Description : LOGO

N° 3567

_____

ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 novembre 2020.

PROPOSITION DE LOI

relative au statut des travailleurs soustraitants du nucléaire,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut
de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Mathilde PANOT, JeanLuc MÉLENCHON, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Caroline FIAT, Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Danièle OBONO, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, JeanHugues RATENON, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, François RUFFIN, Bénédicte TAURINE,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Nous sommes fatigués d’être méprisés, invisibles, alors que sans nous, les centrales ne pourraient pas fonctionner. »

Tony Doré, syndicaliste FO.

« EDF ne peut plus se passer de nous, puisque les compétences de ses agents ne cessent de se dégrader. Sauf que sa situation économique est catastrophique, de même que celle des autres exploitants du secteur, Areva en tête. Ils font donc faire le boulot aux prestataires à des coûts toujours plus bas. Et c’est de pire en pire à mesure que l’on descend dans les niveaux de soustraitance. L’entreprise qui emporte le marché soustraite à d’autres entreprises, auxquelles elle demande à son tour de casser les prix pour réaliser sa marge. On fait du nucléaire lowcost ! »

Gilles Reynaud, président de l’association « Ma zone contrôlée »

« L’ampleur de la soustraitance est un problème majeur du nucléaire français. »([1])

Barbara Pompili, actuelle ministre de l’écologie, rapporteure de la commission d’enquête sur la sûreté et la sécurité nucléaire

La sous‑traitance nucléaire est massive. Elle intervient dans tous les domaines : la maintenance, la radioprotection, la logistique, la décontamination, l’assainissement ainsi que la collecte, le conditionnement et la gestion des déchets, la blanchisserie, le nettoyage, le magasinage ou encore le gardiennage. Les sous‑traitants du nucléaire réalisent 80 % des activités de maintenance. Ils reçoivent également 80 % des doses annuelles radioactives. Pendant l’épidémie de Covid‑19, ils étaient en première ligne.

Le premier objectif de cette proposition de loi est de les protéger, leur statut les mettant aujourd’hui en danger sur leur lieu de travail. Nous le devons à ces travailleurs invisibles, qui supportent les conséquences également invisibles d’un travail radioactif.

Garantir l’égalité entre soustraitants et travailleurs statutaires du nucléaire

Le premier enjeu de cette proposition de loi est donc social : il faut que les travailleurs sous‑traitants disposent du même niveau de protection que les travailleurs statutaires du nucléaire. C’est tout l’enjeu d’établir une convention collective spécifique aux salariés intervenants à Orano, au CEA, à l’ANDRA ou à l’IRSN. Il s’agit également d’appliquer l’article 4 de l’accord d’entreprise du statut des IEG pour les salariés intervenants sur le parc nucléaire EDF car nombreux sont des permanents. L’objectif est d’égaliser les conditions de suivi médical en renforçant les droits des travailleurs sous‑traitants, et leur permettant de faire valoir leurs droits, le cas échéant, quand ils ont été victimes de maladies professionnelles (Article 1er). Le fait même que les travailleurs sous‑traitants interviennent sur des postes très exposés pose un problème sanitaire pour ces travailleurs. Mais il interroge également les conditions de sûreté et de sécurité de nos centrales.

Limiter les risques en termes de sécurité et de sûreté nucléaires

Des travailleurs moins payés, moins protégés, sont moins à même d’accomplir leurs tâches dans des conditions favorables au maintien de la sûreté et de la sécurité des centrales nucléaires de production d’électricité et autres installations nucléaire de base, impératif partagé par tous comme l’avaient montré les conclusions de la commission sûreté et sécurité nucléaire tenue à l’Assemblée nationale en juillet 2018. Ce rapport comporte plusieurs recommandations relatives aux liens entre sûreté nucléaire et statut des travailleurs sous‑traitants. L’accident inédit de la chute du générateur de vapeur de la centrale de Paluel en 2016 est révélateur des failles et du dangers grave liés à la sous‑traitance en cascade. Cette proposition de loi prévoit que la radioprotection soit uniquement assurée par les agents statutaires de l’exploitant (Article 2).

L’interdiction de la sous‑traitance à plusieurs niveaux est également de nature à limiter les risques. La sous‑traitance dilue la responsabilité et complexifie la réalisation des missions de travail. En outre, comme le précise le rapport de la commission sûreté et sécurité nucléaire de juin 2018, les entreprises de sous‑traitance ne transmettent pas toujours l’ensemble des informations aux divers exploitants. Nous proposons donc, à la suite des conclusions dudit rapport, la limitation de la sous‑traitance à un seul niveau (Article 3).

Cette proposition de loi répond donc à un double objectif. D’une part, il s’agit de protéger les travailleurs sous‑traitants et rendre leurs conditions de travail décentes, en prenant en compte la pénibilité et les risques liés à leur profession. D’autre part, la redéfinition des missions qui incombent aux travailleurs sous‑traitants permet à la fois de correspondre au premier objectif, mais également de renforcer les capacités de renforcement de la sûreté des centrales. En effet, si nous envisageons le problème à moyen‑terme, un tel système pose une question décisive, celle du risque de pertes de compétence des exploitants, en l’occurrence EDF, Orano et le CEA.

Quelle que soit la conception que nous avons de la transition énergétique, il est évident qu’elle ne pourra bien s’accomplir sans de meilleures conditions de travail des soustraitants, grands oubliés du secteur nucléaire, ni sans une attention extrême aux questions de sûreté des centrales.

 


proposition de loi

Article 1er

I. – près l’article L. 1333‑17 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 1333‑17‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1333171. – Le responsable d’une installation nucléaire est responsable pénalement des maladies professionnelles ayant pour origine le niveau d’exposition des travailleurs, tous statuts confondus, à l’amiante, aux rayonnements ionisants, aux agents chimiques dangereux, aux produits cancérigènes, mutagène et reprotoxiques en application de l’article 222‑19 du code pénal. »

II. – Une convention collective spécifique aux travailleurs sous‑traitants travaillant à Orano, au commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs et à l’Institut de radioprotection et de sûreté est créée.

Les travailleurs sous‑traitants de toutes les installations nucléaires de production d’électricité quels que soient le lieu et la date d’embauche, se voient appliquer une convention collective à compter de la promulgation de la présente loi. Cette convention collective ne peut offrir de garanties inférieures à la convention collective des industries électriques et gazières. Elle prend en compte l’ancienneté sur l’ensemble de la carrière au sein des différentes entreprises du nucléaire en termes de salaires et de protection sociale.

Tous les travailleurs sous‑traitants intervenant sur les diverses installations nucléaires, disposent d’un suivi médical identique que celui des agents statutaires des exploitants du secteur nucléaire.

Article 2

Après l’article L. 1333‑6 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 1333‑6‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 133361. – La radioprotection est exercée exclusivement par des agents statutaires de l’exploitant. L’exposition maximale au rayonnement ionisant est abaissée à 10mSv/an pour les personnels de catégorie A et 3mSv/an de catégorie B. »

Article 3

I. – L’article L. 593‑6‑1 du code de l’environnement est ainsi rédigé :

« Art. L. 59361. – En raison de l’importance particulière de certaines activités pour la protection des intérêts mentionnés à l’article L. 593‑1, le recours à des prestataires et à la sous‑traitance est limité à un seul niveau et fait l’objet d’un contrôle de l’Autorité de sûreté nucléaire.

« Un contrat entre une société mère et sa filiale, un contrat entre deux entreprises appartenant à un même groupement momentané économique et solidaire ou à une même prestation globale d’assistance chantier sont considérés dans le cadre des installations nucléaires comme un seul niveau de sous‑traitance.

« L’exploitant assure une surveillance des activités importantes pour la protection des intérêts mentionnés au même article L. 593‑1 lorsqu’elles sont réalisées par des intervenants extérieurs. Il veille à ce que ces intervenants extérieurs disposent des capacités techniques et compétences internes appropriées pour la réalisation desdites activités. Il ne peut déléguer cette surveillance à un prestataire. Cette surveillance est réalisée exclusivement par des salariés directs de l’exploitant.

« L’Autorité de sûreté nucléaire garantit le niveau unique de sous‑traitance et opère toutes démarches utiles afin de contrôler l’application effective du principe. Le cas échéant, l’Autorité de sûreté nucléaire est habilitée à sanctionner les exploitants pour tout manquement, en application de l’article L. 596‑4. »

II. – Au plus tard le 1er janvier de la septième année suivant la promulgation de la présente loi, l’exploitant compte au maximum un seul niveau de sous‑traitance.

Article 4

L’article L. 4624‑2 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« À ce titre, tout travailleur du secteur électronucléaire, y compris les travailleurs intervenant pour le compte d’un sous‑traitant, fait l’objet d’un suivi médical régulier, conformément à l’article L. 4625‑1. Un suivi médical post‑professionnel est obligatoire pour l’ensemble des travailleurs de la filière. Il est mis en œuvre à la rupture ou l’achèvement du contrat de travail, y compris en cas de licenciement, et avant le départ à la retraite. »

Article 5

La plateforme unique de suivi des travailleurs du nucléaire de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire regroupe les données de l’ensemble des travailleurs du secteur du nucléaire dont les travailleurs intervenant pour le compte de sous‑traitants.

Article 6

Le I de l’article L. 1333‑13 du code de la santé publique est complété d’un alinéa ainsi rédigé :

« Toute contamination interne aux rayonnements ionisants fait l’objet d’une déclaration d’accident du travail. »

Article 7

I. – L’article L. 4523‑7 du code du travail est ainsi rédigé :

« Art. L. 45237. – Un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, par dérogation à l’ordonnance n° 2017‑1386 du 22 septembre 2017 et aux articles L. 2315‑36 et suivants du code du travail, est créée au sein du comité social et économique. Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail est interprofessionnel. Il traite à égalité tous les travailleurs intervenant sur les installations nucléaires, qu’ils soient salariés directs de l’exploitant ou travaillant pour le compte d’un sous‑traitant.

« Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail maintient son rôle de contrôle et de surveillance. Il est doté de la personnalité morale. Il peut requérir une expertise judiciaire auprès de la juridiction compétente. »

II. – Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail au sein des installations nucléaires exerce les missions et assure son fonctionnement dans les conditions antérieures aux dispositions prévues par l’ordonnance n° 2017‑1386 du 22 septembre 2017.


([1])  Sciences et Avenir, Entretien avec Barbara Pompili par Rachel Mulot et Olivier Lascar, 6 juillet 2018.