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N° 779
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 mars 2018.
PROPOSITION DE LOI
visant à renforcer les droits des consommateurs
en matière de démarchage téléphonique,
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Pierre CORDIER, Véronique LOUWAGIE, Xavier BRETON, Damien ABAD, Emmanuelle ANTHOINE, Thibault BAZIN, Valérie BAZIN‑MALGRAS, Valérie BEAUVAIS, Jean‑Yves BONY, Ian BOUCARD, Jean‑Claude BOUCHET, Fabrice BRUN, Jacques CATTIN, Gérard CHERPION, Paul CHRISTOPHE, Dino CINIERI, Marie‑Christine DALLOZ, Olivier DASSAULT, Rémi DELATTE, Vincent DESCOEUR, Éric DIARD, Julien DIVE, Virginie DUBY‑MULLER, Pierre‑Henri DUMONT, Daniel FASQUELLE, Jean‑Jacques FERRARA, Laurent FURST, Claude de GANAY, Jean‑Jacques GAULTIER, Annie GENEVARD, Claude GOASGUEN, Michel HERBILLON, Patrick HETZEL, Brigitte KUSTER, Marc LE FUR, Sébastien LECLERC, David LORION, Gilles LURTON, Franck MARLIN, Jean‑Louis MASSON, Gérard MENUEL, Frédérique MEUNIER, Maxime MINOT, Bernard PERRUT, Bérengère POLETTI, Didier QUENTIN, Jean‑Luc REITZER, Bernard REYNÈS, Jean‑Marie SERMIER, Éric STRAUMANN, Michèle TABAROT, Jean‑Charles TAUGOURDEAU, Laurence TRASTOUR‑ISNART, Isabelle VALENTIN, Patrice VERCHÈRE, Arnaud VIALA, Michel VIALAY, Jean‑Pierre VIGIER, Stéphane VIRY, Martial SADDIER, Raphaël SCHELLENBERGER, Émilie BONNIVARD, Laurent GARCIA,
députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La législation et la réglementation actuelles prévoient que le consommateur peut, s’il en fait expressément la demande en adhérant gratuitement au dispositif Bloctel, s’opposer à ce que ses données personnelles soient utilisées dans des opérations de prospection directe, c’est à‑dire en matière de démarchage téléphonique ou de télémarketing.
La loi n° 78‑17 du 6 janvier 1978, relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, prévoit ainsi, à l’article 38, que « toute personne [...] a le droit de s’opposer, sans frais, à ce que les données la concernant soient utilisées à des fins de prospection, notamment commerciale, par le responsable actuel du traitement ou celui d’un traitement ultérieur ». Ce droit figure également dans le code des postes et des communications électroniques qui dispose, à l’article R. 10, que « toute personne [...] peut obtenir gratuitement de l’opérateur auprès duquel elle est abonnée ou au distributeur de ce service [...] que les données à caractère personnel la concernant issues des listes d’abonnés ou d’utilisateurs ne soient pas utilisées dans des opérations de prospection directe, soit par voie postale, soit par voie de communications électroniques [...] ».
Le dispositif Bloctel mis en place en juin 2016 suite à l’adoption de l’article 9 de la loi n° 2014‑344 du 17 mars 2014 relative à la consommation (article L. 223‑1 du code de la consommation), apparaît cependant nettement insuffisant. Le décret n° 2015‑556 du 19 mai 2015 relatif à la liste d’opposition au démarchage téléphonique n’a pas été plus efficace que l’article L. 121‑34 du code de la consommation qui précisait le régime d’opposition au démarchage téléphonique et qui a été abrogé par l’ordonnance n° 2016‑301 du 14 mars 2016 (article 34–V).
Ceci explique sûrement que, selon une enquête réalisée par UFC‑Que Choisir, 9 Français sur 10 se disent excédés par le démarchage téléphonique, qu’ils estiment en recrudescence avec des appels à répétition, y compris le soir et le week‑end ,pour des motifs les plus divers, avec des procédés commerciaux abusifs : « Nous vous délivrons un certificat de conformité énergétique… » « Nous sommes agréés par l’administration… » « Une aide fiscale vous est offerte… » « Acceptez‑vous de répondre à un sondage officiel… » et, surtout : « Vous n’aurez rien à payer… », sésame d’autant plus insidieux qu’il s’avère, au final, masquer une démarche commerciale.
Si de telles techniques sont parfois très encadrées, notamment en matière d’appel à l’épargne, de proposition de prêts ou de droit bancaire (articles L. 341‑1 et suivants du code monétaire et financier), leur prohibition s’avère plus rare. Il convient de rappeler, par exemple que la communication des listes électorales ne peut se faire pour un usage purement commercial (code électoral, article L. 28, et R. 16, Conseil d’État, 2 décembre 2017). Reste, dans le droit commun, à assurer le consentement des personnes démarchées. Ainsi, même si depuis son lancement, près de 3,5 millions de personnes ont déjà utilisé cette procédure « bloctel » gratuite, ce qui représente un total de 7,4 millions de numéros de téléphone retirés des fichiers de prospection commerciale des professionnels, près de la moitié des personnes inscrites à cette liste d’opposition, censée freiner le harcèlement téléphonique, s’agacent de recevoir toujours autant d’appels de démarchage commercial.
La prospection téléphonique est le seul système de démarchage où le consentement par défaut du consommateur est admis. Pour les mails et les SMS, c’est le système de « l’opt in » qui est retenu, où le consommateur doit expressément accepter de recevoir des sollicitations. En Allemagne, le démarchage non sollicité est totalement interdit, les contrevenants risquent 300 000 euros d’amende.
Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs insisté sur le fait que la consultation généralisée de données pouvait être attentatoire au respect de la vie privée, dans sa décision relative au fichier positif des crédits à la consommation : « eu égard à la nature des données enregistrées, à l’ampleur du traitement, à la fréquence de son utilisation, au grand nombre de personnes susceptibles d’y avoir accès et à l’insuffisance des garanties relatives à l’accès au registre, les dispositions contestées portent au droit au respect de la vie privée une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi ». Même si le démarchage téléphonique ne présente pas le même degré d’atteinte à la vie privée, il n’en comporte pas moins de tels risques et présente, au plan général, un aspect intrusif.
Il est par conséquent nécessaire de renforcer sans plus attendre les droits des consommateurs, qui devraient pouvoir ne plus être importunés chez eux, contre leur gré, et ne plus être assaillis d’offres et d’informations commerciales diverses qu’ils n’ont pas sollicitées.
C’est pourquoi l’article premier de la présente proposition dispose que les consommateurs doivent donner expressément leur accord pour que leurs données personnelles puissent être utilisées à des fins commerciales avant toute prospection ou démarchage et qu’à défaut d’accord, les données personnelles des consommateurs sont réputées confidentielles, et ne puissent en aucun cas être utilisées à des fins commerciales.
L’article 2 précise le contenu de l’appel. À l’heure actuelle le dispositif prévoit : « Sans préjudice des dispositions de l’article L. 221‑12, le professionnel qui contacte un consommateur par téléphone en vue de conclure un contrat portant sur la vente d’un bien ou sur la fourniture d’un service indique au début de la conversation son identité, le cas échéant l’identité de la personne pour le compte de laquelle il effectue cet appel et la nature commerciale de celui‑ci. ». Ce dispositif mérite que la qualité de salarié du démarcheur soit également indiquée dans l’appel : dans la plupart des cas le nom de la société pour laquelle le démarchage est effectué n’est pas indiqué lors de l’appel.
L’article 3 vise à mettre en place un indicatif unique pour le démarchage téléphonique. Il complète à cette fin l’arrêté prévu par l’article L. 221‑17 du code de la consommation : « Un arrêté conjoint des ministres chargés de la consommation et de l’économie numérique, pris après avis de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, définit les tranches de numéro qui ne peuvent être utilisées comme identifiant d’appel par un professionnel qui joint un consommateur, en tenant compte du plafond de tarification et du format de ces numéros. » La mise ne place d’un indicatif unique ne relève en effet pas du domaine de la loi, mais doit trouver sa place dans le champ de cet arrêté.
L’article 4 prévoit un accord exprès des personnes qui signent un contrat, notamment avec un opérateur de téléphonie, pour le démarchage, alors qu’aujourd’hui c’est seulement une information par l’article L. 223‑2 du code de la consommation : « Lorsqu’un professionnel est amené à recueillir auprès d’un consommateur des données téléphoniques, il l’informe de son droit à s’inscrire sur la liste d’opposition au démarchage téléphonique. Lorsque ce recueil d’information se fait à l’occasion de la conclusion d’un contrat, le contrat mentionne, de manière claire et compréhensible, l’existence de ce droit pour le consommateur ». Il convient de passer de ce système d’information à un « droit d’opposition » à un accord exprès du consommateur lorsqu’il signe son contrat, ce qui complète, en matière de contrat de téléphonie, le principe général de l’article premier.
L’article 5 actualise les sanctions applicables en cas d’utilisation frauduleuse des données personnelles.
Tel est l’objet de la présente proposition de loi que nous vous demandons de bien vouloir adopter.
proposition de loi
Après l’article 38 de la loi n° 78‑17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, il est inséré un article 38‑1 ainsi rédigé :
« Art. 38‑1. – Les données à caractère personnel issues des listes d’abonnés ou d’utilisateurs de communications électroniques ou téléphoniques ne peuvent être utilisées dans des opérations de prospection commerciale directe sans l’accord préalable explicite de la personne physique auxquelles ces données à caractère personnel se rapportent. Cet accord peut être dénoncé par l’abonné à tout moment. L’opérateur est tenu d’informer clairement l’abonné de cette faculté de résiliation.
« Cet accord doit être soit expressément adressé à l’opérateur de communications visées à l’alinéa précédent pour tous les abonnements contractés antérieurement ou postérieurement à la loi n° du visant à renforcer les droits du consommateur en matière de démarchage téléphonique, soit recueilli expressément par la personne qui effectue le démarchage, sous forme écrite s’il se traduit par une vente ou une prestation de service payante.
« Les dispositions des précédents alinéas ne s’appliquent pas lorsque le traitement répond à une obligation légale ou de sécurité publique ».
Après le mot : « indique », la fin du premier alinéa de l’article L. 221‑16 du code de la consommation est ainsi rédigée :
« de manière explicite au début de la conversation son identité, le nom de la personne morale qui l’emploie, celle de la personne pour le compte de laquelle il effectue cet appel si elle est distincte de l’employeur et la nature commerciale de l’appel. »
Le même article est complété par la phrase suivante : « Cet arrêté détermine un indicatif unique ».
Le deuxième alinéa de l’article L. 223‑2 du même code est ainsi rédigé :
« Lorsque ce recueil d’information se fait à l’occasion de la conclusion d’un contrat, le contrat recueille l’accord exprès du consommateur pour être démarché. À défaut d’un tel accord, le numéro ne peut être communiqué pour un usage commercial de démarchage téléphonique ».
L’article 226‑18‑1 du code pénal est ainsi rédigé :
« Art. 226‑18‑1. ‑ Le fait de procéder à un traitement de données à caractère personnel concernant une personne physique sans que cette dernière n’ait donné son accord préalable et écrit pour que ses données soient utilisées, lorsque ce traitement répond à des fins de prospection commerciale, est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende. »