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N° 4356

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 juillet 2021.

PROPOSITION DE LOI

visant à réduire, clarifier
et mieux équilibrer les subventions à la presse,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l'éducation, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Emmanuelle MÉNARD,

députée.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Instrument essentiel au bon fonctionnement d’une démocratie, la presse est un contre-pouvoir fondamental. D’aucuns la considèrent même comme un quatrième pouvoir, indispensable à la bonne marche de nos institutions aux côtés du pouvoir législatif, du pouvoir exécutif et de l’autorité judiciaire.

La liberté de la presse est garantie par l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Cette liberté est pourtant régulièrement remise en cause par un défaut d’indépendance, en matière éditoriale comme en matière financière.

L’indépendance éditoriale est assez facile à mesurer. La nécessité d’une indépendance financière, en revanche, ne coule pas de source pour les acteurs de ce secteur. Et les nombreuses subventions délivrées par l’État ne sont naturellement pas étrangères à ce phénomène. Le secteur de la presse écrite regroupe environ 3 350 entreprises, emploie 59 000 personnes dont 21 000 journalistes et publie environ 8 000 titres. Son chiffre d’affaires, qui dépassait 10 milliards d’euros en 2000, est tombé à 6,5 milliards d’euros en 2018, et autour de 6 milliards aujourd’hui. La dégradation apparente de la situation s’explique principalement par la diminution de la vente de journaux imprimés : alors qu’il s’élevait en moyenne à 7 milliards au cours de la décennie 1990, le nombre annuel d’exemplaires diffusés a été divisé par 2 à 3,5 milliards en 2016, tandis que les recettes publicitaires sont passées dans le même temps de 3,8 milliards d’euros à moins de 2 milliards d’euros en 2018, également divisées par 2. Au regard de ces chiffres, publiés par le ministère de la culture, le montant total des aides dont bénéficie le secteur de la presse française, d’un niveau sans équivalent en Europe, représente une part croissante de son chiffre d’affaires.

Dans son rapport général fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances pour 2020, en date du 21 novembre 2019, le Sénat a d’ailleurs souligné le problème de l’absence de pluralisme en pointant l’importance de réviser et d’actualiser les critères d’aides à la diversité dans la presse. Il a également constaté les effets d’aubaine, les effets limités des réformes pour y remédier, ainsi que les équilibres fragiles de la presse quotidienne régionale.

À l’occasion de ce rapport, le Sénat a rappelé que les préconisations de la Cour des comptes relatives aux aides fiscales et aux exonérations sociales en faveur de la presse n’ont été jusqu’à présent que partiellement suivies. À titre d’exemple, la Cour appelait à une « rénovation approfondie des aides à la presse » et à plus de transparence. En réponse, le ministre de l’action et des comptes publics partageait alors le constat d’une accumulation de dispositifs d’aides trop nombreux, aux objectifs contradictoires, générant des coûts de gestion élevés et altérant la lisibilité globale du soutien public.

La presse française bénéficie en effet de nombreuses aides en tout genre, aussi bien directes qu’indirectes : aide postale, aide au portage, aide aux publications d’information politique et générale dont les ressources publicitaires sont faibles, aide à l’investissement et à l’innovation, etc. Il s’agit du secteur le plus subventionné de France !

Dans le projet de loi de finance pour 2020, le total des crédits budgétaires dédiés aux aides à la presse écrite s’élève à 214 millions d’euros. Mais les aides présentent également un volet fiscal. Selon que l’on évalue le manque à gagner pour l’État lié au taux super réduit de 2,1 % de TVA par rapport au taux de 5,5 % pratiqué pour le livre ou pire, par rapport au taux normal de 20 %, comme c’est le cas au Royaume-Uni par exemple, l’estimation évolue entre 165 et 970 millions d’euros d’après le rapport public annuel de février 2018 rendu par la Cour des comptes. Et même si la Cour des comptes avait, en son temps, recommandé que le taux de TVA super-réduit de 2,1% s’applique sans distinction à l’ensemble des familles de presse, y compris la presse en ligne, le taux super réduit ne se justifie plus aujourd’hui sur le principe, et encore moins pour la presse numérique, dont la valeur ajoutée est bien supérieure à celle de la presse papier.

Cette proposition de loi vient donc supprimer la TVA préférentielle dont bénéficie la presse numérique, pour lui rétablir un taux normal de 20 % et appliquer un taux réduit de 10 % à la presse papier.

Par ailleurs, elle vient clarifier et simplifier les diverses aides au secteur de la presse. La compensation versée par l’État à La Poste au titre de l’aide au transport postal, qui relève du programme n° 134 « développement des entreprises du tourisme » n’est en effet pas comptabilisée comme une aide directe et ne concerne qu’une faible partie du coût de la presse réellement supporté par la poste. Il devient nécessaire d’opérer un changement de programme pour faire entrer ces aides dans une mission budgétaire qui leur correspond vraiment. La Cour des comptes a d’ailleurs effectué une recommandation en ce sens dans sa note d'analyse de l'exécution budgétaire 2019. Elle préconise en effet de rapatrier les crédits dédiés au soutien du transport postal de la presse du programme 134 « développement des entreprises et du tourisme » vers le programme 180.

Au-delà des subventions touchées par les journaux, on peut également s’interroger sur le bienfait des « petits avantages » accordés à la profession de journaliste telle que la niche fiscale dont ils bénéficient encore. Même si celle-ci a été rabotée par le Parlement en 2018, il n’en reste pas moins qu’actuellement, un journaliste qui gagne moins de 6 000 euros net par mois (et moins de 93 510 euros par an), pourra défalquer 7 650 euros de son revenu annuel déclaré. Autrement dit, un journaliste qui gagne, par exemple, 30 000 euros par an, n’en déclarera que 22 350…

Il est difficile de comprendre comment le Gouvernement peut estimer qu’un retraité est aisé lorsqu’il touche une pension de retraite de 1 200 euros (et l’exécutif en avait au passage profité pour augmenter le taux de de CSG à 1,7 %) et, en même temps, estimer normal d’aider un journaliste qui gagne 6 000 euros nets par mois. Ce traitement de faveur est incompréhensible pour les Français. Supprimer les avantages accordés aux journalistes est donc une mesure de justice sociale. La demande, formulée par la Cour des comptes, d’un réexamen des justifications sous-tendant le régime de l’abattement pour frais professionnels des journalistes (135 M€ de pertes de recettes dont 35M€ d’impôts sur le revenu et 100 M€ de cotisations sociales pour la seule presse écrite) n’a jamais été suivie d’effets.

Le secteur de la presse n’est en rien différent des autres secteurs économiques : il doit être aussi soumis à l’exigence de rentabilité, qui est le seul indicateur qui permet de mesurer l’adéquation du service aux besoins et aux désirs des consommateurs de médias. La poursuite de l’octroi d’aides publiques importantes au secteur de la presse maintient artificiellement en vie des titres de presse qui n’ont plus ou très peu de lecteurs. Les 660 millions d’euros supplémentaires alloués au titre des « aides Covid 19 », soit plus de 10% du chiffre d’affaire de la profession, n’ont pas arrangé les choses. 

Or, nos finances publiques sont malades et leur situation appelle des décisions courageuses et des arbitrages clairs. L’État, dont le budget et les recettes s’érodent, se trouve dans l’obligation de réduire drastiquement ses dépenses. Pour ce faire, des choix s’imposent.

Cette proposition de loi vise ainsi à réorganiser les aides directes et indirectes à la presse, secteur sous perfusion d’argent public qui peine à se réorganiser et à opérer sa transition numérique.

L’ensemble de ces points doit faire l’objet d’un examen rigoureux et être revu afin d’encourager la venue de nouveaux entrants dans le monde de la presse et favoriser le pluralisme qui caractérise notre démocratie.

L’article 1 vise à supprimer le taux super réduit dont bénéfice la presse et à rétablir le taux classique de 20 % pour la presse numérique et de 10 % pour la presse papier, qui fait face à des contraintes matérielles plus importantes.

L’article 2 vise à réorganiser l’ensemble des aides à la presse. Cette mesure est indispensable pour lui permettre d’assurer sa stricte indépendance. C’est le lecteur qui doit décider les journaux qui méritent d’être présents dans nos kiosques - d’autant que les subventions proviennent de son porte-monnaie - et non l’État. Pour ce faire, il est nécessaire d’œuvrer dans la transparence. Aujourd’hui, seules les aides directes à la presse sont transparentes quand les aides indirectes sont distribuées dans l’opacité la plus complète. Ce système maintient malheureusement le statu quo envers les bénéficiaires des aides et leur renouvellement est extrêmement compliqué. Il convient donc d’augmenter les aides directes à la presse afin de pouvoir en faire bénéficier de nouveaux titres, et de diminuer de façon drastique les aides indirectes.

L’article 3 vise à supprimer complétement l’abattement fiscal des journalistes. A l’heure où les Français font preuve d’une réelle méfiance à l’égard de cette profession, un tel privilège est de moins en moins compréhensible et ne peut qu’entretenir cette suspicion.

 


proposition de loi

Article 1er

L’article 298 septies du code général des impôts est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, le taux : « 2,1 % » est remplacé par le taux : « 10 % ».

2° Au second alinéa, les mots : « également soumis aux mêmes taux de la taxe sur la valeur ajoutée » sont remplacés par les mots : « soumis au taux de 20 % ».

Article 2

Les aides directes et indirectes à la presse sont réorganisées selon les modalités suivantes :

– Un décret en Conseil d’État définit les modalités selon lesquelles les aides directes à la presse sont augmentées ;

– Les aides indirectes à la presse sont progressivement diminuées selon des modalités définies par décret en Conseil d’État, et conduisant à leur disparition, au plus tard le 31 décembre 2022.

La compensation versée par l’État à La Poste au titre de l’aide au transport postal est supprimée à compter du 31 décembre 2022.

Article 3

Le 1° de l’article 81 du code général des impôts est ainsi modifié :

1° Les mots : « rémunérations des journalistes, rédacteurs, photographes, directeurs de journaux et critiques dramatiques et musicaux perçues ès qualités constituent de telles allocations à concurrence de 7 650 €. Il en est de même des » sont supprimés ;

2° La dernière phrase est supprimée.

Article 4

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.