ASSEMBLÉE NATIONALE
17 février 2025
(18 heures 30)
MOTION DE CENSURE
présentée par M. Boris VALLAUD et 65 de ses collègues
(déposée en application de l’article 49, alinéa 2, de la Constitution)
Le 4 décembre dernier, nous, députées et députés signataires de la présente motion, votions une motion de censure contre le gouvernement de Michel Barnier sanctionnant ainsi, non seulement un mauvais budget, mais aussi le dialogue exclusif que le Premier ministre avait engagé avec l’extrême droite pour se maintenir au pouvoir.
Nous rappelions alors, à l’appui de notre décision, le seul engagement auquel une assemblée majoritairement élue le 7 juillet dernier dans l’élan du front républicain était tenue : ne rien concéder à l’extrême droite, ennemi mortel de la République dans l’histoire et qui ne cesse jamais, aujourd’hui encore, de la menacer.
Dans le même temps, et en cohérence, nous revendiquions la recherche de compromis sur les textes budgétaires, cette démarche étant la seule permettant à un gouvernement républicain de ne pas dépendre des maîtres chanteurs du Rassemblement national.
Force est néanmoins de constater l’absence de culture de compromis du gouvernement de François Bayrou, qui n’a que trop partiellement accepté de faire des concessions sur des orientations budgétaires pourtant sanctionnées à plusieurs reprises dans les urnes. S’il fallait un budget pour le pays, ce budget ne répond pas aux attentes des Françaises et des Français, sur la question du pouvoir d’achat notamment, et il n’est pas celui des députées et députés signataires de la présente motion.
Notre conviction est inébranlable : on ne saurait accepter que l’extrême droite inspire les lois ou pire encore les dicte. Tout plutôt que la corruption de nos principes communs.
Depuis plusieurs semaines pourtant, le gouvernement par la voix de plusieurs de ses ministres a cédé aux passions tristes de l’extrême droite, offrant des victoires culturelles inédites au Rassemblement national qu’il est censé combattre, et sape les fondements de notre pacte social depuis 1945.
Le monde est au bord du chaos et les démocraties manquent de démocrates, comme l’a montré encore récemment l’intervention du vice-président des États-Unis à la Conférence de Munich sur la sécurité. En Europe comme en France, l’extrême droite a désormais l’organisation politique et la force sociale pour emporter le pouvoir. Tout républicain authentique doit combattre ses idées et ses mensonges pied à pied et ne rien laisser passer.
On attend du gouvernement qu’il résiste à la pente fatale, au lieu de quoi il s’y précipite.
C’est ainsi qu’en matière d’État de droit, le ministre de l’Intérieur a estimé qu’il n’est “ni intangible ni sacré” et a récemment mis en cause le travail de la Justice qui ne faisait qu’appliquer une loi pourtant votée quelques mois auparavant par Bruno Retailleau lui-même.
C’est ainsi qu’en matière de protection de la jeunesse, les députés du “socle commun” ont choisi de tourner le dos à l’esprit de l’ordonnance de 1945 avec la proposition de loi relative à la justice des mineurs, qui rompt l’indispensable équilibre entre éducation, prévention et répression.
C’est ainsi qu’en matière de droits humains et environnementaux, le gouvernement français participe au niveau européen à la remise en cause du Pacte Vert, et notamment les directives européennes sur la durabilité, la taxonomie financière et le devoir de vigilance pour lesquelles notre pays a été pionnier.
Au niveau français, c’est un décret qui mettrait fin à l’autonomie des agences sanitaires dans l’exercice de leurs missions et par la même c’est l’indépendance de la science qui serait remise en jeu. C’est la majorité sénatoriale de droite qui propose la dépénalisation des atteintes à la biodiversité. Ce sont les agences environnementales qui ont fait l’objet d’une offensive contre leurs moyens humains et financiers et plus généralement leur légitimité. C’est plus globalement l’impératif d’amorcer la bifurcation écologique de notre pays qui est nié.
C’est ainsi qu’en matière d’immigration et d’intégration, nous assistons à une forme de surenchère dans la stigmatisation des personnes d’origine étrangère et de discours univoque et caricatural. Le Premier ministre a repris les mots funestes de Jean-Marie Le Pen - condamné pour rappel à de multiples reprises pour incitation à la haine - en parlant de “submersion migratoire” et en déclarant que “l’immigration était une impasse”; le ministre de l’Intérieur a durci les orientations pour l'admission exceptionnelle au séjour (AES) qui concerne les étrangers en situation irrégulière ; le ministre de la Justice a appelé à une remise en cause du droit du sol à l’échelle de tout le territoire national ; les députés du “socle commun” ont voté une proposition de loi visant à durcir les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte et ont défendu une proposition de loi visant à abroger le titre de séjour pour étranger malade ; ou encore les sénateurs du “socle commun” qui portent avec le soutien du gouvernement une proposition de loi visant à interdire un mariage en France lorsque l'un des futurs époux réside de façon irrégulière sur le territoire, une autre créant de nouvelles conditions de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales, une dernière facilitant le maintien en centre de rétention administrative.
C’est ainsi qu’en matière de liberté de la presse, d’audiovisuel et de réseaux sociaux, le gouvernement fait preuve d’une passivité coupable face à l’accaparement sans foi ni loi de médias et de réseaux sociaux et à leur usage comme outils d’affaiblissement de nos valeurs et de notre modèle démocratique. Son projet de réforme de l’audiovisuel public menace également l’indépendance des rédactions.
Pour les députées et députés signataires de la présente motion, notre pays, par son histoire et ses principes républicains, doit au contraire être à la tête de la lutte contre ce qui fragilise le droit international, l’État de droit, les droits des personnes et environnementaux et les droits fondamentaux des personnes migrantes.
Les élues et élus de la République ont un devoir d’exemplarité dans la quête de la vérité car la confiance et la crédibilité que les citoyennes et les citoyens leur accordent en dépendent. Sur ce dernier point et s’agissant des révélations relatives aux viols et violences sexuelles commises au sein de l’établissement scolaire privé Notre-Dame-de-Bétharram, le Premier ministre ne peut se soustraire aux interrogations légitimes des victimes et de leurs proches, de la représentation nationale et de la presse.
La France, République indivisible, laïque, démocratique et sociale, doit résolument se placer au côté des plus fragiles, de celles et ceux qui luttent contre la double tyrannie de l’opinion et du marché, de celles et ceux qui se battent pour l’égalité entre les femmes et les hommes et contre toutes les discriminations, de celles et ceux qui défendent le principe d’une science indépendante, au nom de notre santé et des biens communs écologiques, de celles et ceux qui œuvrent pour une meilleure justice fiscale et un travail digne et justement rémunéré, de celles et ceux qui portent une ambition pour un service public fort, de celles et ceux enfin qui agissent pour l’égalité réelle, dans l’hexagone comme dans les Outre-mer.
Face aux attaques contre notre modèle démocratique, à la remise en cause de notre contrat social, à la dérégulation économique, au saccage de notre planète et au mensonge érigé comme fait alternatif, promus dans notre pays par le Rassemblement national, le gouvernement de la France doit s’ériger comme un rempart. Celui de François Bayrou n’en est pas un. Pire, dans la continuité des gouvernements précédents depuis 2017, il est l’accélérateur de nombreux affaissements politiques et moraux.
C’est pourquoi les députées et députés signataires de cette motion appellent à la censure du gouvernement de François Bayrou, conformément à l’article 49 alinéa 2 de la Constitution et aux articles 153 et suivants du règlement de l’Assemblée nationale.
Les signataires :
M. Boris Vallaud, Mme Marie-José Allemand, M. Joël Aviragnet, M. Christian Baptiste, M. Fabrice Barusseau, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Laurent Baumel, Mme Béatrice Bellay, M. Karim Benbrahim, M. Mickaël Bouloux, M. Philippe Brun, M. Elie Califer, Mme Colette Capdevielle, M. Paul Christophle, M. Pierrick Courbon, M. Alain David, M. Arthur Delaporte, M. Stéphane Delautrette, Mme Dieynaba Diop, Mme Fanny Dombre Coste, M. Peio Dufau, M. Inaki Echaniz, M. Romain Eskenazi, M. Olivier Faure, M. Denis Fégné, M. Guillaume Garot, Mme Océane Godard, M. Julien Gokel, Mme Pascale Got, M. Emmanuel Grégoire, M. Jérôme Guedj, M. Stéphane Hablot, Mme Ayda Hadizadeh, Mme Florence Herouin-Léautey, Mme Céline Hervieu, M. François Hollande, Mme Chantal Jourdan, Mme Marietta Karamanli, Mme Fatiha Keloua Hachi, M. Gérard Leseul, M. Laurent Lhardit, Mme Estelle Mercier, M. Philippe Naillet, M. Jacques Oberti, Mme Sophie Pantel, M. Marc Pena, Mme Anna Pic, Mme Christine Pirès Beaune, M. Dominique Potier, M. Pierre Pribetich, M. Christophe Proença, Mme Marie Récalde, Mme Valérie Rossi, Mme Claudia Rouaux, M. Aurélien Rousseau, M. Fabrice Roussel, Mme Sandrine Runel, M. Sébastien Saint-Pasteur, Mme Isabelle Santiago, M. Hervé Saulignac, M. Arnaud Simion, M. Thierry Sother, Mme Céline Thiébault-Martinez, Mme Mélanie Thomin, M. Roger Vicot, M. Jiovanny William.