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N° 4554

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 octobre 2021.

PROPOSITION DE LOI

instaurant diverses dispositions relatives aux fonctionnaires
et militaires originaires d’outremer,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Mme Nicole SANQUER, Philippe DUNOYER, Philippe GOMÈS, Olivier SERVA, Valérie SIX, Michel ZUMKELLER, JeanChristophe LAGARDE, Meyer HABIB, Grégory LABILLE, Pascal BRINDEAU, Thierry BENOIT, Guy BRICOUT, Pierre MORELÀL’HUISSIER, Christophe NAEGELEN, Béatrice DESCAMPS, Agnès THILL, Sophie MÉTADIER, Mansour KAMARDINE, Annie CHAPELIER, Benoit SIMIAN, Stéphane CLAIREAUX, Maina SAGE, Moetai BROTHERSON, Sylvain BRIAL, Manuéla KÉCLARD–MONDÉSIR, Lénaïck ADAM, Nathalie BASSIRE, JeanLuc POUDROUX, David LORION, Karine LEBON, Rodrigue KOKOUENDO, Yannick FAVENNECBÉCOT,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La situation des fonctionnaires et des militaires ultramarins est très particulière. Elle l’est d’autant plus lorsqu’il s’agit des collectivités du Pacifique.

Les personnes originaires de ces collectivités sont souvent victimes d’inégalités de traitement vis‑à‑vis des autres français ou ultramarins, qu’ils ressentent à juste titre comme des injustices.

Cette proposition de loi formule des solutions pour mettre fin à ces différences de traitement.

Le chapitre Ier de ce texte traite de l’indemnité temporaire de retraite (ITR).

L’ITR a été créée en 1952 par décret. Seuls les fonctionnaires d’État de certains territoires ultramarins en bénéficient. Ce dispositif constitue un supplément de retraite destiné à compenser la cherté de la vie outre‑mer.

De nombreux abus ont été recensés, en particulier de fonctionnaires n’ayant aucun lien outre‑mer, s’y installant pour passer leur retraite dans l’unique but d’augmenter leurs revenus.

Ces abus ont progressivement augmenté le coût de l’ITR jusqu’à ce que ce dispositif ne devienne trop coûteux. Autrement dit, l’accumulation d’abus de la part d’anciens fonctionnaires peu scrupuleux a délégitimé la totalité du dispositif.

C’est ainsi qu’en 2008, une réforme de l’ITR a été votée, actant la mise en extinction d’ici 2028 du dispositif. La cherté de la vie outre‑mer n’ayant pas disparu pour autant, le secrétaire d’État à l’outre‑mer de l’époque s’était engagé à la mise en place d’un groupe de travail chargé de la mise en œuvre d’un dispositif alternatif.

Cet engagement s’est matérialisé, le 21 novembre 2008, par la signature du secrétaire d’État du relevé des conclusions rédigé à l’issue de sa rencontre avec les représentants syndicaux des fonctionnaires d’État outre‑mer en Nouvelle‑Calédonie et en Polynésie française.

Plus de dix ans après le début de la réforme, aucun système de compensation n’a vu le jour et le bénéfice financier de la réforme n’a pas été reversé aux territoires concernés.

Le rapport d’information, rendu en juillet 2021 au nom de la Délégation outre‑mer, par les députés Nicole Sanquer, Stéphanie Atger et Philippe Dunoyer, intitulé « Réforme de l’indemnité temporaire de retraite (ITR) : l’urgence d’adopter des mesures transitoires » a permis de mesurer la grande inquiétude des agents dorénavant concernés par la réforme, leur incompréhension alors que la réforme a déjà atteint ses objectifs et leur sentiment d’injustice devant une réforme qui, initialement, ne les visait pas directement et les prive de 40% de leur pouvoir d’achat de futurs retraités alors que le coût de la vie sur leurs territoires reste le plus élevé de la République.

Pour éviter l’effet de paupérisation que risque d’entraîner la disparition progressive de l’ITR, ce rapport préconise plusieurs pistes de solutions avec pour priorité une suspension de la réforme le temps de mettre en place les mesures transitoires promises.

L’article 1er de cette proposition de loi vise donc à geler la mise en extinction de l’ITR le temps que le Gouvernement honore son engagement et mette en place un dispositif alternatif à l’ITR.

Le chapitre II traite du Centre des intérêts matériels et moraux (CIMM)

C’est par la loi n°84‑16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État que les CIMM ont été instaurés.

Les fonctionnaires doivent prouver que le centre de leurs intérêts matériels et moraux se situe dans le territoire dans lequel il souhaite bénéficier d’une mutation, de congés bonifiés, de la prise en charge des frais de changement de résidence ou encore de l’indemnité temporaire de retraite. 

Les CIMM touchent à l’intimité des personnes originaires d’outre‑mer car il s’agit pour elles de démontrer que l’attachement au territoire concerné est bien réel. Ainsi que l’expose le rapport d’information sur la réforme de l’indemnité temporaire de retraite du 2 juillet 2021 : « beaucoup d’agents publics ultramarins s’offusquent d’avoir à passer, en quelque sorte, un examen d’ultramarinité » ([1]).

La notion de CIMM et ses critères résultent d’une construction essentiellement jurisprudentielle. Une vingtaine de critères ont été recensés, sans qu’ils ne soient exclusifs les uns des autres, ni exhaustifs, ni cumulatifs.

Certains critères nourrissent l’incompréhension des ultramarins comme le lieu de naissance et de scolarisation des enfants ou le lieu d’inscription sur les listes électorales qui ne sauraient, en toute bonne foi, traduire l’attachement d’une personne à son territoire d’origine. Faut‑il qu’un fonctionnaire originaire d’outre‑mer fasse le voyage à chaque scrutin et veille à ce que ses enfants y naissent pour prouver son attachement à son territoire d’origine ?

Outre l’incongruité de certains critères, leur appréciation est également mise en cause. Un examen détaillé des décisions de refus ou d’octroi du CIMM par l’administration permet rapidement de constater qu’il existe une grande disparité dans l’appréciation des critères selon le territoire et selon l’administration.

Ainsi, selon le territoire, deux dossiers similaires sont susceptibles de recevoir deux décisions différentes. Pire encore ! Un même dossier examiné par deux personnes différentes au sein d’un même territoire peut recevoir deux décisions différentes. C’est ainsi qu’un polynésien s’est vu reconnaître son CIMM pour sa pension d’invalidité mais pas pour sa pension de retraite.

L’article 2 inscrit dans la loi 8 critères d’éligibilité des CIMM. Si le demandeur réunit 3 des 8 critères proposés, alors l’administration lui octroie son CIMM. Il est acquis et ne peut être remis en cause.

Ce dispositif présente l’avantage de clarifier les critères et de mettre fin à la marge de manœuvre dont dispose l’administration pour interpréter l’attachement d’un ultramarin à son territoire.

 

Le chapitre III traite de dispositions relatives aux militaires.

Les jeunes du Pacifique sont très nombreux à s’engager dans les armées, ils en sont fiers. Les collectivités du Pacifique, et en particulier la Polynésie française et la Nouvelle‑Calédonie, présentent un ratio d’engagés dans les armées rapporté sur la population des plus importants du territoire national. Comme tous les militaires, ils placent l’intérêt du pays avant toute autre chose, avant même leur propre vie.

La plupart du temps, les jeunes engagés sont affectés dans l’Hexagone. Pour tout ultramarin, cette situation engendre le versement de l’INSMET (indemnité d’installation en métropole) leur permettant de s’installer et d’accueillir leur famille.

L’INSMET est donc versée pour tous les militaires ultramarins, sauf pour ceux qui sont originaires du Pacifique et de Mayotte. Rien ne peut expliquer qu’un jeune ultramarin s’engageant pour la France soit traité différemment parce que né en Polynésie française, en Nouvelle‑Calédonie, à Wallis‑et‑Futuna ou à Mayotte.

Il s’agit ni plus ni moins d’une discrimination fondée sur le territoire d’origine. Un militaire s’engage avec la même détermination d’où qu’il vienne.

Les militaires du Pacifique se retrouvent loin de leur terre natale, loin des leurs et dans l’incapacité financière de faire venir leurs familles à leurs côtés.

Il existe un décalage saisissant entre l’engagement du militaire pour son pays et la déconsidération qu’il peut ressentir lorsqu’il atterrit dans l’Hexagone et se rend compte qu’il est le seul ultramarin à rencontrer des difficultés financières pour s’y installer.

Depuis le début de cette législature, les parlementaires du Pacifique n’ont eu de cesse d’alerter le Gouvernement sur cette discrimination, que ce soit au travers de questions d’actualité au Gouvernement, de questions écrites, de courriers ou encore d’amendements. Le Gouvernement considère que cette discrimination ne peut être traitée que dans une réforme globale de la rémunération de l’ensemble des militaires. Or, à quelques mois de la fin de la législature, cette réforme n’a toujours pas été mise à l’ordre du jour.

D’un point de vue juridique, élargir le bénéfice de l’INSMET à l’ensemble des militaires ultramarins nécessiterait de modifier l’article 7ter du décret n°50‑1258 du 6 octobre 1950 fixant, à compter du 1er janvier 1950, le régime de solde et d’indemnités des militaires entretenus au compte du budget de la France d’Outre‑mer dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane française, de la Martinique et de La Réunion.

Le législateur ne pouvant agir sur une disposition relevant du domaine réglementaire, l’article 3 entreprend d’intégrer le dispositif de l’INSMET dans la loi en l’ouvrant à tous les territoires ultramarins.

Les militaires et anciens militaires établis dans les collectivités du Pacifique bénéficient des dispositifs de reconversion professionnelle prévus pour tout militaire. À partir d’un certain nombre d’années de service, l’armée accompagne le militaire dans sa reconversion professionnelle afin que celui‑ci ne soit pas livré à lui‑même sur le marché de l’emploi après des années d’engagement.

À ce titre, les militaires peuvent bénéficier d’« emplois réservés » leur permettant d’occuper un emploi à l’issue de leur engagement dans les armées. Or, si les militaires du Pacifique y sont techniquement éligibles, ce n’est pas le cas dans la pratique tant le nombre d’emplois réservés est peu important.

Il ressort de cette situation que les militaires du Pacifique se retrouvent sur le marché de l’emploi, après des années d’engagement au service de la France, sans accompagnement vers l’emploi. Nous ne pouvons laisser cette injustice perdurer.

Compte tenu du caractère réglementaire de cette problématique, l’article 4 commande la remise d’un rapport gouvernemental sur les dispositifs de reconversion professionnelle des militaires du Pacifique.

Les fonctionnaires originaires d’outre‑mer, affectés en hexagone, bénéficient des congés bonifiés. Ces congés permettent la prise en charge, tous les 2 ans, de frais de transport aller et retour vers son territoire d’origine. L’instauration de ces congés se justifie par la nécessité de permettre au fonctionnaire de réduire l’impact de l’éloignement géographique consécutif à sa mutation en hexagone. Ces dispositions constituent un élément majeur de la politique de continuité territoriale entre les outre‑mer et l’Hexagone et représentent un véritable acquis social pour les fonctionnaires ultramarins dont la mutation en métropole génère souvent un profond déracinement social et familial.

L’extension, en juillet 2020, du dispositif des congés bonifiés aux fonctionnaires civils calédoniens et polynésiens est une avancée qui répondait à une demande portée de longue date par les parlementaires de Nouvelle‑Calédonie et de Polynésie.

Néanmoins, il est incompréhensible que les militaires demeurent exclus de ce dispositif. À l’instar des fonctionnaires, des militaires sont amenés à servir en hexagone, ils subissent ainsi le même éloignement de leur terre natale, de leurs proches, de leur culture.

L’article 5 répond à cette injustice en assurant la prise en charge des frais de voyage des militaires, tous les 2 ans, pour qu’ils puissent se rendre dans la collectivité où se trouve leurs CIMM et dans les mêmes conditions que les fonctionnaires bénéficiant des congés bonifiés.

Les dispositions du chapitre IV assure la recevabilité financière de la proposition de loi.

 

 


proposition de loi

Chapitre Ier

Gel de l’extinction progressive de l’indemnité temporaire de retraite

Article 1er

Les deux dernières phrases du premier alinéa du III de l’article 137 de la loi n° 2008‑1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 sont supprimées.

Chapitre II

Le centre des intérêts matériels et moraux

Article 2

Après l’article 85 de la loi n° 2017‑256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre‑mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, il est inséré un article 85 bis ainsi rédigé :

« Art. 85 bis. – I. – Les critères permettant à un agent public ou à un militaire de justifier du centre de ses intérêts matériels et moraux dans une des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution ainsi qu’en Nouvelle‑Calédonie sont :

« 1° Le domicile ou le lieu de sépulture des père et mère de l’agent, à défaut le domicile ou le lieu de sépulture des parents les plus proches ;

« 2° Les biens fonciers dont il est propriétaire ou locataire au lieu de sa résidence habituelle déclarée ;

« 3° Le lieu de naissance ;

« 4° Le domicile avant l’entrée dans l’administration ;

« 5° Le lieu où a été effectuée la scolarité obligatoire ;

« 6° Les affectations qui ont précédé l’affectation actuelle ;

« 7° Le bénéfice antérieur d’un congé bonifié ;

« 8° Des séjours fréquents et d’une durée significative dans le territoire considéré.

« II. – Le cumul d’au moins trois des critères mentionnés au I vaut justification du centre des intérêts matériels et moraux dans la collectivité concernée. Cette justification ne peut être contestée qu’en cas de fraude pour la satisfaction de l’un desdits critères. »

Chapitre III

Dispositions relatives aux militaires

Article 3

« Les militaires à solde mensuelle affectés dans l’une des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution, ainsi qu’en Nouvelle‑Calédonie, qui reçoivent une première affectation en métropole à la suite d’une mutation ou d’une promotion ou ceux dont la résidence familiale se situe dans l’une des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution, ainsi qu’en Nouvelle‑Calédonie, et qui sont affectés en métropole à la suite de leur entrée dans l’administration , perçoivent une indemnité d’installation fixée à neuf mois d’émoluments soumis à retenue pour pension, non renouvelable, et assortie, le cas échéant, des majorations familiales de cette indemnité, dans les conditions et taux prévus aux alinéas suivants.

Pour les militaires précédemment domiciliés en Guyane, cette indemnité est fixée à douze mois d’émolument soumis à une retenue pour pension.

Cette indemnité est majorée à concurrence de deux mois et demi d’émoluments soumis à retenue pour pension pour le conjoint, et d’un mois pour chaque enfant à charge dans le cas où ces membres de la famille accompagnent le militaire dans son nouveau poste dans la métropole. Pour la détermination des enfants à charge, il est fait application des dispositions en vigueur en matière de prestations familiales.

Cette indemnité et sa majoration familiale, non renouvelables, sont liquidées sur la base des émoluments applicables aux militaires intéressés à la date de leur début de séjour dans la métropole.

Les militaires qui quittent le service de l’État ou le territoire métropolitain dans le délai de trois ans à compter de leur installation dans leur nouveau poste sont astreints à la perte des fractions non échues de l’indemnité d’installation et de ses majorations familiales, ainsi qu’à la répétition des sommes déjà perçues au titre de ces indemnités.

Article 4

Le Gouvernement remet un rapport au Parlement relatif à la reconversion professionnelle des militaires et anciens militaires établis en Nouvelle‑Calédonie, en Polynésie française ou dans les îles Wallis et Futuna.

Article 5

Les militaires justifiant du centre de leurs intérêts matériels et moraux dans une des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution ou en Nouvelle‑Calédonie bénéficient de la prise en charge par l’Etat des frais d’un voyage de congé, dit congé bonifié, selon des modalités précisées par décret en Conseil d’État. Ce voyage comporte un voyage aller‑retour entre le territoire européen de la France, où l’intéressé exerce ses fonctions, et la collectivité où se situe le centre de ses intérêts matériels et moraux.

Chapitre IV

Recevabilité financière

Article 6

I. – La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

II. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée, à due concurrence, par la majoration des droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


([1])  Nicole Sanquer, Philippe Dunoyer, Stéphanie Atger, Rapport d’information fait au nom de la délégation aux outre-mer sur la réforme de l’indemnité temporaire de retraite du 2 juillet 2021.

Consultable ici : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/om/l15b4413_rapport-information