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N° 2265

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 septembre 2019.

PROPOSITION DE LOI

relative à la prévention des violences à l’égard des femmes
par l’introduction d’enseignements sur l’estime de soi
et l’autodéfense dans le cadre scolaire,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Joachim SONFORGET,

député.

 

 

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’un des grands axes de la loi n° 2010‑769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants est consacré à la prévention de ces violences, notamment dans le cadre de l’enseignement scolaire. Ainsi, l’article 23 de cette loi a permis de compléter le code de l’éducation par l’article 312‑17‑1 qui dispose :

« Une information consacrée à légalité entre les hommes et les femmes, à la lutte contre les préjugés sexistes et à la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences commises au sein du couple est dispensée à tous les stades de la scolarité. Les établissements scolaires, y compris les établissements français denseignement scolaire à létranger, peuvent sassocier à cette fin avec des associations de défense des droits des femmes et promouvant légalité entre les hommes et les femmes et des personnels concourant à la prévention et à la répression de ces violences. »

Le rapport d’information des sénateurs Laurence Cohen, Nicole Duranton, Loïc Hervé,  Françoise Laborde, Noëlle Rauscent et Laurence Rossignol « Prévenir et combattre les violences faites aux femmes : un enjeu de société », adopté à l’unanimité le 12 juin 2018, préconise notamment de renforcer la prévention de ces violences, plus particulièrement par « lorganisation effective des séances déducation à la sexualité prévues par le code de léducation ». Ce rapport recommande en outre que « légalité entre filles et garçons, entre femmes et hommes, qui en est indissociable, soit intégrée aux séances déducation à la sexualité, afin quelles contribuent à la diffusion dun modèle de société égalitaire auprès des jeunes ».([1])

L’article 14 de la Convention d’Istanbul (Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique)([2]), entrée en vigueur en 2014 et dont la France fut l’un des premiers signataires, souligne particulièrement le caractère indispensable de la prévention à travers l’éducation.

« 1  Les Parties entreprennent, le cas échéant, les actions nécessaires pour inclure dans les programmes détude officiels et à tous les niveaux denseignement du matériel denseignement sur des sujets tels que légalité entre les femmes et les hommes, les rôles non stéréotypés des genres, le respect mutuel, la résolution non violente des conflits dans les relations interpersonnelles, la violence à légard des femmes fondée sur le genre, et le droit à lintégrité personnelle, adapté au stade de développement des apprenants.

2  Les Parties entreprennent les actions nécessaires pour promouvoir les principes mentionnés au paragraphe 1 dans les structures éducatives informelles ainsi que dans les structures sportives, culturelles et de loisirs, et les médias.»([3])

Reconnaissance du rôle primordial de la prévention par léducation

La reconnaissance du rôle primordial de l’éducation dans la prévention du fléau des violences faites aux femmes a permis ces dernières années de procéder à des avancées incontestables dans le domaine de la législation. Le rapport sénatorial adopté le 12 juin 2018 insiste sur une des causes profondes de la violence à l’égard des femmes, à savoir la perception inégalitaire du statut des femmes dans la société par les auteurs de violences envers elles :

« Quil sagisse des violences conjugales, des injures, des violences sexuelles, des comportements relevant du harcèlement sexuel (au travail, en ligne, dans le cadre scolaire, dans la rue...),les violences dont sont victimes les femmes, dans tous les milieux, à tous les âges et dans toutes les circonstances de la vie, y compris dans leur couple, relèvent dune conviction partagée par leurs auteurs :  que les femmes sont quantité négligeable et, surtout, que leur corps na pas à être respecté et quil est à la disposition des hommes ;  que les violences commises à lencontre des femmes ne sont pas si graves »([4])

Le corollaire tout aussi alarmant à cette vision est l’intériorisation de cette perception par de nombreuses femmes elles‑mêmes :

« Cette imprégnation sexiste facilite insidieusement lacceptation des femmes qui nosent pas réagir, et encourage aussi la tolérance de la société à légard de violences généralement minimisées. »(4)

Cette perception négative va de pair avec une profonde altération de leur propre estime de soi. En matière de prévention et d’éducation il importe donc de mettre l’accent sur un aspect spécifique des violences faites aux femmes : la vulnérabilité de la victime, due à son faible degré d’estime de soi, caractéristique particulièrement répandue chez les jeunes filles et les femmes. 

Faible estime de soi des victimes : origines et conséquences

Ce manque d’estime de soi peut provenir d’un trait de caractère de la personne, mais il est fréquemment induit par son éducation et se trouve très souvent être le résultat d’une entreprise de dénigrement par son entourage, et plus particulièrement par son agresseur, surtout s’il s’agit de son conjoint ou de son compagnon.

Processus de dénigrement

À lintérieur du couple

La psychiatre Marie‑France Hirigoyen explique ainsi le processus de destruction psychologique entamé par le conjoint bien avant les premières violences physiques ([5]) : « Il sagit avant tout datteindre lestime de soi de la personne, lui montrer quelle ne vaut rien, quelle na aucune valeur. La violence sexprime sous forme dattitudes dédaigneuses et de paroles blessantes, de propos méprisants, de remarques déplaisantes. » 

La psychologue clinicienne Azucena Chavez précise ainsi la spirale de la violence conjugale :

« Le bourreau détruit le narcissisme de la personne. Petit à petit, elle se perçoit et est perçue comme un objet. (…)  La violence conjugale est un long parcours, elle sinstalle bien avant le premier coup et notamment par lhumiliation (…). Elle prépare le terrain à dautres violences, notamment sexuelles, physiques et économiques ». ([6])

En milieu scolaire

Les violences en milieu scolaire se développent en partie par des mécanismes semblables, auxquels les filles sont particulièrement exposées de par des clichés stéréotypés négatifs, et ces violences peuvent également suivre un processus de dénigrement de la victime, favorisé par les actuels moyens de cyber‑communication particulièrement destructeurs. « Dans les établissements scolaires, les relations entre filles  et garçons, ou au sein dun groupe de même sexe, peuvent être génératrices de tensions et dagressivité. Elles sont très souvent dues aux transformations liées à la puberté, à la construction de son identité, à la découverte de lautre et aux rapports de séduction mais aussi à linfluence des images stéréotypées véhiculées en particulier par les médias. Les comportements sexistes et violences à caractère sexuel sexercent souvent entre pairs. »([7])

Objectifs de la présente proposition de loi

Renforcer les dispositions législatives de prévention dans le cadre de lécole

Toutes les études et analyses élaborées aussi bien en France qu’à l’étranger ces dernières années parviennent aux mêmes conclusions, à savoir la plus grande exposition aux violences des jeunes filles et des femmes, et soulignent le caractère indispensable de la prévention auprès des enfants dès leur plus jeune âge, et par conséquent le rôle primordial de l’école dans ce travail de prévention. En France, les dispositions législatives dans ce domaine ont connu récemment des avancées décisives, notamment dans l’objectif de promouvoir l’égalité entre les filles et les garçons au travers d’enseignements dispensés  sur la base de l’article 312‑17‑1 du code de l’éducation. Il convient maintenant de renforcer le socle de ces actions éducatives par des dispositifs complémentaires, prenant en compte la vulnérabilité des victimes d’agressions, pour leur donner des moyens de les combattre.

Prévenir les agressions : renforcer lestime de soi

Afin de ne pas laisser s’installer des spirales de violence il importe de compléter ces enseignements par des programmes spécifiquement adressés aux filles avec l’objectif de rétablir ou de renforcer leur estime de soi pour contrer les tentatives de dénigrement à la racine. Lorsque des violences se sont déjà installées, le rétablissement ou le renforcement de l’estime de soi permet également aux victimes de prendre conscience de leur situation de victime et de vaincre le sentiment de culpabilité que leur agresseur tente souvent de leur inculquer.

Réagir aux agressions : se défendre

De même, il importe également de leur donner accès à des formations leur enseignant différentes techniques d’autodéfense afin de développer leur capacité à réagir et se défendre si elles se trouvent confrontées à des agressions.

Commentaires sur la présente proposition de loi :

Article 1er

L’article 312‑17‑1 du code de l’éducation est complété par un alinéa qui prévoit la possibilité, pour les établissements scolaires, d’organiser des formations destinées à renforcer l’estime de soi chez les élèves, et plus spécifiquement chez les filles, afin de leur donner la confiance nécessaire pour s’opposer aux diverses tentatives de dénigrement, d’humiliation et de déstabilisation qui les rendent vulnérables aux agressions. Ces enseignements peuvent être organisés en partenariat avec des associations et des centres de formation spécialisés dans ces domaines.

Article 2

L’article 312‑17‑1 du code de l’éducation est complété par un alinéa qui prévoit la possibilité, pour les établissements scolaires, d’organiser des formations d’autodéfense pour les élèves et plus spécifiquement pour les filles, afin de leur apprendre les réflexes et les techniques de dissuasion et de défense leur permettant de riposter de façon appropriée aux agressions qu’elles sont susceptibles de subir. Ces enseignements peuvent être organisés en partenariat avec des associations et des centres de formation spécialisés dans ces domaines.

Article 3

Le financement de ces formations pourra être effectué ou complété par des taxes additionnelles aux  droits figurant aux articles 235, 235 ter M, 235 ter MB, 1605 sexies, 1605 septies et 1605 octies du code général des impôts.

Tels sont, Mesdames, Messieurs les objectifs de la présente proposition de loi.

proposition de loi

Article 1er

L’article 312‑17‑1 du code de l’éducation est complété par un alinéa rédigé :

« Afin de lutter contre les mécanismes de dévalorisation et de dénigrement auxquels les préjugés sexistes exposent particulièrement les jeunes filles et les femmes, les établissements scolaires, y compris les établissements français d’enseignement scolaire à l’étranger, peuvent organiser pour leurs élèves, et plus particulièrement pour les filles, des cours et ateliers destinés à acquérir et renforcer l’estime de soi. Ils peuvent s’associer à cette fin avec des associations et des centres de formation offrant des cours et ateliers spécialisés dans ce domaine. »

Article 2

L’article 312‑17‑1 du code de l’éducation est complété par un alinéa rédigé :

« Afin de donner à leurs élèves, et plus particulièrement aux filles, les moyens de se défendre face à une agression, les établissements scolaires, y compris les établissements français d’enseignement scolaire à l’étranger, peuvent organiser des cours d’autodéfense pour leur permettre d’acquérir les techniques adaptées aux situations représentant un danger pour leur intégrité morale ou physique. Ils peuvent s’associer à cette fin avec des associations et des centres de formation offrant des cours et ateliers spécialisés dans ce domaine ».

Article 3

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création de taxes additionnelles aux droits prévus aux articles 235, 235 ter M, 235 ter MB, 1605 sexies, 1605 septies et 1605 octies du code général des impôts.


([1])  https://www.senat.fr/notice-rapport/2017/r17-564-notice.html

([2])  Convention d’Istanbul : Ouverture du traité : 11/05/2011  - Traité ouvert à la signature des Etats membres, des États non membres qui ont participé à son élaboration et de l'Union européenne, et à l'adhésion des autres États non membres.Entrée en vigueur : 01/08/2014 : 10 ratifications comprenant 8 états membres, dont la France

([3]) https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=
0900001680462533

([4]) https://www.senat.fr/rap/r17-564/r17-5641.pdf

([5]) Marie-France Hirigoyen  Femmes sous emprise : les ressorts de la violence dans le couple ; Paris, Oh éditions, 2005 Docteur en médecine, Marie-France Hirigoyen est psychiatre, psychanalyste et psychothérapeute familiale

([6]) Azucena Chavez : psychologue clinicienne exerçant à l'Institut de victimologie de Paris
source : https://www.lexpress.fr/actualite/societe/la-violence-conjugale-un-fleau-qui-s-installe-bien-avant-la-premiere-claque_1940388.html

([7]) Guide Ressources pour les équipes éducatives des collèges et des lycées: https://cdn.reseau-canope.fr/archivage/valid/NT-8134-9559.pdf