N° 3377
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 septembre 2020.
PROPOSITION DE LOI
visant à créer un bureau d’enquêtes et d’analyses
sur les risques industriels,
(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Damien ADAM, Sereine MAUBORGNE, Fabien GOUTTEFARDE, Laurianne ROSSI, Jean‑Charles COLAS‑ROY, Jean‑Marc ZULESI, Yannick HAURY, Grégory BESSON‑MOREAU, Cécile DELPIROU, Jacques MARILOSSIAN, Claire O’PETIT, Stéphane TESTÉ, Yves DANIEL, Jean‑Louis TOURAINE, Xavier ROSEREN, Nicole LE PEIH, Xavier PALUSZKIEWICZ, Coralie DUBOST, Erwan BALANANT, Agnès FIRMIN LE BODO, Véronique RIOTTON, Annaïg LE MEUR, Mireille ROBERT, M’jid EL GUERRAB, Valéria FAURE‑MUNTIAN, Catherine KAMOWSKI, Monica MICHEL, Ramlati ALI, Yves BLEIN, Fabienne COLBOC, Denis SOMMER, Alain TOURRET, Fabien LAINÉ, Vincent THIÉBAUT, Patricia LEMOINE, Annie VIDAL, Jean‑Luc FUGIT, Paul CHRISTOPHE, Jean‑Luc LAGLEIZE, Pierre CABARÉ, Stéphanie KERBARH, Natalia POUZYREFF, Huguette TIEGNA,
députés.
– 1 –
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Parce que la France est un grand pays industriel, la conciliation entre les activités de production, d’une part, et la garantie du plus haut niveau de sûreté des sites industriels, d’autre part, est une absolue nécessité à laquelle il convient de toujours veiller.
S’il faut rappeler que le risque zéro n’existe pas, la politique française de prévention des risques industriels doit constamment faire l’objet d’améliorations dans la plus grande exigence, au regard de l’accidentologie passée. Ainsi, l’accident industriel sur le site AZF à Toulouse en 2001 avait conduit à une évolution nécessaire de notre législation sur les risques technologiques. Plus récemment, l’incendie de Lubrizol à Rouen le 26 septembre 2019 a soulevé de multiples questions sur la gestion et le traitement des risques industriels dans l’ensemble du pays.
Face à l’ampleur de cet incendie et aux multiples questions qu’il a suscitées, la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale avait décidé la création d’une mission d’information sur l’incendie de Lubrizol à Rouen, constituée le 9 octobre 2019.
Les récents retours d’expérience ont montré qu’en cas d’accident majeur, des attentes importantes et légitimes des populations s’expriment pour une analyse approfondie des causes et des conséquences, menée par des professionnels reconnus et dont la légitimité ne génère pas de doute.
Dans le cadre de ses travaux, la mission d’information a ainsi retenu la nécessité de disposer d’un Bureau Enquêtes Accidents « Risques industriels » sous forme d’une structure nationale et dédié aux risques industriels et technologiques, dans l’esprit de ce qui existe dans les domaines du transport aérien ou ferroviaire. L’objet de cette proposition de loi est la création d’un tel bureau.
La création d’un bureau d’enquêtes et d’analyses sur les risques industriels représente un instrument majeur de prévention, par l’amélioration des voies et moyens du retour d’expérience. Il permettrait ainsi de disposer d’une capacité d’expertise dédiée capable d’analyser en toute indépendance les circonstances et les causes d’un accident industriel afin, s’il y a lieu, d’établir des recommandations ayant pour objet l’amélioration de la sécurité et la prévention de futurs accidents.
L’article 1er de cette proposition de loi prévoit la création de ce bureau d’enquêtes, dénommé bureau d’enquêtes et d’analyses sur les risques industriels. Il détaille notamment son champ de compétence et les modalités de décision de réalisation d’une enquête technique, l’objectif de l’enquête technique, les modalités de restitution des résultats de l’enquête, de publication des rapports et de consultation préalable des parties intéressées, et en particulier l’information du procureur de la République en cas de procédure judiciaire, ainsi que les pouvoirs d’investigation attribués aux enquêteurs. En outre, l’article garantit l’indépendance des enquêteurs. Il garantit également le secret de l’enquête judiciaire, le cas échéant, et du secret professionnel. Enfin, il prévoit les sanctions en cas d’entrave à l’action des enquêteurs.
L’article 2 gage la proposition de loi.
proposition de loi
Article 1er
Le titre préliminaire du livre V du code de l’environnement est ainsi modifié :
1° L’intitulé est complété par les mots « et enquêtes techniques. » ;
2° Il est ajouté un chapitre unique ainsi rédigé :
« Chapitre unique
« Enquêtes techniques
« Section 1
« La procédure
« Art. L. 510‑1. – I. – Tout accident survenu :
« 1° dans une installation classée pour la protection de l’environnement au sens de l’article L. 511‑1 ;
« 2 dans une mine au sens des articles L. 111‑1 et L. 112‑1 du code minier ;
« 3° sur des réseaux souterrains, aériens ou subaquatiques de transport ou de distribution de fluides au sens de l’article L. 554‑5 du présent code ;
« 4° sur des produits et équipements à risque au sens du chapitre VII du titre V du présent livre ;
« 5° sur une infrastructure visée à l’article L. 551‑2,
« peut faire l’objet d’une enquête technique, à l’initiative du responsable de l’organisme permanent mentionné à l’article L. 510‑5, ou sur demande du ministre compétent.
« Une enquête technique est systématiquement réalisée en cas d’accident majeur devant faire l’objet d’une notification à la Commission européenne, survenu sur une installation mentionnée à l’article L. 515‑32.
« Le ministre compétent et le représentant de l’État territorialement compétent sont informés de l’ouverture de l’enquête. »
« II. – Par dérogation au I, les installations et activités relevant de la police spéciale de l’Autorité de sûreté nucléaire sont soumises exclusivement aux enquêtes techniques prévues aux articles L. 592‑35 et suivants.
« Les activités, installations, ouvrages et travaux relevant du ministre des armées ne sont pas soumis aux dispositions du présent chapitre.
« Art. L. 510‑2. – L’enquête technique prévue à l’article L. 510‑1 a pour seul objet l’amélioration de la sécurité et la prévention de futurs accidents sans détermination des fautes ou des responsabilités.
« Sans préjudice, le cas échéant, de l’enquête judiciaire qui peut être ouverte, elle consiste à collecter et analyser les informations utiles, à déterminer les circonstances et les causes certaines ou possibles de l’accident et, s’il y a lieu, à établir des recommandations de sécurité.
« Art. L. 510‑3. – Un rapport d’enquête technique est établi par le bureau d’enquêtes et d’analyses sur les risques industriels mentionné à l’article L. 510‑5 qui le rend public, au terme de l’enquête, sous un format défini par décret. Toutes les données et tous les témoignages sont présentés de manière anonyme. Il ne fait état que des informations résultant de l’enquête nécessaires à la détermination des circonstances et des causes de l’accident et à la compréhension des recommandations de sécurité.
« Avant que le rapport ne soit rendu public, les enquêteurs peuvent recueillir les observations des autorités, entreprises et personnels intéressés qui sont tenus au secret professionnel concernant les éléments de cette consultation.
« Art. L. 510‑4. – Le bureau d’enquêtes et d’analyses sur les risques industriels mentionné à l’article L. 510‑5 transmet une copie du rapport d’enquête technique au procureur de la République en cas d’ouverture d’une procédure judiciaire.
« Section 2
« Les pouvoirs d’investigation
« Art. L. 510‑5. – L’enquête technique mentionnée à l’article L. 510‑1 est effectuée par un organisme permanent spécialisé, service à compétence nationale dénommé « bureau d’enquêtes et d’analyses sur les risques industriels ».
« Ont la qualité d’enquêteur technique pour l’application de la présente section les membres du bureau d’enquêtes et d’analyses sur les risques industriels, les membres d’une commission d’enquête constituée par le bureau d’enquêtes et d’analyses sur les risques industriels le cas échéant et, lorsque ce dernier fait appel à eux, les membres des corps d’inspection et de contrôle, les agents de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques ou d’autres experts.
« Art. L. 510‑6. – Dans le cadre de l’enquête technique, les enquêteurs techniques agissent en toute indépendance et ne reçoivent ni ne sollicitent d’instructions d’aucune autorité ni d’aucun organisme dont les intérêts pourraient entrer en conflit avec la mission qui leur est confiée.
« Art. L. 510‑7. – Un décret en Conseil d’État précise les conditions de commissionnement des enquêteurs techniques et les conditions de nomination des membres des commissions d’enquête.
« Art. L. 510‑8. – Les enquêteurs techniques peuvent accéder au lieu de l’accident visé à l’article L. 510‑1 pour procéder sur place à toute constatation utile, dans les conditions prévues aux articles L. 171‑1 et L. 171‑2.
« L’autorité judiciaire, le ministre compétent et le représentant de l’État territorialement compétent sont préalablement informés de l’intervention des enquêteurs.
« Si nécessaire, les enquêteurs techniques prennent toute mesure de nature à assurer la préservation des indices, en tenant compte des nécessités de la mise en sécurité des lieux.
« Art. L. 510‑9. – Les enquêteurs techniques ont accès, sans délai, à l’ensemble des éléments techniques utiles à la compréhension des causes et circonstances de l’accident et peuvent procéder à l’exploitation de ces éléments dans les conditions suivantes :
« I. – Lorsqu’une enquête ou une information judiciaire est ouverte, ces éléments ne peuvent être saisis qu’avec l’accord du procureur de la République ou du juge d’instruction.
« Les enquêteurs techniques ne peuvent soumettre ces éléments à des examens ou analyses susceptibles de les modifier, altérer ou détruire, qu’avec l’accord de l’autorité judiciaire.
« À défaut d’accord, ils sont informés des opérations d’expertise diligentées par l’autorité judiciaire compétente. Ils ont droit d’y assister et d’exploiter les constatations faites dans le cadre de ces opérations pour les besoins de l’enquête technique.
« S’il s’agit d’éléments préalablement saisis par l’autorité judiciaire, qui peuvent faire l’objet d’une copie sans altérer les données qu’ils contiennent, ils sont mis, à leur demande, à leur disposition pour réaliser une copie des données qu’ils rassemblent, sous le contrôle d’un officier de police judiciaire.
« II. – Lorsqu’aucune enquête judiciaire n’est ouverte :
« Les enquêteurs techniques peuvent prélever, aux fins d’examen ou d’analyse, tout élément technique qu’ils estiment propres à contribuer à la détermination des circonstances et des causes de l’accident.
« S’ils envisagent d’altérer ou de détruire, pour les besoins de l’enquête, ces éléments, ils en informent préalablement le procureur de la République compétent pour s’assurer qu’aucune ouverture d’enquête n’est envisagée ; si celui‑ci ouvre une enquête judiciaire, le régime prévu au I s’applique.
« III. – La rétention et, le cas échéant, l’altération ou la destruction, pour les besoins de l’enquête, des objets ou des documents soumis à examen ou à l’analyse n’entraînent aucun droit à indemnité.
« Art. L. 510‑10. – L’État a droit au remboursement, par l’exploitant de l’installation ou du dispositif à l’origine de l’accident, des frais d’expertise engagés par le bureau d’enquêtes et d’analyses sur les risques industriels, sans préjudice de l’indemnisation des dommages subis par les tiers.
« Art. L. 510‑11. – Les objets ou les documents retenus par les enquêteurs techniques sont restitués dès lors que leur conservation n’apparaît plus nécessaire à la détermination des circonstances et des causes de l’accident.
« Si une enquête judiciaire est ouverte au moment où les objets sont susceptibles d’être restitués, le procureur de la République ou le juge d’instruction saisi des faits est préalablement avisé et peut s’opposer à cette restitution.
« Art. L. 510‑12. – I. – Les enquêteurs techniques peuvent rencontrer toute personne concernée et obtiennent, sans que puisse leur être opposé le secret professionnel, communication de toute information ou de tout document concernant les circonstances, entreprises, organismes et matériels en relation avec l’accident et concernant notamment la conception, la construction, la maintenance, l’exploitation de l’installation ou de l’équipement impliqué. Les enquêteurs peuvent organiser ces rencontres en l’absence de toute personne qui pourrait avoir intérêt à entraver l’enquête de sécurité. Les témoignages, informations et documents recueillis ne peuvent être utilisés par les enquêteurs techniques à d’autres fins que l’enquête technique elle‑même, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie leur divulgation.
« Dans les mêmes conditions, les enquêteurs techniques peuvent demander communication de toute information ou de tout document à caractère personnel concernant la formation, la qualification, l’aptitude à la fonction des personnels impliqués. Toutefois, celles de ces informations qui ont un caractère médical ne peuvent être communiquées qu’aux médecins mentionnés à l’article L. 510‑13.
« Il est établi une copie des documents placés sous scellés par l’autorité judiciaire à l’intention de ces enquêteurs.
« II. Les conditions d’application du I du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État.
« Art. L. 510‑13. – Les médecins rattachés au bureau d’enquêtes et d’analyses sur les risques industriels ou désignés pour assister les enquêteurs techniques reçoivent, à leur demande, communication des résultats des examens ou prélèvements effectués sur des personnes participant à l’activité impliquée dans l’accident ainsi que, le cas échéant, les rapports d’expertise médico‑légale concernant les victimes.
« Section 3
« Dispositions relatives au secret de l’enquête judiciaire et au secret professionnel
« Art. L. 510‑14. – Les personnels du bureau d’enquêtes et d’analyses sur les risques industriels permanent et les personnes chargées de l’enquête sont tenus au secret professionnel dans les conditions prévues par l’article 226‑13 du code pénal.
« Art. L. 510‑15. – I. – Par dérogation à l’article L. 510‑14, le bureau d’enquêtes et d’analyses sur les risques industriels est habilité à transmettre des informations résultant de l’enquête technique, s’il estime qu’elles sont de nature à prévenir un accident :
« 1° Aux autorités administratives chargées de la sécurité dont la liste est précisée par décret ;
« 2° Aux personnes physiques et morales concevant, produisant, exploitant ou entretenant des installations ou équipements tels que ceux mis en œuvre dans le cadre de l’accident ;
« 3° Aux personnes physiques et morales chargées de la formation des personnels.
« II. – Par dérogation à l’article L. 510‑14 le bureau d’enquêtes et d’analyses sur les risques industriels est habilité, dans le cadre de sa mission, à rendre publiques des informations à caractère technique sur les constatations faites par les enquêteurs, le déroulement de l’enquête technique et, éventuellement, ses conclusions provisoires. Les modalités de cette publicité sont définies par décret.
« Art. L. 510‑16. – Sur autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction, des éléments des procédures judiciaires en cours permettant de réaliser des recherches ou enquêtes scientifiques ou techniques, destinées notamment à prévenir la survenance d’accidents, ou de faciliter l’indemnisation des victimes peuvent être communiqués à des autorités ou organismes habilités à cette fin, par arrêté du ministre de la justice, pris, le cas échéant, après avis du ou des ministres intéressés. Les agents relevant de ces autorités ou organismes qui reçoivent ces informations sont tenus au secret professionnel, dans les conditions et sous les peines prévues par les articles 226‑13 et 226‑14 du code pénal.
« Art. L. 510‑17. – Les informations ou documents relevant du secret de l’enquête ou de l’instruction judiciaires peuvent être communiqués aux enquêteurs techniques avec l’accord du procureur de la République.
« Art. L. 510‑18. – Au cours de ses enquêtes, le bureau d’enquêtes et d’analyses sur les risques industriels peut émettre des recommandations de sécurité s’il estime que leur mise en œuvre immédiate est de nature à prévenir un accident.
« Section 4
« Sanctions
« Art. L. 510‑19. – Est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende le fait d’entraver l’action des enquêteurs techniques mentionnés à l’article L. 510‑5 :
« 1° Soit en s’opposant à l’exercice des fonctions dont ils sont chargés ;
« 2° Soit en refusant de leur communiquer les données, les contenus, les matériels, les informations et les documents qu’ils demandent, en les dissimulant, en les altérant ou en les faisant disparaître.
« Art. L. 510‑20. – Les personnes morales reconnues pénalement responsables, dans les conditions prévues à l’article 121‑2 du code pénal, des infractions définies à l’article L. 510‑19 du présent code encourent, outre l’amende selon les modalités prévues à l’article 131‑38 du code pénal, les peines mentionnées à l’article 131‑39 du même code.
« L’interdiction mentionnée au 2° de l’article 131‑39 dudit code porte sur l’activité dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise. »
Article 2
La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.