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N° 3865

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 février 2021.

PROPOSITION DE LOI

visant à introduire une dose de proportionnelle lors des élections législatives,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Patrick MIGNOLA,

député.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En 2013, Jean‑Marc Sauvé, vice‑président du Conseil d’État, expliquait lors d’un colloque([1]) « qu’en matière politique, « représenter peut signifier trois choses ». En premier lieu, « tenir lieu de » : en matière de théorie du mandat politique, le titulaire d’un mandat représentatif « se substitue à celui qu’il représente », puisqu’il n’existe pas de mandat impératif. En second lieu, représenter peut signifier « ressembler » : c’est à ce sens que se rattache, par exemple, l’idée, non de représentation, mais de représentativité d’une institution. La question est alors, par exemple, de savoir si le Parlement est représentatif, en termes notamment de genre et d’origines, de la population française. Enfin, en un troisième sens, représenter peut signifier « être le porte‑parole de », ce dernier sens étant sans doute de plus en plus prégnant. Cette question de représentation et, corollairement, de « trahison représentative([2]) » est au cœur du débat public depuis deux siècles avec en filigrane cette attente plus ou moins forte selon les époques de « faire du Parlement le miroir de la nation([3]) ». Cet objectif a été clairement affirmé par le président de la République, le 3 juillet 2017, devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles. Emmanuel Macron a marqué sa volonté de voir la démocratie française renouer « avec la variété du réel, avec la diversité de cette société française » qui est le souffle profond de la vitalité démocratique de notre pays. Si la « réalité (…) plurielle » de la France est entrée, dans une large mesure, à l’Assemblée nationale en 2017, elle est cependant inachevée. C’est pourquoi, le président de la République a appelé les parlementaires à mener ce combat avec lui, à œuvrer pour « que le Parlement soit élu avec une dose de proportionnelle, pour que toutes les sensibilités y soient justement représentées([4]). »

Cette volonté présidentielle, solennellement affirmée au lendemain des élections législatives, répond à une demande croissante des Français. Ainsi, dans un sondage de l’institut Ifop de novembre 2020([5]), 73 % d’entre eux se déclarent favorables à l’introduction d’une dose de proportionnelle aux élections législatives. Derrière ce chiffre, il y a l’expression d’une contestation, celle d’une Assemblée nationale dont le visage n’est pas totalement celui de la France d’aujourd’hui. Il y a aussi un enjeu démocratique fondamental, celui du rétablissement du lien de confiance entre les électeurs et la démocratie représentative.

Le déficit de représentation que nos concitoyens ressentent « peut donner le sentiment à une partie importante des électeurs que leur voix ne compte pas ». Cela les « pousse à des comportements de « vote utile » vécus avec amertume mais aussi, le cas échéant, à l’abstention([6]). Ainsi, aux élections législatives de 2017, pour la première fois depuis 1958, seuls 42,64 % des inscrits se sont déplacés pour le second tour ; un record dans la droite ligne du premier tour (seuls 49,7 % des électeurs y avaient participé).

En Europe, la proportionnelle est la norme et la France se singularise avec le scrutin majoritaire uninominal à deux tours. Au sein de l’Union européenne, vingt‑et‑un pays ont des systèmes proportionnels, et cinq ont des systèmes mixtes.

Pourtant, avec la concrétisation d’une proposition qui figurait parmi les 101 propositions de François Mitterrand, lors de la campagne de 1981, les élections législatives de 1986 s’étaient faites à la proportionnelle intégrale. Pour autant, en 1988, la proportionnelle a disparu pour laisser place au retour du scrutin majoritaire lors des élections législatives. L’idée de la proportionnelle a ressurgie au moment des campagnes présidentielles suivantes, notamment de Nicolas Sarkozy et François Hollande. Ces promesses de campagne n’ont cependant pas trouvé de traduction dans le code électoral pendant leurs quinquennats.

La proportionnelle séduit les Français, mais effraie une partie du personnel politique qui craint qu’elle ne soit, notamment, une source d’instabilité gouvernementale. La IVème République a laissé des traces dans la mémoire politique collective, mais les causes de son instabilité ne peuvent être intégralement attribuées à la proportionnelle. De plus, le contexte institutionnel d’aujourd’hui n’est plus du tout le même qu’à l’époque. Instaurer, pour les élections législatives de 2022, une dose de proportionnelle, c’est renforcer le rôle du parlement, lui redonner la légitimité qui doit être la sienne, réaffirmer sa place dans le fonctionnement de nos institutions et remettre la démocratie représentative au cœur de la vie politique de notre pays.

Ainsi, nous devons aujourd’hui nous rassembler, nous extraire d’intérêts partisans immédiats, pour donner au Parlement le vrai visage de la France et il est de la responsabilité du législateur de faire évoluer la loi en ce sens.

Cette proposition de loi vise donc à introduire, pour les prochaines élections législatives, une proportionnelle départementale dans les départements de douze députés et plus, correspondant ainsi à un taux de 22,5 % d’élus à la proportionnelle.

Dans les autres départements, il est proposé de maintenir le scrutin majoritaire uninominal à deux tours : les départements moins peuplés, souvent ruraux, ne verront pas leur circonscription modifiée et conserveront une représentation en adéquation avec leur réalité territoriale. Quant aux départements les plus peuplés, souvent les plus métropolitains, ils auront une représentation plus en phase avec la réalité de leur paysage politique.

C’est dans cet objectif que la présente proposition de loi instaure un scrutin législatif mixte à travers quatre articles.

L’article 1er réécrit l’article L. 123 du code électoral pour prévoir, notamment, que dans les départements où sont élus onze députés ou moins, l’élection a lieu au scrutin uninominal majoritaire à deux tours, par circonscription.

L’article 2 réécrit l’article L. 124 du code électoral pour prévoir que dans les départements où sont élus douze députés ou plus, l’élection a lieu à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, sans panachage ni vote préférentiel.

L’article 3 crée un nouvel article L. 124‑1 dans le code électoral. Celui‑ci prévoit les modalités de constitution des listes dans les départements où les élections législatives ont lieu à la représentation proportionnelle.

L’article 4 complète l’article L. 125 du code électoral afin de tenir compte du scrutin législatif à la représentation proportionnelle dans les départements où sont élus douze députés ou plus.


proposition de loi

Article 1er

L’article L. 123 du code électoral est ainsi rédigé : 

« Art. L. 123.  Dans les départements où sont élus onze députés ou moins, l’élection a lieu au scrutin uninominal majoritaire à deux tours.

« Le vote a lieu par circonscription.

« Nul n’est élu au premier tour de scrutin s’il n’a réuni :

« 1° La majorité absolue des suffrages exprimés ;

« 2° Un nombre de suffrages égal au quart du nombre des électeurs inscrits.

« Au deuxième tour la majorité relative suffit.

« En cas d’égalité de suffrages, le plus âgé des candidats est élu. »

Article 2

L’article L. 124 du code électoral est ainsi rédigé : 

« Art. L. 124.  Dans les départements où sont élus douze députés ou plus, l’élection a lieu à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, sans panachage ni vote préférentiel. 

« Sur chaque liste, les sièges sont attribués aux candidats d’après l’ordre de présentation. »

Article 3

Après l’article L. 124 du code électoral, il est inséré un article L. 124‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1241. – Dans les départements où les élections ont lieu à la représentation proportionnelle, chaque liste de candidats doit comporter deux noms de plus qu’il y a de sièges à pourvoir. Sur chacune des listes, l’écart entre le nombre des candidats de chaque sexe ne peut être supérieur à un. Chaque liste est composée alternativement d’un candidat de chaque sexe.

« Outre les renseignements mentionnés à l’article L. 154, la déclaration doit indiquer le titre de la liste et l’ordre de présentation des candidats. La déclaration de chaque candidat comporte la mention manuscrite suivante : « La présente signature marque mon consentement à me porter candidat à l’élection à l’Assemblée nationale sur la liste menée par (indication des nom et prénoms du candidat tête de liste). »

« Une déclaration collective pour chaque liste est faite par un mandataire de celle‑ci. Tout changement de composition d’une liste ne peut être effectué que par retrait de celle‑ci et le dépôt d’une nouvelle déclaration. La déclaration de retrait doit comporter la signature de l’ensemble des candidats de la liste.

« Le retrait d’une liste ne peut intervenir après l’expiration du délai prévu pour le dépôt des déclarations de candidatures.

« En cas de décès de l’un des candidats au cours de la campagne électorale, les autres candidats de la liste ont le droit de le remplacer jusqu’à la veille de l’ouverture du scrutin par un nouveau candidat au rang qui leur convient. »

Article 4

L’article L. 125 du code électoral est complété par une phrase ainsi rédigée : « Dans les départements où sont élus douze députés ou plus, le nombre de circonscriptions est égal au nombre de sièges à pourvoir. »


([1]) Colloque de la Fondation prospective et innovation organisé le 21 mars 2013 sur le thème : "les défis de la démocratie représentative." https://www.conseil-etat.fr/actualites/discours-et-interventions/institutions-et-democratie-representative

([2]) S. BAUME, Le Parlement face à ses adversaires. La revue de science politique 2006/6 (Vol. 56).

([3]) Terra Nova, 19 mars 2018. « Une dose de proportionnelle » : pourquoi, comment, laquelle ?
https://tnova.fr/system/contents/files/000/001/540/original/Terra-Nova_Modes-de-scrutin_190318.pdf?1521457070

([4]) https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2017/07/03/discours-du-president-de-la-republique-devant-le-parlement-reuni-en-congres

([5]) https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2020/11/117717-R%C3%A9sultats.pdf

([6])Terra Nova, 19 mars 2018. « Une dose de proportionnelle » : pourquoi, comment, laquelle ? https://tnova.fr/system/contents/files/000/001/540/original/Terra-Nova_Modes-de-scrutin_190318.pdf?1521457070