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N° 4743

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 novembre 2021.

PROPOSITION DE LOI

visant au blocage des prix,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement),

présentée par Mesdames et Messieurs

Ugo BERNALICIS, JeanLuc MÉLENCHON, Mathilde PANOT, Clémentine AUTAIN, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Caroline FIAT, Adrien QUATENNENS, Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Danièle OBONO, Loïc PRUD’HOMME, JeanHugues RATENON, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, François RUFFIN, Bénédicte TAURINE,

Député.es.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La pauvreté a explosé sous le quinquennat d’Emmanuel Macron. Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), le taux de pauvreté est passé de 14,1 % de la population en 2017 à 14,6 % en 2019. En deux ans, 300 000 personnes ont donc basculé dans la pauvreté. En effet, l’INSEE précise qu’ » en 2019, 9,2 millions de personnes ont vécu endessous du seuil de pauvreté, soit 1 102 euros par mois ». En 2020, la France comptait dix millions de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté. Huit millions de personnes ont eu besoin de l’aide alimentaire pour vivre, contre cinq millions en 2018. Les longues files d’attente des jeunes devant l’aide alimentaire ont repris à la rentrée de septembre 2021, alors que le gouvernement a supprimé les repas à 1 euro pour les non‑boursiers dans les restaurants universitaires. En 2021, un Français sur quatre indique avoir des difficultés à payer les factures de gaz ou d’électricité soit 25 %, contre 18 % en 2020. 

Les prix des produits de première nécessité que sont l’énergie ou les fruits et légumes sont devenus inabordables ou pèsent lourdement sur des millions de personnes, laissant un nombre croissant de foyers dans la précarité énergétique et l’insécurité alimentaire. Cette situation n’est pas tenable : il est urgent de bloquer les prix de l’énergie et de cinq fruits et légumes de saison. 

La précarité énergétique s’est accentuée ces derniers mois avec les hausses vertigineuses des prix de l’énergie. Le prix du gaz a augmenté de +57 % de janvier à octobre 2021, avec des hausses spectaculaires depuis l’été 2021, +10 % en juillet 2021, +5 % en août, +8,7 % en septembre et +12,6 % en octobre. En septembre 2021, une hausse du prix réglementé de l’électricité de 12 % était anticipée pour la réévaluation de février 2022. Concernant les carburants, le prix de l’essence était de 1,65 € en juillet et août 2021, soit un prix supérieur à octobre 2018 (1,63 €), avant le mouvement des Gilets Jaunes. 

Les mesures prises par le gouvernement pour répondre à cette hausse ne permettront pas aux consommateurs de faire face à la hausse des prix alors même que ces mesures seront payées par le contribuable

Le chèque énergie supplémentaire de 100 euros ne permet même pas de compenser la hausse des prix de l’énergie et sera en partie financé par la hausse des recettes de TVA liés à l’augmentation des prix de l’énergie. Le gel des prix du gaz à partir du 1er novembre 2021 entérine les hausses successives des derniers mois et sera reporté sur la facture des consommateurs après la fin du gel. Aucune mesure n’a été annoncée pour le prix des carburants lors de la présentation de ce « bouclier tarifaire ». 

Le gouvernement n’a pas du tout remis en cause la libéralisation du marché de l’énergie, qui a conduit à une hausse des prix de l’énergie ‒ de l’ordre de 70 % en 20 ans pour l’électricité ‒ bien loin de la baisse des prix maintes fois promise par les chantres de la libéralisation du marché mais jamais advenue. Pendant ce temps, les entreprises énergétiques privatisées comme Total ou Engie n’ont pas été mises à contribution alors que leurs bénéfices et leurs profits continuent de grimper. Au 1er semestre 2021, Engie, Total et EDF ont réalisé 13 milliards de profits. Jeudi 28 octobre 2021, TotalEnergies a indiqué que son bénéfice net a été multiplié par 23 sur un an, pour atteindre 4,6 milliards de dollars au troisième trimestre 2021. 

La dernière annonce de M. Castex, l’ » indemnitéinflation », arrive bien tardivement, n’est qu’une mesure conjoncturelle de très faible ampleur et pose des questions en termes de justice sociale. Le constat est sans équivoque. Le choix des mesures annoncées par le gouvernement est davantage déterminé par des choix électoraux que par leur efficacité économique ou sociale. Ces mesures visibles, rapides à mettre en place et très médiatisées, ne permettent pas de faire face à la hausse des prix et de maintenir le pouvoir d’achat des Français et Françaises. 

Nous sommes pourtant dans une situation d’urgence sociale.

Douze millions de personnes sont en situation de précarité énergétique, car ils vivent dans des passoires thermiques et/ou n’ont pas les moyens de se chauffer correctement. L’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE) anticipe une aggravation de la situation à cause de la crise sanitaire et sociale. Les personnes en situation de précarité énergétique sont dans l’incapacité de se chauffer convenablement. Ce phénomène est amplifié pour les ménages qui vivent dans des passoires thermiques. En 2020, il y avait encore 4,8 millions de passoires thermiques en France. 

Une fois de plus, le gouvernement n’a pas mis en œuvre les mesures nécessaires. Les politiques de rénovation thermique mises en place par le gouvernement, comme MaPrimeRenov, ne mobilisent pas assez de fonds et s’avèrent inefficaces pour diverses raisons : pas de ciblage en priorité vers les plus modestes alors que ces ménages sont les plus sensibles à la variation des prix ; pas de promotion des rénovations globales et aucun gain de consommation énergétique nécessaire (dispositif majoritairement utilisé pour des travaux simples comme le changement de chaudière). 

Concernant l’alimentation, huit millions de personnes ont eu besoin de l’aide alimentaire au cours de cette même année 2020, contre cinq millions en 2018. Dans son rapport du 18 novembre 2021, le Secours Catholique indique que cinq à sept millions de personnes ont eu recours à l’aide alimentaire en 2020, sans parler de celles et ceux qui ne sollicitent pas l’aide. Les femmes et les jeunes sont les premiers concernés par cette précarité. Un jeune sur deux a réduit ses dépenses alimentaires ou sauté un repas au second semestre 2020. La précarité alimentaire est également une affaire de qualité : seul un adulte sur trois mangeait cinq fruits et légumes par jour en 2019.

Malgré cette situation, Macron et son gouvernement ont mis fin au restaurant universitaire à un euro pour les non‑boursiers à la rentrée 2021. Ils ont rejeté les propositions de loi déposées par les député.es insoumis.es pour limiter les additifs, réduire les taux de sel, de sucre des aliments transformés, interdire la publicité alimentaire à destination des enfants. Lutter contre la malbouffe est pourtant un enjeu sanitaire et social de premier plan : 17 % de la population française était en situation d’obésité en 2021 (ce nombre a doublé en 25 ans), avec une surreprésentation des pauvres.

Pour maintenir le pouvoir d’achat des citoyennes et citoyens et lutter contre la précarité, les député·es de la France insoumise proposent de bloquer le prix de l’énergie (gaz, électricité, carburants) et de 5 fruits et légumes de saison. 

Il est d’ores et déjà possible de bloquer les prix de biens dans le droit actuellement en vigueur, grâce à cet article L. 410‑2 du code de commerce. Le gouvernement a d’ailleurs utilisé cet article lorsqu’il a décidé d’encadrer le prix des masques et du gel hydroalcoolique en pleine crise sanitaire, en 2020 et 2021. 

Cet article L. 410‑2 du code de commerce indique en effet que « sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les prix des biens, produits et services relevant antérieurement au 1er janvier 1987 de l’ordonnance n° 451483 du 30 juin 1945 sont librement déterminés par le jeu de la concurrence.

Toutefois, dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d’approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires, un décret en Conseil d’État peut réglementer les prix après consultation de l’Autorité de la concurrence.

Les dispositions des deux premiers alinéas ne font pas obstacle à ce que le Gouvernement arrête, par décret en Conseil d’État, contre des hausses ou des baisses excessives de prix, des mesures temporaires motivées par une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé. Le décret est pris après consultation du Conseil national de la consommation. Il précise sa durée de validité qui ne peut excéder six mois ». 

Toutefois, la rédaction actuelle de cet article est insuffisante. Il n’est pas acceptable que le marché dicte le prix de biens de première nécessité. Il est nécessaire d’aller plus loin pour que tous les Français et Françaises puissent avoir accès aux biens de première nécessité à un prix abordable, pour pouvoir vivre dignement. 

Concernant l’énergie, les député.es de la France insoumise souhaitent bloquer les prix de l’énergie, c’est‑à‑dire le gaz, l’électricité ou les carburants. Il faudra mettre fin à la libéralisation du marché de l’énergie, en créant un pôle public de l’énergie, en nationalisant des entreprises comme EDF ou Engie.

Pour l’alimentation, les député.es de la France insoumise souhaitent bloquer, de manière pérenne, le prix de cinq fruits et légumes de saison. La fixation du prix de ces fruits et légumes se fera en coopération avec les organisations syndicales et les paysans et paysannes. Ces prix bloqués ne pourront pas être inférieurs aux coûts des produits et seront calculés en fonction d’un coefficient multiplicateur, afin d’assurer un revenu décent aux paysans et paysannes et empêcher les marges considérables de la grande distribution. 

L’article 1er prévoit d’étendre les situations dans lesquelles il est possible de bloquer les prix. Actuellement, le blocage des prix est possible dans « une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé ». L’article 1er modifie la rédaction de l’article L.410‑2 du code de commerce, afin d’ajouter la possibilité de bloquer les prix dans une « situation d’urgence sociale ». Cet ajout permettra au gouvernement de bloquer les prix de tous les biens si ces prix augmentent trop et compromettent la sécurité matérielle et des moyens dignes d’existence de tous les citoyens et toutes les citoyennes. Cet article permet donc de répondre à l’urgence sociale dans laquelle la France se trouve, en donnant la possibilité au gouvernement de sortir tous les biens de la logique du marché si nécessaire et ainsi répondre aux besoins essentiels de tous nos compatriotes. De plus, cet article prévoit également que le blocage des prix ne soit pas limité à une période de six mois, comme l’article L. 410‑2 du code de commerce le prévoit actuellement. 

L’article 2 prévoit d’étendre à l’Hexagone l’application de dispositions actuellement en vigueur dans les Outre‑mer. Il permet ainsi d’appliquer les mesures prévues à l’article L. 410‑3 du code de commerce, qui donne la possibilité au gouvernement de prendre des mesures pour « remédier aux dysfonctionnements des marches de gros de biens et de services », par un décret en Conseil d’État. Les modifications apportées par cette proposition de loi permettront de bloquer les prix des produits de première nécessité sur l’ensemble du territoire national, notamment ceux des produits pétroliers. En effet, c’est sur la base de ces deux articles, L. 410‑2 et L. 410‑3 du code de commerce, que les arrêtés régulant le prix des carburants en Outre‑mer sont pris. Par exemple, l’arrêté n° 1502 modifiant l’arrêté préfectoral n° 1393 du 31 juillet 2015 portant réglementation des prix des produits pétroliers et du gaz de pétrole liquéfié dans le département de La Réunion, fait référence à ces deux articles du code de commerce.

L’article 2 modifie également l’article L. 410‑4, qui prévoit le blocage des prix de vente de produits ou de familles de produits de première nécessité, par un décret en Conseil d’État, afin qu’il soit applicable sur l’ensemble du territoire national.

Enfin, cet article modifie l’article L. 410‑5 du code de commerce qui prévoit la négociation, notamment entre le représentant de l’État et les organisations professionnelles du secteur du commerce de détail et leurs fournisseurs (producteurs, grossistes, importateurs), d’un « accord de modération du prix global d’une liste limitative de produits de consommation courante ». La négociation d’un tel accord a lieu chaque année. La liste de produits de consommations devra a minima comprendre le blocage des prix de cinq fruits et légumes de saison.

 


proposition de loi

Article 1er

L’article L. 410‑2 du code de commerce est ainsi rédigé :

« Art. L. 4102. – Dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d’approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires, un décret en Conseil d’État peut réglementer les prix. 

« La disposition du premier alinéa ne fait pas obstacle à ce que le Gouvernement arrête, par décret en Conseil d’État, contre des hausses ou des baisses excessives de prix et afin d’assurer à tout citoyen la sécurité matérielle et des moyens dignes d’existence, des mesures temporaires motivées par une situation de crise, d’urgence sociale, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé. Il précise sa durée de validité. »

Article 2

Le code de commerce est ainsi modifié :

1° À la première phrase de l’article L. 410‑3, les mots : « Dans les collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution et dans les collectivités d’outre‑mer de Saint‑Barthélemy, de Saint‑Martin, de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon et de Wallis‑et‑Futuna, et dans les secteurs pour lesquels les conditions d’approvisionnement ou les structures de marché limitent le libre jeu de la concurrence, » sont supprimés et les mots : « ces collectivités » sont remplacés par les mots : « les collectivités d’outre‑mer » ;

2° Au début de l’article L. 410‑4, les mots : « Dans les collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution et dans les collectivités d’outre‑mer de Saint Barthélemy, de Saint‑Martin, de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon et de Wallis‑et‑Futuna, et en conformité avec l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, » sont supprimés ;

3° Le premier alinéa du I de l’article L. 410‑5 est ainsi modifié :

a) Au début, les mots : « Dans les collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution et dans les collectivités d’outre‑mer de Saint‑Martin, de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon et de Wallis‑et‑Futuna » sont supprimés ;

b) Après le mot : « compétent », sont insérés les mots : « dans les collectivités d’outre‑mer et avis public de l’observatoire de la formation des prix et des marges de produits alimentaires ».

c) Est ajouté un alinéa ainsi rédigé : « Cette liste comprend a minima le blocage des prix de cinq fruits et légumes de saison, qui ne peuvent être inférieurs aux coûts de production ».