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N° 807

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 mars 2018.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

visant à renforcer la protection du territoire national, des espaces maritimes français et l’appartenance
des Outre‑mer à la République,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution dune commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Mansour KAMARDINE, Philippe FOLLIOT, Laurent FURST, Didier QUENTIN, JeanMarie SERMIER, Alain RAMADIER, Thibault BAZIN, Patrick HETZEL, JeanMarie FIÉVET, Michel VIALAY, Patrice VERCHÈRE, David LORION, Bernard PERRUT, Arnaud VIALA, Fabrice BRUN, Emmanuelle ANTHOINE, Patrick VIGNAL, Véronique LOUWAGIE, Guy BRICOUT, Nicole SANQUER, JeanLuc REITZER, Claude de GANAY, JeanCarles GRELIER, Christophe NAEGELEN, JeanCharles TAUGOURDEAU, Pierre MORELÀLHUISSIER, François CORNUTGENTILLE, Valérie LACROUTE, Philippe DUNOYER, Philippe GOMÈS, Virginie DUBYMULLER, Valérie BEAUVAIS, JeanChristophe LAGARDE, Daniel FASQUELLE, Philippe MICHELKLEISBAUER,

députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le territoire national et nos espaces maritimes sont des éléments indissociables de la souveraineté de l’État et de la puissance et du rayonnement de la France.

Il importe donc que la Constitution leur confère une protection particulière, notamment contre les visées séparatistes ou les revendications étrangères, auxquels des gouvernants peuvent parfois céder, jusqu’à les reprendre à leur compte : tel est ainsi le cas à propos des îles dites « éparses » de l’Océan Indien, dont la cession aux États voisins ‑ qui y trouvent un moyen facile d’exister sur la scène internationale en se posant comme victimes de la colonisation par le maintien prétendument « colonial » de la présence française sur des territoires qui ne leur ont pourtant jamais appartenu ‑ fut un temps envisagée, dans les années 80, et pour lesquelles des projets de « cogestion » négateurs de notre souveraineté ont même été signés (dans le cas de l’île de Tromelin).

Notre territoire est un bien inaliénable, qui ne saurait, ni être cédé dans un geste de démagogie internationaliste ou de pseudo‑repentance, ni être vendu.

Or, force est de constater que l’état du droit positif n’est pas satisfaisant : une trop grande latitude y est laissée en la matière au législateur ordinaire, dans le cadre d’une jurisprudence parfois fluctuante du Conseil constitutionnel.

Il est particulièrement anormal que le droit de nos compatriotes d’Outre‑mer à la libre détermination ‑ qui comprend d’abord le droit de rester eux‑mêmes, c’est‑à‑dire de demeurer Français ‑ ne soit pas suffisamment encadré pour pouvoir s’exercer dans des conditions indispensables de sécurité et de sérénité, notamment à l’occasion d’un scrutin d’autodétermination : or, comme le précédent de Mayotte l’a amplement montré, le droit de nos compatriotes à demeurer Français, s’ils en expriment la volonté, n’est pas suffisamment protégé contre d’éventuelles manœuvres liées à un contexte diplomatique hostile.

Il importe donc de consacrer au niveau constitutionnel ‑ dans le cadre d’un nouvel article 2‑1, inséré dans le titre Ier (« De la souveraineté ») de la Constitution ‑ les principes suivants :

1. La Constitution doit désormais comporter la dénomination et la définition précise de l’ensemble des composantes du territoire national : ainsi, les territoires ultra‑marins de la République doivent‑ils être nominativement désignés dans la Constitution, de manière plus précise encore qu’ils ne le sont actuellement à l’article 72‑3, à propos duquel le Conseil constitutionnel a d’ailleurs jugé ‑ et ce, à l’encontre de la volonté du Constituant clairement exprimée lors des travaux préparatoires de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 ‑ que seule cette mention dans la Constitution n’a pas pour effet d’imposer une révision constitutionnelle préalable à leur éventuelle accession à l’indépendance.

2. Toute modification substantielle de la composition du territoire national résultant d’une cession de territoire à un État étranger, ou de l’accession d’une partie de celui‑ci à l’indépendance, devra être précédée d’une révision de la Constitution, le cas échéant accompagnée d’un référendum local permettant à la population intéressée de donner son consentement (dans le cas où le territoire dont il s’agit est effectivement peuplé). Ce référendum local sera organisé dans les conditions prévues par une loi organique. La mention des « électeurs intéressés » renvoie naturellement aux électeurs inscrits sur la liste électorale de droit commun, sans qu’il soit possible en cette occasion de restreindre le droit de participer au scrutin en fonction d’une durée de résidence ad hoc.

Par ailleurs, la mention expresse dans la Constitution des territoires ultra‑marins inhabités (Clipperton ou les Terres australes et antarctiques françaises), ou dont la population n’est pas permanente ‑ et qui sont donc soustraits au principe de libre détermination ‑ empêchera que leur cession à un État étranger ne soit subrepticement décidée par voie diplomatique, et en vertu de l’autorisation donnée par une simple loi ordinaire, c’est‑à‑dire par une simple décision de l’Assemblée nationale statuant en dernière lecture, sans l’accord du Sénat, et même en extrême fin de législature : ainsi, comme il convient pour une décision d’une telle importance, seule une révision préalable de la Constitution permettra d’aliéner une partie du territoire national et de céder ainsi à la revendication d’un État étranger. On peut penser qu’une telle occurrence ne surviendra que très exceptionnellement.

Cette procédure, particulièrement solennelle, ne sera toutefois pas applicable dans le cas de simple modification ponctuelle des frontières nationales par voie de traité bilatéral avec un État voisin, n’entraînant pas de transfert de population, comme il peut en être décidé entre États frontaliers, dans un but d’intérêt commun, et dans le cadre d’un échange de territoires de faible superficie : un tel traité pourra ainsi n’être ratifié qu’en vertu de l’autorisation donnée par le législateur organique (ce qui conduira en tout état de cause le Conseil constitutionnel, qui en sera saisi de plein droit, à s’assurer du respect de l’application des dispositions constitutionnelles afférentes).

Ces nouvelles dispositions, loin de remettre en cause le principe de la libre détermination des populations intéressées par une modification du territoire national, en garantissent au contraire pleinement l’exercice, dans des conditions autrement plus satisfaisantes que celles résultant de la jurisprudence du Conseil constitutionnel fondée sur les dispositions du troisième alinéa de l’article 53 de la Constitution (qui pourra ainsi être abrogé), laquelle jurisprudence présente d’ailleurs l’inconvénient d’être évolutive, fluctuante et imprévisible puisque, entre 1975 et 2007, le juge constitutionnel a rendu pas moins de cinq décisions sur la question (respectivement en 1975, 1987, 1991, 2000 et 2007), dont aucune n’est identique aux précédentes.

Dans l’hypothèse d’une adjonction de territoire – qui, pour être actuellement hypothétique à grande échelle, n’en est pas moins théoriquement possible (puisque l’article 53, alinéa 3 de la Constitution l’envisage expressément) ([1]), le traité y afférent ne pourra être ratifié qu’en vertu d’une loi organique et sous réserve de l’approbation de la population intéressée (s’il en est) : là encore, le contrôle de plein droit par le Conseil constitutionnel de la loi autorisant la ratification, résultant de son caractère organique, permettra que soit respecté le principe de libre détermination des éventuelles populations intéressées. Une adjonction de territoire qui ne résulterait pas d’un traité ‑ encore plus hypothétique (elle pourrait cependant résulter de phénomènes géologiques), en tout état de cause ‑ pourra en revanche être décidée par la loi ordinaire.

Les modifications qui précèdent n’ont, évidemment, aucune espèce d’incidence sur le processus particulier d’autodétermination de la Nouvelle‑Calédonie, qui demeure pleinement et uniquement régi par les dispositions du titre XIII de la Constitution et par l’Accord de Nouméa du 6 mai 1998 auquel elles se réfèrent, lesquelles ne sont donc en aucun cas remises en cause par les nouvelles dispositions de l’article 2‑3 : ce point est très explicitement précisé, s’il en était besoin.

3. Par ailleurs, il importe d’accorder une protection particulière, au niveau constitutionnel, aux espaces maritimes relevant de la souveraineté ou de la juridiction de la République française qui constituent une richesse pour la Nation : ils devront donc, désormais, être définis par une loi organique, tandis que leur régime relèvera logiquement de la loi ordinaire.

De même, les engagements internationaux portant délimitation de ces espaces ou qui viennent y limiter les droits souverains de la France ne pourront être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi organique, ce qui conduira le Conseil constitutionnel à s’assurer que les conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale ne sont pas affectées. Là encore, le recours à la loi organique évitera que la souveraineté française sur ses espaces maritimes soit compromise par des arrangements diplomatiques contraires à nos intérêts et uniquement destinés à satisfaire, de manière démagogique, aux revendications récurrentes d’États voisins.

Eu égard au régime particulier de la Terre Adélie, qui est soumis aux engagements internationaux portant statut de l’Antarctique (Traité sur l’Antarctique, signé le 1er décembre 1959 à Washington, D.C. – Protocole au Traité sur l’Antarctique relatif à la protection de l’environnement en Antarctique ou Protocole de Madrid qui a été signé à Madrid le 4 octobre 1991), lesquels y limitent notamment la souveraineté des États dits « possessionnés » ‑ comme c’est justement le cas de la France pour la Terre Adélie ‑ il est prévu que les engagements internationaux ayant une incidence sur le statut de ce territoire ne pourront être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi organique.

Enfin, pour éviter la conclusion par la France d’engagements internationaux tels que l’accord franco‑mauricien sur la cogestion de l’île de Tromelin du 7 juin 2010 ‑ dont le projet de loi relatif à son approbation a fort heureusement déjà été retiré à deux reprises de l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ‑ il est désormais prévu qu’aucun engagement international ne peut accorder à un État ou à une organisation internationale des droits de cogestion sur l’un quelconque des territoires mentionnés dans le nouvel article 2‑1 de la Constitution.

Par ailleurs, il convient d’envisager de compléter l’article 52 de la Constitution afin que la loi organique puisse déterminer les conditions dans lesquelles l’engagement de négociations en vue de la conclusion des accords et traités prévus au nouvel l’article 2‑1 pourra être soumis à l’information ou à l’autorisation préalable, selon le cas, de l’Assemblée nationale et du Sénat ou de leurs commissions permanentes compétentes, le Gouvernement pouvant toujours demander à l’Assemblée nationale de décider en dernier ressort. 

En outre, il convient de préciser, dans l’article 4 de la Constitution, que les partis et groupements politiques doivent respecter, non seulement la souveraineté nationale et la démocratie », mais aussi « l’intégrité du territoire national. »

Enfin, en conséquence de l’adoption de l’article 2‑1, il convient d’abroger le troisième alinéa de l’article 53.

 

 

 


PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article 1er

Après l’article 2 de la Constitution, il est inséré un article 2‑1 ainsi rédigé :

« Art. 21. – Le territoire de la France comprend :

« – son territoire continental européen, ainsi que les îles et îlots qui en dépendent ;

« – la Corse, et les îlots qui en dépendent ;

« – la Guyane, ainsi que les îles et îlots qui en dépendent ;

« – la Guadeloupe : Basse‑Terre, Grande‑Terre, Marie‑Galante, La Désirade, les Saintes, et les autres îles et îlots qui en dépendent ;

« – la Martinique, et les îlets qui en dépendent ;

« – Mayotte ; la Grande‑Terre, l’île de Pamandzi et les îlots dans le récif les entourant ;

« – la Nouvelle‑Calédonie : la Grande‑Terre, l’île des Pins, l’archipel des Bélep, Huon et Surprise, les îles Chesterfield et les récifs Bellone, les îles Loyauté (Maré, Lifou, Tiga, Beautemps‑Beaupré et Ouvéa), l’île Walpole, les îles de l’Astrolabe, les îles Matthew et Fearn ou Hunter, ainsi que les îlots proches du littoral ;

« – la Polynésie française : les îles du Vent, les îles Sous‑le‑Vent, les îles Tuamotu, les îles Gambier, les îles Marquises et les îles Australes ;

« – l’île de Saint‑Barthélemy, et les îlots qui en dépendent ;

« – la partie française de l’île de Saint‑Martin, et les îlots qui en dépendent ;

« – l’archipel de Saint‑Pierre et Miquelon : Saint‑Pierre, Miquelon, l’île aux Marins, l’île aux Pêcheurs, le Grand‑Colombier, et les autres îlots qui en dépendent ;

« – les îles de Wallis, Futuna et Alofi, et les îlots qui en dépendent ;

« – les îles Amsterdam, Crozet, Saint‑Paul, et l’archipel des Kerguelen ;

« – les îles Europa, Glorieuses, Juan de Nova et Tromelin, et l’atoll de Bassas da India ;

« – l’île de Clipperton ;

« – la Terre Adélie.

« Les frontières du territoire national sont celles établies à la date de l’entrée en vigueur du présent article.

« Les traités qui emportent des modifications limitées du territoire national, résultant de la rectification des frontières ou de la cession ou de l’échange de territoires frontaliers inhabités, ne peuvent être ratifiés qu’en vertu d’une loi organique.

« Les traités comportant adjonction de territoires ne peuvent être ratifiés qu’en vertu d’une loi organique et sous réserve, le cas échéant, de l’approbation des populations intéressées. Les autres adjonctions de territoire sont décidées par la loi.

« L’accession à l’indépendance ou la cession à un État étranger de tout ou partie de l’un des territoires mentionnés au présent article ne peut intervenir sans le consentement des électeurs intéressés, recueilli lors d’un référendum local organisé dans les conditions prévues par une loi organique, et sans une révision préalable de la Constitution approuvée par la voie du référendum.

« Les espaces maritimes relevant de la souveraineté ou de la juridiction de la République française sont définis par une loi organique ; leur régime est déterminé par la loi. Les engagements internationaux portant délimitation de ces espaces ou y qui limitent les droits souverains de la France ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi organique.

« Les engagements internationaux ayant des incidences sur le statut de la Terre Adélie ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi organique.

« Aucun engagement international ne peut accorder à un État ou à une organisation internationale des droits de cogestion sur l’un des territoires mentionnés au présent article.

« Les dispositions du présent article sont sans incidence sur l’application de celles du titre XIII et de l’accord mentionné à l’article 76.

« Toute forme de propagande en vue de porter atteinte à l’intégrité du territoire français est punie par la loi. »

Article 2

La deuxième phrase du premier alinéa de l’article 4 de la Constitution est complétée par les mots : « ainsi que l’intégrité du territoire national ».

Article 3

L’article 52 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Une loi organique détermine les conditions dans lesquelles l’engagement de négociations en vue de la conclusion des accords et traités mentionnés à l’article 2‑1 peut être soumise à l’information ou à l’autorisation préalable, selon le cas, de l’Assemblée nationale et du Sénat ou de leurs commissions permanentes compétentes. Le Gouvernement peut demander à l’Assemblée nationale de décider en dernier ressort. »

Article 4

Le troisième alinéa de l’article 53 de la Constitution est supprimé.


([1])  Une adjonction de territoire peut ainsi résulter de la reconnaissance de la souveraineté française sur un territoire où elle est actuellement contestée par un autre État, qui abandonnerait ses prétentions (tel pourrait être le cas, notamment pour certains îlots proches de Saint‑Pierre et Miquelon, si le Canada venait à renoncer à les considérer comme siens).