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N° 2462

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 décembre 2019.

PROPOSITION DE LOI

visant à simplifier les opérations de cession de titres sociaux,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme MarieFrance LORHO,

députée.

 

 

 

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La loi n° 2014‑856 du 31 juillet 2014 relative et l’économie sociale et solidaire, dite « loi Hamon » instaure l’obligation d’informer les salariés pour toute cession d’une entreprise. Cette obligation a été simplifiée par l’article 204 de la loi n° 2015‑990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « loi Macron ».

Ainsi les chefs d’entreprise de moins de 250 salariés qui envisagent de vendre les titres de l’entreprise doivent‑ils préalablement en informer les salariés. Ceux‑ci disposent alors d’un délai de deux mois pour présenter une offre. Il est indéniable que dans l’optique où, soit le chef d’entreprise, soit le propriétaire de l’entreprise si c’est une personne différente du dirigeant, souhaitent céder l’entreprise, ils doivent informer les salariés de leur projet de cession. L’objectif de cette loi est donc louable.

Toutefois, en cherchant à aller loin dans la protection des salariés, elle est allée trop loin quitte à empiéter sur les droits des propriétaires de titres sociaux. Le droit de propriété est un droit fondamental consacré par un grand nombre de textes fondamentaux, de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen([1]) à la déclaration universelle des droits de l’homme([2]). Le droit de propriété implique de pouvoir disposer librement de ce dont on a la propriété ce qui implique également le droit de cession.

En voulant aller trop loin, la loi Hamon s’est déjà vue censurée par le Conseil constitutionnel. Ainsi la mesure prévoyant l’annulation d’une cession d’entreprise si les salariés n’ont pas été informés de cette vente au préalable a été jugée inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel([3]) sur le fondement de l’atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre, autre liberté garantie par les textes de droits fondamentaux([4]).

C’est ensuite par le biais de la loi Macron qu’il a fallu revenir sur le dispositif prévu par la loi de 2014. En 2015, la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques allège le dispositif et prévoit notamment d’adapter la sanction à la décision prise quelques mois plus tôt par les Sages de la rue Montpensier.

Cette loi, dont l’objectif est de permettre aux salariés qui le souhaitent de formuler une offre de reprise de leur entreprise est sans réel effet pour les salariés. Il convient tout d’abord de souligner que même avant la loi Hamon, il était tout à fait possible aux salariés de soumettre une offre de reprise d’une société. L’objectif de cette proposition de loi n’est pas de supprimer cette possibilité. Il sera toujours loisible aux salariés de se présenter au rang des acquéreurs en soumettant une offre au vendeur, libre à lui de l’accepter ou de la refuser.

Dans les faits, il faut avoir l’honnêteté de dire que la reprise de PME par les salariés reste une opération rare. Elle est par ailleurs mal mesurée. On fait ainsi état, en 2013 (avant la loi Hamon) de 30 % de dirigeants de PME envisageant et envisageant seulement une reprise par un ou plusieurs salariés([5]).

Ce dispositif est d’autant plus inefficace que le cédant n’est tenu que d’une information a minima de ses salariés afin de conserver la confidentialité nécessaire sur certains éléments de la cession. Il n’est par ailleurs tenu à aucune obligation de répondre aux offres de reprise de ses salariés. Ce projet de loi n’apporte donc aucun avantage particulier aux salariés mais se contente simplement de ralentir et d’handicaper la cession souhaitée par le chef d’entreprise propriétaire de l’entreprise. En effet, alors même que celui‑ci n’est pas tenu d’accepter les offres de ses salariés s’il ne le souhaite pas, ce qui est le cas en général puisqu’à ce stade de la vente il s’est souvent déjà mis d’accord avec un acheteur, il est malgré tout tenu de proposer le rachat à ses salariés et d’attendre deux mois que tous les salariés répondent et manifestent soit leur désintéressement soit une offre de reprise. Dans l’hypothèse où les salariés ne répondraient pas, le vendeur est tenu d’attendre deux mois pour purger cette obligation envers ses salariés ce qui ralentit inutilement le processus. Encore une fois, il ne s’agit pas d’un droit de préférence puisque le cédant n’est pas tenu d’accepter l’offre faite par ses salariés et rien n’empêche les salariés de soumettre une offre s’ils sont sérieux et réellement intéressés, au même titre que n’importe quel acquéreur dès lors qu’ils ont été informés de la cession comme peut l’être n’importe quel tiers acquéreur.

Que ce soit les entrepreneurs ou les professionnels du droit accompagnant ce type d’opérations, tous ont dénoncé le caractère handicapant et inutile du dispositif prévu par la loi Hamon.

Il alourdit inutilement le processus et n’est même pas particulièrement bénéfique aux salariés : il n’est pas contraignant et les sanctions ont été allégées par la loi Macron. Aujourd’hui la loi de 2014 se trouve être une coquille vidée de toute substance, de toute efficacité qui complique inutilement notre droit.

Non seulement elle n’apporte aucun avantage ni aucune amélioration particulière au statut des salariés, mais en plus son non‑respect n’est pas sanctionné par la nullité de la cession. En l’absence de réelle sanction, cette mesure se trouve dénuée de toute efficacité après qu’elle ait été dénuée de toute justification.

À l’époque des débats sur la loi Hamon, cette mesure avait été contestée par les organisations patronales qui la jugeaient contraire à la logique et à la bonne gestion d’une entreprise. Ce qui était mis en avant n’était pas le refus de voir un salarié reprendre l’entreprise mais bien plus le risque que pouvait constituer la communication d’une telle information et sa propagation parmi les sous‑traitants, les clients, les banquiers, les concurrents, qui risquerait d’avoir de graves conséquences sur l’activité et sur l’économie.

C’est avant tout le manque de réalisme d’une telle mesure qui était alors dénoncé.

À des fins de simplification de la vie des entreprises, il est donc proposé de supprimer cette obligation d’attendre deux mois que les salariés soumettent une offre ou manifeste leur désintérêt pour la reprise de la société.

La loi n° 2014‑856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire a, dans la pratique, rapidement rencontré ses limites. En apparence très stricte quant au délai exigé, l’obligation peut être aménagée de plusieurs façons différentes. Un avis du Comité Juridique de l’Association Nationale des Sociétés par Actions a souligné que ce délai n’était pas rendu obligatoire par la loi « Hamon » en présence d’un comité d’entreprise désormais intitulé comité social et économique.

La cession peut donc être réalisée aux termes de la procédure d’information consultation dont la durée est variable et dépend de la volonté de l’entreprise et du comité d’entreprise.

En pratique, sauf autre accord, le délai de réponse des salariés est donc réduit au temps que mettra le dit comité à rendre son avis sur l’opération de cession. Si l’avis est rendu immédiatement, les salariés se verront dans l’impossibilité de formuler une offre faute de temps. C’est donc une hypocrisie de considérer que la loi relative à l’économie sociale et solidaire apporte un réel avantage aux salariés.

Une autre limite réside dans ce que l’on pourrait qualifier de « Formation Hamon ». La loi « Hamon » prévoit en effet que le dirigeant d’une entreprise comptant plus de 250 salariés doit former ceux‑ci à la reprise d’entreprise. Cette formation doit avoir lieu tous les trois ans.

Pour cette formation l’employeur peut renvoyer les salariés à consulter des sites internet mis en place par les pouvoirs publics pour la majeure partie de ce contenu. Pour le reste, il doit convoquer le personnel à une réunion auquel celui‑ci aura le choix de participer ou non. Quoiqu’il en soit du nombre de présents, la tenue de cette séance de formation purge l’obligation d’information pour un délai d’un an.

La conséquence, c’est que si un projet de cession intervient postérieurement à cette formation, le dirigeant ne serait plus tenu d’aucune information préalable des salariés et ce, pendant un an.

Au regard de ce qui précède, il me semble donc nécessaire de mettre fin à cette disposition superflue et handicapante pour la bonne marche des affaires.


proposition de loi

Article unique

Le chapitre X du Titre III du Livre II du code de commerce est abrogé.


([1])  Article 17

([2])  Article 17

([3])  Décision n°2015-476 QPC du 17 juillet 2015

([4])  Principe à valeur constitutionnelle reconnu par le Conseil constitutionnel dans une décision Cons. Const 16 janv. 1982, n° 81-132 DC)

([5]) Observatoire CNCFA – Epsilon de 2013