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N° 626

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 décembre 2022.

PROPOSITION DE LOI

visant à créer un « chèquebureau » pour le développement
du télétravail en tiers-lieu,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Josiane CORNELOUP, Nicolas RAY, Thibault BAZIN, Marc LE FUR, Isabelle VALENTIN, Alexandre PORTIER, Virginie DUBYMULLER, Yannick NEUDER, Vincent DESCOEUR,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis la crise sanitaire de la covid‑19, la flexibilité du travail est devenue un sujet majeur du quotidien.

Parmi les transformations sociétales qui se sont opérées pendant les confinements successifs, la plus grande est sans conteste le télétravail : 24 % des personnes en situation d’emploi, c’est‑à‑dire ni au chômage, ni en études, ni à la retraite et ayant continué à travailler pendant le confinement, étaient en télétravail ([1]). Cette proportion a augmenté de façon exponentielle durant le premier confinement pour être multipliée par 4.

Le télétravail s’est révélé être un mode de travail efficace et performant : sentiment de sécurité en période de crise sanitaire, gain de temps de trajet, meilleure qualité de vie… les salariés qui ont travaillé à distance aux côtés de leur conjoint(e) et de leurs enfants « se sont sentis plus efficaces et concentrés (77 %) que ceux qui ont télétravaillé seuls (59 %) » ([2]).

D’abord subi et imposé, le télétravail fait à présent partie de la vie professionnelle de la plupart des salariés, qui pour près des trois quarts des répondants (73 %) souhaitent poursuivre cette expérience à l’avenir, à raison principalement de deux jours par semaine (31 % des répondants) et de trois fois par semaine (23 %). Le travail à distance est aujourd’hui espéré par l’ensemble des actifs ([3]).

D’alternative pure et simple à l’inactivité en mars 2020, le télétravail est devenu ensuite un mode d’organisation privilégié, au premier rang pour les pouvoirs publics dans leurs recommandations à l’égard des entreprises et des partenaires sociaux et de la prévention des risques professionnels.

Même si le télétravail a été unanimement accepté (80 %) il a toutefois démontré certains inconvénients ([4]) : les risques psychosociaux ont été amplifiés par l’éloignement, la sensation de solitude et l’isolement social. Le coronavirus a été de ce point de vue, une crise de santé physique mais également de santé mentale. Le confinement a en cela eu un impact très important sur celle des salariés Français : 44 % des salariés se sentent en situation de détresse psychologique ([5]), c’est dix points de plus qu’avant mars 2020.

Les psychologues appellent aujourd’hui à une prise de conscience des pouvoirs publics et des entreprises avec une mise en place de moyens pour les salariés afin d’éviter que la situation ne s’aggrave. Par ailleurs, un nombre croissant de télétravailleurs regrettent un manque d’interactions humaines : les salariés ont eu le sentiment d’être livrés à eux‑mêmes, sans soutien, même s’ils reconnaissent apprécier l’autonomie octroyée par ce mode de travail.

De fait, c’est aussi l’intelligence collective et la fertilité des échanges informels qui en pâtit également.

La seconde difficulté est liée à une perte de confort, d’ergonomie et d’infrastructure numérique. Sur ce point, il existe une iniquité entre les salariés car tous ne bénéficient pas toujours d’un logement propice à l’exercice de leur activité professionnelle : certains actifs doivent en effet composer avec une connexion internet déficiente et une couverture mobile inexistante leur faisant regretter le confort assuré par leur entreprise, source de productivité.

Par conséquent, entre risques psychosociaux, perte de créativité, augmentation des maladies professionnelles et iniquités territoriales, l’accès à un bureau de qualité devient plus que jamais un enjeu de justice sociale, de santé publique et de performance économique. Avec l’appétence croissante pour le travail chez soi, le bureau devra donc davantage être pensé comme une continuation des espaces de vie.

Par ailleurs, du côté de l’entreprise, l’obligation de se rendre dans les locaux représente un coût non‑négligeable.

Cette nouvelle capacité à travailler en différents lieux permet notamment de redonner un dynamisme aux villes moyennes. Le télétravail représente donc pour les territoires la possibilité de redynamiser et rendre plus attractif le tissu économique local (restauration, consommation, culture…) et moderniser les services publics.

C’est une nouvelle donne, un véritable changement de société, un rééquilibrage territorial entre les grandes métropoles et les territoires.

L’accord national signé par les partenaires sociaux en mars 2020 indique qu’en pratique, le télétravail peut se développer dans un tiers‑lieu, comme un espace de co‑working, différent des locaux de l’entreprise. Cette précision induit l’application d’une large part des règles relatives au télétravail à cette manière de travailler, de manière plus affirmée. L’accord évoque aussi pour la première fois la nécessité de prévenir l’isolement professionnel en tendant vers un mode d’organisation du télétravail pour plus de lien social, d’insertion, dans un lieu adapté vivant et humanisé.

En cela, le tiers‑lieu se veut un espace autonome, distinct des locaux de l’employeur, au sein duquel seraient mises à disposition des travailleurs les technologies de l’information, de la communication…

Le développement du télétravail en tiers‑lieu est donc un enjeu de santé publique et d’équité territoriale.

Par cette proposition de loi, il s’agit donc de permettre à l’employeur de fournir à ses salariés en télétravail un chèque bureau. Ce titre serait cofinancé par l’État et les entreprises pour permettre au salarié de travailler dans le tiers‑lieu de son choix plutôt qu’à son domicile dans le cadre d’un partenariat gagnant‑gagnant.

D’abord, il permettrait aux salariés de limiter leurs déplacements et donc de gagner en pouvoir d’achat. Par la réduction des déplacements, il permettrait à l’État de s’inscrire pleinement dans les objectifs environnementaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le cadre du plan de lutte contre le changement climatique.

Enfin, pour l’entreprise, il permettrait plus de souplesse dans l’organisation du travail et d’économiser sur les charges locatives de bureau.

Le tiers‑lieu se veut être un nouvel espace de sociabilisation adapté aux besoins des salariés, distinct de leur domicile et des locaux de l’entreprise, tout en participant à la vitalité des territoires.

Sur le modèle des tickets-restaurants, dématérialisé ou en format papier, l’employeur pourrait délivrer un titre de paiement, soit émis par lui‑même, soit par une entreprise spécialisée pour permettre au salarié d’acquitter la contribution demandée pour le tiers‑lieu et utiliser ses installations.

Les sommes versées par l’employeur bénéficieraient d’une exonération totale de charges sociales et seraient exonérées pour le salarié d’impôt sur le revenu. La présentation pour remboursement des chèques donnerait lieu de la part de l’État à une participation qui pourrait être conditionnée au respect de certaines caractéristiques : utilisation d’un certain type de tiers‑lieux, dans une commune donnée, à une certaine fréquence ou encore pour certaines catégories de salariés. L’employeur aurait aussi la possibilité de conditionner la fourniture des chèques ou leur nombre à certains critères de même type.

Le chèque bureau constitue donc un outil d’aménagement des territoires ruraux, de création de liens nouveaux, et de respect des enjeux environnementaux.

Tels sont les objectifs poursuivis par cette proposition de loi.

 


proposition de loi

Article 1er

La section 4 du chapitre II du titre II du livre II de la première partie du code du travail est complétée par un article L. 1222‑11‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1222111. – I. – Le chèque bureau est un titre spécial de paiement remis par l’employeur aux salariés pour leur permettre d’acquitter en tout ou en partie les frais générés par l’exercice par ces derniers, au sein d’un tiers‑lieu, de leur travail dans les conditions prévues à la présente section.

« Le tiers‑lieu est entendu comme un lieu :

« – extérieur aux locaux de l’employeur et au domicile du salarié, qu’il soit principal ou secondaire ;

« – appartenant à une tierce personne, privée ou publique, et mettant à disposition des installations et équipements permettant d’effectuer une prestation de travail utilisant les technologies de l’information et de la communication ;

« – qui n’est pas loué ou utilisé par l’employeur pour les besoins exclusifs de son personnel.

« Les chèques bureaux sont émis :

« 1° Soit par l’employeur au profit des salariés, directement ou par l’intermédiaire du comité social et économique ;

« 2° Soit par une entreprise spécialisée qui les cède à l’employeur contre paiement de leur valeur libératoire et, le cas échéant, d’une commission.

« L’employeur peut attribuer les chèques bureaux à tout son personnel ou à une catégorie de salariés déterminée et conditionner la fourniture de tout ou partie des chèques à un ou plusieurs critères, notamment de temps et de lieu.

« Les chèques bureaux peuvent être émis sur un support papier ou sous forme dématérialisée.

« L’État peut, sur présentation des chèques bureaux, rembourser à l’employeur tout ou partie de leur valeur libératoire dans des conditions déterminées par décret en Conseil d’État.

« II. – L’émetteur de chèques bureaux ouvre un compte bancaire ou postal sur lequel sont uniquement versés les fonds qu’il perçoit en contrepartie de la cession de ces titres.

« Toutefois, cette règle n’est pas applicable à l’employeur émettant ses titres au profit des salariés.

« Le montant des versements est égal à la valeur libératoire des titres mis en circulation. Les fonds provenant d’autres sources, et notamment des commissions éventuellement perçues par les émetteurs, ne peuvent être versés aux comptes ouverts en application du présent article.

« III. – Les sommes consacrées par l’employeur pour l’acquisition de titres bureaux sont exclues de l’assiette des cotisations de sécurité sociale prévues à l’article L. 242‑1 du code de la sécurité sociale et de l’assiette des contributions mentionnées aux articles L. 136‑1‑1 et suivants du même code.

« Elles sont exonérées d’impôt sur le revenu pour le salarié.

« IV. – Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du présent article. »

Article 2

I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La perte de recettes pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

III. – La perte de recettes pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.


([1]) Sondage Odoxa pour Adviso Partners, Challenges, France Bleu et France Info.

([2]) Sondage Opinion Way pour Microsoft France.

([3]) Étude de la Chaire Workplace Management de l’ESSEC Business School.

([4]) Sondage réalisé par Opinion Way/Square Management.

([5]) Étude Opinion Way pour Empreinte Humaine.