N° 5017
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 février 2021.
PROPOSITION DE LOI
visant à lutter contre la glossophobie,
(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),
présentée par Mesdames et Messieurs
Bernard PERRUT, Édith AUDIBERT, Valérie BAZIN‑MALGRAS, Philippe BENASSAYA, Jean‑Yves BONY, Jean‑Luc BOURGEAUX, Marine BRENIER, Marie‑Christine DALLOZ, Julien DIVE, Jean‑Pierre DOOR, Virginie DUBY‑MULLER, Michel HERBILLON, Bérengère POLETTI, Nathalie PORTE, Alain RAMADIER, Jean‑Luc REITZER, Jean‑Marie SERMIER, Michèle TABAROT, Pierre VATIN, Stéphane VIRY,
députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La prise de parole en classe, les exposés effectués devant ses camarades, la récitation de poésie, l’évaluation en cours de musique ou la correction d’exercices au tableau sont autant d’exemples de situations du quotidien scolaire qui confrontent l’élève à une anxiété spécifique liée à l’oralité en public.
Certes, la prise de parole à l’école est considérée, valorisée et évaluée mais celle‑ci reste appréciée comme le support d’une autre matière et non comme une compétence à part entière à acquérir. Les difficultés de l’exercice de prise de parole orale en public (ou glossophobie) sont ainsi trop souvent négligées dans le cadre scolaire, qui ne permet pas aujourd’hui de préparer de manière efficace les jeunes à cet exercice particulier, pourtant indispensable dans la future vie étudiante et professionnelle de ces derniers.
Selon l’enquête de novembre 2021 menée par l’Auditoire, association de lutte contre la glossophobie, la fréquence de la prise de parole en public s’étend sur une échelle allant d’un exercice oral par jour à au moins un exercice oral par an – marquant une véritable disparité de la pratique chez les jeunes, avec pour la majorité d’entre eux (70 %), une véritable difficulté à réaliser l’exercice. Bégaiement, tremblements, regard fuyant, rougissement, oubli des mots et voix basse en sont autant d’expressions de ces difficultés qui illustrent l’appréhension ressentie en milieu scolaire dans l’exercice de la prise de parole devant un public.
L’expression orale reste malheureusement tributaire des influences sociales et familiales, dès l’enfance. Les codes de l’expression orale, chez l’individu, se figent avant les 12 ans. L’influence des parents et des autres enfants est primordiale dans la qualité de l’expression orale de chacun.
Ce déterminisme n’est pas absolu mais est très difficile à dépasser quand il y a des difficultés à surmonter Au regard de la diversité des facteurs susceptibles d’influencer la capacité d’un élève à prendre la parole en public (cadre familial, confiance en soi, etc.), cette dernière n’apparaît par ailleurs pas comme quelque chose d’inné mais comme une compétence qui s’acquiert et se travaille au fil des années.
Or, la prise en parole réside parmi les moyens de sélection des étudiants de plus en plus utilisés dans le cadre scolaire et universitaire : oraux en langues étrangères, épreuve orale du baccalauréat, nouveau grand oral du baccalauréat, mais aussi épreuves orales dans le cadre de concours pour accéder aux études supérieures, etc. ; jusqu’à être une compétence décisive du recrutement comme professionnel. A priori, rien d’étonnant à de telles décisions puisque la prise de parole en public permet d’évaluer de nombreuses compétences essentielles : structuration et clarté d’un propos, capacité d’argumentation et de persuasion, aisance et qualités d’interactions avec le jury.
Ces choix ambitionnent en partie à lutter contre les biais socioculturels que les épreuves écrites révéleraient et s’inscrivent dans une volonté de mieux connaître chaque candidat, son parcours et ses motivations. Ces oraux sont ainsi présentés comme le moyen de réduire les inégalités au sein du supérieur et in fine dans le monde professionnel. Mais, y parviendront‑ils réellement ?
La réponse est oui… mais soumise à une condition non négligeable, celle d’associer toutes ces épreuves à un enseignement régulier de la prise de parole en public, et cela dès le plus jeune âge.
Aujourd’hui, l’Éducation nationale ne prévoit pas de cours dédiés à préparer le « grand oral » du bac ou les concours d’entrée aux grandes écoles ou universités comme Sciences Po. C’est une erreur. Ne pas prévoir d’enseignement, sur le long terme, risque de favoriser à la fois les plus aisés, qui pourront toujours se payer le luxe de suivre une préparation spécifique, et ceux qui jouissent déjà, de par leurs origines et milieu social, d’une aisance oratoire.
Dans une société qui prône l’égalité des droits et l’égalité des chances, il apparaît ainsi plus que jamais essentiel de faire de l’exercice de prise de parole en public une véritable compétence enseignée aux jeunes dans le cadre de leur parcours éducatif.
Tel est l’objet de cette présente proposition de loi.
proposition de loi
Article 1er
Après la section 4 du chapitre II du titre 1er du livre III de la deuxième partie du code de l’éducation, est insérée une section 4 bis ainsi rédigée.
« Section 4 bis
« La prise de parole en public
« Art. L. 312‑11‑3. – La formation la prise de parole en public est dispensée dans les écoles et les établissements d’enseignement, y compris agricoles, ainsi que dans les unités d’enseignement des établissements et services médico‑sociaux et des établissements de santé. Elle se compose à la fois d’un apprentissage de l’expression orale en tant que tel, à travers des mécanismes d’aide à l’expression, au centre d’une séquence ayant pour objectif explicite l’enseignement d’une situation de communication ou de langage spécifique, l’évaluation devant porter, au moins pour partie, sur la capacité à utiliser le langage dans une situation déterminée ; et à la fois de l’expression orale comme vecteur des apprentissages où la prise de parole permet de construire les apprentissages et constitue en même temps un objet indirect d’apprentissage, visant à un enrichissement lexical et plus généralement à une amélioration des capacités langagières. Elle contribue au développement de l’aisance à l’oral.
« Cette formation comporte également une sensibilisation sur les mécanismes de lutte contre la glossophobie et la gestion du stress dans le cadre de l’expression orale devant un public.
« Art. L. 312‑11‑4. – Des modules d’apprentissage sur la prise de parole en public sont délivrés dans les collèges et les lycées, à raison d’au moins deux séances annuelles, par groupes d’âge homogène.
« Ces séances peuvent associer les personnels scolaires ainsi que d’autres intervenants extérieurs à l’instar d’organismes et de formateurs habilités, d’associations, dans des conditions définies par décret, ou des associations agréées en vertu de l’article L. 725‑1 du code de la sécurité intérieure.
« Le contenu, le champ d’application et les modalités de mise en œuvre du présent article, sont définis par décret. »
Article 2
La charge pour l’État résultant de l’application de la présente loi est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.