aux dix-sept ports métropolitains et au port ultramarin visés par la loi du 13 août 2004. La proposition de loi vise à ouvrir cette faculté à l’ensemble des collectivités territoriales et de leurs groupements qui détiennent des ports en pleine propriété.
Dans le modèle de la société portuaire, les collectivités concédantes renforcent leur implication dans la stratégie de développement de leurs ports en devenant concessionnaires. Cela permet d’allier l’expertise de la CCI, acteur parfois historique de la gouvernance des ports, à la puissance financière des collectivités pour préserver et accroître le volume de leurs investissements dans la transition écologique et technologique et améliorer leur compétitivité. Ce modèle offre de nombreux avantages : une gestion administrative simplifiée par rapport aux règles applicables aux SPL et aux SEM ; la possibilité d’engager un véritable plan de développement, l’actionnaire public étant en mesure de prendre des risques sur le long terme ; une capacité d’investissement renforcée ; la préservation des emplois, voire la création de nouveaux emplois ; enfin, plus généralement, une faculté d’adaptation aux enjeux actuels. L’évolution constatée dans les deux ports qui ont adopté la forme de la société portuaire – Bayonne et Brest – montre l’efficacité de ce modèle, qu’il n’est donc pas nécessaire de faire évoluer.
De nombreuses concessions arrivant bientôt à échéance, il importe d’adopter ce texte rapidement. Compte tenu du rapport de Mme la rapporteure, des auditions menées tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, et de l’adoption du texte à l’unanimité par les sénateurs, le groupe Ensemble pour la République votera la proposition de loi et souhaite son adoption conforme.
M. Thomas Portes (LFI-NFP). Nous nous opposons fermement à cette proposition de loi qui vise à élargir le recours au modèle de la société portuaire pour l’exploitation de plus de 500 ports secondaires de plaisance, de pêche et de commerce décentralisés relevant des collectivités territoriales.
En effet, le modèle de la société portuaire transforme la gestion d’un port en une société de droit privé, même si les capitaux sont publics. Au sein de La France insoumise, nous défendons une gestion entièrement publique et démocratique des ports car nous estimons que ce cadre est le seul à même de garantir l’aménagement durable, la sécurité maritime, mais aussi la protection de l’emploi.
Le texte qui nous est soumis soulève des questions importantes concernant la place accordée aux chambres de commerce et d’industrie dans la gouvernance portuaire. Inspiré par une logique de décentralisation, il promeut le recours aux sociétés portuaires, qui sont des structures de droit privé à capitaux publics. Celles-ci permettent aux collectivités de devenir actionnaires et concessionnaires de leurs ports, et aux CCI d’entrer dans leur capital. Si les CCI ont, certes, l’habitude de gérer les ports et les aéroports, leur implication rend le processus de décision publique plus opaque dans la mesure où leur gouvernance est dominée par des représentants d’entreprises susceptibles de privilégier la rentabilité au détriment de l’intérêt général.
Par ailleurs, si le texte impose un capital initial public, il ne prévoit aucune restriction quant à une future ouverture de ce capital à des acteurs privés. Cette faille est préoccupante. En effet, les ressources publiques des CCI ont diminué de plus de 66 % depuis 2013. En outre, le PLF pour 2026, qui n’a recueilli qu’une voix dans notre assemblée, prévoit une nouvelle réduction d’un tiers de leurs budgets. Cette situation pourrait les amener à se tourner vers des financements privés pour assurer leur survie économique, ce qui renforcerait le risque que la logique de la rentabilité prime l’intérêt général.
À ce jour, seules deux collectivités ont expérimenté le modèle de la société portuaire : BrestPort et le port de Bayonne. Cette expérience a mis en évidence plusieurs limites : le manque de transparence, des décisions dispersées et un affaiblissement du contrôle démocratique. En effet, transformer un port en société peut permettre de contourner l’appel d’offres public pour sa gestion. C’est ce qui a eu lieu à Bayonne, où la création de la société portuaire a été critiquée pour son opacité et les risques financiers liés à une concession de quarante ans, alors qu’auparavant le port était géré dans le cadre d’une délégation de service public renouvelée tous les quinze ans par appel d’offres.
Quitte à parler de l’exploitation des ports français, nous aurions préféré que cette proposition de loi s’intéresse à leur dimension écologique. Nos ports, qui traitent chaque année des centaines de millions de tonnes de marchandises, représentent une part significative des émissions de gaz à effet de serre. Certaines zones portuaires industrielles, comme celle de Fos-sur-Mer, émettent à elles seules près de 18 millions de tonnes de CO2. Il aurait été bien plus utile de se saisir de cet enjeu crucial pour garantir la décarbonation et la durabilité de nos ports.
Nous restons convaincus que la gestion portuaire doit rester sous un contrôle public fort afin de garantir l’aménagement durable du territoire, la sécurité maritime, la protection de l’emploi, ainsi que la décarbonation et le pilotage économique à long terme.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre la proposition de loi.
M. Fabrice Roussel (SOC). Dans notre économie, les ports occupent une place stratégique au point de vue logistique, industriel et social. Au total, l’économie maritime représente 1,5 % du PIB français. Cette contribution ne provient pas seulement du transport de marchandises, de la pêche ou encore de la plaisance, mais aussi de l’ensemble des activités paraportuaires : industrie, réparation navale, commerce logistique et services liés aux hinterlands. Les ports constituent également des leviers de réindustrialisation.
Dans le cadre de la stratégie nationale portuaire, la France s’est fixé l’objectif de doubler les emplois directs et indirects liés à l’activité portuaire d’ici à 2050 et de renforcer l’attractivité de ses plateformes. Dans certains bassins d’emploi côtiers, les activités maritimes représentent jusqu’à 10 % des emplois, ce qui illustre le rôle structurant des ports dans le développement territorial, industriel et commercial, ainsi que dans la compétitivité internationale de notre pays.
Les ports doivent relever plusieurs défis majeurs. L’avenir de la pêche constitue évidemment une question essentielle, mais les ports doivent faire face à d’autres enjeux structurants : la décarbonation des infrastructures et des activités, la transformation de la construction navale, le développement d’une plaisance durable et, plus généralement, le financement des investissements nécessaires pour accompagner ces transitions.
Dans ce contexte, le modèle de la société portuaire présente deux atouts essentiels : d’une part, il renforce l’implication des collectivités territoriales concédantes, qui deviennent pleinement actrices de la gouvernance portuaire en tant que concessionnaires, ce qui conduit à aligner stratégie locale, besoins économiques et développement portuaire ; d’autre part, la participation financière accrue des collectivités offre une base plus solide pour financer les investissements lourds que les CCI ne sont plus en mesure d’assumer seules. Ce modèle permet donc de sécuriser et d’accélérer les investissements indispensables aux ports français.
Néanmoins, la proposition de loi comporte aussi des risques. Si elle impose un capital initial entièrement public pour permettre le transfert des concessions, elle n’interdit pas pour autant l’ouverture progressive du capital à des acteurs privés, ce qui fait peser la menace d’une perte de contrôle public sur des infrastructures stratégiques. Alors qu’il est essentiel de préserver le maintien des droits sociaux des agents transférés, une telle évolution pourrait également raviver des tensions sociales et ouvrir la voie à des situations plus sensibles, telles que l’ingérence de puissances étrangères dans la gestion ou l’orientation de sites essentiels à notre souveraineté économique, énergétique et logistique.
Ce risque est renforcé par les difficultés financières des CCI qui pourraient être contraintes de se retirer du capital au profit d’acteurs privés, dont les intérêts économiques divergeraient de l’intérêt général que les ports sont censés servir. C’est pourquoi nous avons déposé trois amendements qui visent à éviter une telle dérive et à encadrer et réguler précisément toute cession de parts des investisseurs. Nous serons donc particulièrement attentifs à l’évolution du texte et à celle de nos infrastructures portuaires, qui demeurent des actifs stratégiques pour notre économie et notre sécurité maritime.
M. François-Xavier Ceccoli (DR). Notre groupe apportera un soutien sans équivoque à cette proposition de loi. Ce texte corrige une inégalité juridique qui bride depuis près de vingt ans la capacité d’action des collectivités littorales et fluviales. Alors que la France compte plus de 600 ports décentralisés, seuls 17 d’entre eux peuvent recourir, en métropole, au modèle de la société portuaire créé en 2006. Cela signifie que la quasi-totalité des ports de pêche, de commerce ou de plaisance, pourtant essentiels à l’économie locale, ne disposent pas de l’outil le plus efficace pour se moderniser, attirer des investissements ou conduire des projets industriels de long terme. Cette situation n’a plus de justification. Il convient désormais d’élargir l’accès à ce modèle, qui constitue l’un des leviers les plus performants pour développer les énergies marines, décarboner les chaînes logistiques, soutenir la souveraineté alimentaire ou accompagner les projets d’hydrogène. Les exemples de Brest, de Bayonne ou de Port-la-Nouvelle montrent à quel point la société portuaire accélère et sécurise les grands projets d’avenir.
Le texte que nous examinons répond à cette exigence d’efficacité. Il permet à toutes les collectivités propriétaires d’un port de créer une société portuaire au capital initial entièrement public, d’en transférer la constitution dans un cadre sécurisé et d’associer ensuite les chambres de commerce et d’industrie ou les acteurs économiques à une gouvernance modernisée. Il garantit également la continuité des droits des agents, ce qui est indispensable à la stabilité de ces projets.
Je voudrais souligner l’intérêt particulier que revêt un tel outil pour les territoires insulaires. En Corse, dont je suis l’un des représentants, la logistique maritime, la continuité territoriale et les investissements portuaires conditionnent chaque jour l’approvisionnement, la transition énergétique et le développement économique. Disposer d’un modèle de gouvernance plus agile, plus lisible et capable de porter des projets multiports constitue un véritable atout stratégique pour un territoire insulaire, qui dépend de ses infrastructures maritimes.
Enfin, l’urgence est réelle. Plusieurs concessions arriveront à échéance dès le 1er janvier 2026, notamment dans le Finistère. Un vote conforme est donc indispensable pour garantir la continuité de l’exploitation, la sécurité juridique des collectivités et la préservation des emplois.
Pour toutes ces raisons – équité, efficacité, transition écologique et urgence opérationnelle –, notre groupe votera la présente proposition de loi et souhaite son adoption conforme.
M. Benoît Blanchard (HOR). La proposition de loi que nous examinons concerne un sujet majeur pour nos territoires : l’avenir de nos ports décentralisés, maillons essentiels de notre économie maritime, côtière et touristique, qui représentent à eux seuls 22 % du tonnage national, 75 % du trafic roulier et 75 % du trafic de passagers. Leur vitalité, leur capacité d’investissement et la qualité de leur gestion sont des enjeux fondamentaux pour le développement local, l’emploi et l’attractivité.
Le texte a pour objet de mettre à la disposition de toutes les collectivités territoriales le modèle de la société portuaire, que la loi du 5 janvier 2006 réserve à un nombre très limité d’entre elles : seuls dix-huit ports sont en effet concernés par le dispositif ; les ports décentralisés, pourtant tout aussi stratégiques, en sont exclus. Cette situation n’est ni cohérente ni satisfaisante.
En rendant tous les ports – de commerce, de pêche ou de plaisance – éligibles à ce modèle, la proposition de loi permettra aux collectivités de bénéficier d’un outil juridique moderne, performant et déjà éprouvé, répondant ainsi à une demande de longue date des élus locaux. C’est aussi une réponse pragmatique à la diminution des capacités financières des CCI qui ne peuvent plus, seules, engager les investissements nécessaires à la modernisation des infrastructures portuaires. Les expériences des ports de Brest et de Bayonne démontrent la pertinence de ce modèle, qui concilie expertise publique et efficacité économique. Alors que de nombreux ports doivent engager des investissements lourds, il constitue un outil précieux pour préparer l’avenir.
Le travail conduit par le Sénat a permis de clarifier et d’ajuster le dispositif, et d’aboutir à un texte solide et opérationnel. Il nous revient de préserver cet équilibre en permettant une adoption conforme, afin que les collectivités bénéficient rapidement de ce modèle attendu.
Pour toutes ces raisons, et parce que la proposition de loi offre une réponse pertinente et utile à nos ports comme à nos territoires, notre groupe soutiendra l’adoption conforme de ce texte en commission.
Mme Liliana Tanguy, rapporteure. Vous avez raison, madame Roullaud, la gestion des ports est complexe. Votre proposition consistant à créer une mission d’information sur le sujet est une piste à creuser, même si nous pouvons déjà nous appuyer sur les travaux de contrôle de nos collègues sénateurs.
Madame Lalanne, cette proposition de loi est en effet essentielle. Elle offre davantage de liberté aux collectivités dans leur gestion et rétablit une égalité de traitement entre les ports français. Surtout, ce modèle permettra de réaliser des investissements portuaires souvent très lourds, en alliant les capacités financières des CCI à celles des collectivités, dans un contexte de forte contrainte budgétaire. Je me réjouis que plusieurs groupes soutiennent le texte.
Monsieur Portes, une société de droit privé peut, d’ores et déjà, assurer la gestion d’un port : je pense notamment aux SEM. L’objectif de la proposition de loi est avant tout de renforcer le poids des collectivités territoriales dans la gestion des ports et de leur apporter davantage de souplesse. Vous refusez la participation d’investisseurs privés tout en souhaitant l’application de procédures de mise en concurrence et de publicité ; pourtant, c’est bien la présence d’investisseurs privés dans les sociétés qui rend ces procédures obligatoires. C’est donc un mauvais procès qui est fait à ce texte, lequel ne renforce en rien la place du privé mais donne un poids accru aux collectivités et offre plus de souplesse de gestion.
Pour répondre à la question de nos collègues socialistes, les outils juridiques existants permettent déjà l’implication du secteur privé. Cette proposition de loi renforce le pouvoir de gestion des collectivités. S’agissant de la protection des activités stratégiques, le droit commun s’applique en la matière : les CCI doivent déjà solliciter l’autorisation de l’État en cas de cession de parts.
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Nous en venons aux questions des autres députés – en l’occurrence, à celle de M. Nicolas Bonnet.
M. Nicolas Bonnet (EcoS). À ce jour, seuls dix-huit ports peuvent être exploités selon le modèle de la société portuaire, qui permet de sécuriser le financement, de moderniser les infrastructures portuaires, de conforter l’emploi maritime dans les territoires et de bénéficier des dérogations liées au contrat de quasi-régie. Les quelque 600 ports décentralisés français se trouvent exclus de ce dispositif vertueux qui offre la possibilité d’associer collectivités et CCI dans une gouvernance plus souple et plus robuste, de mutualiser les risques, de simplifier les relations entre concédant et concessionnaire ainsi que de faciliter les investissements de long terme. Ce mode de fonctionnement a pour but d’exploiter au mieux les atouts maritimes de la France. Le groupe Écologiste et social soutient l’objectif visé au moyen de cette proposition de loi.
Cependant, certaines réserves demeurent. Alors que les ports constituent un élément clé dans notre approche de la biodiversité marine, les CCI ne garantissent pas, à elles seules, une prise en compte suffisante des enjeux écologiques et sociaux. L’occupation du domaine public maritime – autrement dit des ports, des digues, des aménagements côtiers… – constitue l’une des pressions liées à l’exploitation humaine que subissent les océans. Face à ce risque, il est nécessaire que les ports engagent des démarches opérationnelles de protection de la faune, de la flore et de la qualité des eaux.
La stratégie nationale portuaire adoptée en 2021 fait de l’accélération de la transition écologique et énergétique des ports de commerce l’un de ses quatre axes majeurs. Elle mise sur l’écoconception, un levier essentiel pour réduire l’impact des infrastructures portuaires sur l’environnement et le climat. Ces bonnes pratiques doivent être encouragées et généralisées à tous nos ports français.
Afin de permettre une gestion efficace et adaptée aux risques, il est essentiel que le capital reste détenu à 100 % par des personnes publiques et que les investissements étrangers soient soumis à un contrôle approfondi.
Par ailleurs, il faut éviter de faire un cadeau empoisonné aux collectivités alors même qu’elles voient leurs dotations diminuer. Elles risquent en effet de devoir céder progressivement leurs parts, ce qui réduirait peu à peu leurs moyens d’action pour orienter le développement portuaire dans une démarche plus soucieuse des enjeux écologiques et sociaux.
C’est pourquoi nous soutiendrons tous les amendements qui visent à ajouter des garanties et des protections. Ainsi, la cession totale ou partielle des participations détenues par une CCI devrait faire l’objet d’une autorisation dans le cadre du contrôle des investissements étrangers pour éviter tout risque de prise de contrôle étrangère sur les infrastructures portuaires stratégiques.
Article unique : Recours des collectivités territoriales au modèle de la société portuaire
Amendements CD2, CD1 et CD3 de M. Fabrice Roussel (discussion commune)
M. Fabrice Roussel (SOC). Ces trois amendements visent à réguler et à encadrer précisément toute cession totale ou partielle des participations détenues par une chambre de commerce et d’industrie, une collectivité ou un groupement de collectivités.
L’article unique ne traite en effet que de l’entrée éventuelle d’une chambre de commerce et d’industrie au capital de la société portuaire ; il n’évoque absolument pas la sortie de ce capital. Nous souhaitons instaurer un contrôle plus fort, par le biais de l’autorisation préalable du ministre de l’économie, sur les investissements étrangers de sociétés privées dans ces activités stratégiques.
Mme Liliana Tanguy, rapporteure. Les enjeux soulevés par ces amendements sont essentiels. Toutefois, le principe de la préservation des intérêts fondamentaux de la nation et de la protection des secteurs stratégiques, qui fait consensus au sein de notre assemblée, est satisfait par le droit existant – il l’est même doublement. Par conséquent, vos amendements le sont aussi.
En effet, les cessions de titres des CCI sont déjà soumises au contrôle des investissements étrangers, qui est régi par l’article L. 151-3 du code monétaire et financier, auquel vos amendements font référence. Cet article impose l’autorisation préalable du ministre chargé de l’économie à l’égard des investissements étrangers dans des activités précisément identifiées, dont certaines peuvent concerner les activités portuaires, au moins indirectement. Il s’agit notamment des activités relatives à la sécurité de l’approvisionnement en énergie, à la continuité de l’approvisionnement en eau, à l’intégrité, la sécurité et la continuité de l’exploitation des réseaux et des services de transport, ainsi qu’à l’exploitation des établissements, installations et ouvrages d’importance vitale au sens du code de la défense.
Le ministre de l’économie doit autoriser au préalable les opérations consistant à prendre le contrôle d’un établissement français exerçant l’une de ces activités, à acquérir tout ou partie d’une branche d’activité d’une entité française, ou qui conduisent à dépasser le seuil de 25 % des droits de vote de la société, ou 10 % des droits de vote d’une société dont les titres sont admis à être négociés sur un marché réglementé.
Surtout, les chambres de commerce et d’industrie sont des établissements publics soumis à la tutelle de l’État, en particulier du ministre chargé de l’économie, en vertu de l’article L. 710-11 du code de commerce. À ce titre, les opérations de cession, de prise ou d’extension de participations financières dans des sociétés civiles et commerciales, des syndicats mixtes, des groupements d’intérêt public ou privé et dans toute personne de droit public sont soumises à l’approbation de l’État ; c’est le préfet qui doit l’autoriser. Cela inclut évidemment les sociétés portuaires.
Je vous invite donc à retirer ces amendements dont l’objectif me semble pleinement satisfait s’agissant des CCI.
Mme Sandrine Lalanne (EPR). Ces amendements sont en effet satisfaits puisque le préfet doit donner son autorisation au nom de l’État.
Il me paraît nécessaire d’établir une distinction entre les capitaux selon qu’ils sont, ou non, d’origine européenne. Dans un contexte de concurrence internationale intense, une réflexion est à l’œuvre en matière de rapprochement transfrontalier. Cela concerne, par exemple, des ports français et espagnols : le port de Bayonne travaille actuellement, en étroite coopération avec le port espagnol de Saint-Sébastien, à l’élaboration d’un protocole d’accord, ce qui pourrait ouvrir la porte, à terme, à l’entrée de capitaux espagnols en France, et réciproquement. La dimension transfrontalière va prendre une place importante dans le cadre des stratégies menées pour faire face à la concurrence internationale, en particulier sur le corridor Atlantique, où l’enjeu est considérable.
M. Fabrice Roussel (SOC). Je maintiens les amendements car il s’agit de protéger nos industries et nos actifs stratégiques.
Le code monétaire et financier ne vise pas explicitement les ports maritimes ; il serait utile d’apporter cette précision.
Enfin, le préfet peut prendre des décisions mais, sur les questions maritimes stratégiques, il n’a pas toujours connaissance de l’ensemble des enjeux. Mieux vaut donc consolider le texte par ces amendements.
La commission rejette successivement les amendements.
Elle adopte l’article unique non modifié.
L’ensemble de la proposition de loi est ainsi adopté.
Mme Liliana Tanguy, rapporteure. Je remercie la commission pour ce vote conforme. Il sera d’une grande utilité pour l’ensemble des infrastructures portuaires qui voient leur concession se terminer d’ici à la fin de l’année, tant dans le Finistère – je pense en particulier à ma circonscription – que dans d’autres territoires – par exemple, à Toulon, comme d’autres ports de la façade méditerranéenne.
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Information relative à la commission
La commission a désigné Mmes Anne-Cécile Violland, Manon Bouquin et M. Charles Fournier, rapporteurs du débat thématique de contrôle en séance publique du 8 janvier 2026 sur le thème : « Le fonctionnement des éco-organismes et la gestion des éco‑contributions ».
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Membres présents ou excusés
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire
Réunion du mercredi 26 novembre 2025 à 9 h 35
Présents. – M. Gabriel Amard, M. Fabrice Barusseau, M. Olivier Becht, M. Emmanuel Blairy, M. Benoît Blanchard, M. Nicolas Bonnet, M. Jean-Michel Brard, Mme Danielle Brulebois, M. Pierre-Henri Carbonnel, M. Sylvain Carrière, M. Lionel Causse, M. François-Xavier Ceccoli, M. Bérenger Cernon, Mme Nathalie Coggia, M. Mickaël Cosson, M. Vincent Descoeur, M. Auguste Evrard, M. Denis Fégné, Mme Sylvie Ferrer, M. Jean-Marie Fiévet, M. Julien Guibert, Mme Chantal Jourdan, Mme Sandrine Lalanne, Mme Sandrine Le Feur, M. Stéphane Lenormand, Mme Murielle Lepvraud, M. Gérard Leseul, M. Hubert Ott, Mme Julie Ozenne, Mme Sophie Panonacle, M. Thomas Portes, Mme Véronique Riotton, M. Xavier Roseren, Mme Béatrice Roullaud, M. Fabrice Roussel, M. Raphaël Schellenberger, Mme Ersilia Soudais, Mme Liliana Tanguy, M. Vincent Thiébaut, M. Antoine Vermorel-Marques, Mme Anne-Cécile Violland
Excusés. - Mme Lisa Belluco, M. Anthony Brosse, M. Jean-Victor Castor, M. Aurélien Dutremble, Mme Mathilde Hignet, Mme Marietta Karamanli, M. Matthieu Marchio, M. Pascal Markowsky, M. Pierre Meurin, M. Marcellin Nadeau, M. Jimmy Pahun, Mme Marie Pochon, Mme Anaïs Sabatini, M. Olivier Serva, M. Jean-Pierre Taite
Assistait également à la réunion. – Mme Mélanie Thomin