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N° 654

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 décembre 2022.

PROPOSITION DE LOI

visant à la prise en compte pour la retraite des périodes d’emplois aidés effectués en tant que stagiaire de la formation professionnelle,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

MM. Paul Christophe et Arthur Delaporte

députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Afin d’offrir une solution sociale au chômage et une voie d’insertion professionnelle aux jeunes dans une période de dégradation du contexte économique, les Gouvernements successifs ont mis en place, depuis les années 1970, des mesures spécifiques visant à favoriser l’employabilité des jeunes par des programmes destinés à mieux les préparer à l’exercice d’un métier par le biais de la formation.

Dans ce contexte, l’État a développé, entre 1984 et 1990, des emplois aidés dans le secteur non marchand sous la forme de travaux d’utilité collective (Tuc). Adressés aux jeunes de 16 à 21 ans sans emploi ou âgés de 22 à 25 ans et inscrits à l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) depuisplus d’un an, ces emplois étaient proposés par des organismes à but non lucratif ou par des personnes morales chargées d’une mission d’utilité publique afin de répondre à des besoins collectifs non satisfaits.

La rémunération des bénéficiaires de travaux d’utilité collective était assurée par l’État qui prenait en charge le versement d’une indemnité de base d’un montant de 1 250 francs par mois – soit un équivalent de 350 euros constants aujourd’hui –, pouvant être complétée par l’organisme à hauteur de 500 francs et d’avantages en nature.

Les personnes ayant travaillé sous statut Tuc arrivent aujourd’hui en âge de prendre leur retraite. Celles‑ci ont constaté dans leur relevé de carrière qu’elles n’avaient pas validé un nombre de trimestres équivalant à la période au cours de laquelle elles avaient effectué des travaux d’utilité collective.

Suite à la mobilisation de représentants des anciens « tucistes », une pétition a été déposée devant l’Assemblée nationale le 27 juin 2022. Dans ce contexte, la commission des affaires sociales a décidé la création d’une mission flash transpartisane sur les droits à la retraite des bénéficiaires de Tuc et dispositifs comparables, confiée à MM. Paul Christophe et Arthur Delaporte.

Menés sur un peu plus d’un mois, les travaux de la mission ont permis d’identifier les raisons expliquant cette absence de prise en compte des trimestres travaillés sous statut Tuc.

L’article 1er du décret n° 84‑919 du 16 octobre portant application du livre IX du code du travail aux travaux d’utilité collective « Tuc » rattachait ces emplois aidés au nombre des actions de préformation et de préparation à la vie professionnelle mentionnées au 1° de l’article L. 900‑2 du code du travail dans sa rédaction en vigueur à l’époque. Les bénéficiaires de ce dispositif n’avaient donc pas le statut de salarié – ils ne signaient d’ailleurs pas de véritable contrat de travail – mais relevaient du statut de stagiaire de la formation professionnelle. En tant que stagiaires de la formation professionnelle, leurs cotisations d’assurance vieillesse étaient donc prises en charge par l’État sur des bases forfaitaires insuffisantes pour leur permettre de valider leurs trimestres.

Aujourd’hui, les personnes ayant travaillé sous statut Tuc se trouvent donc devant un véritable dilemme : choisir de partir avec une décote ou travailler au‑delà de l’âge légal pour valider les trimestres qui leur manquent et bénéficier du taux plein.

Ce choix n’est évidemment pas neutre pour la situation financière des personnes concernées. Selon des simulations fournies par la direction de la sécurité sociale aux rapporteurs de la mission flash sur les droits à la retraite des bénéficiaires de Tuc et dispositifs comparables, la perte pour les personnes concernées, liée au mécanisme de décote et à la proratisation du montant de retraite en fonction de la durée d’assurance dans le régime, est loin d’être négligeable.

À titre d’exemple, le manque à gagner brut s’élèverait à 57 € par mois pour une personne ayant travaillé un an sous statut Tuc avant de poursuivre sa carrière en étant rémunérée au Smic. Ce montant est susceptible d’être plus élevé pour les personnes justifiant d’un revenu annuel moyen supérieur au Smic ou pour celles ayant effectué plus d’un an de travaux d’utilité collective ou de stages similaires.

Les auditions menées par les corapporteurs de la mission ont en outre permis d’identifier que le même problème était susceptible de se poser pour d’autres types de stages conçus dans les années 1970 et 1980 qui relevaient davantage d’une logique d’emploi aidé que de la formation professionnelle stricto sensu, en particulier compte tenu du fait que les actions de formation qui étaient proposées ne présentaient au mieux qu’un caractère accessoire – stages pratiques en entreprise du plan « Barre » (dont le nombre est estimé à environ 20 000), stages « jeunes volontaires » (environ 50 000) et stages d’initiation à la vie professionnelle (SIVP – environ 300 000 par an de 1985 à 1992) notamment.

Une part non négligeable des bénéficiaires a ainsi effectué des allers‑retours entre ces différents dispositifs ([1]). Les co‑rapporteurs de la mission ont notamment recueilli les témoignages de personnes ayant réalisé jusqu’à sept stages consécutifs pour une durée totale cumulée de plusieurs années. Certains Tuc étaient même conclus pour une durée pouvant aller jusqu’à deux ans, renouvelables.

L’absence de validation de trimestres liées aux conditions spécifiques de cotisations applicables aux personnes ayant effectué des travaux d’utilité collective ou des stages similaires est donc une injustice à plusieurs égards.

Premièrement, une analyse des caractéristiques des travaux d’utilité collective démontre que ce dispositif relevait plutôt de la logique de l’emploi aidé que de celle de la formation professionnelle classique.

En effet, si les bénéficiaires de Tuc disposaient du statut de stagiaire de la formation professionnelle, force est de constater que l’encadrement proposé par les organismes d’accueil était de faible qualité, lorsqu’il était prévu. Selon les enquêtes menées par le service des études et de la statistique du ministère du travail à l’extinction du dispositif (1990), seul un quart des stagiaires ont disposé d’un réel encadrement – à savoir un tuteur désigné proposant un accompagnement allant au‑delà du management quotidien.

De même, seul un stagiaire Tuc sur cinq a bénéficié d’entretiens réguliers pendant la durée du stage. Au total, ce sont seulement 13 % des stagiaires Tuc qui ont bénéficié d’une formation pendant leur stage, dont 3 % au sein de leur organisme d’accueil. Ces données rejoignent celles collectées par l’association TUC, les oubliés de la retraite auprès de ses adhérents : seuls 9 % des 490 adhérents ayant répondu au sondage affirment avoir effectué une formation au cours de leur Tuc.

Il apparaît donc que, sous le vernis de la formation professionnelle, les stages Tuc ont souvent été l’occasion pour les organismes d’accueil de bénéficier d’une maind’œuvre à bas coût pour l’accomplissement de missions qui ne relevaient pas toujours de besoins collectifs non satisfaits, malgré les dispositions du décret n° 84919 précité. De fait, les tâches effectuées par les stagiaires n’étaient pas toujours gratifiantes et les enquêtes menées sur le dispositif attestent du fait que les stagiaires représentaient souvent une maind’œuvre de substitution pour des organismes, soumis à des difficultés de gestion et de recrutement. Pourtant les « tucistes » ne signaient pas de véritables contrats de travail et ne disposaient donc pas de la protection sociale associée au statut de salarié.

Deuxièmement, cette situation est d’autant plus contestable que les personnes qui se sont inscrites dans cette démarche d’insertion, parfois sous la menace d’être radiées des listes de l’ANPE, auraient pu bénéficier de trimestres de retraites s’ils avaient décidé de rester au chômage.

En effet, en application de l’article L. 351‑3 du code de la sécurité sociale, les périodes de chômage indemnisées et, dans la limite d’un an, les périodes de chômage non indemnisées, sont assimilées à des périodes d’assurance, prises en compte pour le calcul de la retraite.

De ce fait, les personnes ayant effectué des travaux d’utilité collective subissent ce qui s’apparente à une véritable « double peine ». Ainsi, après avoir contribué à remplir des besoins d’intérêt collectif et effectué des tâches parfois peu gratifiantes pour des indemnités largement inférieures au Smic – que certains « tucistes » ont légitimement qualifié lors des auditions de « salaire de misère » –, ils pâtissent aujourd’hui d’une absence de prise en compte de ces années de travail pour leurs droits à la retraite. Le sentiment d’injustice qu’ils éprouvent est d’autant plus vif qu’il ne leur était que très rarement précisé qu’ils seraient considérés comme stagiaires de la formation professionnelle au moment de l’embauche.

Fruit des travaux menés par les rapporteurs, la présente proposition de loi entend donc remédier à cette situation en permettant la prise en compte des périodes travaillées sous statut Tuc ou dispositifs comparables comme périodes assimilées.

La rédaction retenue à l’article 1er vise à inclure ces divers dispositifs dans une procédure de reconnaissance de périodes assimilées pour s’assurer que les personnes qui y ont eu recours puissent voir leur travail reconnu à sa juste valeur.

Depuis la loi n° 201440 du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites, les périodes de stages de la formation professionnelle sont prises en compte comme périodes assimilées pour la retraite. Aujourd’hui, un stagiaire de la formation professionnelle dont les cotisations sont prises en charge par l’État, un opérateur de compétences ou une région valide un trimestre de retraite pour chaque période de stage de 50 jours.

En application du III de l’article 31 de la loi n° 201440 précitée, cette disposition ne s’applique cependant qu’aux stages effectués à compter du 1er janvier 2015. Elle n’est donc pas applicable aux périodes de stage accomplies dans le cadre des mesures pour l’emploi prises dans les années 1970, 1980 et 1990. Par dérogation à cette règle, l’article 1er de la présente proposition de loi prévoit donc la prise en compte des périodes de stages antérieures à 2015 lorsque les deux conditions cumulatives suivantes sont remplies :

– d’une part, le stage constitue une action de préformation et de préparation à la vie professionnelle ou il a pour objet principal l’initiation à la vie professionnelle ;

– d’autre part, les actions de formation qui l’accompagnent ne présentent qu’un caractère facultatif ou accessoire.

Si les cotisations dues au titre des périodes de stage de la formation professionnelle ont bien fait l’objet d’un report au compte par les caisses d’assurance vieillesse, ces dernières ne disposent cependant pas des informations nécessaires pour identifier lesquelles de ces périodes ont été effectuées dans le cadre des travaux d’utilité collective ou dispositifs comparables.

C’est la raison pour laquelle l’article 1er prévoit que le bénéfice de la prise en compte des trimestres concernés serait ouvert sur demande de l’assuré, lequel devra justifier de l’existence de ces périodes dans des conditions définies par décret. La liste des pièces justificatives à produire serait définie par arrêté conjoint des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget.

S’il n’appartient pas aux auteurs de la proposition de loi de se substituer au détenteur du pouvoir règlementaire, il va de soi que le processus déclaratif devrait garantir un large accueil des preuves fournies par les personnes concernées, lesquelles ne disposent pas toujours de documents exhaustifs datant de périodes aussi anciennes ([2]).

Dans la mesure où le dispositif proposé est donc quérable à défaut de pouvoir être automatique, il reviendrait aux caisses d’assurance vieillesse, en application de l’article L. 261‑1 du code de la sécurité sociale ([3]), de prendre contact avec les personnes potentiellement éligibles au dispositif via des actions de communication ciblées.

Les auteurs de la présente proposition de loi estiment en outre particulièrement nécessaire de prévoir que les périodes effectuées dans le cadre de stages Tuc et dispositifs comparables soient réputées cotisées au sens de l’article L. 351‑1‑1 du code de la sécurité sociale afin qu’elles puissent ouvrir droit au départ anticipé pour carrière longue. Dans l’état actuel du droit, les périodes assimilées au titre des stages de la formation professionnelle ne sont en effet pas prises en compte pour l’éligibilité au dispositif de départ anticipé pour carrière longue, à la différence des périodes assimilées au titre du chômage indemnisé ([4]).

Dans la mesure où les périodes de stages visées par la présente loi présentaient des caractéristiques qui les rangeaient clairement dans la catégorie des emplois aidés mis en place pour lutter contre le chômage plutôt que dans la catégorie de la formation professionnelle classique, il paraît justifié qu’elles soient traitées différemment de ce point de vue. Cette mesure de justice relevant de la compétence du pouvoir règlementaire, elle n’a toutefois pas vocation à être intégrée à la présente proposition de loi.

L’article 2 permet d’assurer la recevabilité financière de la présente proposition de loi, laquelle crée une charge pour les organismes de sécurité sociale et plus précisément pour le Fonds de solidarité vieillesse (FSV), chargé en application du a du 2° de l’article L. 135‑2 du code de la sécurité sociale de prendre en charge le financement des périodes assimilées au titre des stages de la formation professionnelle.

Selon les simulations fournies par la direction de la sécurité sociale, le coût total du dispositif proposé pourrait représenter, en fonction du taux de recours des personnes concernées, entre 350 millions et 3,5 milliards d’euros, avec un pic annuel estimé entre 25 et 250 millions d’euros en 2030 ([5]). Le coût pour la collectivité serait étalé sur près de 40 ans avec une extinction du dispositif à horizon 2060.

Ces montants peuvent paraître conséquents. Ils doivent toutefois être mis en perspective avec les dépenses annuelles du système de retraite qui s’élevaient en 2021 à 345,1 milliards d’euros. En rythme de croisière, et sous réserve d’un taux de recours de 100 %, le coût de la mesure ne représenterait en effet que 0,07 % du montant annuel des dépenses de retraite.


proposition de loi

Article 1er

I. – Le 8° de l’article L. 351‑3 du code de la sécurité sociale est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Par dérogation au III de l’article 31 de la loi n° 2014‑40 du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites, le premier alinéa du présent 8° est applicable aux périodes de stage antérieures au 1er janvier 2015 lorsque le stage constitue une action de préformation et de préparation à la vie professionnelle ou qu’il a pour objet principal l’initiation à la vie professionnelle des jeunes et lorsque les actions de formation qui l’accompagnent ne présentent qu’un caractère facultatif ou accessoire.

« Le bénéfice du deuxième alinéa du présent 8° est ouvert sur demande formulée par l’assuré auprès de la caisse d’assurance vieillesse compétente lors de la liquidation de sa retraite, dans des conditions fixées par le décret prévu au premier alinéa du présent article. Un arrêté conjoint des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget fixe la liste des documents permettant à l’assuré de justifier sa demande. »

II. – Le I entre en vigueur à une date fixée par décret et au plus tard le 1er janvier 2024.

III. – Le I est applicable aux pensions prenant effet à compter de la date prévue au II.

Article 2

La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.


([1]) Selon les données collectées par l’association TUC, les oubliés de la retraite auprès de ses adhérents, sur les 454  bénéficiaires d’au moins un Tuc, environ un tiers des répondants déclare avoir également bénéficié d’un dispositif similaire, pour l’essentiel de SIVP.

([2]) Les enquêtes menées par le service des études et de la statistique du ministère du travail montraient notamment que, malgré une obligation règlementaire prévue à l’article 12 du décret n° 84-919 précité, seuls 48 % des personnes interrogées ont reçu une attestation d’expérience professionnelle.

([3]) L’article L. 261-1 du code de la sécurité sociale confie aux organismes de sécurité sociale une mission de lutte contre le non-recours aux droits à travers « toutes actions de nature à détecter les situations dans lesquelles des personnes sont susceptibles de bénéficier de droits ou de prestations » et des mesures d’accompagnement.

([4]) Article D. 351-1-2 du code de la sécurité sociale. Les périodes de chômage indemnisés postérieures au 31 décembre 1979 sont prises en compte dans la limite de quatre trimestres.

([5]) Cette fourchette correspond à une estimation pour des taux de recours respectifs de 10 % et 100 %.