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N° 3342

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 septembre 2020.

PROPOSITION DE LOI

visant à libérer lespace public de la manipulation publicitaire,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Loïc PRUDHOMME, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Caroline FIAT, Michel LARIVE, JeanLuc MÉLENCHON, Danièle OBONO, Mathilde PANOT, Adrien QUATENNENS, JeanHugues RATENON, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, François RUFFIN, Bénédicte TAURINE,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Juin 2020 : trois associations engagées dans le programme SPIM (Système Publicitaire et Influence des Multinationales) publient un rapport accablant sur les effets néfastes du marketing qui envahit nos vies et des publicités qui bombardent nos cerveaux. Ce rapport est une pierre supplémentaire à de nombreux rapports et études qui documentent comment la publicité commerciale, ce fléau, manipule nos pensées jusqu’au plus intime, à savoir nos désirs. Chaque jour, une personne verrait entre 1 200 et 2 200 messages publicitaires et subirait 15 000 stimulis commerciaux. Selon les auteurs du rapport, « son but n’est pas d’accorder la marchandise aux besoins réels de l’individu, mais d’accorder les besoins de l’individu à l’accumulation infinie de marchandises (..) ». Ainsi, une étude publiée en 2018 démontre une hausse de 6,79 % du niveau global de consommation entre les années 1976 et 2006 due à la publicité.([1])

Les marques savent aujourd’hui parfaitement comment influer sur nos choix de consommation ou de non‑consommation. Sur nos choix de consommation tout d’abord en nous faisant passer pour indispensables des biens ou des services absolument inutiles ou superflus. Sur nos choix de non consommation en nous persuadant que la sobriété n’est pas une solution mais qu’il est possible de consommer sans cesse plus sans que cela altère ni la quantité de ressources disponibles, ni la qualité de l’environnement.

L’écologie libérale, celle des incitations et des petits pas, montre ses limites. Croire que la publicité peut être un levier de la transition écologique est au mieux une illusion, au pire un mensonge éhonté. En 2019, les investissements de publicité et de communication des secteurs automobile, aérien et énergies fossiles en France sont estimés à plus de 5,1 milliards d’euros (dont 4,3 milliards d’euros rien que pour l’automobile, et seulement 5 % sont consacrés aux gammes de véhicules électriques). Autant d’argent qui n’est pas investi dans la recherche en faveur de cette transition. Il est impossible de préparer la conversion du parc automobile à des modes moins polluants et le développement des transports en commun si le monde de la publicité continue de vendre aux citoyens le mythe de l’accomplissement individuel et de l’épanouissement personnel par l’acquisition de véhicules à motorisation thermique.

À ce jour, aucune mesure forte n’est prise pour faire taire le marketing climaticide des multinationales et libérer l’espace public des injonctions à consommer. Au contraire, tout est fait, sous couvert de la liberté d’entreprendre, pour laisser prospérer la publicité en faveur des secteurs et produits les plus polluants : voitures, smartphones et voyages en avion en tête. Récemment, l’autorité de régulation professionnelle de la publicité a censuré une publicité vantant les vélos VanMoof. En cause : la publicité en question donnerait une vision « anxiogène » du secteur automobile, pourtant responsable de 60 % de la pollution liée aux transports sur route en Europe.

Le droit actuel est insuffisant. Les « mentions légales » sont trop générales et stigmatisent le consommateur au lieu de dissuader l’achat du produit. C’est au consommateur qu’il est demandé de « mangez, bougez », pas aux agro‑industriels d’arrêter de vanter les mérites d’une alimentation trop grasse, trop sucrée, trop salée. Encore moins de mettre un terme à sa production ! L’impact de la publicité alimentaire auprès des jeunes est bien documenté. Une étude comparative menée dans plusieurs pays (Australie, Royaume‑Uni, Italie, Pays‑Bas, États‑Unis) auprès d’enfants âgés de 6 à 11 ans a montré́ que l’exposition à la publicité alimentaire télévisée contribuait à la prévalence de l’obésité des enfants dans des proportions allant de 4 à 40 % selon les pays. Une autre étude de simulation a pointé́ qu’entre un septième et un tiers des enfants obèses américains n’auraient pas été obèses en l’absence de publicité télévisée pour des aliments non favorables à la santé. Il est important de noter que les trois quarts des investissements publicitaires alimentaires (72 %) réalisés sur les écrans télévisés jeunesse, soit 29,7 millions d’euros, portent sur des produits gras, sucrés et/ou salés.

Ainsi, en matière de publicité alimentaire, le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) a fait le constat de l’insuffisance des engagements volontaires des professionnels. Ainsi, le HCSP insiste, comme l’OMS, sur la nécessité pour les pouvoirs publics, de prendre des mesures contraignantes. Dans son rapport de 2017 sur le PNNS 2017‑2021, le HCSP recommande ainsi de réglementer le marketing et d’interdire les communications commerciales et la promotion des marques agroalimentaires pour les aliments de pauvre qualité nutritionnelle (classés D et E selon le Nutri‑Score). Si la décision politique, par les interdictions et les contraintes, ne vient pas mettre un terme à cette influence, les publicitaires perpétueront leur trajectoire participeront à poursuivre la même trajectoire « éco‑destructrice ».

Il faut avant tout chose balayer l’argument économique et le chantage à l’emploi, déployés par les défenseurs de cette activité et ses principaux annonceurs. En effet, parmi les quelques trois millions d’entreprises en France, moins de 1 % ont accès au marché publicitaire. En 2014, à peine plus de 600 (soit 0,02 % d’entre elles) représentent 80 % des dépenses publicitaires engagées. Les TPE/PME qui constituent la grande majorité de nos emplois et notre tissu économique non délocalisable ne sont donc pas concernées par la régulation de cette activité. En réalité, la publicité est l’affaire de quelques grandes multinationales parmi les plus polluantes et d’une poignée d’annonceurs. À l’autre bout de la chaîne, certaines collectivités pourraient être réticentes à l’élimination de toute publicité de leur espace public, ce pour des raisons financières. En réalité, la taxe locale sur la publicité extérieure se répartissait en 2018 entre quelques milliers de villes pour un montant total de 180 millions d’euros. Près de 40 millions d’euros par an vont à la seule ville de Paris.

L’urgence climatique réclame une rupture nette. Il ne peut y avoir de transition écologique rapide et populaire sans se défaire de cette emprise cognitive que les multinationales ont construit depuis des décennies. Les français y sont prêts : selon un sondage BVA pour Greenpeace France, 65% des français seraient favorables à l’interdiction des publicités pour les marques contribuant au changement climatique. De nombreuses associations demandent une « loi Evin Climat ». L’heure est venue d’une écologie populaire, qui par la puissance publique, nous fasse descendre d’une roue dénuée de sens : « consommer plus pour produire plus pour consommer plus, etc. » Pour en descendre, il faut mettre un terme à ce qui la fait tourner à pleine vitesse. C’est donc la publicité qu’il faut combattre. Telle est le sens de cette proposition de loi.

L’article 1er a pour objectif de libérer entièrement l’espace public de cette manipulation cognitive de masse. Pour ce, elle subordonne aux motifs d’intérêt général relatifs à  la protection de l’environnement et du cadre de vie. Toute publicité qualifiée de commerciale dans l’espace public est interdite. Des exceptions restent autorisées, notamment la publicité culturelle, celle liée à l’affichage municipal ou encore celle relative à des campagnes à l’initiative des services de l’État. Ces dispositions s’appliquent également aux publicités situées à l’intérieur d’un local, et visibles depuis l’extérieur. Enfin, l’article 1er complète le champ des restrictions en interdisant toute publicité numérique et lumineuse. Il interdit également l’affichage de publicité commerciale dans les gares, aéroports et stations de transports publics de personnes, ainsi que celle située à l’intérieur d’un local ou implantée dans un espace privé lorsqu’elle est visible depuis l’espace public.

L’article 2 vise à réguler les publicités qui pénètrent dans le domaine privé, diffusées via les supports audiovisuels ou numériques. Il interdit tout d’abord toute forme de publicité ou action de communication commerciale qui inciterait directement ou indirectement à dégrader, abandonner ou remplacer prématurément des produits encore fonctionnels. Il interdit également les messages publicitaires relatifs à des secteurs polluants et ceux encourageant les pratiques alimentaires dangereuses pour la santé. Il pose ainsi les fondements d’une loi « Evin Climat » en interdisant notamment les publicités relatives à l’automobile, les vols aériens entre deux villes métropolitaines ou encore les téléphones portables et l’eau en bouteille plastique jetable et en encadrant fortement la publicité relative à la malbouffe et à destination des enfants, en suivant les préconisation du haut Conseil de la Santé publique et de l’OMS.

Les articles 3 et 4 ont pour objet la mise en place d’une taxation du montant des contrats de publicité et marketing engagé par les entreprises ainsi que le chiffre d’affaire des régies publicitaires, à hauteur de 5 %. Les sommes ainsi collectées permettront d’abonder au budget de l’État. Le volant budgétaire ainsi dégagé pourra être fléché pour partie vers l’audiovisuel public dont les recettes publicitaires seront réduites du fait des dispositions de l’article 2, ainsi que vers les collectivités locales qui s’engageraient dans des actions de promotion de la sobriété  de consommation.


proposition de loi

Article 1er

La section 1 du chapitre IER du titre VIII du livre V du code de l’environnement est ainsi modifiée :

1° L’article L. 581‑1 du code de l’environnement est ainsi rédigé :

« Art. L. 5811.  Le droit d’exprimer et de diffuser informations et idées, quelle qu’en soit la nature, par le moyen de la publicité, d’enseignes et de préenseignes, conformément aux lois en vigueur et sous réserve des dispositions du présent chapitre est subordonné aux motifs d’intérêt général relatifs à  la protection de l’environnement et du cadre de vie. Toute publicité commerciale dans l’espace public est interdite. »

2° La seconde phrase de l’article L. 581‑2 est ainsi rédigée : « Ses dispositions s’appliquent à toute publicité commerciale, située à l’intérieur d’un local ou implantée dans un espace privé lorsqu’elle est visible depuis l’espace public. »

3° Après le 1° de l’article L. 581‑3, il est inséré un 1° bis ainsi rédigé :

« 1° bis Constitue une publicité commerciale toute publicité, à l’exception de l’affichage municipal, de l’affichage d’opinion, de la publicité culturelle, de la  publicité relative aux activités des associations sans but lucratif ou des campagnes publicitaires à l’initiative des services de l’État. »

4° Le I de l’article L. 581‑4, sont insérés des 5° et 6° ainsi rédigés :

« 5° Lorsqu’elle est numérique ou lumineuse ;

« 6° Dans les gares, aéroports et stations de transports publics de personnes lorsqu’elle constitue une publicité commerciale au sens de l’article L. 581‑3 du présent code. »

Article 2

I. – Le chapitre IER du titre II du livre IER du code de la consommation est ainsi modifié :

1° Il est ajouté  un article L. 121‑24 ainsi rédigé :

« Art. L. 12124.  Est interdite toute forme de publicité ou action de communication commerciale qui inciterait directement ou indirectement à dégrader, abandonner ou remplacer prématurément des produits dont la fonction principale est encore fonctionnelle. Est notamment considéré comme tel, tout contenu publicitaire, quel que soit son support, incitant au rachat à neuf de biens en état de marche, incitant au non‑entretien ou au mésusage des produits, incitant à l’achat en vue de la revente et non en vue de l’utilisation durable ou valorisant les produits jetables au détriment des produits réutilisables. »

2° Est ajoutée une section 12 ainsi rédigée :

« Section 12

« Produits à fort impact sur l’environnement et publicité commerciale contraire aux objectifs de bifurcation écologique

« Art. L. 12125. – À compter du 1er janvier 2021 est interdite toute publicité portant sur des véhicules particuliers dont les émissions de dioxyde de carbone sont supérieures à 95 g/km. À compter du 1er janvier 2030 est interdite toute publicité portant sur des véhicules particuliers dont les émissions de dioxyde de carbone sont supérieures à 59 g/km. Afin de faciliter le choix du consommateur au regard de l’impact écologique de chaque véhicule, toute publicité relative à la mobilité, notamment routière, réalisée à l’aide de véhicules à motorisation thermique est obligatoirement accompagnée d’une présentation ou d’une expression complémentaire au moyen de graphiques ou de symboles visant à indiquer la quantité d’émission de gaz à effet de serre par kilomètre et personne transportée, selon des modalités définies par décret.

« Art. L. 12126.  À compter du 1er janvier 2021 est interdite toute publicité, propagande ou action commerciale en faveur des vols particuliers entre deux villes situées en France métropolitaine ou des offres de voyages incluant des vols internationaux longs courriers pour des séjours de moins de sept jours.

« Art. L. 12127. – Toute publicité ou action commerciale directe ou indirecte en faveur de l’industrie de l’eau en bouteille plastique jetable est interdite. La distribution gratuite de ces produits est interdite. Cette disposition s’applique aux produits, marques, gammes ou offres commerciales de cette industrie ainsi qu’au parrainage d’événements sportifs ou culturels destinés au grand public.

« Art. L. 12128.  À compter du 1er janvier 2021 est interdite toute publicité, propagande ou action commerciale en faveur des téléphones portables.

II. – Le chapitre III du titre III du livre IER de la deuxième partie du code de la santé publique est complété par un article L. 2133‑3 ainsi rédigé :

« Art. L. 21333.  I. – Seuls peuvent faire l’objet de messages publicitaires et activités promotionnelles, directs ou indirects, sur tous supports de communication radiophonique, audiovisuelle et électronique, ainsi que sur tous supports et produits complémentaires qui leur sont associés, les produits alimentaires et boissons qui sont classés A ou B selon le logo Nutri‑Score. »

« II. – Les messages publicitaires et activités promotionnelles, directs ou indirects, en faveur de produits alimentaires et boissons qui, par leur caractère, leur présentation ou leur objet, apparaissent comme principalement destinés aux enfants et adolescents, sont interdits sur tout support de communication radiophonique, audiovisuel, et sur tout support de communication électronique, ainsi que sur tous les supports et produits complémentaires qui leur sont directement associés, de façon totale. Les modalités d’application du présent article sont déterminées par décret. »

Article 3

L’article 302 bis MA du code général des impôts est ainsi modifié :

1° À la fin du II, les mots : « dont le chiffre d’affaires de l’année civile précédente est supérieur à 763 000 € hors taxe sur la valeur ajoutée » sont supprimés ;

2° Le III est ainsi modifié :

a) Le premier alinéa  est complété par les mots : « tous les contrats de publicité commerciale et marketing signés par les entreprises ».

b) Les 1° et 2° sont abrogés.

c) Le b est ainsi rédigé :

« b) La promotion des productions culturelles. »

3° Au IV le taux : « 1 % » est remplacé par le taux : « 5 % ».

Article 4

Les régies publicitaires sont assujetties à une taxation de 5 % de leur chiffre d’affaires.

Article 5

La perte de recettes pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par l’affectation d’une part de la taxe prévue à l’article 4.


([1]) Benedetto MOLINARI et Francesco TURINO, « Advertising and aggregate consumption : a Bayesian DSGE Assessment », Economic Journal, vol. 128, n°613, p. 2106-2130, 2018