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N° 4827

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 décembre 2021.

PROPOSITION DE LOI

visant à doter la France des instruments nécessaires
pour lutter contre la pollution plastique,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

FrançoisMichel LAMBERT, Bertrand PANCHER, Jennifer DE TEMMERMAN, JeanMichel CLÉMENT, Olivier FALORNI, JeanFélix ACQUAVIVA, Michel CASTELLANI, PaulAndré COLOMBANI, Jeanine DUBIÉ, Jean LASSALLE, Frédérique DUMAS, Paul MOLAC, Benoit SIMIAN, Sylvain BRIAL, Mansour KAMARDINE, Richard RAMOS, PierreAlain RAPHAN, Valérie PETIT, Régis JUANICO, Aurélien TACHÉ, Annie CHAPELIER, Pierre CABARÉ, Sylvia PINEL, M’jid EL GUERRAB, Delphine BAGARRY, Hubert JULIENLAFERRIÈRE, Maina SAGE, Stéphanie KERBARH, Paula FORTEZA, Agnès THILL, Stéphane CLAIREAUX, Cédric VILLANI, Moetai BROTHERSON,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En octobre 2020, la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) publiait un rapport alarmant sur l’état de notre biodiversité. « La nature décline globalement à un rythme sans précédent dans l’histoire humaine - et le taux d’extinction des espèces s’accélère, provoquant dès à présent des effets graves sur les populations humaines du monde entier », nous ont alerté, à cette occasion, les scientifiques de l’organisation. L’ampleur prise par différents types de pollution, et notamment celle issue du plastique, sont désignés, en partie, responsables de cette extinction de masse.

En septembre 2021, le congrès mondial de la nature qui s’est tenu à Marseille après avoir fait la projection d’une augmentation de 40 % de la production de plastique au cours des 15 prochaines années, a souligné la nécessité « de mettre fin à la crise mondiale de la pollution plastique dans les milieux marins d’ici 2030 ». Tous les chercheurs soulignaient l’impact dramatique du modèle prédominant du plastique jetable qui génère 75 % de déchets notamment parce que « le prix du plastique sur le marché ne représente pas tous les coûts de son cycle de vie sur la nature ou la société. » 

Si la matière plastique a été inventée dans les années 1850, sa production et sa consommation ont explosé dans les années 2000. Près de la moitié de l’ensemble des plastiques produits l’a été depuis cette date ([1]). Cette récente dépendance au plastique a des conséquences importantes sur la faune et la flore. En effet, une grande partie du plastique sous toutes ses composantes se retrouve dans les milieux naturels sous forme de macrodéchets, de microplastiques et de substances chimiques. La pollution marine par les plastiques, en particulier, a été multipliée par dix depuis 1980, affectant au moins 267 espèces, dont 86 % des tortues marines, 44 % des oiseaux marins et 43 % des mammifères marins.

Comme le rappelle l’IFREMER, 10 millions de tonnes de déchets en plastique sont rejetés dans les océans chaque année. Or, d’après les scientifiques seuls 1 % de ces déchets sont flottants, 99 % se trouvent dans les eaux des océans et des mers, dans la faune et parfois la flore. Ainsi une étude publiée en octobre 2020 pour l’Agence Nationale australienne de la recherche estime ainsi que 14 millions de tonnes de microplastiques jonchent les fonds marins de la planète ([2]).

En France, ce sont 80 000 tonnes de déchets qui finissent chaque année dans la nature. Plus encore les microplastiques, comme par exemple les fibres textiles synthétiques, l’abrasion des produits à base de plastique ou de polymères chimiques, se déversent par les cours d’eau jusqu’aux océans et aux mers. Selon leur composition chimique (Polyéthylène, polypropylène, polystyrène,…) ils mettraient de dix à dix mille ans à disparaître.

On estime à plus de 10 000 tonnes de déchets déversés en Méditerranée chaque année. Cette mer, presque fermée, représente moins de 1 % de la surface maritime mondiale et contient pourtant près de 7 % des pollutions plastiques marines. Une étude publiée en avril 2020 dans la revue Science, a révélé des niveaux de microplastiques les plus élevés jamais enregistrés sur le fond marin, avec jusqu’à 1,9 millions de morceaux par mètre carré ([3]). Ainsi, la Méditerranée, Trésor de biodiversité, une des régions du monde avec le plus d’espèces endémiques, est menacée : depuis des années, des scientifiques avertissent sur l’état de la biodiversité dans cette région, et un rapport récent coordonné par la Tour du Valat alerte sur cet effondrement entre 1993 et 2016 ([4]).

Les impacts du plastique sur la biodiversité sont multiples : les macro‑plastiques étouffent la vie marine, tandis que les micro‑plastiques peuvent être ingérés, jusqu’au plancton, avec les additifs qu’ils contiennent ou recueillent. Le plastique pénètre ainsi la chaîne alimentaire, avec des conséquences qui restent encore largement inconnues sur la faune et la flore tout comme sur la santé humaine à long terme. Présents dans les océans, on retrouve ces microplastiques partout tant dans la banquise qu’au sommet des Alpes et jusque dans l’air ambiant.

Outre la catastrophe environnementale que représente les fuites dans la nature, le plastique a également une empreinte carbone importante, en particulier due à sa fabrication. Si la production de plastique continue de croître comme prévu, les émissions de gaz à effet de serre dues au plastique pourraient atteindre plus de 56 gigatonnes en 2050, consommant ainsi entre 10 et 13 % des budgets carbones restant si l’on veut contenir le réchauffement climatique ([5]). Ainsi, la simple production de polyester, fibre textile synthétique dérivée du pétrole utilisée pour nos vêtements, génère autant d’émissions annuelles de CO2 que celles de 142 millions de voitures, soit près de 4 fois les émissions annuelles de toutes les voitures circulant en France.

Jusqu’ici, ni la sensibilisation aux externalités négatives des plastiques ni les politiques publiques n’ont permis de faire diminuer nettement les fuites de plastique, déchets ou microparticules, dans la nature. Par ailleurs, s’il existe des alternatives, comme les plastiques biosourcés ou le recyclage, celles‑ci sont très peu utilisées, notamment du fait de leur manque de compétitivité face au pétrole, ressource encore peu chère et très abondante.

Actuellement les politiques de lutte contre la pollution plastique se focalisent sur les déchets visibles et ciblent quasiment de ce fait la question des plastiques à usage unique. Ces derniers sont nuisibles et bien trop utilisés, mais ils peuvent également être d’une grande utilité, comme l’a démontré la crise sanitaire en cours. Ils ne pourront pas être définitivement éradiqués. Pire les autres sources de pollution plastique, les plus graves probablement, que sont les microplastiques dues aux fibres textiles synthétiques, à l’abrasion de produits composés de plastique ou de polymères chimiques, sont quasi ignorées de toutes les politiques publiques.

C’est pourquoi une réflexion complémentaire doit être menée sur les moyens pour développer les alternatives au plastique pétrosourcé. Ces dernières ne pourront émerger qu’à condition de mettre en œuvre des politiques publiques incitatives, tels que l’interdiction de la mise sur le marché de plastiques produits à partir de pétrole. En effet, cette interdiction permettrait, non seulement, d’abaisser la quantité de plastique produit, de redonner de la valeur au plastique recyclé qui mécaniquement permettra de fortement les risques de fuite dans l’environnement.

Inscrite dans une approche d’économie circulaire, rendre rare une ressource pour changer le rapport de notre société de consommation à son usage, il ne s’agit pas de faire disparaître le plastique, il s’agit de l’utiliser dans une efficience maximale, ne pas le gaspiller ni dans l’usage inutile, ni dans la fin de vie où il serait perdu. Cette proposition de loi présente des mesures visant à réduire, à la source, l’abondance du plastique, afin de diminuer à la fois les pollutions des déchets plastiques et les émissions de gaz à effet de serre imputables à ces matières. Elle prévoit aussi de contribuer au débat public sur le plastique et les pollutions qu’il cause, afin de construire une stratégie de sortie du plastique pétrosourcé engageant toutes les parties prenantes.

Cette proposition de loi propose dans son article premier d’interdire le plastique à base de pétrole à partir du 1er janvier 2030.

Afin de rendre cette interdiction opérationnelle, l’article 2 prévoit que soit instaurée une stratégie nationale « zéro plastique pétrole », soumise à l’avis du CESE et du HCC.

L’article 3 propose d’ajouter à la stratégie nationale pour la réduction, la réutilisation et le recyclage des emballages à usage unique un calendrier d’interdictions de divers produits issus de plastiques pétrosourcés.

L’article 4, pour sa part, prévoit d’organiser un débat public sous formes d’états généraux sur la question des emballages.

Enfin, l’article 5 prévoit la création d’une Agence nationale du plastique. En effet, il n’existe pas aujourd’hui d’institution indépendante chargée de s’interroger sur les différents problèmes soulevés par l’explosion de la consommation du plastique. S’inspirant du fonctionnement et des retours d’expérience de l’Office français pour la biodiversité (anciennement Agence Française de la Biodiversité), l’Agence nationale du plastique comblerait ce vide.

 


proposition de loi

Article 1er

I. ‒ Après l’article L. 541‑9‑9 du code de l’environnement, il est inséré un article L. 541‑9‑9‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 541991. – À compter du 1er janvier 2030, la fabrication, la détention en vue de la vente, la mise en vente, la vente et la mise à la disposition de l’utilisateur de polymères fabriqués pour tout ou partie à partir de pétrole ou de produits pétroliers est interdite. »

II. ‒ Un décret pris en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article.

Article 2

I. ‒ Après l’article L. 541‑10‑17 du code de l’environnement, il est inséré un article L. 541‑10‑17‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 54110171. ‒ Une stratégie nationale zéro plastique pétrole est définie par voie réglementaire avant le 1er janvier 2023. Cette stratégie détermine les mesures sectorielles ou de portée générale nécessaires pour respecter l’interdiction mentionnée à l’article L. 541‑9‑10 du code de l’environnement résultant de la loi n°     du      visant à doter la France des instruments nécessaires pour lutter contre la pollution plastique. Le projet de stratégie est soumis aux avis du Conseil économique, social et environnemental et du Haut Conseil pour le climat.

« Cette stratégie nationale est élaborée et révisée en concertation avec les filières industrielles concernées, les collectivités territoriales et les associations de consommateurs et de protection de l’environnement. »

II. ‒ Un décret pris en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article.

Article 3

L’article L. 541‑15‑10 du code de l’environnement est complété par un VI ainsi rédigé :

« VI. ‒ Un décret définit un calendrier d’interdiction progressive des polymères fabriqués pour tout ou partie à partir de pétrole ou de produits pétroliers, en cohérence avec les articles L. 541‑9‑10 et L. 541‑10‑17‑1 du code de l’environnement. »

Article 4

Après l’avant‑dernière phrase du 1° du I de l’article L. 541‑1 du code de l’environnement, sont insérées trois phrases ainsi rédigées : « La préparation de cette trajectoire est accompagnée d’un débat public sur les emballages sous formes d’états généraux. Il est organisé par le Conseil national de l’économie circulaire. À la suite du débat public, le Conseil national de l’économie circulaire établit un rapport qu’il présente devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui procède à son évaluation, en faisant état des éléments scientifiques indispensables à la bonne compréhension des enjeux de la réforme envisagée. » 

Article 5

I. ‒ Après la section 2 du chapitre Ier du titre III du livre Ier du code de l’environnement, est insérée une section 3 ainsi rédigée :

« Section 3

« Agence nationale du plastique

« Art. L. 13118. – L’Agence nationale du plastique est un établissement public de l’État à caractère administratif. L’Agence nationale du plastique concourt à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation des politiques publiques en matière de gestion des matières plastiques. Elle assure les missions suivantes :

« 1° Promouvoir et faciliter des modes de gestion des matières plastiques qui intègrent l’ensemble des facteurs environnementaux, économiques et sociaux ;

« 2° Développer la connaissance, la recherche et l’expertise sur les matières plastiques, leurs interactions avec l’environnement, les écosystèmes et les organismes, sur leurs liens avec le changement climatique ainsi que sur les risques sanitaires en lien avec la pollution plastique ;

« 3° Accompagner les acteurs publics et privés dans la transition vers une production et une consommation de matières plastiques durable, non pétrosourcée ;

« 4° Apporter à l’État et aux acteurs territoriaux un appui, en termes d’ingénierie et d’expertise technique, sur les projets de gestion des matières plastiques nécessitant notamment une approche pluridisciplinaire ;

« 5° Promouvoir aux échelons territorial, national, européen et international le savoir‑faire développé dans le cadre de ses missions et en assurer la capitalisation ;

« 6° Soutenir la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques de gestion des matières plastiques :

« a) Soutenir l’État pour l’élaboration des objectifs de réduction, de réutilisation et de réemploi, et de recyclage définis à l’article L. 541‑10‑17 et le suivi de leur mise en œuvre ;

« b) Assurer le suivi de la mise en œuvre des règlements et directives européens et des conventions internationales ainsi que des actions de coopération ;

« c) Appuyer les acteurs socio‑économiques et les associations de protection de l’environnement ou d’éducation à l’environnement dans leurs actions en faveur de la lutte contre les pollutions aux matières plastiques ou de l’économie circulaire ;

« d) Soutenir financièrement, via l’attribution d’aides financières, des projets en faveur de la réduction de l’usage du plastique, de la sortie du plastique pétrosourcé et de la lutte contre les pollutions aux matières plastiques ou de l’économie circulaire ;

« 7° Communiquer, sensibiliser le public et accompagner la mobilisation et la formation :

« a) Formation et appui aux actions de formation initiale et continue, en particulier dans le cadre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’enseignement agricole ;

« b) Accompagnement de la mobilisation citoyenne, de la société civile et des acteurs des secteurs économiques sur les enjeux posés par les matières plastiques, notamment sur l’économie circulaire.

« Art. L. 13119. – L’Agence nationale du plastique est administrée par un conseil d’administration qui comprend :

« 1° Des représentants de l’État et de l’Office français pour la biodiversité ;

« 2° Un député et un sénateur ;

« 3° Des représentants de collectivités territoriales ;

« 4° Des personnalités qualifiées, des représentants de groupements professionnels intéressés et des représentants d’associations de protection de l’environnement agréées au titre de l’article L. 141‑1 ;

« 5° Des représentants du personnel dans les conditions définies au deuxième alinéa de l’article 4 de la loi n° 83‑675 du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public.

« Le président du conseil d’administration est élu par les membres du conseil d’administration.

« Le conseil d’administration est composé de telle manière que l’écart entre le nombre d’hommes, d’une part, et le nombre de femmes, d’autre part, ne soit pas supérieur à un.

« Lorsqu’un organisme est appelé à désigner plus d’un membre du conseil, il procède à ces désignations de telle sorte que l’écart entre le nombre des hommes désignés, d’une part, et le nombre des femmes désignées, d’autre part, ne soit pas supérieur à un. La même règle s’applique à la désignation des personnalités qualifiées du premier collège.

« Art. L. 13120. – L’agence est dotée d’un conseil scientifique, placé auprès du conseil d’administration.

« Sa composition est arrêtée conjointement par les ministres chargés de l’environnement, de la recherche, de l’agriculture et de l’industrie.

« Art. L. 13121. – L’Agence nationale du plastique est dirigée par un directeur général, nommé par décret, sur proposition des ministres chargés de l’environnement, de la recherche, de l’agriculture et de l’industrie.

« Art. L. 13122. – Les ressources de l’Agence nationale du plastique sont constituées par :

« 1° Des subventions et contributions de l’État et de ses établissements publics ainsi que, le cas échéant, des gestionnaires d’aires marines protégées et des collectivités territoriales et de leurs groupements ;

« 2° Les recettes des taxes affectées ;

« 3° Toute subvention publique ou privée ;

« 4° Les dons et legs ;

« 5° Le produit des ventes et des prestations qu’il effectue dans le cadre de ses missions ;

« 6° Des redevances pour service rendu ;

« 7° Les produits des contrats et conventions ;

« 8° Les revenus des biens meubles et immeubles ;

« 9° Le produit des aliénations ;

« 10° D’une manière générale, toutes les recettes autorisées par les lois et règlements, sous réserve de ne pas dégrader les ressources des agences de l’eau.

« Art. L. 13123. – Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application de la présente section. »

Article 6

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


([1])  WWF, « La pollution plastique, à qui la faute ? », 2019.

([2])  https://www.geo.fr/environnement/les-fonds-marins-jonches-de-14-millions-de-tonnes-de-microplastiques-selon-une-etude-australienne-202386.

([3])  https://sciencepost.fr/une-quantite-record-de-microplastiques-enregistree-au-fond-de-locean/.

([4])  Galeweski T. et al., « Living Mediterranean Report – Monitoring species trends to secure one of the major biodiversity hotspots », 2021.

([5])  Center for International Environmental Law, « Plastic «& Climate: the hidden costs of a plastic planet », 2019.