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N° 1334

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 octobre 2018.

PROPOSITION DE LOI

visant à prévenir les risques de mutilations sexuelles féminines et à responsabiliser les parents,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Valérie BOYER, Rémi DELATTE, Damien ABAD, Jacques CATTIN, Philippe GOSSELIN, Michel VIALAY, JeanPierre DOOR, Guy TEISSIER, Véronique LOUWAGIE, Geneviève LEVY, Emmanuelle ANTHOINE, Éric STRAUMANN, Bernard DEFLESSELLES, Frédérique MEUNIER, Fabrice BRUN, Patrice VERCHÈRE, Frédéric REISS, JeanJacques FERRARA, Éric PAUGET, Annie GENEVARD, Raphaël SCHELLENBERGER, Nathalie BASSIRE, Martial SADDIER, Valérie BEAUVAIS, Virginie DUBYMULLER, Sophie AUCONIE, Bernard PERRUT, Julien AUBERT, Nicole SANQUER, JeanLouis THIÉRIOT, Bernard BROCHAND, JeanLuc REITZER, Guy BRICOUT, Meyer HABIB,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’Assemblée générale de l’ONU a adopté le lundi 26 novembre 2012 sa première résolution dénonçant les mutilations génitales féminines.

Ces pratiques, dont l’excision, bien qu’illégales dans une vingtaine de pays africains, en Europe ainsi qu’aux États‑Unis et au Canada notamment, n’avaient encore jamais fait l’objet d’une condamnation à un tel niveau dans les instances de l’ONU.

Plus de 110 pays, dont une cinquantaine africains, ont soutenu conjointement ce texte qui demande aux États membres de « compléter les mesures punitives par des activités d’éducation et d’information ».

Selon l’Organisation internationale des migrations (OIM), les mutilations génitales féminines affectent entre 100 et 140 millions de filles et de femmes à travers le monde et cette pratique s’est étendue ces dernières années aux pays occidentaux en raison de l’accroissement des flux migratoires.

Malheureusement en France il y a une véritable « omerta sur cette question ». Pourtant en 2004, 53 000 femmes majeures auraient été concernées en France, qu’elles soient immigrées ou nées en France de parents originaires d’un pays où l’excision est pratiquée ([1]).

Les conséquences sont très lourdes. Comme le rappelle l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : « elles peuvent provoquer de graves hémorragies et des problèmes urinaires, et par la suite des kystes, des infections, la stérilité, des complications lors de l’accouchement, et accroître le risque de décès du nouveau‑né ».

Les mutilations génitales féminines, dont l’excision est la forme la plus connue, constituent une violation fondamentale de la dignité des femmes et de leurs droits tels qu’ils sont énoncés dans de nombreuses conventions internationales, notamment dans la Convention relative aux droits de l’enfant et dans la Convention sur l’élimination de toutes les formes de violence à l’égard des femmes.

L’OMS a établi une classification plus détaillée des différents types de mutilations ([2]) :

– type I : ablation partielle ou totale du clitoris : clitoridectomie ;

– type II : ablation partielle ou totale du clitoris et des petites lèvres, avec ou sans excision des grandes lèvres : excision ;

– type III : rétrécissement de l’orifice vaginal avec recouvrement par l’ablation et l’accolement des petites lèvres et/ou des grandes lèvres, avec ou sans excision du clitoris : infibulation ;

– type IV : autres procédés de mutilation : scarification, étirement...

En France, les femmes victimes de mutilations sexuelles ont pour la grande majorité d’entre elles (80 %) subi une excision (mutilation de type II). Nous rencontrons également une part non négligeable (15 %) de femmes victimes d’infibulation (mutilation de type III).

Depuis 1983, le juge pénal français s’est saisi de ce problème, qui touche non seulement à la santé publique mais aussi et surtout aux droits les plus fondamentaux de l’être humain, et condamne lourdement les auteurs et complices de mutilations génitales féminines au titre de violences ayant entraîné une mutilation.

Dans le cadre de la transposition de la Convention d’Istanbul, la répression de l’incitation à commettre une mutilation sexuelle a été renforcée.

La loi n° 2013‑711 du 5 août 2013 a introduit deux nouvelles infractions dans le code pénal pour renforcer la protection des mineurs :

– Le fait d’inciter un mineur à subir une mutilation sexuelle, par des offres, des promesses, des dons, présents ou avantages quelconques ou en usant contre lui de pressions ou de contraintes de toute nature, est puni de 5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende (art. 227‑24‑1).

– Le fait d’inciter autrui à commettre une mutilation sexuelle sur la personne d’un mineur est puni des mêmes peines (art. 227‑24‑1).

La loi protège tous les enfants qui vivent en France, quelle que soit leur nationalité. Elle s’applique pour les mutilations commises, en France comme à l’étranger.

L’auteur d’une mutilation commise à l’étranger, qu’il soit Français ou étranger, peut être poursuivi en France, si la victime est de nationalité française ou bien si elle est étrangère et réside habituellement en France ([3]).

En revanche, il apparaît nécessaire que les pouvoirs publics expriment haut et fort leur volonté de mettre fin à ces pratiques odieuses.

Aujourd’hui, l’association « Excision, parlons‑en ! » estime que 3 adolescentes sur 10 qui vivent en France et dont les parents sont originaires d’un pays où se pratique traditionnellement l’excision sont menacées de mutilation : « soit elle est orchestrée et programmée par la famille depuis la France, soit elle est imposée sur place, par la famille ou l’entourage proche » selon la déléguée générale.

En 2012 une proposition de loi a été déposée pour lutter plus efficacement contre ces pratiques. Elle fut redéposée en 2017 ([4]).

Elle prévoit notamment l’introduction dans le code pénal d’une interdiction plus explicite des mutilations sexuelles génitales féminines. Le 30 mai 2018, une nouvelle proposition de loi est déposée afin de prévenir les risques de mutilations génitales féminines et de responsabiliser les parents ([5]).

Dans un avis rendu le 11 décembre 2013 la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) ([6]) a rappelé que : « la pratique des mutilations sexuelles féminines est l’expression de stéréotypes liés au sexe profondément enracinés et inhérents aux communautés patriarcales. Cette pratique fait partie des moyens par lesquels le pouvoir patriarcal s’impose aux femmes. Dans la plupart des sociétés, les mutilations sexuelles féminines sont considérées comme une tradition culturelle, elles sont un marquage corporel de l’appartenance à la communauté :

– elles sont souvent considérées comme faisant partie de la nécessaire éducation d’une jeune fille et de sa préparation à l’âge adulte et au mariage ;

– elles sont souvent motivées par des traditions relatives à ce qui est considéré comme un comportement sexuel approprié. Les mutilations sexuelles féminines réduiraient la libido féminine, préserveraient virginité prénuptiale et fidélité conjugale. Elles sont associées à des idéaux culturels de féminité et de modestie, selon lesquels les jeunes filles sont « propres » et « belles » après l’ablation de parties de leur anatomie considérées comme « masculines » ou « malpropres » ;

– bien qu’aucun texte religieux ne prescrive cette intervention, les populations pensent souvent qu’elle a un fondement religieux. » ([7]).

Le rôle des parents est défini par le code civil : « Lautorité parentale est un ensemble de droits et devoirs ayant pour finalité lintérêt de lenfant. Elle appartient aux père et mère jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne » ([8]).

En réponse à cette définition, l’article 375 du code civil permet au juge des enfants d’intervenir « si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises ».

Le fait religieux n’a pas à s’imposer dans l’espace public où nul ne doit pouvoir imposer ses croyances ou ses appartenances aux autres. Cela veut dire qu’aucune règle religieuse ne doit jamais être supérieure aux lois de la République. La liberté religieuse des parents et leur culture ne doivent pas primer sur leurs devoirs légaux dans le respect des droits fondamentaux des enfants.

Nous devons donc prévoir un dispositif législatif qui produira à la fois des effets dissuasifs et pédagogiques à l’égard de ces parents tout en protégeant les enfants.

1re mesure : Exiger la fourniture d’un certificat de non excision pour une mineure faisant face à un risque de mutilation sexuelle et quittant le territoire national sans être accompagnée d’un titulaire de l’autorité parentale (article 1).

En France, des petites filles et des adolescentes risquent une excision lors de séjours dans les pays où la pratique se perpétue et dont leurs familles sont originaires.

Depuis le 15 janvier 2017 les mineurs souhaitant quitter le territoire national seuls ou n’étant pas accompagnés du titulaire de l’autorité parentale doivent disposer d’une autorisation ([9]).

Afin d’assurer une protection effective aux jeunes filles exposées à une mutilation génitale, la loi du 29 juillet 2015 a mis en place, à travers les articles L. 723‑5 et L. 752‑3 du Ceseda, deux mécanismes tendant à la production par les parents de certificats médicaux constatant la non‑excision. Un arrêté du 23 août 2017 (publié au Journal officiel du 31 août), précise les modalités d’application de ces dispositions.

Une fois la protection accordée à l’enfant par l’Ofpra ou par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), ses représentants légaux doivent aussi être informés des « conséquences judiciaires de ces mutilations » et de la nécessité de produire régulièrement des certificats médicaux constatant l’absence d’excision, comme le prévoit l’article L. 752‑3 du Ceseda ([10]).

L’enfant faisant face à un risque de mutilation sexuelle et quittant le territoire national sans être accompagné d’un titulaire de l’autorité parentale devrait également être muni d’un certificat de non excision.

Un décret en Conseil d’État déterminera les conditions d’application de cette disposition mais il convient d’envisager un examen médical avant le départ et dès le retour de l’enfant mineur sur le territoire français.

Si le médecin ne constate aucune mutilation le certificat pourra être remis aux représentants légaux de la mineure.

Si, a contrario, le médecin constate une mutilation, le certificat serait directement transmis pour signalement au Procureur de la République.

2e mesure : Créer une charte de protection de l’intégrité génitale de la femme délivrée dans les maternités (article 2).

Dans certaines maternités, des équipes médico‑chirurgicales se sont mises en place pour prendre en charge les femmes victimes de telles mutilations.

C’est le cas par exemple de la Maternité de la conception Marseille (AP‑HM) qui est depuis 2008 associée avec l’Union des femmes du monde GAMS Sud, présidée par la comédienne ivoirienne Naky Sy Savane.

Ces initiatives permettent d’accompagner et de sensibiliser les patientes en abordant tous les aspects de prévention, de conseils, de soutien et d’information, avec rappel du cadre législatif français.

Lorsqu’un médecin ou une sage‑femme constate à l’occasion d’un examen médical qu’une femme enceinte a subi une mutilation de nature sexuelle, le pouvoir de santé doit pouvoir remettre à celle‑ci une « charte de protection de l’intégrité génitale de la femme ».

Ce document présentera le droit applicable en matière de protection du corps humain, notamment l’interdiction de toute forme de mutilation prévue par le code pénal, ainsi que les risques sanitaires encourus  à l’occasion d’une mutilation génitale.

Le contenu de ce document et les modalités de sa remise à la personne intéressée seront précisés par arrêté du ministre chargé de la santé.

La création d’actes inopposables devant un juge – comme les « chartes » – résulte rarement d’une disposition législative. Certaines chartes ont cependant été prévues par des dispositions législatives. C’est le cas lorsqu’elles fixent des obligations déontologiques applicables à un groupe de personnes physiques ou morales ([11]).

La charte envisagée ayant principalement pour objet d’exposer certaines obligations juridiques à son destinataire, se rapproche de la charte des droits et devoirs du citoyen français que doit signer la personne qui souhaite acquérir la nationalité française dans les conditions prévues par l’article 22‑21 du code civil et par le décret n° 2012‑27 du 30 janvier 2012.

Signer cette « charte de protection de l’intégrité génitale de la femme » c’est aussi réaffirmer son adhésion aux valeurs de la République.

Lobjet de la charte

L’objet doit être prévu dans la loi afin de lui conférer une certaine densité normative. Il sera prévu d’exposer les règles juridiques interdisant les mutilations génitales féminines ainsi que les risques qu’implique ce type d’opération au regard de la santé.

La notion de mutilation génitale féminine étant inconnue du droit positif, la charte pourrait être intitulée « Charte de la protection de lintégrité génitale de la femme », dans une perspective  « positive » de prévention en matière de santé publique et de respect des droits individuels fondamentaux. Le soin de définir le contenu précis du document sera renvoyé au pouvoir réglementaire.

La remise de la charte

Il est souhaitable de fonder le dispositif envisagé sur la notion « d’examen médical », déjà prévu dans des articles du code la santé publique consacrés à la prévention.

Les conditions précises entourant la remise du document (format et support matériel de la charte, obligation de conseil accompagnant la remise, signature…) seront renvoyées au pouvoir réglementaire.

3e mesure : Insérer dans le carnet de santé des informations concernant les mutilations sexuelles (article 3).

Le carnet de santé est un document qui contient les éléments d’information médicale nécessaires au suivi de la santé de l’enfant jusqu’à ses 18 ans. Son utilisation est réservée aux professionnels de santé et sa consultation soumise à l’accord des parents.

En tant que document officiel soumis au secret professionnel, il est un outil de liaison entre les différents agents du milieu médical.

Le carnet de santé contient :

– Les pathologies au long cours, allergies et antécédents familiaux. Les informations sur la période périnatale,

– La surveillance médicale,

– Les courbes de croissance,

– Les examens bucco‑dentaires,

– Les hospitalisations, transfusions sanguines,

– Des conseils sur les conduites à tenir devant un enfant malade (fièvre, vomissements, diarrhées, gêne respiratoire…),

– Des informations sur la détection précoce des troubles sensoriels (vue et audition), du langage et de la relation,

– Les certifications de vaccination, les recommandations vaccinales et les maladies infectieuses,

– On y retrouve aussi des messages de prévention, enrichis et actualisés pour tenir compte des évolutions scientifiques et sociétales (risques liés au tabagisme, à l’alcool..).

Face à cette pluralité d’informations tenant à préserver le bien être de l’enfant il serait donc opportun d’introduire dans le carnet de santé un message de prévention sur les mutilations génitales féminines.

Ce message rappellerait dans un premier temps les risques de ces pratiques sur l’intégrité physique et psychique de l’enfant, et dans un second la sanction prévue par le code pénal.

4e mesure : Prévoir pour les enfants de sexe féminin un examen gynécologique obligatoire dans l’année de leur sixième, douzième anniversaire et quinzième anniversaire afin de constater l’absence de mutilation sexuelle. L’obligation doit être remplie par un médecin spécialisé et ne donne pas lieu à une contribution financière de la part des parents (article 4).

L’âge en moyenne auquel les mutilations sont pratiquées est difficile à déterminer tant les pratiques divergent en fonction de l’origine, de l’ethnie mais aussi du contexte particulier. Elles sont le plus souvent pratiquées chez les enfants en bas‑âge, mais peuvent aussi avoir lieu plus tard, à l’occasion d’un mariage par exemple ([12]) ou en référence à un rite de passage à l’âge adulte. Globalement il est estimé qu’elles ont lieu pour les personnes aux origines africaines dans les zones à prévalence entre l’âge de cinq et quatorze ans d’après l’association « Excision, parlons‑en ! », voire même à partir de quatre ans selon l’association « Population Référence Bureau ».

Les enfants sont soumis à 20 examens médicaux obligatoires au cours des 6 premières années :

– la surveillance de la croissance staturo‑pondérale (évolution du poids et de la taille en fonction de l’âge) et du développement physique,

‑ la surveillance psychomoteur,

‑ la surveillance affective de l’enfant,

‑ le dépistage précoce des anomalies ou déficiences,

‑ et la pratique des vaccinations.

Ils permettent aux autorités sanitaires, dans le respect du secret médical, de s’assurer que chaque famille est en mesure de dispenser les soins nécessaires à leurs enfants. En cas de difficultés, une aide peut être proposée à la famille (par exemple : visite à domicile de puéricultrices, prévention).

Dans cette optique, comme cela est déjà prévu dans le cadre bucco‑dentaire ([13]) ou des vaccinations ([14]), il convient de prévoir que dans l’année qui suit leur sixième, leur douzième et leur quinzième anniversaire, les enfants de sexe féminin sont soumis à un examen réalisé par un médecin généraliste, un pédiatre, un gynécologue‑obstétricien ou une sage‑femme afin de constater d’éventuelles mutilations sexuelles.

Cette obligation sera réputée remplie lorsque le médecin, le pédiatre, le gynécologue‑obstétricien ou la sage‑femme attestera sur le carnet de santé de la réalisation des examens dispensés.

5e mesure : Prévoir l’obligation pour le médecin de signaler les suspicions de violences psychologiques, physiques et sexuelles (article 5).

L’enfant ne dispose pas des moyens suffisants pour se protéger lui‑même des violences à son encontre. Les médecins qui le soignent ont un rôle vital pour le protéger.

Or depuis 1997, à l’exception des médecins fonctionnaires de l’État ou fonctionnaires territoriaux qui ont une obligation de signalement selon l’article 40 de procédure pénale, les médecins sont face à un dilemme éthique :

– soit ils signalent et risquent des poursuites, des sanctions disciplinaires, des poursuites pénales après avoir appliqué l’article 226‑14 du code pénal ;

– soit ils ne signalent pas et risquent d’être l’objet de poursuites et sanctions pénales pour ne pas avoir signalé selon les articles 434‑3 et 226‑3 du code pénal.

Ce dilemme explique le faible taux de signalement lorsqu’un médecin détecte dans l’exercice de sa profession les signes d’alerte qui lui permettent de suspecter des violences psychologiques, physiques et sexuelles à l’encontre d’un mineur.

L’introduction de l’obligation de signaler les suspicions de violences psychologiques, physiques et sexuelles dans l’article 226‑14 du code pénal est la solution pour mettre un terme à ce dilemme.

6e mesure : Demander un rapport au Gouvernement sur les mutilations génitales féminines et le nombre de condamnations (article 6)

Dans l’avis précité de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), cette dernière rappelle que la France est le pays de l’Union européenne dans lequel il y a eu le plus grand nombre de poursuites pénales pour des faits de mutilations sexuelles : environ 29 procès depuis 1979. Alors que les associations parlent de 60 000 femmes victimes qui vivent actuellement en France, ce chiffre apparaît comme dérisoire.

Mais les données sont imprécises et, en matière de recueil d’informations relatif au traitement des mutilations sexuelles féminines par les services judiciaires, la CNCDH regrette l’absence d’outil permettant d’avoir une connaissance plus fine de l’activité judiciaire en la matière.

Le Gouvernement a déclaré l’égalité entre les hommes et les femmes  « grande cause nationale » du quinquennat en communiquant abondamment sur la lutte contre les violences sexuelles et sexistes mais rien n’a été proposé sur les barbaries des mutilations sexuelles féminines.

Dans cette optique, il convient donc de demander un rapport annuel au Gouvernement sur les mutilations génitales féminines comme cela se fait en matière migratoire ([15]). À l’occasion de l’examen du projet de loi (n° 714) « pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif » ([16]), le Gouvernement n’a traité le problème des mutilations génitales féminines que sous l’angle de l’immigration sans études d’impact et en refusant de donner des chiffres précis.

De plus, la version initiale du projet de loi (n° 778) concernant la « lutte contre les violences sexuelles et sexistes » ne traite pas non plus de ce sujet .

C’est pourquoi le rapport annuel devra notamment indiquer et commenter :

– L’activité judiciaire concernant les mutilations génitales féminines : nombre d’affaires enregistrées et d’affaires poursuivables, taux de poursuites engagées et taux de réponses pénales, nombre de condamnations et quantum des peines prononcées, ainsi que les nationalités des auteurs de ces infractions. À ce jour, nous n’avons aucune réponse à nos questions sur ce sujet ;

– Les moyens ainsi que leur coût, mis en œuvre pour lutter contre les mutilations génitales féminines ;

– Les actions entreprises avec les pays pratiquant les mutilations génitales féminines. En effet il est important d’envisager un travail de sensibilisation et de formation sur les mutilations sexuelles féminines dans le monde qui doit être mené auprès des professionnels : médecins, sages‑femmes, infirmiers, travailleurs, sociaux, enseignants, magistrats... afin que chacun puisse avoir une connaissance large du sujet et puisse mieux en prévenir les risques ([17]). Il conviendrait également de développer le certificat de non excision au plan international.

Prévenir, c’est protéger ces jeunes victimes et ces femmes. C’est faire respecter leurs droits, leur dignité et préserver leur avenir comme le font certaines associations à l’image de « SOS Africaine en Danger » présidée par Danielle Merian.

Tels sont les objectifs de cette proposition de loi.

 

 

 


proposition de loi

Article 1er

Le chapitre Ier du titre IX du livre Ier du code civil est complété par un article 371‑7 ainsi rédigé :

« Art. 3717. – Une mineure faisant face à un risque de mutilation sexuelle et quittant le territoire national sans être accompagnée d’un titulaire de l’autorité parentale est munie d’un certificat de non excision »

« Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du présent article. »

Article 2

Le titre II du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique est complété par un chapitre IV ainsi rédigé :

« Chapitre IV

« Prévention des actes contraires à la dignité de la femme

« Art. L. 21233. – Lorsqu’un médecin ou une sage‑femme constate à l’occasion d’un examen médical qu’une femme enceinte a subi une mutilation de nature sexuelle, il remet à celle‑ci un document intitulé « Charte de protection de l’intégrité génitale de la femme .

« Ce document présente le droit applicable en matière de protection du corps humain, notamment l’interdiction de toute forme de mutilation prévue à l’article 222‑9 du code pénal, ainsi que les risques sanitaires encourus à l’occasion d’une mutilation génitale.

« Le contenu de ce document et les modalités de sa remise à la personne intéressée sont précisés par arrêté du ministre chargé de la santé. »

Article 3

Le deuxième alinéa de l’article L. 2132‑1 du code de la santé publique est ainsi modifié :

1° La référence : « L. 2132‑2‑1 » est remplacée par la référence : « L. 2132‑2‑2 » ;

2° Sont ajoutés les mots suivants : « , notamment celles qui concernent d’éventuelles mutilations sexuelles ».

Article 4

Après l’article L. 2132‑2‑1 du même code, il est inséré un article L. 2132‑2‑2 ainsi rédigé :

« Art. L. 213222. – Dans l’année qui suit leur sixième, leur douzième et leur quinzième anniversaire, les enfants de sexe féminin sont soumis à un examen réalisé par un médecin généraliste, un pédiatre, un gynécologue‑obstétricien ou une sage‑femme afin de constater d’éventuelles mutilations sexuelles. Cet examen ne donne lieu à aucune contribution financière de la part des familles. Cette obligation est réputée remplie lorsque le médecin, le pédiatre, le gynécologue‑obstétricien ou la sage‑femme atteste sur le carnet de santé mentionné à l’article L. 2132‑1 de la réalisation des examens dispensés.

« Un accord conventionnel interprofessionnel mentionné à l’article L. 162‑14‑1 du code de la sécurité sociale ou les conventions mentionnées aux articles L. 162‑5 et L. 162‑9 du même code déterminent pour les médecins généralistes, les pédiatres, les gynécologues‑obstétriciens ou les sages‑femmes la nature, les modalités et les conditions de mise en œuvre de cet examen. Celles‑ci concernent notamment l’information des personnes concernées, la qualité des examens, la contribution financière des familles, le suivi des personnes et la transmission des informations nécessaires à l’évaluation du programme de prévention dans le respect des dispositions de la loi n° 78‑17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. »

Article 5

Les 1°, 2° et 3° de l’article 226‑14 du code pénal sont ainsi rédigés :

« 1° Dans les cas où la loi impose d’alerter le procureur de la République :

« Tout professionnel désigné au présent alinéa qui, dans l’exercice de ses fonctions, suspecte des violences physiques, psychologiques ou sexuelles de toute nature, y compris les mutilations sexuelles à l’encontre d’un mineur ou d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ou d’un état de grossesse, est tenu, sans avoir à recueillir l’accord de quiconque, d’en informer sans délai le procureur de la République. Les professionnels désignés pour une obligation de signaler au procureur de la République sont tous les médecins ;

« 2° Dans les cas où la loi autorise d’alerter les autorités compétentes :

« Tout autre professionnel ou toute personne qui suspecte ou acquiert la connaissance de violences physiques, psychologiques ou sexuelles de toute nature, y compris les mutilations sexuelles, à l’encontre d’un mineur, d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ou d’un état de grossesse, ou d’un adulte, informe sans délai le procureur de la République. Lorsqu’il s’agit d’un mineur ou d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ou d’un état de grossesse, l’auteur du signalement n’a pas à recueillir l’accord de quiconque ;

« 3° À tout professionnel ou toute personne qui suspecte ou acquiert la connaissance qu’un mineur est en danger ou qui risque de l’être. Il informe sans délai la cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 226‑3 du code de l’action sociale et des familles, des informations préoccupantes définies par le décret n° 2013‑994 du 7 novembre 2013 organisant la transmission d’informations entre départements en application de l’article L. 221–3 du code de l’action sociale et des familles. »

Article 6

Chaque année, le Gouvernement dépose devant le Parlement un rapport sur les mutilations génitales féminines.

Ce rapport indique et commente :

a) Le nombre de Françaises et de personnes résidant habituellement sur le territoire français victimes de mutilations génitales en France ou à l’étranger ;

b) L’activité judiciaire concernant les infractions prévues aux articles 222‑9, 222‑10 et 227‑24‑1 du code pénal : nombre d’affaires enregistrées et d’affaires poursuivables, taux de poursuites engagées et taux de réponse pénale, nombre de condamnations et quantum des peines prononcées, ainsi que les nationalités des auteurs de ces infractions ;

c) Les moyens ainsi que leur coût, mis en œuvre pour lutter contre les mutilations génitales féminines ;

d) Les actions entreprises avec les pays pratiquant les mutilations génitales féminines pour mettre en œuvre une politique ferme contre ces pratiques.

Article 7

La charge qui pourrait résulter pour les collectivités territoriales de l’application de la présente loi est compensée par la majoration à due concurrence de la dotation globale de fonctionnement, et corrélativement pour l’État par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La charge qui pourrait résulter pour les organismes de sécurité sociale de l’application de la présente loi est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La charge qui pourrait résulter pour l’État de l’application de la présente loi est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


([1]) INED Population et sociétés, n° 438, octobre 2007, « Les mutilations sexuelles féminines : le point sur la situation en Afrique et en France ».

 

([2]) Définition adoptée par l’OMS en 1997 et reprises par l’ensemble des organisations internationales, en particulier l’UNICEF, l’UNFPA, l’UNHCR ou l’UNIFEM.

([3]) Article 222‑16‑2 du code pénal « Dans le cas où les crimes et délits prévus par les articles 222‑8, 222‑10 ou 222‑12 sont commis à l’étranger sur une victime mineure résidant habituellement sur le territoire français, la loi française est applicable par dérogation aux dispositions de l’article 113‑7. S’il s’agit d’un délit, les dispositions de la seconde phrase de l’article 113‑8 ne sont pas applicables. ».

 

([4]) Proposition de loi (n° 368) du 13 novembre 2012 et proposition de loi (n° 223) du 27 septembre 2017 de Valérie Boyer et plusieurs de ses collègues visant à renforcer la lutte contre les mutilations génitales féminines.

 

([5]) Proposition de loi (n° 2010)  du 30 mai 2018 de Valérie Boyer et plusieurs de ses collègues visant à prévenir les risques de mutilations génitales féminines et à responsabiliser les parents.

 

([6]) JORF n° 0287 – 11 décembre 2013 – Avis sur les mutilations sexuelles.

 

([7]) Selon l’association « Excision parlonsen » les justifications suivantes sont notamment invoquées par les groupes qui pratiquent l’excision :

 – Le contrôle de la sexualité des femmes et le maintien de la domination masculine : L’excision – en prévenant le désir sexuel, empêcherait les expériences sexuelles prénuptiales et ensuite les relations adultérines – garantissant ainsi l’honneur de la famille et du mari ;

 – Les croyances liées à la religion : bien qu’aucun texte religieux ne prescrive la pratique – qui a d’ailleurs précédé l’apparition des grandes religions monothéistes – certains utilisent leurs croyances pour justifier l’excision. La pratique se retrouve aussi bien dans des populations musulmanes, chrétiennes ou animistes ;

 – D’autres croyances, les mythes : certaines communautés pensent que l’excision favorise la fécondité des femmes ; qu’elle permet d’assurer une meilleure hygiène, de rendre les femmes plus attrayantes ou même de leur ôter les parties qu’ils considèrent comme masculines ou dangereuses telle que le gland du clitoris ;

 – Le maintien d’une identité et d’une tradition culturelle : pour certaines communautés, pratiquer l’excision permet de perpétuer une tradition et de protéger une identité culturelle. L’excision est par exemple parfois associée à des rites de passage à l’âge adulte. Pratiquer l’excision pour préserver son identité culturelle, en particulier au contact de groupes qui ne pratiquent pas, peut jouer un rôle important, par exemple dans un contexte migratoire. Certaines familles peuvent parfois perpétuer la pratique en migration pour s’assurer de transmettre valeurs et identité culturelle.

 

([8]) Article 371‑1 du code civil

 

([9]) Article 371‑6 du code civil : « L’enfant quittant le territoire national sans être accompagné d’un titulaire de l’autorité parentale est muni d’une autorisation de sortie du territoire signée d’un titulaire de l’autorité parentale. »

([10]) Article L. 752‑3 du Ceseda : « Lorsqu’une protection au titre de l’asile a été octroyée à une mineure invoquant un risque de mutilation sexuelle, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, tant que ce risque existe et tant que l’intéressée est mineure, lui demande de se soumettre à un examen médical visant à constater l’absence de mutilation. L’office transmet au procureur de la République tout refus de se soumettre à cet examen ou tout constat de mutilation.

 

 Aucun constat de mutilation sexuelle ne peut entraîner, à lui seul, la cessation de la protection accordée à la mineure au titre de l’asile. Il ne peut être mis fin à ladite protection à la demande des parents ou des titulaires de l’autorité parentale tant que le risque de mutilation sexuelle existe.

 

 L’office doit observer un délai minimal de trois ans entre deux examens, sauf s’il existe des motifs réels et sérieux de penser qu’une mutilation sexuelle a effectivement été pratiquée ou pourrait être pratiquée.

 

 Un arrêté conjoint des ministres chargés de l’asile et de la santé, pris après avis du directeur général de l’office, définit les modalités d’application du présent article et, en particulier, les catégories de médecins qui peuvent pratiquer l’examen mentionné au premier alinéa. »

([11]) Comme par exemple la charge déontologique de l’entreprise ou de la société éditrice en matière de presse  (article 2 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse) ou encore la charte nationale d’insertion de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine qui s’adresse notamment aux habitants de quartiers prioritaires de la politique de la ville (article 103 de la loi n°2003710 du 1er août 2003 d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine).

([12]) Institut pour l’égalité des femmes et des hommes – « La protection internationale et les mutilations génitales féminines »

([13]) L’examen bucco‑dentaire de prévention, obligatoire et gratuit, à six ans et à douze ans, qui figure à l’article L. 2132‑2‑1 du code de la santé publique, est un examen individuel effectué par un chirurgien‑dentiste ou un stomatologiste dans un cabinet dentaire. Outre le diagnostic des pathologies éventuelles et le bilan des soins nécessaires, cet examen doit comprendre notamment une éducation et une motivation à la santé bucco‑dentaire en collaboration étroite avec les parents, ainsi que des conseils personnalisés sur l’hygiène alimentaire et le rôle protecteur du fluor. Le souci de sensibilisation et d’éducation à la santé constitue une dimension importante de cette mesure. Le caractère obligatoire de cet examen et son inscription dans le carnet de santé de l’enfant constitue une forte incitation, comparable à celle qui existe notamment dans le domaine des vaccinations.

 

([14]) Huit vaccins sont devenus obligatoires pour les enfants nés à partir du 1er janvier 2018. Il s’agit des vaccins contre la coqueluche, l’Hæmophilus influenzæ b, l’hépatite B, le méningocoque C, le pneumocoque, la rougeole, les oreillons, la rubéole. Ce ne sont pas de nouveaux vaccins mais des vaccins qui étaient déjà recommandés dans le calendrier des vaccinations des nourrissons. Ils s’ajoutent aux vaccins contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite, qui étaient déjà obligatoires. Le parcours des vaccinations obligatoires des enfants au cours de leurs 18 premiers mois comprend 6 rendezvous (à 2 mois, 4 mois, 5 mois, 11 mois, 12 mois et 1618 mois) et 10 injections pour les protéger contre 11 maladies aux conséquences graves.

([15]) Article L111‑10 du Ceseda.

 

([16]) Projet de loi voté à l’Assemblée nationale le 22 avril 2018.

 

([17]) Recommandation de la CNCDH.