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N° 2097

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 juillet 2019.

PROPOSITION DE LOI

visant à instituer une sixième semaine de congés payés,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Bastien LACHAUD, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Caroline FIAT, Michel LARIVE, JeanLuc MÉLENCHON, Danièle OBONO, Mathilde PANOT, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, JeanHugues RATENON, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, François RUFFIN, Bénédicte TAURINE,  

députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Si l’on passait l’année entière en vacances, s’amuser serait aussi épuisant que travailler » écrivait William Shakespeare. Malheureusement, ce n’est pas encore le cas puisque les Français ne bénéficient que de cinq semaines de congés payés depuis 1982.

Les congés payés ont pour origine l’idée communément admise aujourd’hui que les personnes éprouvent le besoin structurel de prendre des vacances afin de se ressourcer. L’idée que les personnes ont le droit à du temps, dont elles peuvent user en toute liberté, sans contrainte de travail. L’impossibilité de satisfaire ce besoin peut avoir pour conséquences l’altération de la santé physique et psychique des salarié.e.s, ainsi que de sa productivité.

Repoussées par le Sénat en 1928, en 1931 et en 1932, c’est finalement en 1936 que sont généralisées les deux premières semaines de congés payés. Suite à l’élection du gouvernement de Front populaire en mai 1936, un mouvement populaire joyeux et massif s’est développé dans l’ensemble du pays. Il s’est traduit par des occupations massives d’usines et des revendications résolues. Ce mouvement a conduit le patronat à céder de nombreux droits nouveaux. Les accords de Matignon de juin 1936 vont encore plus loin que le programme du gouvernement élu. Ils sont conclus entre syndicats et patronat dans la nuit du 7 au 8 juin, le projet de loi est rédigé dans la nuit du 8 au 9 juin et le texte est voté le 11 juin à l’Assemblée nationale et le 17 juin au Sénat, à l’unanimité dans les deux cas. La loi est promulguée le 20 juin.

L’été 1936 est, dans notre mémoire collective, une bouffée d’oxygène, la preuve que vivre, ce n’est pas seulement trimer, mais ça peut aussi vouloir dire apprécier son temps librement. Six cent mille ouvrières et ouvriers, celles et ceux que les bourgeois.es vont appeler dédaigneusement les « congés payés », prennent le large grâce aux billets à tarif réduits de Léo Lagrange. Pour la première fois, les ouvrie.rs.ères s’arrêtent de travailler sans perte de salaire. Les travailleu.rs.euses éprouvent une nouvelle sensation : celle que le temps leur appartient. C’est une avancée exceptionnelle pour les conditions de vie des salarié.e.s.

La troisième semaine de congés payés est instituée de manière plus silencieuse et feutrée, en 1956. La loi du 27 mars 1956 est votée et promulguée après que des accords d’entreprises accordant une troisième semaine aient été conclus l’année précédente : en septembre 1955 pour la régie Renault, en novembre 1955 pour le groupe des industries métallurgiques de la région parisienne.

La quatrième semaine de congés payés, est concédée par la loi du 17 mai 1969, est la suite logique de la mobilisation extraordinaire de Mai 68 et de son slogan, si bien chanté par Moustaki : « Le Temps de vivre ».

Enfin, la cinquième semaine de congés payés est accordée en 1982, concomitamment à la réduction du temps de travail hebdomadaire à 39 heures. Le but est de mieux partager le travail, de lutter contre le chômage et d’engager une avancée sociale. Selon un sondage Ifop de décembre 2015 pour Paris Match, les Français jugent que cette mesure est la plus importante des deux quinquennats de François Mitterrand, devant l’abolition de la peine de mort et la retraite à 60 ans.

La dernière avancée en matière de congés payés date donc d’il y a plus de 35 ans. Il est plus que temps de reprendre le chemin vers le temps libre et le progrès social. Car si l’on considère que la durée des congés payés se base sur le rapport entre la richesse produite par les salariés et le temps libre auquel ils ont droit, il est légitime aujourd’hui d’augmenter cette durée compte‑tenu de l’augmentation considérable de la productivité des travailleurs français : en effet, ces derniers produisent bien plus en une journée travaillée aujourd’hui qu’en une journée travaillée en 1985.

Plus encore, avec l’automatisation des procès de production, il y a besoin de moins en moins de main d’œuvre humaine. Il est donc logique de réduire d’autant le temps de travail sur l’année, afin que celui‑ci ne soit pas réservé à un petit nombre de personnes, tandis que les autres sont au chômage, faute de travail disponible.

Précisons ainsi que la sixième semaine de congés payés aura un effet positif sur l’économie. D’une part elle permettra de lutter contre le chômage, en vertu du principe du Travailler moins pour travailler tous. L’ultra‑libéral Institut Montaigne, dans une note de 2017, estimait que cette réduction de 2,2 % du temps de travail, qui concernerait les 28,6 millions de personnes en âge de travailler, créerait 40 000 emplois. Ce chiffre nous semble quant à nous sous‑estimé, puisque nous avons calculé que cette mesure pourrait permettre de créer jusqu’à 100 000 emplois. Elle obligerait les employeurs à recruter, puisqu’il est impossible de compenser une semaine d’absence par une réorganisation du temps de travail sur une journée. Ce même think tank convenait qu’une telle mesure « améliorerait le bien être des salariés en poste ». D’autre part, la sixième semaine de congés payés favoriserait le repos, ce qui est une indispensable mesure préventive et peu onéreuse de santé publique. Cette semaine supplémentaire favoriserait également le lien social, la vie de famille, le temps consacré à s’occuper des siens ou de soi, à se consacrer à l’activité de son choix, ou permettrait un développement économique des secteurs de l’accueil et des loisirs.

Cette nouvelle semaine de congés payés permettrait surtout de lutter contre une injustice méconnue : l’inégale répartition du nombre de jours de congés entre les Français. Une enquête de l’Insee de 2010 indiquait que les Français prenaient en moyenne 37 jours de congés par an. Mais cette statistique cache d’importantes disparités. D’une part entre catégories socioprofessionnelles. Les cadres et les professions intermédiaires ont en effet pris 41 jours de congés en moyenne en 2010, les employés 35, tandis que les ouvriers n’en ont pris que 32. D’autre part en fonction de l’âge : les jeunes de moins de 30 ans environ 33 jours par an, contre 39 pour les 50 ans et plus. Cette différence s’explique principalement par certains avantages acquis au fil des années et par des congés liés à l’ancienneté au sein de l’entreprise. Enfin, le nombre de jours de congés dépend de la taille de l’entreprise et du secteur d’activité. Les agents de la fonction publique et les salariés des groupes de plus de 1 000 salariés obtiennent entre 40 et 45 jours de vacances, tandis que les salariés des petites entreprises prennent entre 29 et 38 jours.

Accorder une sixième semaine de congés payés permettrait en outre d’éviter la flexibilisation du temps de travail qui a été de pair avec la mise en place des 35 heures depuis 2002.

En 2017, le programme de la France insoumise LAvenir en commun prévoyait de « généraliser une 6e semaine de congés payés pour tous les salariés ». La présente proposition de loi est la traduction législative de cette mesure programmatique phare.

L’article 1er modifie le code du travail en accordant une sixième semaine de congés payés aux salariés du secteur privé.

L’article 2 prévoit qu’un décret en Conseil d’État déterminera les conditions d’application de cette mesure dans le secteur public et militaire.


proposition de loi

Article 1er

L’article L. 3141‑3 du code du travail est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, les mots : « deux jours et demi » sont remplacés par les mots : « trois jours » ;

2° Au second alinéa, le mot : « trente » est remplacé par le mot : « trente‑six ».

Article 2

Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application de l’article 1er aux agents publics civils et militaires.