Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

 Audition, ouverte à la presse, du général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre, sur le projet de loi de finances 2026              2


Jeudi
23 octobre 2025

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 11

session ordinaire de 2025‑2026

Présidence
de M. Loïc Kervran,
Vice-président
 


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La séance est ouverte à neuf heures une.

M. Loïc Kervran, président. Je vous prie d'excuser l'absence du président Jean‑Michel Jacques ce matin. Il accompagne actuellement la ministre déléguée auprès de la ministre des Armées et des Anciens Combattants à la maison Athos de Caen, en déplacement auprès de nos soldats et particulièrement de nos militaires blessés. Il s'agit d'un enjeu auquel toute notre Commission est particulièrement attachée, et lui sans doute encore plus que quiconque.

J'ai donc l'honneur de présider cette audition ce matin, alors que nous poursuivons et terminons notre cycle consacré au PLF 2026. Nous recevons le Général d'armée Pierre Schill, chef d'état-major de l'armée de Terre.

En ce 23 octobre, permettez-moi tout d'abord de rendre hommage aux 58 militaires français tués sur le poste Drakkar à Beyrouth, appartenant au 1er et au 9e RCP. Je tiens à rappeler que le 1er RCP était basé en 1945 à Avord dans ma circonscription, où on l'appelait alors « infanterie de l'air ». Ces militaires étaient déployés dans le cadre de la Force Multinationale de Sécurité à Beyrouth, et non de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL). J'adresse une pensée émue à ces soldats, à leurs camarades, à leurs familles, ainsi qu'à nos alliés américains également frappés quelques minutes auparavant.

Concernant le projet de loi de finances pour 2026 relatif à l'armée de Terre, Madame Isabelle Santiago est notre rapporteure pour avis sur ces crédits. Sur les 15,9 milliards d'euros en crédits de paiement consacrés au programme 178 « Préparations et emplois des forces », 2,5 milliards sont dédiés aux forces terrestres, soit une augmentation de 15 % par rapport à 2025. Mon Général, nous souhaiterions que vous nous détailliez les besoins justifiant cette hausse et les priorités auxquelles seront affectés ces crédits supplémentaires, qu'il s'agisse de la préparation opérationnelle, de l'entretien programmé des matériels ou de l'infrastructure.

L'année 2025 a par ailleurs été celle de la consolidation de l'engagement de l'armée de Terre sur le flanc est de l'Europe, en Roumanie et en Estonie, et a permis la montée en puissance de la Brigade « bonne de guerre ». Nous aimerions vous entendre sur ce nouveau dispositif d'engagement et sur les choix stratégiques qui le sous-tendent.

Sur le volet des ressources humaines, que j'ai particulièrement étudié il y a quelques mois dans le cadre d’un rapport parlementaire sur cette thématique, je tiens à saluer les progrès de l'armée de Terre en matière de fidélisation. Les cibles de recrutement ont été atteintes en 2025 et le schéma d'emploi devrait être respecté. Cette excellente nouvelle survient après une période difficile qui nous avait tous préoccupés. Cet aspect est fondamental pour une armée en constant renouvellement, placée sous le signe de la jeunesse et du renforcement de la masse. Le budget 2026 devrait permettre de consolider ces acquis, notamment dans la perspective d'une hybridation renforcée avec la réserve.

Enfin, sur le plan capacitaire, vous pourrez sans doute nous éclairer sur l'effort prévu par le PLF pour acquérir des capacités indispensables à notre réarmement et à notre préparation à la haute intensité, notamment les hélicoptères NH90, les véhicules blindés Scorpion et bien entendu les munitions, qu'elles soient de gros calibres, antichars ou télé‑opérées.

M. le général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre. Je vous remercie pour cette évocation de l'attentat du Drakkar et des soldats qui y ont perdu la vie. En ouverture de mon propos, j'aimerais avoir une pensée pour les 15 000 soldats de l'armée de Terre actuellement en mission ou déployés, ainsi que pour les 15 000 qui se tiennent en alerte. Ils sont l'expression de la volonté de la Nation et de la crédibilité de ses armées.

Sans revenir sur chaque épisode de l'actualité internationale, il m’apparaît important d’évoquer le rythme et l'intensité des crises que le monde connaît. Ils confirment que nous vivons un moment géostratégique. Des événements graves, comme les frappes récentes sur l'Ukraine ou les violations d'espaces aériens de pays alliés, passent presque inaperçus dans la succession des événements. Ces faits ne sont pourtant pas anecdotiques. Ils traduisent l'urgence de la menace et la radicalité de la bascule du contexte international. Nous assistons à un changement d'ère, à un retour des Empires qui doit dicter notre posture. Pour être libres, il faut être craints, pour être craints, il faut être forts. J'ajouterai que pour l'armée de Terre, être forts signifie se tenir prêts et le faire savoir à nos alliés comme à nos adversaires.

Se tenir prête, c’est ce que fera l'armée de Terre en 2026, forte des deux premières années d'une transformation dont nous pouvons déjà mesurer les effets. J'estime que le plan est bon. Les choix opérés en 2023 grâce à la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 sont pertinents. Mais, l'urgence et la radicalité du contexte imposent d'en accélérer la mise en œuvre. Le projet de loi de finances pour 2026 en donne les moyens.

La France entend peser sur son destin et tenir son ambition de puissance d'équilibres et d'entraînement, de moteur d'une architecture de sécurité en Europe qui soit un pilier crédible de l'Alliance Atlantique. Elle a besoin d'une armée de Terre « de combat », prête à remplir des missions allant de la protection du territoire à une contribution déterminante à la défense collective de l'Europe sous forme d'un commandement en coalition.

Le diagnostic qui a présidé au plan de transformation de l'armée de Terre porté par la loi de programmation militaire reste valide, mais les événements récents en confirment, avec une force particulière, l'indispensable accélération et amplification.

Je tire trois enseignements militaires des combats terrestres qui se déroulent sous nos yeux.

Le premier concerne l'ampleur des engagements menés par de grandes unités disposant de moyens massifs et de saturation du champ de bataille. Les combats s'étendent au-delà de la ligne de front, dans la profondeur et sur les arrières. Les capacités logistiques, le soutien et la régénération sont visés, mettant au défi la résilience industrielle des nations.

Le deuxième enseignement tient à la vitesse d'adaptation. Les modalités se révèlent innovantes et évolutives, intégrant rapidement les progrès technologiques et les percées tactiques, sans pour autant disqualifier les procédés préexistants.

Le troisième enseignement porte sur l'exploitation des champs immatériels. Les outils numériques constituent des vecteurs de puissance potentiels pour nos systèmes de renseignement et de commandement. À l'inverse, les adversaires mènent des campagnes de désinformation et des attaques cyber pour déstabiliser les sociétés en deçà du seuil de l'affrontement, ou en prolongement de la guerre sur les arrières jusqu'au cœur des nations.

Dans ce monde où le champ des perceptions est devenu un des champs de bataille, il ne suffit plus d'être fort, il faut le faire savoir. Il faut montrer sa force avant de la démontrer, afficher sa préparation, sa cohérence, sa détermination. Montrer sa préparation, sa cohérence, sa détermination, c’est asseoir sa crédibilité, c’est déjà peser sur le rapport de forces. À travers sa transformation, l'armée de Terre construit des outils de puissance adaptés aux enseignements des conflits en cours et de leur évolution. Son but est la crédibilité, adaptée de manière continue pour décourager en permanence, protéger la France et ses habitants quoi qu'il arrive, rassurer ses partenaires et, le cas échéant, vaincre en coalition. L'objectif est double : être prêt dès ce soir, je dirais même dès ce matin, et s'adapter pour demain.

Mes quatre priorités sont donc le commandement et la connectivité pour accélérer la décision, l'acquisition de la transparence du champ de bataille par le renseignement et son exploitation, la létalité par la densité, la rapidité et la précision des feux et des autres moyens d'attaque, et enfin la protection au contact comme sur nos arrières.

Pour cadencer l'effort, l'effet majeur retenu est de disposer d'une division « bonne de guerre », déployable en 30 jours en 2027. Une division agrège, autour d'un poste de commandement, des appuis et des soutiens ainsi que deux brigades. La première étape est atteinte cette année avec une brigade « bonne de guerre », c’est à dire 8 000 soldats équipés avec leurs moyens, leurs véhicules et leurs munitions, entraînés, commandés, et prêts à être déployés quelle que soit la mission à remplir. Entre la brigade « bonne de guerre » de 2025 et la division de 2027, l'année 2026 sera consacrée à la montée en puissance des appuis et soutiens différenciants, en particulier : les feux et la logistique.

En deux ans seulement, le plan « armée de Terre de combat » a déjà produit des effets tangibles et des bénéfices capacitaires concrets : nous atteindrons cette année 45 % du total des livraisons de véhicules Scorpion. Le virage de l'innovation donne de premiers résultats :la dronisation est en marche, symbolisée par la création des centres d'entraînement tactique drones au sein des brigades. La situation des ressources humaines de l'armée de Terre est confortée, avec une amélioration sensible de la fidélisation depuis 2023.

Malgré la pertinence de ce plan, l'urgence du contexte nous impose d'accélérer, sa radicalité exige d’amplifier. La barrière des signalements stratégiques est en partie déjà franchie, comme le chef d’état-major des armées (CEMA) l'a exposé devant vous. Nos adversaires ne se contentent plus d'observer à distance, ils nous testent. Chaque provocation, chaque attaque, même hybride, constitue un banc d'essai de notre cohérence et de notre détermination collective. Il est impératif d’apporter une réponse justement proportionnée et sans faiblesse à ces tests qui pourraient sinon, préfigurer un choc de plus grande ampleur et donc plus dangereux dans les années à venir. Nous devons être prêts, et le faire savoir. C’est le but de l’armée de Terre qui entend donc demeurer stratégique, innovante et soudée. L’armée de Terre est stratégique : elle protège et agit chaque jour, sur le territoire national dans l’hexagone et outre-mer comme à l’étranger. Elle « fait le job », c’est-à-dire qu’elle produit les effets attendus par la Nation.

En 2025, elle a rempli ses missions et contribué au signalement stratégique par ses engagements opérationnels comme Dacian Spring, Pikne, et Brigade Expansion actuellement déployée en Roumanie, par ses exercices majeurs, tel Warfighter 25, ainsi que par ses coopérations renforcées en Afrique ou avec l’Inde lors de l’exercice Shakti. L'année 2026 sera placée sous le signe des coalitions afin de franchir une étape supplémentaire dans la préparation aux chocs et la démonstration de notre détermination.

Concernant la préparation opérationnelle, l'effort porté sur le maintien en condition opérationnelle, les munitions et l'activité au sens large que vous avez mentionné permettra de dépasser les 70 % de la norme de référence visée en fin LPM. Cette année sera notamment marquée par Orion 26, exercice majeur qui mobilisera nos états-majors et nos unités aux côtés de nos alliés. Il sera l’occasion de tester l'interopérabilité à grande échelle et de valider la préparation opérationnelle de nos soldats. Cet exercice éprouvera nos concepts d'emploi interarmes, interarmées, interalliés et même interministériels.

En matière d'engagement opérationnel, outre les missions en cours et celles qui se déclencheront au fil de l'année, l'armée de Terre tiendra en 2026 trois dispositifs d'alerte simultanément. Premièrement, l'échelon national d'urgence, que nous appelons « Guépard », comprenant 7 000 soldats prêts à partir avec des délais d'alerte échelonnés de 12 heures à 5 jours, y compris pour des missions souveraines nationales. Deuxièmement, l'alerte de premier rang de l'Otan, l’Allied Response Force (ARF) 2026, qui sera structurante. En surplomb, nous nous tiendrons prêts à déployer des forces dans le cadre de garanties de sécurité, le cas échéant au profit de l'Ukraine.

Être stratégique dans le monde qui vient, c’est être innovant. L’armée de Terre est innovante, elle s’adapte en permanence. Il n’y a pas de point d’arrivée, car il n’y a pas d’armée innovée.

Dans cette perspective, nous poursuivrons en 2026 la transformation des structures de l'armée de Terre pour les adapter aux besoins des conflits modernes. Cette transformation a débuté par la réorganisation du commandement haut de l'armée de Terre avec les commandements Alpha, qui permettent la mise en synergie des moyens d'action dans la profondeur du champ de bataille, dans ses arrières, dans son environnement et dans son espace numérique. Cette transformation se poursuit avec le renforcement progressif des régiments d’appui et de soutien qui délivreront les feux longue portée et la logistique, mes efforts pour 2026, mais aussi la guerre électronique, la défense sol-air, le génie, le renseignement. La transformation se fait ici au rythme de l’arrivée des équipements.

Concernant ces équipements, et toujours dans une démarche d'innovation, nous poursuivrons la montée en puissance du parc CAESAR avec la livraison de dix CAESAR de nouvelle génération, d'obus d'artillerie et de vingt Mortiers Embarqués Pour l'Appui au Contact (MEPAC). Les stocks de roquettes et de missiles seront renforcés. Un effort particulier sera porté sur les drones et la boucle renseignement-feux avec la livraison prévue de drones et Munitions Télé Opérées couvrant la trame de l’armée de Terre depuis le drone à pilotage immersif (les First Person View : FPV) avec 3 000 FPV d’entraînement sans charge, jusqu’aux drones les plus endurants, dits « opératifs ».

Cette montée en puissance s'accompagnera d'un effort logistique considérable pour donner à nos chaînes davantage de robustesse et de réactivité. L'exemple emblématique est celui des contrats de marché de soutien hybride, dont bénéficie notamment le véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI), permettant de passer d'une logique de flux à une logique de stocks, seule compatible avec un engagement majeur. Les flottes de camions de transport seront modernisées pour remplacer les GBC vieillissants. Nous réceptionnerons les premiers wagons de transport polyvalents interarmées et passerons 145 nouvelles commandes en 2026 pour densifier nos moyens logistiques.

En complément de ces transformations de structures et de cette modernisation par les équipements, nous intensifierons encore notre effort en matière d'innovation en 2026, tant « par le haut » que « par le bas », alliant évolutions techniques et doctrinales.

L'innovation par le haut concerne principalement les programmes d'équipements majeurs et les capacités structurantes. Le commandement du combat futur en constitue le moteur, avec pour mission d'éclairer l'avenir en lien étroit avec la base industrielle et technologique de défense. L'une des réalisations phares prévues pour 2026 est le Data Hub de l'Avant. Il s'agit d'un cloud tactique embarqué au sein des postes de commandement, conçu pour agréger, traiter et distribuer en temps réel des données issues de capteurs, de systèmes de combat et de renseignements vers les éléments de contact. Les livraisons prévues en 2026 des postes CONTACT, des postes pour véhicules, des kits d’hybridation et des moyens de guerre électronique s'intégreront dans cette démarche de data hub de l'avant.

L'innovation par le bas repose quant à elle sur l'initiative des soldats, leur connaissance intime du terrain et l'expérimentation. C’est le bouillonnement de « l'esprit pionnier » : les unités recherchent, détournent, manipulent, adaptent et proposent des solutions. Cette dynamique nous permet de capter les idées des utilisateurs et porte ses fruits depuis deux ans. Nous amplifierons encore cet élan en 2026 en accordant davantage de subsidiarité aux unités via des enveloppes dédiées et en déconcentrant une part des crédits consacrés aux opérations d'armement. En la matière, la subsidiarité produit un effet démultiplicateur.

Innover signifie enfin anticiper les ruptures à venir. Les quatre dernières années ont vu l'essor des drones aériens de combat et leurs conséquences sur la manœuvre tactique et opérative. J'ai la conviction que les prochaines années verront la maturation des drones terrestres. C'est précisément le sens de l'initiative Pendragon, menée conjointement avec l’Agence ministérielle pour l’intelligence artificielle de défense (Amiad). Son objectif consiste à doter l'armée de Terre d'une première unité robotisée d'ici l'été 2026. La robotisation terrestre constituera une révolution culturelle et tactique que l'armée de Terre entend anticiper et exploiter.

Cette armée de Terre stratégique et innovante doit demeurer soudée. Mon troisième axe d'effort de l'armée de Terre pour être prête et le fasse savoir, sera de consolider son socle d'armée d'emploi, soudée par la fraternité d'armes. Dans cette perspective, j'ai choisi pour 2026 le mot d'ordre « servir ». Il témoigne de la relation entre la Nation et ceux qui s'engagent pour la défendre. Pour les soldats de l'armée de Terre, il s'agira d'un effort de considération, cette fraternité d'armes verticale du chef envers les subordonnés, mais aussi des subordonnés envers leur chef, par la pratique d'un commandement par intention, plus subsidiaire, sans renoncer à la culture du résultat et à la maîtrise du risque ; un commandement qui oblige autant le chef qu'il responsabilise le subordonné.

Servir implique également de permettre à davantage de jeunes Français de contribuer à la défense pour quelques jours ou quelques mois, sans en faire leur métier. En 2026, nous poursuivrons la montée en puissance de la réserve, conformément au plan de la LPM, passant de 29 000 à près de 32 000 réservistes. Nous constituerons cette année une première Brigade de défense du territoire national, composée majoritairement de cadres et de soldats de réserve, sans s'y limiter. Elle illustre la transition vers un modèle d’armée hybride, combinant active, réserve et toutes les formes de volontariat, offrant ainsi à l'armée de Terre une combinaison optimale de masse et de compétences pour remplir ses missions.

Les ressources prévues par le projet de loi de finances de 2026 permettront de poursuivre la mise en œuvre du plan de fidélisation 360°, particulièrement dans ses volets hébergement et logement, en soutien à la condition de vie des soldats et de leurs familles. Nos soldats demeurent notre préoccupation la plus importante.

Le plan est bon. Le contexte exige de l'accélérer et de l'amplifier. En 2026, nous poserons des jalons décisifs qui permettront en 2027 de disposer d'une division modernisée, « bonne de guerre », déployable en 30 jours, et d'atteindre en 2030 un niveau de corps d'armée pleinement apte à commander en coalition. Nous avançons avec lucidité et détermination dans la transformation de l'armée de Terre. Nous le faisons grâce à l'effort de la Nation, que nous mesurons pleinement, et au professionnalisme des hommes et des femmes qui servent aujourd'hui. Ces hommes et ces femmes sont prêts. En 2026, ils resteront prêts.

M. Loïc Kervran, président. Je vous remercie pour ces propos liminaires. Vous l'avez souligné, l'ampleur de l'engagement, la vitesse de l'adaptation et l'immatérialité des champs exploités constituent nos défis actuels. L'objectif de cette commission consiste précisément à faire en sorte que notre nation, prête aujourd'hui, le demeure demain malgré toutes les ruptures. Notre responsabilité est de faire savoir que nous sommes prêts.

M. Julien Limongi (RN). Mon Général, derrière l'affichage d'un maintien de la trajectoire budgétaire à hauteur de 6,7 milliards d'euros supplémentaires, force est de reconnaître qu'il s'agit d'une hausse en trompe-l'œil. Les reports de charges, les restes à payer et cette dette grise qui enfle d'année en année compromettent sérieusement la sincérité et la soutenabilité de la LPM.

Je sais, mon Général, que vous n'êtes pas comptable des décisions politiques ayant conduit à cette situation. Vous connaissez mieux que quiconque les failles capacitaires qui affectent aujourd'hui nos forces, mais les besoins, eux, sont bien réels. Nous le constatons sur les feux, les stocks de munitions, le manque d'entraînement ou encore les difficultés persistantes en maintenance, comme pour le Serval.

Dès lors, la question n'est pas de savoir si l'armée de Terre fournit des efforts – elle en fait de considérables – mais comment, malgré ces efforts, elle pourra parer au plus pressé dans un contexte budgétaire aussi contraint. La question que tous se posent mais que personne n'ose vraiment formuler : en cas de réel coup dur, comment procéderons-nous ? Avec des failles capacitaires identifiées, des stocks insuffisants et des marges financières quasi nulles, serions-nous en mesure de tenir durablement dans un engagement majeur ?

Enfin, un mot sur le système principal de combat terrestre (MGCS) : nous n'avons plus de nouvelles et nombreux sont ceux qui s'interrogent sur son devenir. Ira-t-il à son terme ou connaîtra-t-il le même destin incertain que le système de combat aérien du futur (SCAF) ?

Mon Général, votre éclairage sur ces points est essentiel pour que nous puissions collectivement mesurer la réalité de la situation au-delà des effets d'annonce.

M. le général d’armée Pierre Schill. Je souhaite d'abord apporter une réponse de principe : nous serons, par nature, toujours confrontés à une situation de manque. Ma responsabilité consiste au premier ordre à employer au mieux les ressources qui sont allouées à l'armée de Terre, ensuite contribuer à la construction du plan général du ministère, et enfin, en tant que citoyen conscient des enjeux de défense nationale, à participer au débat global sur l'effort de défense.

Concernant l'équilibre au sein du ministère des armées entre les grands choix stratégiques, je tiens un raisonnement similaire à celui que j'applique pour l'armée de Terre. Le plan général me paraît pertinent. Il repose sur un équilibre entre les impératifs de demain ‑ concrètement les équipements structurants – et ceux d'aujourd'hui ou de l'immédiat, mais aussi l'entraînement et les stocks de munitions. Cet équilibre me semble approprié, et nous le maintenons au fil des années successives, grâce aux ressources attribuées conformément à la LPM.

Ce plan s'inscrit néanmoins dans un environnement profondément bousculé. Le CEMA a souligné qu'aujourd'hui, nous devons réajuster ce plan selon une double logique – et mon propos vaut autant pour le ministère que pour l'armée de Terre. D'une part, nous devons probablement réinvestir davantage dans le court terme, par rapport au long terme : cela concerne les petits équipements, l'activité d'entraînement, les stocks de munitions, tout ce qui donnera sa pleine cohérence à l'ensemble des équipements dans des délais plus resserrés que ceux initialement prévus. D'autre part, nous devons adapter notre stratégie en fonction de l'évolution de la menace et du rythme des innovations technologiques.

Pour l'armée de Terre spécifiquement, les efforts consentis en 2026, notamment grâce aux ressources supplémentaires par rapport aux prévisions initiales de la LPM, mais également par un réajustement de cette programmation, permettent d'intensifier notre effet en matière d'activités et d'acquisition de munitions. Concernant les équipements de cohérence, je crois à la pertinence d’une logique de subsidiarité, y compris pour les enveloppes budgétaires et les décisions de l'état-major des armées vers l'armée de Terre et vers les unités pour ajuster au plus près les moyens aux besoins opérationnels.

Cela nous amène à la question cruciale de notre capacité à répondre à une crise majeure. Ce que je peux garantir avec certitude, c'est que l'armée de Terre, avec tous ses moyens réunis, sera sur les remparts de notre pays, telle qu'elle est, en tirant le meilleur parti de ce qu'elle possède. Mais nous ne sommes pas seuls, et la vraie question est de savoir comment l'Europe dans son ensemble se tiendra sur les remparts du continent face à une menace majeure.

Objectivement, la France constitue aujourd'hui un élément moteur aux niveaux politique, politico-militaire et militaire dans la coalition des volontaires pour l'Ukraine, point d'application d'une démarche de nation-cadre plus globale. Nous sommes concrètement en position de direction avec les Britanniques. Dans les interactions avec mon homologue et avec l'armée de Terre britanniques, nous représentons une référence, y compris pour les Britanniques eux-mêmes. Les Européens sont-ils complètement prêts ? Non, il existe un enjeu réel d'augmentation de l’effort de défense. Mais la question de la coalition, et de notre capacité à agir ensemble, constitue le premier pilier de notre efficacité collective.

Enfin, il convient d'évoquer les relations bilatérales, notamment le projet MGCS avec les Allemands que vous mentionniez. L’armée de Terre a formulé l'expression d'un besoin militaire commun avec l'Allemagne depuis 2023. Les choses avancent manifestement puisque la société industrielle ad hoc a été créée au cours de l'année 2025, l'appel à contrat lui a été transmis, et elle doit répondre d'ici la fin de l'année afin de permettre une contractualisation d'au moins un premier incrément en 2026.

Mme Corinne Vignon (EPR). Le 25 décembre dernier, vous présentiez vos grandes orientations à la section technique de l'armée de Terre (Stat) à Versailles. Vous avez alors déclaré aux journalistes : « Nous devons être prêts dès ce soir à la guerre de haute intensité ». Après la 7e brigade « bonne de guerre », capable d'être déployée en quinze jours avec armes et bagages sur le flanc est de l'Europe, la France vise la capacité de déployer une division, soit environ 19 000 hommes sous trente jours en 2027, puis l'objectif sera de commander et d'aligner avec des pays partenaires un corps d'armée, soit 60 000 hommes, en 2030.

Pour préparer cet engagement majeur, l'armée de Terre fait preuve d'une remarquable inventivité. Je pense notamment au système anti-drone Proteus que la Stat a développé en seulement quatre mois en installant un canon couplé à une caméra thermique sur un châssis de camion. La robotisation constitue également un chantier clé pour l'armée de Terre, avec une première unité d'une vingtaine de robots terrestres prévue pour 2026.

Pour donner à nos armées les moyens de ces ambitions, le projet de loi de finances 2026 prévoit une augmentation de 3,2 milliards d'euros des crédits de la mission défense, auxquels s'ajoute une sur-marche de 3,5 milliards d'euros. Estimez-vous que l'armée de Terre s'adapte suffisamment rapidement aux nouvelles formes de conflits de haute intensité ? Ce projet de loi de finances vous donne-t-il les moyens suffisants ? De quels équipements avez‑vous réellement besoin ?

M. le général d’armée Pierre Schill. Permettez-moi une précision préalable concernant cette question d'être prêt « ce soir » et l'hypothèse d'un engagement majeur. Le CEMA a clairement défini sa vision. L'élément difficile à faire comprendre, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur des armées, réside dans le fait que l'avenir n'est pas écrit. Notre mission, ma mission en tant que chef de l'armée de Terre, consiste à peser sur cet avenir, à empêcher que le pire n'advienne. Pour ce faire, nous devons être pleinement conscients des menaces, de leur urgence, de leur radicalité et de l'impérieuse nécessité de s'y préparer y compris dans leurs formes les plus extrêmes.

Concrètement, notre rôle immédiat consiste à être nation-cadre, c'est-à-dire à entraîner nos alliés aujourd'hui, à répondre demain efficacement à des tests, et le cas échéant à un choc plus important de la part d'adversaires potentiels, notamment russes, comme l'a expliqué le CEMA. L’équilibre de notre discours vers l'extérieur ne traduit pas un inéluctable glissement vers le pire, mais illustre parfaitement l'adage : « Si tu veux la paix, prépare la guerre ».

Nous devons simultanément préparer le pire en maîtrisant les conditions d'un engagement majeur, tout en agissant aujourd'hui avec nos moyens actuels, prêts à démontrer nos capacités, tant par l'entraînement que par des démonstrations concrètes si nécessaire. Tout ce que nous conduisons actuellement s'inscrit dans cette logique.

Cette progression d'une brigade « bonne de guerre » en 2025, une division en 2027 et un corps d'armée en 2030 – ou plus précisément la capacité de commandement d'un corps d'armée en 2030 – ne signifie pas que nous ne disposerons pas de ce corps d'armée avant 2030. Il existe déjà. Notre objectif est que ce qui constitue l'état de l'art aujourd'hui dans le cadre de l'Otan puisse être atteint de manière crédible à cette échéance. Je suis néanmoins convaincu que l'horizon lui-même évoluera et qu'en 2030, nous constaterons des évolutions technologiques, des transformations chez nos adversaires comme chez nos alliés, qui nécessiteront d'autres avancées.

Ce cadencement à travers cette brigade, cette division et ce corps d'armée vise également à marquer concrètement plusieurs évolutions structurelles. Comme vous l'avez souligné, ces évolutions concernent principalement les capacités différenciantes d'appui et de soutien plutôt que les unités de contact. C'est pourquoi j'ai moins évoqué les chars et l'infanterie pour mettre davantage l’accent sur la puissance de feu, le cyber, la logistique et sa profondeur, la lutte anti‑drone et d'autres domaines clés.

Pour nous inscrire dans cette trajectoire, nous menons, sous l'égide de l'état-major des armées, en lien avec les industries et la Direction générale pour l'armement (DGA), un ensemble de réformes et d'évolutions qui s'inscrivent aujourd'hui dans un temps relativement long car elles concernent des capacités structurantes. L'objectif partagé avec la DGA et l'état‑major des armées consiste à accélérer certaines de ces évolutions , notamment dans les grandes capacités. Je citerai, à titre d’exemple, le domaine particulièrement prometteur de la robotisation. En 2026, nous visons la création d'une première unité de démonstration opérationnelle robotisée, avançant ainsi considérablement ce que nous envisagions initialement pour la décennie suivante avec le programme Titan. La démarche descendante structurée pour préparer les grands programmes futurs tels que Titan doit absolument, j'en suis de plus en plus convaincu, demeurer un substrat, mais doit être alimentée par une démarche ascendante. Certaines initiatives, parfois modestes, peuvent paraître empiriques, mais sont importantes car elles constituent un vecteur de subsidiarité. Le fait d'accorder des marges de manœuvre et de valoriser les idées émergeant du terrain, en sélectionnant certaines pour les déployer à plus grande échelle, est indispensable.

Le terme que j'ai choisi pour caractériser notre approche de l'innovation en 2026 est « industrialisation », qui intègre à la fois la montée en puissance au niveau supérieur et la capacité à faire passer à l'échelle les inventions pertinentes venues du terrain. Cette approche me semble la plus adaptée pour combiner efficacement nos impératifs immédiats et notre ambition de long terme.

M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Mon général, merci pour ce propos liminaire dans lequel vous avez indiqué à plusieurs reprises que le plan était bon et que la LPM correspondait à vos attentes. Pourtant, le budget de cette année propose aux parlementaires d'adopter un budget avec une marge à 6,7 milliards et non pas 3,2 comme la LPM le prévoyait initialement. Si la LPM est effectivement pertinente, pourquoi avons-nous besoin de cette marche supplémentaire de 3,5 milliards ? Pouvez-vous nous préciser à quoi vont servir ces 3,5 milliards ? S'agit-il de programmes majeurs ou de davantage de matériel pour les forces, ou bien cela va-t-il permettre, comme la ministre l'a affirmé il y a deux jours, de mieux entraîner nos forces et de renforcer les stocks de munitions ? Je perçois une contradiction entre l'affirmation d'une bonne LPM et la nécessité, dès la deuxième année, de doubler la marche budgétaire.

Par ailleurs, vous avez évoqué les frappes dans la profondeur, ce qui nous amène à la question du renouvellement du programme du Lance-Roquettes Unitaire (LRU). Où en sommes-nous sur ce dossier ? Nous savons qu'un consortium lancé par la DGA en est au stade du projet, et que parallèlement l'entreprise Turgis et Gaillard propose directement un modèle, le Foudre, quasiment disponible. Nous avons également connaissance que l'armée de Terre envisage potentiellement une solution étrangère. Quelle est aujourd'hui l'option qui vous semble la plus pertinente ?

Enfin, vous avez indiqué que la dronisation était en marche. À quel degré cette transformation s'opère-t-elle actuellement au sein de l'armée de Terre ? L'armée de Terre du futur doit-elle être principalement une armée de drones ou une armée de chars ?

M. le général d’armée Pierre Schill. Concernant votre question sur la surmarche et les ressources supplémentaires, le plan est effectivement bon dans sa philosophie, sa structure et son économie générale, compte tenu des ressources initialement consacrées par notre pays à ce plan. Néanmoins, plus nous disposons de ressources, mieux nous pouvons les employer de manière ciblée et efficace.

Premièrement, face à l'urgence et à la radicalité des menaces actuelles, notre pays s'oriente vers un effort budgétaire accru pour sa défense, nonobstant la situation budgétaire générale. Cette démarche tient compte non seulement des menaces, mais également des opportunités, tout en incitant nos partenaires à suivre cette voie. Nous saisissons donc une opportunité de ressources supplémentaires qui nous est offerte.

Deuxièmement, l'armée de Terre, probablement plus que d’autres armées, s’appuie sur une multitude de petits équipements et de capacités combinées pour obtenir une efficacité optimale. Cette caractéristique lui confère une adaptabilité et une polyvalence supérieures, tant dans ses actions que dans sa capacité à réajuster la direction de sa progression, de son équipement et de sa modernisation. Nous sommes particulièrement attentifs à l’emploi de ces ressources supplémentaires. Nous souhaitons contribuer au développement d'un certain nombre de petites industries ou de capacités qui présenteront des retours sur investissement très élevés, avec des commandes dès 2025 pour des livraisons en 2026, et des commandes en 2026 pour des livraisons la même année et les suivantes.

Pour répondre précisément à votre question sur l'utilisation de ces marches supplémentaires pour l'armée de Terre, il s'agit effectivement de constituer des stocks de munitions, et prioritairement des stocks de munitions de guerre plutôt que d'entraînement, qui étaient déjà prévues dans la LPM. Nous consolidons également le niveau d'activité programmé dans la LPM, conformément à cette norme que nous avions définie il y a plusieurs années comme étant l'objectif optimal pour une armée moderne – de l’ordre de 120 heures de char par an pour un équipage, par exemple. La LPM prévoyait d'atteindre cette norme d'activité en 2030, grâce à ces surmarches et ressources supplémentaires, nous accélérons significativement notre progression vers ces objectifs.

Mon troisième point porte sur l'ouverture de nouveaux domaines, notamment celui de la robotique. Nous n'anticipions pas une accélération aussi rapide. Le projet Vulcain de l'armée de Terre prévoyait une évolution assez linéaire, et nous envisagions cette robotisation principalement pour la décennie suivante. Or, l'évolution technologique ces dernières années est telle qu'un objectif que nous situions en en fin de LPM est aujourd'hui plus proche. Il est donc impératif d'accélérer nos efforts et nos investissements dans ce domaine.

Ces surmarches et ressources supplémentaires nous permettent d'avancer significativement sur plusieurs programmes structurants. Vous avez évoqué les feux dans la profondeur, qui constitueront une combinaison entre successeurs du LRU et munitions télé‑opérées. Il s'agit de ma priorité absolue, car dans l'équilibre entre protection et agression, cette dimension de létalité dans la profondeur de l'adversaire tactique – jusqu'à 150 kilomètres environ – revêt une importance capitale. Grâce à ces ressources additionnelles, nous acquerrons des drones qui compenseront le retard des systèmes de drones tactiques (SDT) Patroller, ainsi que des munitions télé-opérées capables de frapper dans cette profondeur du champ de bataille tactique. J’ai l’espoir que nous parviendrons ainsi à résoudre la question cruciale de la frappe dans la profondeur que vous mentionniez. Ces capacités sont urgentes et structurantes pour notre armée.

Actuellement, la rapidité d'acquisition de ces moyens dépend des dimensions industrielles et de la mise en compétition que vous avez évoquée entre les sociétés Thales/Safran et MBDA/Ariane ainsi que du projet Turgis Gaillard, qui propose une solution alternative. L’acquisition éventuelle de moyens étrangers, alors même que la LPM prévoit une capacité souveraine, reste une option –américaine avec Himars, européenne avec Pulse ou Europulse, voire indienne. Une telle solution étrangère serait envisageable uniquement si elle permettait d'acquérir très rapidement et à moindre coût ces capacités à titre intérimaire, même si toutes les fonctionnalités souhaitées n'étaient pas présentes.

Ma préférence reste clairement en faveur d’une solution souveraine, déployable très rapidement, économique et efficace. Une telle solution constituerait une option satisfaisante, car nous avons toujours intérêt à investir nos crédits dans l'industrie nationale plutôt qu'à l'étranger. J'ai donc de grandes attentes vis-à-vis des essais prévus au milieu de l'année 2026. Je souhaite que 2026 soit l'année de la décision.

Sur la question des drones et des chars, la réponse est simple : il nous faut les deux. Les champs de bataille actuels démontrent que les nouvelles capacités ne remplacent pas les anciennes, mais les complètent. Je suis convaincu que le char demeurera une composante essentielle de nos armements dans les 20 ou 30 prochaines années, constituant un système de combat capable de remporter un duel tactique, de percer les défenses adverses et d’exploiter dans la profondeur. Ces futurs chars seront toutefois différents de ceux d'aujourd'hui. Ils seront conçus ab initio dans une logique de robotisation, d'automatisation et d'inter connectivité, s'inscrivant dans le concept du combat collaboratif que nous développons déjà, comparable à ce que représente le F-35 dans le domaine de la chasse aérienne. C'est pourquoi l'unité robotisée Pendragon, expérimentation de 2026 intégrera une combinaison de véhicules terrestres et de drones aériens, coordonnés par une intelligence artificielle dite « inter-agent ». Celle-ci recevra des ordres tactiques, comme à une unité conventionnelle, tout en autorisant une forme d'autonomisation.

Mme Isabelle Santiago (SOC). Je tiens à m'associer aux pensées pour les familles de nos militaires, comme l'a évoqué en préambule le vice-président. Ayant l'honneur d'être rapporteure sur ce budget et de rencontrer les hommes et femmes de nos armées, j'ai pu constater la puissance qui se dégage de cette jeunesse engagée sur le terrain, où l'innovation et la passion pour notre nation étaient remarquables. Je salue ces militaires ainsi que leurs familles.

Je n'aborderai pas aujourd'hui l'intégralité du rapport que je présenterai la semaine prochaine. Je souhaite plutôt vous interroger sur l'exercice Orion 2026. L'augmentation des crédits va notamment permettre de financer cette opération majeure. Pour les plus anciens d'entre nous, nous avons déjà eu l'occasion d'observer les précédentes éditions de cet exercice.

Orion 2026 sera un exercice interarmées et interministériel qui s'inscrit dans une manœuvre stratégique de l'Otan et qui prépare nos forces armées à la prise d'alerte au 1er juillet 2026. L'exercice doit permettre de tester les soutiens, la logistique et les capacités de commandement. Comment Orion 2026 permettra-t-il de mieux préparer nos forces à la haute intensité ? Quelles sont les différentes phases de l'exercice et les priorités qui y seront associées ? Pouvez-vous également détailler les crédits qui seront affectés à Orion 2026 ? Enfin, Orion constitue un outil de signalement stratégique pour nos alliés et nos compétiteurs. Comment cet exercice contribuera-t-il à « Gagner la guerre avant la guerre » ?

M. le général d’armée Pierre Schill. Orion 2026 constitue effectivement la suite de l'exercice Orion 2023 que vous avez mentionné. Orion 2023 résultait d'une intuition du chef d'état-major de l'armée de Terre, mon prédécesseur, le Général Burkhard, qui avait perçu la nécessité d'une préparation plus exigeante. Il avait compris qu'il fallait renouer avec les grands exercices, nonobstant leur coût et le temps qu'ils exigent pour des soldats déjà fortement sollicités, parce que ces grands exercices sont mobilisateurs et qu'ils produisent des enseignements opérationnels irremplaçables. L'armée de Terre réalise actuellement plus de 130 jours de découchés par an et par militaire, et nous maintiendrons ce niveau l'année prochaine.

Cette intuition de conduire un exercice permettant d'exécuter des manœuvres réelles, et non uniquement théoriques, afin d'en tirer des enseignements pratiques, s'est révélée excellente. À la lumière des enseignements d’Orion 2023, nous avons donc programmé cette nouvelle édition pour 2026.

Comme vous l'avez souligné, il s'agit avant tout d'un exercice interarmées qui mobilisera l'ensemble des capacités des armées. Il sera également interministériel, en intégrant les stades de défense introduits dans la réflexion sur la LPM.

Le schéma général de l’exercice ressemblera à celui de 2023, avec une durée totale d'environ quatre mois articulée en quatre phases principales, dont trois verront le déploiement d'importantes forces sur le terrain. La première phase consistera en une entrée en premier – alors qu'elle s'était déroulée autour de Toulon en 2023, elle se tiendra cette fois sur la façade atlantique. Une phase intermédiaire portera sur ces fameux stades de défense, la résilience de la Nation, le rôle de notre pays en tant que nation hôte vis-à-vis de l'Otan, les flux logistiques et la mobilisation éventuelle des réserves.

Les deux dernières phases mobiliseront plus directement l'armée de Terre avec des manœuvres de grande ampleur, principalement dans le nord-est de la France. Dans la phase finale, le poste de commandement de corps d'armée jouera le rôle principal avec les éléments d'appui, constituant ainsi un exercice d'envergure exceptionnelle.

Nous veillons néanmoins à définir clairement les priorités de cet exercice pour ne pas en augmenter infiniment la complexité et compromettre l'atteinte des objectifs. Cette exigence est d'autant plus importante que l'exercice comportera une dimension interalliée significative. Nous avons invité plusieurs alliés, il importe que l'exercice présente pour eux un intérêt opérationnel réel.

L'équilibre entre participation alliée, éléments simulés et phases réellement jouées sur le terrain sera donc soigneusement calibré. L'exercice mobilisera plus de 10 000 hommes, dont 15 à 20 % d'effectifs alliés. Pour l'armée de Terre spécifiquement, nous déploierons près de 3 000 véhicules. Le coût total s'élèvera à plusieurs dizaines de millions d'euros.

Dans la construction de notre préparation opérationnelle pour l'année à venir, nous avons effectué des arbitrages entre différents types d'entraînement : la préparation opérationnelle de base dans les garnisons, l'entraînement interarmes autour des garnisons dans nos camps et centres d'entraînement, où nous disposons d'outils de simulation performants, et ces grands exercices.

Quant aux bénéfices attendus d'Orion 2026, il s'agit d'abord d'un outil d'apprentissage nous permettant de vérifier l'efficacité des dimensions logistiques, territoriales et de coordination, et d'en tirer les enseignements nécessaires. Nous mettrons particulièrement à l’épreuve nos savoir-faire en matière de commandement, en centrant l’exercice sur les postes de commandement. Par ailleurs, cet exercice démontrera à nos alliés notre légitimité et notre crédibilité, prouvant l'intérêt de s'entraîner avec nous. Il constituera un signal fort sur nos capacités opérationnelles, à l'instar de l'exercice Zapad organisé par les Russes.

Enfin, l'exercice sera un vecteur d'innovation. Nous y déploierons plusieurs innovations technologiques et tactiques. Le calendrier même de l'exercice a poussé de nombreux acteurs de l'innovation à se fixer l’année 2026 comme échéance pour être prêts à démontrer leurs capacités, ce qui représente un effet d'entraînement extrêmement bénéfique.

M. Jean-Louis Thiériot (DR). Je m'associe pleinement aux propos de mes collègues concernant notre infinie reconnaissance envers les femmes et les hommes qui servent sous votre commandement, unis par la fraternité d'armes, le sens de la mission et les sacrifices qu'ils consentent.

Je souhaite vous interroger non pas sur des aspects budgétaires, mais sur deux éléments de réflexion stratégique. Premièrement, dans l'hypothèse d'un engagement majeur, nous constatons aujourd'hui en Ukraine une situation de blocage tactique en haute intensité, soulevant des interrogations sur les difficultés de la manœuvre. Cette crise de la manœuvre est notamment liée à la transparence du champ de bataille. Quelle est votre vision concernant l'avenir de la manœuvre aux niveaux tactique et opératif ? Est-ce que la manœuvre de demain sera d’abord une manœuvre par les appuis, que ce soit l’artillerie ou les drones ?

Par ailleurs, l'un des éléments fondamentaux de cette manœuvre concerne la protection du corps de bataille en défense sol-air basse couche, particulièrement la lutte anti‑drones. Nous avons déjà évoqué des systèmes comme le Proteus ou le retour du canon. Il y a trois ans, lors d'une mission parlementaire j'ai été particulièrement impressionné par les avancées réalisées par la Stat en très peu de temps. Avec la commande des Serval Lutte anti‑drones (LAD) à venir, comment envisagez-vous cette défense anti-drones du corps aéroterrestre qui, opérant sur un champ de bataille, peut utiliser les moyens cinétiques bien plus efficacement que dans des environnements civils au-dessus de nos villes ? Quelle est votre vision de la protection du corps de bataille dans ce domaine ? Considérez-vous que le format de défense sol-air de notre armée de Terre, avec un seul régiment d'artillerie, le 54e, est suffisant ?

Les Russes et les Ukrainiens développent des drones guidés par fibre optique. Ces dispositifs sont-ils brouillables ? Cela semble très difficile. Disposons-nous face à eux d'autres moyens que cinétiques ?

M. le général d’armée Pierre Schill. La question du blocage de la manœuvre se situe au cœur de nos réflexions. L'enjeu consiste à observer attentivement les conflits actuels qui nous enseignent beaucoup, tout en distinguant les conclusions conjoncturelles des enseignements plus structurels.

J’estime que le blocage tactique observé aujourd'hui dans les plaines ukrainiennes relève davantage d'une conjoncture propre aux deux belligérants, à la nature du terrain et à l'épuisement initial, plutôt qu'à un élément véritablement structurant. Néanmoins, certains facteurs structurels contribuent effectivement à ce blocage tactique.

Nous analysons souvent cette situation en considérant que les capacités de commandement seront démultipliées par l'intelligence artificielle et l'ensemble des technologies numériques, ce qui transformera réellement les modalités de commandement. Ces évolutions sont plutôt favorables à la manœuvre, car elles confèrent agilité et capacité à identifier les points décisifs.

Cependant, le second facteur, antinomique avec le premier, est la transparence du champ de bataille. Cette transparence des dispositifs constitue indéniablement un élément structurant des combats futurs. Sur certains terrains, elle favorise naturellement la défense et complique l’offensive. Mais si les dispositifs sont visibles, les intentions peuvent demeurer difficiles à discerner. Nous avons observé plusieurs exemples, notamment la percée de Koursk où, malgré la connaissance du dispositif, les Ukrainiens ont réussi à mener une manœuvre offensive. Dans les environnements offrant des possibilités de dissimulation, soit grâce à des moyens spécifiques, soit en zone urbaine ou souterraine, l'offensive peut également prévaloir.

La puissance des moyens d'agression actuels, leur portée et leur allonge, associées à cette transparence, tend à entraver les manœuvres et les concentrations, et permet d'attaquer directement les chaînes logistiques. Cela favorise donc la défense et soulève la question cruciale de la protection, actuellement mise en défaut. Le « bouclier » va nécessairement progresser mais je ne pense pas qu'une invention unique bouleversera la donne. Nous devons concevoir une combinaison cohérente de systèmes, mêlant dispersion, camouflage visuel et électromagnétique, ainsi que des systèmes de défense multicouches. Il nous faut nous protéger contre tous les niveaux de menace, depuis les simples moyens de reconnaissance jusqu'aux capacités étatiques sophistiquées. L'enjeu de protection contre la menace aérienne est tel que de nombreux moyens émergeront, j'en suis convaincu. Un article récent évoquait un potentiel de plusieurs dizaines, voire centaines de milliards d'euros derrière ce marché de la protection contre les moyens aériens. Les capacités militaires doivent impérativement bénéficier de ces développements.

Avons-nous suffisamment investi dans cette protection contre la menace aérienne ? Probablement pas. Cette lacune s'explique en partie par le fait que nous ne pouvions pas prévoir il y a quatre ans l'explosion quantitative des drones et leur association avec l'intelligence artificielle. L'évolution technologique a engendré une transformation doctrinale et tactique qui nous contraint à accélérer nos efforts, d'autant plus que le conflit à l'est de l'Europe risque de disperser des combattants démobilisés maîtrisant ces technologies. Cette protection constitue donc l'une de nos priorités d'accélération, tant en recherche fondamentale qu'en acquisitions.

Comme nous distinguons les drones du combattant, les drones intermédiaires et les drones du commandement, nous développons différents niveaux de défense antiaérienne. Au niveau individuel, nous déployons des systèmes de détection des signaux électromagnétiques et d'autres moyens élémentaires. Pour l'échelon intermédiaire, nous développons des capacités comme le Proteus, complétées par les radars en cours d'acquisition. Enfin, des systèmes de défense sol-air spécialisés couvriront jusqu'à la très haute altitude, domaine actuellement confié à l'armée de l'Air et de l’Espace.

Concernant les drones à fibre optique, nous expérimentons également cette technologie précisément parce qu'elle résiste au brouillage. Nous développons néanmoins des parades adaptées, qu'il s'agisse de lasers, d'armes à effet dirigé ou de cages de protection. La lutte anti-drones constitue l’un des axes d’accélération prioritaires pour les années à venir.

Mme Catherine Hervieu (EcoS). J’adresse aujourd'hui une pensée particulière aux victimes de l'attentat du Drakkar, survenu il y a exactement quarante-deux ans, ainsi qu'à nos soldats actuellement en opération.

Le projet de MGCS vise à développer un nouveau système de combat terrestre complet et non simplement un futur char. Nos chars Leclerc sont en cours de modernisation avec la version XLR. Toutefois, ces chars Leclerc modernisés pourront-ils assurer la transition jusqu'au déploiement du MGCS ? Cette rénovation s'avère-t-elle suffisante ? Risquons-nous de faire face à un trou capacitaire ? Par ailleurs, pourriez-vous nous apporter des précisions chiffrées concernant la rénovation et l'acquisition des VBCI ?

Vous avez évoqué notre capacité à intervenir dans un conflit de haute intensité. Cette perspective impose une évolution significative de nos équipements, de notre préparation opérationnelle et potentiellement de nos modes d'action. La formation de nos militaires aux conditions climatiques extrêmes, tant désertiques qu'arctiques, témoigne de cette adaptation de l'armée de Terre. Comment le maintien en condition opérationnelle, particulièrement celui des véhicules, répond-il à ces nouvelles exigences opérationnelles ? Quels enseignements tirez-vous de l'utilisation des imprimantes 3D dans ce contexte ?

Concernant l'appui et la logistique, je constate, en tant que rapporteur de la mission sur les armes du génie, des besoins importants et un retard significatif à combler. L'appui au combat et l'aide au déploiement nécessitent des investissements substantiels, notamment depuis les enseignements tirés en Ukraine et au Moyen-Orient. En avril 2023, vous aviez annoncé que le génie bénéficierait d'un renforcement d'effectifs permettant de recréer des unités spécialisées disparues dans le minage, le contre-minage et le franchissement, ainsi que de consolider des capacités aujourd'hui insuffisantes comme l'ouverture d'itinéraires et le franchissement fluvial. Quelle est la situation actuelle, fin 2025, et quelle visibilité pouvez‑vous offrir au génie à court terme ?

M. le général d’armée Pierre Schill. Concernant le MGCS et l'avenir du char, je n’ai pas aujourd'hui d’idées arrêtées sur les solutions de court, moyen et long terme, car nous devons construire une réponse intégrant des dimensions opérationnelles, industrielles et internationales. Je maintiens néanmoins que le char, ou un système remplissant ses fonctions essentielles de duel et de capacité de pénétration, demeurera un élément structurant des armées futures et donc de l'armée de Terre française.

Dans le format général de notre armée de Terre, 200 chars Leclerc, ou 200 systèmes équivalents, représentent le volume approprié, correspondant à une brigade blindée capable de conduire ce type d'opération. Cette capacité s'avère fondamentale dans le cadre de l'entraînement avec certains de nos alliés en tant que nation-cadre, et pour la consolidation de nos forces. Actuellement, cette fonction est assurée par quatre régiments équipés de chars Leclerc que nous rénovons en transformant la tourelle analogique en tourelle numérique. Cette numérisation permet d'intégrer de nouveaux viseurs, des dispositifs supplémentaires d’aide à la visée et de commandement. Nous procédons également à des évolutions de la motorisation et de la protection, mais fondamentalement, il s'agit du Leclerc amélioré.

Le MGCS ou ce qui existera dans quinze ans représentera certainement une rupture technologique. Ce sera un système né dans un univers robotisé, intégrant le cloud de combat et l'échange d'informations, constituant un véritable saut générationnel. Mon enjeu consiste à déterminer comment négocier cette transition. Je ne sais pas aujourd'hui si le projet franco‑allemand ou européen aboutira suffisamment rapidement pour que nos chars Leclerc rénovés soient directement remplacés par ce nouveau système. Peut-être faudra-t-il un engin intermédiaire, mais je souhaite limiter l'investissement dans cette transition pour ne pas compromettre notre participation à cette future génération.

Ces réflexions sont menées conjointement avec la DGA et l'état-major des armées. J'envisage une transition progressive. Comme le CEMA l'a mentionné devant votre commission, nous ne sommes plus dans une logique de remplacement brutal. Il n’y aura pas un jour avec 200 Leclerc rénovés et le lendemain 200 MGCS. Nous aurons une période de coexistence du Leclerc rénové avec une première capacité MGCS ou équivalent, dans des proportions variables. Ce sera une caractéristique de ce monde en constante innovation, où les générations d’équipements se superposent davantage qu’elles ne se succèdent.

Concernant les VBCI, la rénovation à mi-vie n'est pas prévue à ce stade. Mon objectif est néanmoins de mener les évolutions indispensables de la configuration actuelle des VBCI. J'espère que nous réussirons à exporter ce véhicule, dont les recettes pourraient, le cas échéant, contribuer à financer une modernisation ultérieure. L’enjeu du maintien en condition opérationnelle (MCO) des VBCI réside dans la refonte des marchés : il ne s’agit plus de contrats fondés sur les heures de fonctionnement, mais sur la constitution de stocks étatiques correctement dimensionnés et gérés. Cette approche permet, d’une part, d'optimiser les coûts de maintien en condition opérationnelle et, d’autre part, de disposer de lots de déploiement immédiatement utilisables en cas d’opération majeure.

Nous venons de signer un premier marché de ce type pour le VBCI. Ce marché s'inscrit dans l’ambition MCO 2030 développé par la Structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT) qui comporte plusieurs composantes, dont celle que vous évoquiez concernant l'emploi des imprimantes 3D et la fabrication additive, facteurs clés de la nouvelle logistique. Cette démarche soulève des questions de propriété intellectuelle et de certification des pièces par les industriels. Dans ce cadre, la SIMMT a obtenu une délégation de la DGA pour certifier certaines pièces, ce qui accélère considérablement le processus. Chaque régiment du matériel dispose désormais d'imprimantes 3D en réseau, dont les transferts de plans sont certifiés par blockchain, garantissant ainsi la qualité des pièces et permettant de rendre compte précisément aux industriels du nombre de pièces fabriquées. La SIMMT poursuit l'acquisition de ces imprimantes pour tous les régiments afin de développer cette capacité de fabrication additive.

Enfin, concernant le génie, nous avons créé une brigade spécifique en regroupant les régiments auparavant dispersés au niveau divisionnaire. Cette réorganisation a replacé le génie et son rôle d’appui au centre de nos préoccupations. Le premier régiment que nous allons dédoubler ou recréer dans le cadre du renforcement progressif des capacités d’appui et de soutien sera probablement un régiment du génie, car nous disposons actuellement d'unités surdimensionnées, comme le 19e régiment du génie à Besançon. Dans le cadre du renforcement des capacités de cette fonction opérationnelle, celle-ci bénéficiera en priorité des nouveaux équipements tels que des moyens de franchissement, de bréchage et d'importants systèmes robotisés.

M. Christophe Blanchet (Dem). Je tiens également à saluer l'ensemble des femmes et des hommes qui portent l'uniforme pour assurer notre protection et notre défense, ainsi que les familles et camarades des 58 soldats morts il y a 42 ans lors de l'attentat du Drakkar.

Mon intervention porte sur deux axes et deux formules que vous avez employées dans votre propos liminaire. Vous avez affirmé qu'il faut « se tenir prêts car nos adversaires nous testent ». Concernant cette formule « nos adversaires nous testent », pourriez-vous préciser quels types de tests nos adversaires conduisent actuellement, afin que chacun puisse appréhender pleinement la situation présente ? Par ailleurs, je note avec intérêt l'évolution sémantique : il y a peu, nous parlions de « compétiteurs », et aujourd'hui nous évoquons des « adversaires ». Pouvez-vous expliciter cette évolution terminologique ?

Quant à l'expression « se tenir prêts », nous saluons les crédits supplémentaires alloués dans ce budget ainsi que l'atteinte de l'objectif concernant la brigade « bonne de guerre » avec 8 000 soldats. Cette brigade « bonne de guerre » intègre-t-elle des réservistes ? Où en sommes-nous concernant les « réservistes fantômes », ces personnes qui s'engagent parallèlement à leur activité professionnelle et qui, craignant de se déclarer auprès de leur employeur, utilisent leurs congés payés pour servir ?

Vous savez mon engagement pour faire reconnaître dans le Code du travail que la discrimination liée à l'engagement dans la réserve doit être sanctionnée. Je n'ai malheureusement pas encore réuni suffisamment de cosignataires.

M. le général d’armée Pierre Schill. Vous soulignez à juste titre que nous sommes observés, scrutés, évalués. Il s'agit d'une réalité tangible : l'Otan a effectivement tiré sur des drones russes survolant son territoire. Des chasseurs russes ont également débordé de leur trajectoire dans la Baltique, pénétrant l'espace aérien estonien. Face à ces incidents, les chasseurs de l'Otan en alerte ont décollé et escorté ces appareils. Les réactions que nous adoptons face à ces événements sont minutieusement analysées par les Russes.

Ces faits sont documentés et publiés par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), notamment en ce qui concerne l'instrumentalisation de certaines manœuvres informationnelles comme, par exemple, les étoiles de David, les cercueils ou les têtes de cochons. Nous constatons objectivement des interactions entre les Russes au sens large et l'Otan. Certaines peuvent être délibérées, d'autres probablement fortuites, mais notre réaction collective est un signal envoyé et reçu. Sa signification s'avère cruciale car elle est scrutée par nos adversaires. Il s’agit de transmettre les messages appropriés.

Ces tests consistent principalement à nous éprouver dans l’« entre-deux » de la conflictualité, c’est-à-dire dans le champ hybride. Ils peuvent prendre la forme de signaux mineurs dans le domaine informationnel, comme des tags, pour évaluer si nous manifestons une volonté suffisante pour affirmer le caractère inacceptable de ces actes ou si, au contraire, nous reculons progressivement en tolérant davantage d'incursions.

Un autre aspect de cet entre-deux concerne la cohésion entre les nations alliées alors que l'article 5 de l'Otan stipule qu'une attaque contre un membre constitue une attaque contre tous, engageant l'ensemble des pays à contribuer à la défense collective. Ces manœuvres tentent de créer des divergences d'appréciation, certains minimisant la gravité des incidents quand d'autres la soulignent, provoquant ainsi une forme de désunion.

Cette réalité représente un enjeu majeur face à la succession d'événements : nous devons percevoir la montée progressive des tensions. À l'image de la marée qui s'élève imperceptiblement lorsqu'on se tient au bord de l'eau, mais dont la progression devient évidente après une heure d'absence, l'enjeu réside dans notre capacité à déterminer la réaction appropriée. Se tenir prêts revêt donc une importance capitale tant pour manifester notre résolution que pour la démontrer concrètement si nécessaire.

S’agissant des réservistes, au sein de l'armée de Terre, nous observons une progression quantitative : nous comptions 24 000 réservistes au début de la LPM et nous visons 50 000 réservistes au-delà de 2030. Actuellement, nous atteignons nos objectifs d'effectifs et, à la fin de cette année, nous compterons 28 000 réservistes, avec une perspective d'augmentation de 3 000 réservistes supplémentaires l'an prochain.

L'armée de Terre a fait le choix de ne pas constituer des unités exclusivement de réservistes qui formeraient une armée de réserve distincte de l'armée d'active. Nous privilégions plutôt l'articulation optimale entre ces deux types de ressources. Ainsi, dans les états-majors, des réservistes interviennent en tant que renforts individuels, tandis que dans les unités, ils contribuent directement aux missions. Lorsque nous affirmons que la 7e Brigade blindée est « bonne de guerre », cela inclut des réservistes dans ses rangs. Cette brigade est déployée en Roumanie avec des réservistes.

La question des « réservistes fantômes » demeure une difficulté réelle, malgré nos efforts constants. Il est primordial que nous progressions via la Garde nationale en concluant des accords avec les organisations patronales et les entreprises, afin de valoriser l'engagement des réservistes qui est bénéfique pour l'entreprise. Cet engagement citoyen témoigne de qualités personnelles qui enrichissent l'environnement professionnel.

Toutefois, la réalité du terrain reste prégnante : lorsque trois personnes doivent accomplir un travail déterminé et qu'une d'entre elles s'absente, ce sont les autres qui doivent compenser. La relation qu'entretient le réserviste avec son environnement professionnel immédiat – non seulement sa hiérarchie mais également ses collègues – relève d'une dimension personnelle difficile à réglementer uniformément. Nous poursuivons nos efforts dans ce domaine et je vous remercie de votre soutien dans cette démarche, mais une part de cette problématique restera inévitablement tributaire des arrangements directs entre l'employé et son environnement professionnel.

Nous pouvons, et je l'espère sincèrement, améliorer l'image générale de la réserve pour que cet engagement soit de plus en plus considéré comme positif tout en admettant qu'une part irréductible demeurera liée aux situations individuelles.

M. Loïc Kervran, président. Nous passons maintenant aux questions individuelles.

Mme Sophie Errante (NI). Je vous remercie Général, pour vos propos liminaires et vos réponses. Je souhaite saluer la convention que vous avez signée avec le président de l'Association des maires de France (AMF) et aborder la question des commémorations du 11 novembre que nous organiserons prochainement dans nos circonscriptions. Nous sommes déjà interrogés sur cette transition d'une posture de « maintien de la paix » vers celle « d'éviter la guerre ». Face à nos concitoyens, en lien avec les remarques précédentes sur les réservistes, des questions essentielles se posent : comment s'engager, de quelles compétences avons-nous besoin, quels profils recherchons-nous ? Ces interrogations revêtent une importance capitale.

Vous avez évoqué dans votre convention avec l'AMF l'accent mis sur les communes disposant de garnisons. Je considère qu'il faut étendre cette approche à l'ensemble des communes françaises. Dans le contexte actuel de campagne municipale, où chaque candidat prépare son projet pour mars prochain, il est fondamental que tous les futurs élus comprennent pleinement le monde dans lequel nous évoluons. Cette prise de conscience doit s'effectuer sans verser dans « l'hyper-peur » ni terroriser la population, car les images de charniers actuelles suscitent déjà de vives inquiétudes auprès des familles. Nous changeons véritablement d'échelle et d'atmosphère. Il est important que vous puissiez rassurer tout en demeurant fermes et déterminés.

Mme Michèle Martinez (RN). Une armée ne vaut que par les hommes et les femmes qui la composent. Si mes collègues ont justement souligné les failles capacitaires, permettez-moi d'aborder l'autre défi majeur : celui de la fidélisation. Le taux de renouvellement des primo contrats, dont l'administration souhaite la reconduction, constitue un indicateur clé de cette fidélisation. Pour les militaires du rang, j'observe qu'en 2022, le taux de dénonciation de ces primo contrats a atteint 35 %. Les causes sont largement identifiées : désarroi face à l'opération Sentinelle, difficultés à concilier engagement militaire et vie familiale, conditions d'hébergement insatisfaisantes.

Il serait toutefois inexact d'affirmer qu'aucune mesure n'est prise. Nous constatons l'allocation de 148 millions d'euros en autorisations d'engagement pour l'action sociale et l'inclusion, comprenant notamment le plan fidélisation 360. Le plan ambition logement se poursuit également. Cependant, nous demeurons très préoccupés concernant ce volet logement. Bien que peu de données nous soient accessibles, nous savons que les retards et les obstacles s'accumulent. Sans vous rendre comptable de décisions qui excèdent votre périmètre de responsabilité, quel regard portez-vous sur ces plans stratégiques pour relever le défi de la fidélisation ?

M. le général d’armée Pierre Schill. Je souhaite répondre à votre question en commençant par une réflexion générale qui prolonge mes propos précédents. La difficulté majeure de notre communication et de la prise de conscience collective réside dans la nécessité de conjuguer deux dimensions : d'une part, la gravité, au sens de l'urgence et de la radicalité de la menace et de son évolution, qui nous fait basculer d'un monde de maintien de la paix vers un monde où nous devons éviter la guerre ; d'autre part, cette gravité doit s'accompagner d'une forme d'optimisme, ou à tout le moins d'une confiance en nos forces.

À la tête de l'armée de Terre, ma mission consiste à agir, à peser pour empêcher le pire. Je dispose des ressources nécessaires, tant budgétaires que matérielles, mais surtout humaines. Notre institution compte 130 000 personnes portant l’uniforme de l’armée de Terre, dont 110 000 au sein de l'armée de Terre proprement dite. C'est une armée jeune, avec une moyenne d'âge de 32 ans, qui descend à 28 ans dans les régiments. Nous accueillons chaque année entre 14 000 et 15 000 jeunes. Je témoigne très sincèrement ‑ et j'espère que certains d'entre vous ont pu le constater lors de la Présentation de l'armée de Terre à l'École militaire en rencontrant nos soldats – que ces militaires sont habités par la gravité et la sérénité. Ils savent que leur engagement peut impliquer toute leur personne, mais ils manifestent une volonté d'agir et un sens du devoir absolument remarquables.

Notre pays possède des ressources considérables, au sein d'un continent aux immenses richesses. Lorsque l'on compare notre PIB à celui de la Russie, nous disposons objectivement des moyens nécessaires pour peser sur notre destin. Au niveau qui est le mien, je peux affirmer que nous agissons efficacement. Nous représentons une partie de la jeunesse française – 15 000 recrues sur une classe d'âge de 850 000 jeunes – et nous touchons un public plus large encore à travers les préparations militaires, nos lycées militaires, le service militaire volontaire, environ 40 000 jeunes par an, sans compter ceux que nous rencontrons lors des journées défense et citoyenneté.

Nous pouvons avoir confiance en cette jeunesse, même s'il demeure indispensable de donner du sens, notamment par nos modes de commandement. Tous les responsables et élus – comme nous l'avons souligné dans notre convention avec l'AMF – partagent un enjeu collectif : affirmer que le bien supérieur, le bien collectif mérite qu'on le serve et que nous disposions des moyens nécessaires pour y parvenir. Ce service du bien commun revêt des formes multiples et vastes, dont l'engagement des élus fait partie intégrante. L'engagement militaire en constitue une modalité particulière.

J'ai le devoir d’accueillir des jeunes souhaitant servir dans les armées, même pour une durée limitée. Cet engagement temporaire représente quelques jours par an, en moyenne 35 à 40 jours pour les réservistes, certains s'investissant moins, d'autres davantage. D'autres formes de service sont possibles. Nous poursuivons les expérimentations de découverte de l'armée de Terre et demeurons prêts à répondre à d'éventuelles nouvelles formes de service qui seraient proposées.

Concernant les réserves, nous ne pouvons pas accueillir tous les jeunes qui souhaitent nous rejoindre. Notre système actuel, hérité du passé, impose à tous le même parcours d'entrée dans la réserve avec une phase initiale de deux semaines de terrain et de tir pour commencer par le rang. Nous travaillons désormais à ouvrir des voies d'accès direct pour les sous‑officiers, officiers et spécialistes.

Dans le cadre de notre engagement collectif autour du 11 novembre, journée de commémoration de tous les morts pour la France, nous devons porter un discours d'optimisme et montrer comment influer sur le monde futur à travers différentes formes d'engagement, dont l'engagement militaire. Après les élections municipales, je m'attacherai à informer les élus désignés au sein des conseils municipaux comme correspondants défense afin de contribuer concrètement à la mise en œuvre de la convention que nous avons signée avec l’AMF.

Sur la question de la fidélisation, notre situation est objectivement satisfaisante. Après le ralentissement des recrutements observé en 2023, nous avons retrouvé un recrutement satisfaisant. Nous atteindrons à la fin de l'année 2025 les effectifs qui nous sont alloués par la LPM. J'aurais même pu intégrer davantage de personnel si les droits accordés avaient été plus importants. Nous connaissons actuellement une dynamique favorable qui concerne l'ensemble des catégories : militaires du rang, sous‑officiers et officiers. Cette dynamique positive se manifeste d'abord au niveau du recrutement. Les taux de candidature, y compris pour les militaires du rang, sont satisfaisants. En cette fin d'année notamment, nous pourrons effectuer des recrutements supplémentaires ciblés sur des profils de qualité, particulièrement dans les spécialités en tension comme le cyber, l'électronique, le soutien, la mécanique et d'autres domaines pour lesquels nous rencontrons habituellement des difficultés de recrutement.

Les jeunes Français nous rejoignent avant tout pour servir, et principalement dans ce qu'ils considèrent comme le cœur du métier militaire – le combat – plutôt que pour exercer au sein des armées le métier qu'ils pourraient exercer ailleurs. Cette dimension constitue notre richesse et explique en grande partie l'attrait que nous exerçons sur la jeunesse. Elle s’engage pour une armée authentique, une armée d'emploi. Notre pays manifeste une réelle volonté de se défendre et cela suscite chez nos jeunes une aspiration forte à servir, notamment sous l'uniforme militaire. C'est pourquoi notre campagne de recrutement, articulée autour du défi « Peux-tu le faire ? », rencontre un vif succès. Elle interpelle les jeunes sur leur capacité à relever un défi, donnant ainsi du sens à leur engagement. L'incorporation et le recrutement fonctionnent donc efficacement, y compris pour les militaires du rang. Nous avons intégré cette année 15 000 jeunes et nous prévoyons un volume similaire en 2026.

Toutefois, le second aspect crucial de la gestion des effectifs concerne la fidélisation. Sur ce plan, la situation des sous-officiers est particulièrement favorable cette année, avec environ 15 % de « sur-fidélisation ». 15 % des sous-officiers qui nous auraient quittés les années précédentes ont choisi de rester. Il s’agit d’un effet direct de la nouvelle grille indiciaire des sous-officiers, au profil dynamique, avec des augmentations concentrées aux niveaux intermédiaire et supérieur, ce qui incite les sous-officiers à poursuivre leur carrière. Son impact n’a donc pas été uniquement ponctuel : il se prolonge cette année. Nous anticipons des résultats similaires avec les grilles des officiers, qui entrent en vigueur prochainement. Certains officiers sont probablement restés pour en bénéficier. Mais nous espérons que leur structure encouragera durablement la fidélisation. La situation est plus complexe pour les militaires du rang, qui constituent un flux très important. L'armée de Terre compte 65 000 militaires du rang et en recrute 12 000 chaque année. Les résultats obtenus une année ne garantissent pas ceux de l'année suivante. Notre enjeu principal est le renouvellement de leur premier contrat. Actuellement, les militaires du rang servent en moyenne 6,5 années dans l'armée de Terre ; notre objectif serait d'atteindre au moins sept années.

Vous avez évoqué un taux de 30 %. Ce chiffre correspond également au pourcentage de militaires du rang qui ne franchissent pas le cap des six premiers mois. Le choc initial est considérable. Malgré toutes les informations préalables fournies, la vie en collectivité peut s'avérer difficile, d'anciennes blessures dissimulées pour pouvoir s'engager se révèlent, l'éloignement familial pèse, etc. Notre objectif serait de ramener ce taux à 25 %, un seuil que nous visons depuis longtemps. Nous n'avons jamais réussi à faire mieux, et aucune armée ne parvient à des résultats supérieurs. Nous devons maintenir nos efforts pour atteindre cet objectif de 25 %, contre 30 % actuellement.

Au-delà des premiers mois, les aspects matériels – logement, hébergement, conditions de vie – constituent évidemment des facteurs déterminants. Ces éléments ne sont pas primordiaux au début de l'engagement, puisque les jeunes s'engagent principalement pour le sens et l’aventure. Cependant, ils deviennent progressivement plus importants à mesure que la carrière avance, notamment concernant la mobilité. Cette problématique est moins prégnante pour les militaires du rang, qui ne sont en principe pas soumis à mobilité géographique. Mais pour les autres catégories, la mobilité soulève les questions de l'emploi du conjoint, de l'accession à la propriété, de la scolarité des enfants et de l'accès aux soins. Plus la carrière progresse, plus les contraintes de la vie militaire sont prégnantes, d'où l'importance de leur compensation par le plan Fidélisation 360° et l'attention portée aux questions d'hébergement.

Le logement est aujourd'hui traité par le contrat Nové, qui en est à ses débuts. Comme toujours dans les phases initiales, des ajustements sont nécessaires. J'espère que les adaptations en cours, associées à une meilleure information, permettront à ce contrat de produire les effets attendus. Les critiques actuelles résultent principalement de la concomitance entre la hausse des loyers et les aléas initiaux de la mise en œuvre du dispositif.

Mme Florence Goulet (RN). Le programme Scorpion de renouvellement de nos engins blindés et de numérisation du champ de bataille se concrétise dans nos régiments par la livraison de Griffons, Jaguars et Servals en remplacement des AMX-10 RC, ERC-90 Sagaie et véhicules de l’avant blindés (VAB). Pourtant, certains experts s'interrogent déjà sur leur vulnérabilité électromagnétique en raison de leurs nombreux capteurs et de leur mise en réseau qui les rendraient plus facilement détectables. Ils questionnent également leur résistance face à un brouillage massif ainsi que leur adaptation à la menace des drones révélée par le conflit ukrainien.

Malgré la commande de 200 chars Leclerc modernisés, le programme Scorpion est-il déjà inadapté au regard du retour de la menace de haute intensité en centre Europe ?

M. Christophe Blanchet (Dem). J’avais préparé une question, mais je préfère réagir à votre réponse concernant les réserves. Nous partageons le même objectif, mais permettez‑moi de souligner une nuance importante. Concernant les critères de discrimination au travail, leur raison d'être est précisément d'empêcher qu'un salarié se voie refuser une prime, un emploi ou une promotion en fonction de certaines caractéristiques. Parmi ces critères figurent l'origine, le genre, les mœurs, l'orientation sexuelle, la religion, mais également les opinions politiques, les activités syndicales ou le statut de lanceur d'alerte.

Actuellement, des réservistes ne se déclarent pas auprès de leur entreprise par crainte de ne pas obtenir une prime ou une promotion. Pour ceux qui souhaitent se déclarer – car il convient de préserver la liberté de choix de chacun, certains préférant ne pas révéler leur engagement – il existe des jurisprudences attestant de discriminations réelles au travail. Pourquoi ne pas inscrire l'engagement dans une réserve parmi ces critères protégés contre la discrimination ? Parmi les 25 critères existants, celui qui devrait primer sur tous les autres est précisément celui qui concerne l'engagement au service de la patrie.

J'estime que nous devons faire évoluer ce cadre, nous devons franchir un cap décisif pour la réserve. Il est essentiel que ceux qui souhaitent affirmer leur engagement puissent le faire sans crainte, car nous n'avons plus la capacité d'attendre.

M. le général d’armée Pierre Schill. Je partage entièrement votre position sur le fond. L'engagement pour la défense mérite notre plus haute considération, particulièrement lorsqu'il prend la forme d'un engagement dans la réserve. Nous ne pouvons qu'admirer ces réservistes qui mènent plusieurs vies en parallèle : une vie professionnelle, une vie de réserviste, et pour nombre d'entre eux, un engagement associatif.

Nous devons en effet favoriser une culture de valorisation de l'engagement collectif et plus particulièrement de l'engagement dans la réserve, non seulement en théorie mais aussi dans la pratique quotidienne des entreprises. Mon propos visait à souligner, à travers les témoignages de jeunes réservistes, que malgré les dispositions, agréments ou conventions établis au plus haut niveau, la réalité de terrain demeure très individuelle. La situation s'apparente parfois à celle d'une femme enceinte – aucune discrimination ne devrait exister en principe, mais dans certains environnements professionnels, les absences liées à l’engagement dans la réserve sont mal acceptées. Nous devons travailler sur cette dimension culturelle afin que l'engagement dans la réserve puisse être pleinement vécu.

Cette question devient d'autant plus cruciale que l'évolution de notre réserve implique un impératif croissant disponibilité. A ce stade, dans la grande majorité des cas, nous convoquons un réserviste quand il peut se rendre disponible. Mais l'objectif serait de le convoquer quand nous en avons réellement besoin. Si le nombre de jours d'activité annuelle augmente, nous devrons pouvoir les mobiliser selon nos propres impératifs, ce qui imposera mécaniquement davantage de contraintes sur leur environnement professionnel.

Concernant le programme Scorpion, il s'agit incontestablement d'un programme d'avenir. Le terme Scorpion revêt plusieurs dimensions : la réalité du programme lui-même, le concept qu'il incarne, et plus largement la modernisation de l'armée de Terre. Cette modernisation s'articule autour du combat collaboratif, c'est-à-dire l'intégration des systèmes de commandement et la mise en réseau des équipements modernes issus de cette génération Scorpion – Griffon, Serval, Jaguar – ou adaptés à celle-ci, comme le Leclerc rénové.

L'étude ayant conduit à identifier le combat collaboratif comme la clé de voûte capacitaire de la décennie 2020-2030 s’est avérée pertinente. L'essentiel réside dans le système de commandement, la mise en réseau, et la défense collaborative : une agression contre un élément est immédiatement connue de l'ensemble du dispositif qui peut y répondre. De même, l'attaque collaborative permet qu'un observateur détectant une cible puisse la faire traiter de manière quasi automatisée par un autre acteur distant.

Cette conception novatrice a révélé, lors de sa mise en œuvre, des éléments à corriger ou à adapter. Nous avions initialement conçu ces systèmes en présumant notre supériorité dans le spectre électromagnétique, avec des systèmes plutôt rayonnants, émettant en permanence pour maintenir la coordination. Cette approche manque de discrétion et requiert une évolution, mais le système demeure parfaitement adaptable.

Se posent également des questions de masse, de cible et de silhouette. Les véhicules Scorpion n'ont pas été conçus pour percer les lignes ennemies, mais pour renouveler le segment médian de l'armée de Terre, celui des brigades légères blindées. Cette orientation reflète les atouts traditionnels français, en particulier notre impératif de polyvalence. Nous ne nous limitons pas au modèle de combat observé en Ukraine, nous entendons couvrir l'intégralité du spectre des missions possibles, y compris l'entraînement de nos alliés hors d’Europe, la prévention des crises, l’intervention rapide.

Ce qui caractérise l'armée de Terre française, c'est précisément cette position intermédiaire, ce concept de blindé léger. Ces véhicules ne sont pas destinés à être prioritairement embossés ou enterrés en première ligne pour une défense statique, d'autres matériels rempliront cette fonction.

Enfin, leur évolutivité constitue un atout majeur. Concernant la lutte anti-drones, je reste ainsi serein sur le potentiel de nos Scorpion. Avec nos 1500 Griffon et Serval actuels – qui atteindront 3 000 unités à terme – nous disposons d'autant d'armes anti-drones potentielles grâce aux tourelleaux télé-opérés. Nous pouvons y intégrer une couche d'intelligence artificielle, comme nous l'avons fait pour le Proteus, permettant de détecter les drones, calculer le point d'interception en fonction de la vitesse de défilement, le tout avec des mises à feu électriques. J'ai l'absolue conviction que ces systèmes s'adapteront à cette évolution.

Les kits qui viennent en superstructure du Scorpion nous offrent une capacité d'adaptation considérable. Au moment où nous intensifions nos livraisons ‑ 190 Serval l'an prochain, 20 Griffon dotés de mortier embarqué pour l'appui au contact (Mepac), 30 Jaguar et 110 Griffon – je me réjouis de l'arrivée de ces véhicules, tout en veillant, avec l'industriel et la DGA, à réaliser les adaptations nécessaires pour répondre aux défis émergents.

M. Loïc Kervran, président. Nous arrivons au terme de cette importante audition préparatoire à notre avis et à nous discussions budgétaires sur le projet de loi de finances pour 2026. Je vous remercie particulièrement, sachant que vous êtes revenu ce matin d'une mission importante au Rwanda.

 

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La séance est levée à dix heures cinquante-deux.

 

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - M. Christophe Blanchet, M. Frédéric Boccaletti, M. Yannick Chenevard, Mme Caroline Colombier, Mme Sophie Errante, M. Frank Giletti, Mme Florence Goulet, M. Daniel Grenon, M. David Habib, Mme Catherine Hervieu, M. Laurent Jacobelli, M. Loïc Kervran, M. Bastien Lachaud, M. Abdelkader Lahmar, Mme Nadine Lechon, M. Julien Limongi, Mme Michèle Martinez, M. Thibaut Monnier, Mme Anna Pic, Mme Isabelle Santiago, M. Jean-Louis Thiériot, M. Romain Tonussi, Mme Corinne Vignon

 

Excusés. - Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Christophe Bex, M. Manuel Bompard, M. Hubert Brigand, M. Bernard Chaix, Mme Cyrielle Chatelain, M. Yannick Favennec‑Bécot, M. Moerani Frébault, M. Thomas Gassilloud, Mme Emmanuelle Hoffman, Mme Alexandra Martin, Mme Marie Récalde, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Catherine Rimbert, Mme Marie-Pierre Rixain, M. Aurélien Rousseau, M. Sébastien Saint-Pasteur, M. Mikaele Seo, M. Boris Vallaud, M. Éric Woerth