Description : LOGO

N° 4779

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 décembre 2021.

PROPOSITION DE LOI

relative à l’autonomie des jeunes sortant de l’aide sociale à l’enfance,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Isabelle SANTIAGO, Olivier FAURE, Valérie RABAULT, Laurence DUMONT, Philippe NAILLET, JeanLouis BRICOUT, Hervé SAULIGNAC, Michèle VICTORY, MarieNoëlle BATTISTEL, David HABIB, Alain DAVID, Régis JUANICO, Chantal JOURDAN, Dominique POTIER, Lamia EL AARAJE, Guillaume GAROT, Joël AVIRAGNET, Marietta KARAMANLI, Gisèle BIÉMOURET, Hélène VAINQUEURCHRISTOPHE, Jérôme LAMBERT, Gérard LESEUL, Christine PIRES BEAUNE, Sylvie TOLMONT, Cécile UNTERMAIER, Boris VALLAUD, Christian HUTIN, Josette MANIN,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En 2018, 328 000 enfants ont bénéficié en France d’une mesure d’aide sociale à l’enfance ([1]) ; Cette politique, dont les départements sont les chefs de file, représente au total une dépense publique de près de 9 milliards d’euros chaque année. En l’absence de soutien familial, de ressources financières et, bien souvent, de diplôme ou d’accès à un logement, de nombreux jeunes majeurs sortis de la protection de l’enfance à l’âge de dix‑huit ans se trouvent exposés aux risques d’isolement et de pauvreté.

En 2016, les données de l’INSEE ([2]) indiquaient que près d’un quart des personnes privées de logement sont d’anciens enfants placés, alors qu’ils ne représentent que 2 % à 3 % de la population générale. Chez les plus jeunes (18‑24 ans), on recense jusqu’à 36 % d’anciens enfants placés parmi les sans‑abris.

La crise sanitaire du covid‑19, qui dure depuis mars 2020, pèse lourdement sur l’économie et l’emploi, mais aussi sur les relations sociales. Les jeunes issus de l’aide sociale à l’enfance sont de jeunes gens, isolés par leur parcours, qui ne possèdent pas les réseaux utiles pour s’insérer socialement et professionnellement, devant faire face à des recherches d’emploi, d’apprentissage ou de stage très difficiles et à des parcours universitaires et scolaires ardus.

De plus, d’après un rapport du défenseur des droits, en 2015 ([3]), environ 30 % des enfants pris en charge par l’aide sociale à l’enfance seraient porteurs de handicaps. En proportion, les enfants de l’aide sociale à l’enfance sont six fois plus nombreux à présenter des handicaps que la moyenne nationale. Leurs chances d’arriver à une complète autonomie à l’âge de dix‑huit ans sont donc à estimer en conséquence.

S’il faut saluer l’interdiction des « sorties sèches » des jeunes de l’aide sociale à l’enfance jusqu’au mois de septembre 2021, dans le contexte de crise sanitaire, il convient désormais de la pérenniser, dans l’esprit des ambitions affichées par le Plan pauvreté et la stratégie nationale de protection de l’enfance.

Au Canada, la commission d’enquête ([4]) sur les services de protection de la jeunesse au Québec a conclu à l’absolue nécessité de la prise en charge des enfants confiés jusqu’à l’âge de vingt‑cinq ans.

Le gouvernement de la province qui travaille déjà sur un projet de loi, fait preuve d’une grande lucidité : on ne peut aujourd’hui pas imaginer qu’un jeune de dix‑huit ou vingt et un ans sans formation, parcours d’études supérieures ou soutien puisse accéder à l’autonomie et à l’émancipation.

La France a un retard considérable à rattraper, qui remonte notamment au moment où la majorité civile a été abaissée de vingt et un à dix‑huit ans, en 1974 ([5]). L’obligation de prendre en charge les enfants qui en avaient le besoin a alors été abaissée en conséquence. Mais revenir sur ce recul ne suffit pas : la France a l’occasion de se placer, enfin, parmi les pays qui portent le plus d’ambition pour la jeunesse, en mettant en place une véritable politique d’accompagnement vers l’autonomie possiblement jusqu’à vingt‑cinq ans pour les jeunes sortant de l’aide sociale à l’enfance. Cette mesure permettra à l’enfant confié de s’inscrire dès son plus jeune âge dans un parcours de réussite et d’envisager des études supérieures sans le couperet de la préparation à l’autonomie qui leur est imposée dès l’âge de seize ans.

La présente proposition de loi a donc deux portées : celle de protéger ceux dont la collectivité est responsable, de la misère et de l’exclusion ; mais aussi de concourir à l’égalité des chances pour tous les jeunes, en permettant à ceux dont le début de vie a été difficile de choisir leur voie d’étude, de formation, d’intégration sociale et professionnelle. En somme, de se projeter avec sérénité pour construire leur avenir.

Pour cela, l’article 1er inscrit dans la loi l’obligation pour les conseils départementaux de proposer, jusqu’à leurs vingt‑cinq ans révolus, un dispositif d’insertion sociale et professionnelle aux jeunes adultes précédemment pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, et définit les obligations du président du conseil départemental dans le cadre de cet accompagnement, il inscrit aussi dans les missions de l’aide sociale à l’enfance ces objectifs d’autonomie et d’insertion. L’article 2 ajoute aux obligations de l’État le financement de ces nouvelles dispositions. L’article 3 vise à garantir la recevabilité financière de la proposition de loi.


proposition de loi

Article 1er

Le titre II du livre III du code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :

1° L’article L. 221‑1 est ainsi modifié :

a) Au 1°, les mots : « vingt et un » sont remplacés par les mots : « vingt‑cinq » ;

b) Après le 1°, il est inséré un 1° bis ainsi rédigé :

« 1° bis Assurer l’autonomie et l’insertion professionnelle des personnes mentionnées au 1° après leur majorité ; ».

2° Le sixième alinéa de l’article L. 222‑5 est ainsi rédigé :

« Les jeunes majeurs âgés de moins de vingt‑cinq ans ou les mineurs émancipés sont pris en charge dans les conditions prévues à l’article L. 222‑5‑2‑1. »

3° Après l’article L. 222‑5‑2, il est inséré un article L. 222‑5‑2‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 222521.  Dans le prolongement du projet d’accès à l’autonomie prévu à l’article L. 222‑5‑1, les jeunes majeurs ou les mineurs émancipés ayant été confiés à l’aide sociale à l’enfance au titre des 1° ou 2° de l’article L. 222‑5, du 3° de l’article 375‑3 du code civil, des articles 375‑5, 377, 377‑1, 380 ou 411 du même code ou de l’article L. 323‑1 du code de la justice pénale des mineurs bénéficient, jusqu’à l’âge de vingt‑cinq ans révolus, du droit à être pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance ;

« Le service de l’aide sociale à l’enfance remet à sa majorité à chaque jeune pouvant bénéficier de cet accompagnement un document écrit l’informant de son droit à une prolongation de sa prise en charge. Ce document d’information est signé par le jeune au moment de sa remise.

« La prolongation de la prise en charge du jeune poursuit les objectifs d’accès à la protection sociale, à l’émancipation et à l’insertion du jeune. Pour atteindre ces objectifs, le président du conseil départemental :

« 1° garantit l’accès du jeune à un logement correspondant à ses besoins ;

« 2° accompagne le jeune dans ses démarches d’accès aux droits et aux soins ;

« 3° assure, le cas échéant, un accompagnement éducatif.

« Bénéficient du droit à être pris en charge les jeunes précédemment pris en charge au titre des 1° ou 2° de l’article L. 222‑5 du présent code, du 3° de l’article 375‑3 du code civil, des articles 375‑5, 377, 377‑1, 380 ou 411 du même code ou de l’article L. 323‑1 du code de la justice pénale des mineurs ayant dépassé l’âge mentionné au premier alinéa du présent article au‑delà du terme de la mesure, afin de leur permettre de terminer l’année scolaire, universitaire ou la formation professionnelle engagée. »

Article 2

L’article L. 121‑7 du code de l’action sociale et des familles est complété par un 10° ainsi rédigé :

« 10° Les dépenses d’aide sociale obligatoire engagées en faveur des personnes mentionnées à l’avant­‑dernier alinéa de l’article L. 222‑5 et des jeunes majeurs de moins de 25 ans mentionnés au premier alinéa de l’article L. 222‑5‑2‑1 et au premier et au dernier alinéa de l’article L. 221‑1. »

Article 3

I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

II. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


([1]) Rapport de la Cour des Comptes sur la Protection de l’enfance, novembre 2020 : https ://www.ccomptes.fr/f/publications/la-protection-de-lenfance-0

([2]) M. Marpsat et I. Frechon (2016). Placement dans l’enfance et précarité de la situation de logement.

Economie et statistique, 488(1), 37-68. https ://doi.org/10.3406/estat.2016.10710

([3]) Rapport annuel 2015 consacré aux droits de l’enfant « Handicap et protection de l’enfance : des droits pour des enfants invisibles »

https ://www.defenseurdesdroits.fr/fr/communiquesdepresse/2015/11/rapportannuel2015consacre auxdroitsdelenfanthandicapet-protection de l’enfance : des droits pour des enfants invisibles »

([4]) Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse sous la présidence de Mme la députée Régine Laurent, mandatée le 30 mai 2019, https ://www.csdepj.gouv.qc.ca/accueil/

([5]) Loi n° 74‑631 du 5 juillet 1974 fixant à dix‑huit ans l’âge de la majorité