Description : LOGO

N° 3615

_____

ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er décembre 2020.

PROPOSITION DE LOI

visant à lutter contre les géants du ecommerce,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut
de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Loïc PRUD’HOMME, Bastien LACHAUD, JeanLuc MÉLENCHON, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Caroline FIAT, Michel LARIVE, Danièle OBONO, Mathilde PANOT, Adrien QUATENNENS, JeanHugues RATENON, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, François RUFFIN, Bénédicte TAURINE,

Député‑e‑s.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En France, le petit commerce non alimentaire pourrait perdre de 150 000 à 300 000 emplois en 2020 du fait de la crise sanitaire que notre pays traverse.

Le commerce de proximité représente pourtant plus de 600 000 entreprises, 20 % du produit intérieur brut, 1,2 million de salariés et 3 millions d’actifs. Il s’agit d’emplois non délocalisables dont le tissu est composé à 95 % de Très Petites Entreprises, principalement situées en centre‑ville.

Alors que les devantures de nos centres‑villes restent fermées pour cause de reconfinement, que des milliers de petits commerces dits « non essentiels » sont menacés d’une fermeture définitive, les géants du e‑commerce peuvent continuer d’inonder les français de produits tout à fait non essentiels. Le géant de la vente en ligne a vu ses chiffres de vente s’envoler en 2020 et la fortune de son PDG Jeff Bezos atteint désormais 200 milliards de dollars.

Loin de se contenter de favoriser la distorsion de concurrence au profit des mastodontes du web, le Gouvernement déroule le tapis rouge à la stratégie d’implantation massive d’Amazon sur notre territoire : onze projets d’entrepôts géants sont en effet prévus d’ici 2021, pour doubler sa surface de stockage et commercialiser 2 milliards d’objets supplémentaires par an en France alors qu’Amazon est déjà le premier distributeur de produits électroniques et le premier distributeur en ligne de produits textiles.

Or, pour maintenir le réchauffement climatique à 1,5° degré à la fin du siècle, d’ici 2030, il faudrait réduire par 10 les mises en marché de produits textiles et environ par 3 celles des produits électroniques.

Cette implantation massive a des conséquences économiques, sociales et environnementales dramatiques pour notre pays. En France Amazon a déjà détruit 7 900 emplois, pour 1 emploi créé dans le commerce en ligne, 4,5 sont détruits([1]) et ce alors que notre pays enregistre une explosion de la précarité et de la pauvreté sans précédent.

Quant aux salariés d’Amazon, ceux‑ci ne sont guère bien lotis : absence de respect du droit du travail et surcontamination au Covid dans les entrepôts, l’entreprise fait prendre tous les risques à ses travailleurs pour engranger toujours plus de bénéfices.

Cette stratégie de conquête du territoire hexagonal se paye au prix fort de nos emplois, de nos petits commerces mais aussi de l’aggravation du réchauffement climatique. Les activités de livraisons, l’artificialisation des sols via la multiplication des entrepôts et la surconsommation de produits ont des conséquences environnementales qui vont à rebours de tous les accords climats dans lesquels la France s’est engagée.

C’est pourquoi l’article 1er de la présente proposition de loi vise à créer en urgence une taxe annuelle de 20 % sur le chiffre d’affaires réalisé sur la vente de biens par voie électronique par des plateformes dont le chiffre d’affaires est supérieur à 10 millions d’euros, pour ne pas toucher les très petites entreprises et les petites et moyennes entreprises, et qui opèrent via des entrepôts logistiques dédiés déconnectés de magasins de commerce de détail au titre des dommages environnementaux et sociaux générés par ces activités. Elle pourrait venir alimenter un fond de soutien pour la création, l’installation ou le maintien des petits commerces de proximité.

Afin de lutter contre la stratégie commerciale agressive des géants du e‑commerce qui vise à multiplier les entrepôts pour diminuer les délais de livraison, l’article 2 de la proposition de loi vise l’interdiction de construire, d’aménager un entrepôt logistique à destination du commerce électronique d’une surface supérieure à 1 000 mètre carrés, et l’interdiction de l’extension de surface d’entrepôts logistiques à destination du commerce en ligne de plus de 1 000 mètres carrés.

Cette interdiction permet de limiter le maillage des entrepôts et augmente les délais d’acheminement. En effet la livraison en 24 heures/48 heures est un des arguments commerciaux de ces géants du e‑commerce. Cette rapidité de livraison est un besoin artificiel : outre le fait qu’elle vient en concurrence directe du commerce local dont la plus‑value est l’accessibilité rapide, elle est une des conditions qui génère une grande partie de l’impact écologique destructeur de ce type de commerce.

L’argument de la course à la concurrence avec les pays voisins, ne tient pas puisque plusieurs pays européens dont la Suisse et l’Allemagne ont déjà restreint très fortement les possibilités d’implantations d’entrepôts sur leurs territoires.

Les géants de la vente en ligne s’illustrent également par leur grande habileté à se déjouer de toutes les taxes et à ne pas prendre part à la solidarité nationale par l’impôt. Cela créé de fait des distorsions de concurrence totalement déloyales. Il est temps de mettre fin à l’inégalité de traitement entre les grandes surfaces et les géants de la vente en ligne dont les entrepôts sont pour l’heure exemptés de la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM) alors mêmes que les entrepôts dédiés au e‑commerce consommeraient trois fois plus d’espace qu’une zone commerciale. Pour la seule entreprise Amazon cela représente un manque à gagner de 38 millions d’euros par an pour les finances publiques.

L’article 3 vise donc à mettre fin à cette inégalité de traitement en assujettissant les entrepôts de vente en ligne à la taxe sur les surfaces commerciales.

Les plateformes de commerces en ligne ont également été épinglées pour leur fraude massive à la TVA : Seuls 100 millions d’euros de TVA et de charges salariales ont été collectées par Amazon France en 2018. Moins de 100 millions d’euros de TVA pour un chiffre d’affaires ‑ vente directe et marketplace ‑ estimé à 6,5 milliards d’euros. Un rapport de l’inspection générale des finances (IGF) constate que 98 % des vendeurs en ligne présents sur les places de marché des sites d’e‑commerce en France ne sont pas immatriculés à la TVA. Le manque à gagner chaque année pour l’État français est évalué à 1,5 milliard d’euros, il est temps d’agir efficacement contre cette distorsion de concurrence via la fraude à la TVA.

Si la loi relative à la lutte contre la fraude du 23 octobre 2018 a institué un régime de responsabilité solidaire des plateformes en ligne pour le paiement de la TVA due par les vendeurs qui exercent leur activité par leur intermédiaire. Dans les faits la mise en œuvre s’avère complexe : des dizaines de milliers de vendeurs à contrôler, par une administration sous dotée. Et même en cas de contrôle, il peut être contourné : les fraudeurs n’ont qu’à fermer leur entreprise et en ouvrir une nouvelle, avec un nouveau numéro de TVA.

L’article 4 de cette proposition de loi demande donc qu’un rapport sois remis au Parlement dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi sur les obstacles à la mise en oeuvre effective d’un régime de responsabilité solidaire des plateformes en ligne pour le paiement de la TVA due par les vendeurs qui exercent leur activité par leur intermédiaire.

Ainsi, cette présente loi vise à pallier dans l’urgence les conséquences de la crise sanitaire pour les petits commerces et pour l’Etat en luttant contre la concurrence déloyale des géants du web et en mettant à contribution de la solidarité nationale ces plateformes trop habituée à frauder. Mais elle vise aussi à mettre un nécessaire frein à l’implantation des géants du web sur notre territoire pour lutter contre le réchauffement climatique, l’artificialisation des sols et préserver des millions d’emplois non délocalisables.

 


proposition de loi

Article 1er

I. – Le titre II de la première partie du livre premier du code général des impôts est complété par un chapitre XXI ainsi rédigé :

« Chapitre XXI

« Taxe pour dommage environnemental et social appliquée au commerce par voie électronique

« Art. 302 bis ZP. – A. – Il est institué une taxe à laquelle sont soumises les ventes de biens à la suite d’une commande effectuée par voie électronique réalisées par les opérateurs de plateforme en ligne définis à l’article L. 111‑7 du code de la consommation dont le chiffre d’affaires hors taxe lors du dernier exercice clos réalisé en France est supérieur à 10 millions d’euros et exerçant une activité de commercialisation de biens au moyen d’entrepôts de logistique non intégrés à des magasins de commerce de détail, au départ desquels des biens stockés sont livrés directement, ou indirectement à travers des entrepôts de transit, à des personnes physiques ou morales.

« B. – La taxe est assise sur le chiffre d’affaires réalisé sur les produits commandés par voie électronique au cours de l’exercice précédent. Le montant de la taxe est calculé en appliquant à l’assiette définie au A un taux de 20 %.

« Les modalités de déclaration du produit collecté, le contrôle, le recouvrement, le contentieux, les garanties et sanctions relatifs à la taxe seront précisés par décret. »

II. – Les dispositions du I sont applicables à compter du 1er janvier 2021.

Article 2

Après le dixième alinéa de l’article L. 7521 du code de commerce, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« La délivrance des permis de construire ayant pour objet la construction, l’extension ou la transformation d’un bâtiment existant en un entrepôt logistique d’une surface supérieure à 1 000 m², qui n’est pas intégré à un magasin de commerce de détail et au départ duquel des biens stockés sont livrés, directement ou indirectement à travers des entrepôts de transit, au consommateur final à la suite d’une commande effectuée par voie électronique est interdite.

« Cette interdiction s’applique à compter de la promulgation de la présente loi, y compris aux demandes de permis de construire en cours d’instruction. »

Article 3

Après le septième alinéa de l’article 3 de la loi n° 72‑657 du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :

« Est également assujettie à la taxe sur les surfaces commerciales, la surface de stockage des entrepôts de logistique à destination du commerce par voie électronique qui ne sont pas intégrés à des magasins de commerce de détail et au départ desquels des biens stockés sont livrés directement, ou indirectement à travers des entrepôts de transit, à des personnes physiques ou morales non assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée à la suite d’une commande effectuée par voie électronique, dès lors qu’elle dépasse 400 m².

« La taxe est due quelle que soit la forme juridique de l’entreprise qui les exploite dès lors que son chiffre d’affaires annuel hors taxes est supérieur à 460 000 euros. Sont cependant exonérées de la taxe sur les surfaces de stockage les entreprises assujetties à la taxe sur la surface de vente des magasins de commerce de détail.

« Lorsque des entreprises sont liées au sens du 12 de l’article 39 du code général des impôts, cette exonération s’applique à toutes les entreprises liées, la surface de vente assujettie à la taxe de magasins de commerce de détail à retenir étant la somme des surfaces de vente des magasins de commerce de détail exploités par l’ensemble de ces entreprises. »

Article 4

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les obstacles à la mise en œuvre effective d’un régime de responsabilité solidaire des plateformes en ligne pour le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée due par les vendeurs qui exercent leur activité par leur intermédiaire. Le rapport documente notamment la sous‑dotation des administrations fiscales face au nombre de contrôles à effectuer. Il s’intéresse également au risque de contournement de ce régime, par le mécanisme consistant pour les entreprises en situation de fraude, à fermer leur entreprise et en ouvrir une nouvelle avec un nouveau numéro de taxe sur la valeur ajoutée.


([1]) https://www.eulerhermes.com/en_global/news-insights/economic-insights/retail-in-the-u-s---towards-destructive-destruction.html