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N° 702

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 janvier 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à faire de la Collectivité européenne d’Alsace
une région de plein exercice,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Hubert OTT, Charles SITZENSTUHL, Françoise BUFFET, Bruno FUCHS, Charlotte GOETSCHYBOLOGNESE, Brigitte KLINKERT, Stéphanie KOCHERT, Didier LEMAIRE, Bruno STUDER, Vincent THIÉBAUT,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La réforme de la carte des régions opérée par la loi n° 2015‑29 du 16 janvier 2015 suscite toujours mécontentements et incompréhensions. Dans certaines grandes régions nouvellement créées, notamment dans l’Est et le Sud‑Ouest, nombre de concitoyens et d’élus locaux soulignent le sentiment d’éloignement face à des structures régionales trop grandes et technocratiques, qui plus est éloignées de toute cohérence géographique ou de quelque réalité historique.

Imposée à marche forcée sous le quinquennat de François Hollande, cette réforme a effectivement accentué la perte de proximité des Français vis‑à‑vis de leurs institutions et de leurs élus.

Dans son discours de politique générale, la Première ministre Élisabeth Borne a annoncé la volonté du Gouvernement de travailler dans une « logique de différenciation » des territoires, en ce que « la règle commune doit pouvoir s’adapter en fonction des spécificités de chaque territoire ». Ce nouvel acte de décentralisation a d’ailleurs été consacré par la Loi n° 2022‑217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite « 3DS ». Nous souscrivons à cette vision d’avenir qui permettrait aux territoires de renforcer leur liberté d’action et de s’organiser à des échelles plus conformes aux aspirations locales.

En Alsace, le débat sur l’organisation institutionnelle reste vif. La majorité des concitoyens attend que les compétences régionales puissent être exercées à une échelle plus proche de leurs préoccupations, à savoir à l’échelle alsacienne.

Depuis janvier 2021, la Collectivité européenne d’Alsace incarne une première étape du retour de l’Alsace sur un plan institutionnel. Créée par la loi du 2 août 2019, cette collectivité territoriale à compétences particulières est le résultat de plusieurs années de mobilisation politique et citoyenne et incarne « le désir d’Alsace » tant exprimé par les Alsaciennes et les Alsaciens et reconnu par l’État au travers du rapport du 15 juin 2018 du préfet de la Région Grand‑Est, M. Jean‑Luc Marx.

Toutefois, si cette loi constitue une avancée forte, elle ne tire pas pleinement les conséquences des spécificités que l’exposé des motifs de la loi du 2 août 2019 exprime pourtant : « son positionnement géographique, son identité française et européenne et la profondeur de ses liens, notamment économiques, avec l’axe rhénan sont autant de spécificités qui justifient une évolution des compétences. » ([1])

Pour que les Alsaciennes et les Alsaciens s’expriment sur cet enjeu d’avenir, la Collectivité européenne d’Alsace a initié et organisé, du 20 décembre 2021 au 15 février 2022, une large consultation citoyenne sur la question suivante : « L’Alsace doit‑elle sortir du Grand Est pour redevenir une Région à part entière ? »

Cette initiative a mobilisé de nombreux Alsaciens et, sous contrôle d’huissier, 153 844 bulletins ont été considérés comme valides. 142 200 se sont exprimés en faveur de la sortie de l’Alsace du Grand Est pour constituer une région de plein exercice, cela représente 92,4 % des Alsaciennes et Alsaciens qui se sont exprimés et qui souhaitent reformer l’Alsace en une région de plein exercice.

Ce résultat rappelle ceux, très proches, obtenus par les comités départementaux de tennis et par le district d’Alsace de football. En 2021, lorsqu’ils ont interrogé leurs clubs et licenciés respectifs sur la question du retour à l’organisation en Ligues d’Alsace, ces consultations ont rassemblé entre 86 et 97 % de votes favorables. Cette proposition de Loi répond donc à une puissante aspiration populaire que les représentants élus ne peuvent ignorer ni décevoir.

Dans la pratique, la Région Grand Est n’a pas su répondre aux objectifs fixés par la loi NOTRe. La Cour des comptes souligne d’ailleurs dans différents rapports combien ces régions coûtent plus cher, complexifient le mille‑feuille administratif et éloignent les décisions des habitants. Comment espérer l’efficacité et la proximité escomptées en additionnant trois régions hétérogènes, dont le territoire s’étend depuis les portes de Paris jusqu’à la frontière rhénane ?

Une région pleinement efficace c’est une région en laquelle les habitants se reconnaissent, une région qui correspond à une histoire, à une cohérence géographique et à une identité. Cette proposition de loi vise donc à rétablir les administrations régionales décentralisées et déconcentrées dans des limites pertinentes par rapport aux données géographiques, historiques démographiques et sociologiques qui conditionnent leur bon fonctionnement et celui des communautés humaines dont elles ont la charge.

Cette problématique n’est pas propre à l’Alsace et la mise en place des grandes régions interroge nos concitoyens, quel que soit leur département. Les derniers sondages menés par exemple par l’institut BVA sur l’état des lieux de l’opinion régionale en avril 2019 démontrent le faible attachement des sondés à ces nouvelles régions. L’insatisfaction à l’égard du Grand Est représente 67 % à l’échelle de cette région, signe d’un rejet qui va bien au‑delà du cas alsacien. Ailleurs en France, cette insatisfaction atteint 61 % en Occitanie, 60 % en Nouvelle‑Aquitaine.

Ces chiffres régionaux masquent des mécontentements locaux forts : 82 % en Alsace, 77 % dans le Limousin, 73 % en Franche‑Comté. Seuls les Normands expriment une satisfaction majoritaire à l’égard de la région issue de la fusion, un chiffre qui doit interpeller au regard de l’identité forte de ce territoire.

Ces constats nous obligent à porter une réforme de notre organisation territoriale dans la proximité. À l’avant‑garde de la différenciation grâce à la loi du 2 août 2019, l’Alsace aspire à être un territoire d’expérimentation d’une réforme apportant plus de proximité et de simplicité, en cohérence avec sa spécificité territoriale et transfrontalière. De ce fait, les anciennes régions Lorraine et Champagne‑Ardenne auraient à redéfinir un périmètre plus conforme à leur géographie et leur histoire.

Aussi, cette réforme territoriale simplifierait le paysage institutionnel en réduisant le nombre de strates administratives (une seule collectivité au lieu de deux).

De plus, cette collectivité porterait l’ambition de la nécessaire simplification pour nos concitoyens qui n’auraient plus à chercher le bon interlocuteur parmi les différentes strates de collectivité, mais également pour les associations qui n’auraient plus qu’un seul dossier de subvention. Le lien entre l’économie et le social en serait renforcé et le temps perdu sur la route pour rencontrer les différents interlocuteurs considérablement réduit.

Enfin, n’oublions pas que le développement durable – qui est plus que jamais un impératif – sera bien davantage au rendez‑vous dans une Région au périmètre réduit, correspondant aux réalités géographiques de son territoire.

En effet, les différents organismes régionaux sont répartis sur l’ensemble du territoire de cette grande Région, engendrant de fait des déplacements de grande échelle qui font parcourir des milliers de kilomètres supplémentaires aux élus, aux fonctionnaires et à tous les représentants civils responsables du fonctionnement des structures régionalisées à l’échelle du Grand Est. Ceci occasionne inévitablement une perte de temps considérable, un absentéisme subi mais également une augmentation des dépenses énergétiques et des pollutions engendrées par ces nouveaux déplacements. La sobriété visée à tous les étages ne peut se considérer qu’avec la proximité de l’action publique. La force de la proximité est de réunir efficacité et sobriété.

Cette proposition de loi a donc pour objectif de transférer à la Collectivité européenne d’Alsace les compétences et ressources régionales sur son territoire, en lui donnant le statut de collectivité à statut particulier. Cela s’inscrit dans la nécessité de repenser l’action publique dans la proximité, mais également dans la notion de différenciation territoriale prônée par le Gouvernement.


proposition de loi

Article 1er

I. – L’article L. 4111‑1 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° Le II est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, les mots : « et à la collectivité territoriale de Corse » sont remplacés par les mots : « , à la collectivité territoriale de Corse et à la collectivité européenne d’Alsace » ;

b) Le deuxième alinéa est supprimé ;

2° Il est ajouté un III ainsi rédigé :

« III. – En application de l’article L. 4122‑1 du code général des collectivités territoriales et avant l’entrée en vigueur de la loi n°     du      visant à faire de la Collectivité européenne d’Alsace une région de plein exercice, les limites territoriales de la région Champagne‑Ardenne et Lorraine sont déterminées par la loi après consultation des conseils départementaux et du conseil régional intéressés. »

Article 2

Le livre IV de la quatrième partie du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° À l’intitulé, les mots « et collectivité territoriale de Corse » sont remplacés par les mots : « , collectivité territoriale de Corse et Collectivité européenne d’Alsace » ;

2° Après le titre II, il est inséré un titre II bis ainsi rédigé :

« Titre II bis

« Collectivité européenne d’Alsace

« Chapitre Ier

« Dispositions générales

« Art. L. 44271. – Il est créé une collectivité à statut particulier, au sens de l’article 72 de la Constitution, dénommée « Collectivité européenne d’Alsace », en lieu et place de la Collectivité européenne d’Alsace créée par la loi n° 2019‑816 du 2 août 2019 relative aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace et, dans les limites territoriales précédemment reconnues à cette dernière, de la région Alsace, Champagne‑Ardenne et Lorraine.

« Art. L. 44272. – La Collectivité européenne d’Alsace s’administre librement, dans les conditions fixées par le présent titre et par les dispositions non contraires des première, troisième et quatrième parties du présent code et de la législation en vigueur relative au département et à la région. »

Article 3

Les conseillers d’Alsace mentionnés à l’article 11 de la loi n° 2019‑816 du 2 août 2019 relative aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace siègent au sein de son organe délibérant, dénommé Assemblée d’Alsace.

Article 4

La Collectivité européenne d’Alsace exerce les compétences de la Collectivité européenne d’Alsace définies par la loi n° 2019‑816 du 2 août 2019 précitée et par le titre III du livre IV de la troisième partie du code général des collectivités territoriales et celles de la région définies par le livre II de la quatrième partie du même code.

Article 5

I. – Le chef‑lieu de la Collectivité européenne d’Alsace est décidé, après consultation de la Collectivité européenne d’Alsace et du conseil municipal de la commune envisagée comme siège du chef‑lieu, par décret en Conseil d’État, pris avant le 1er janvier de l’année du prochain renouvellement des conseils départementaux et régionaux.

II. – Le transfert du chef‑lieu de la région Grand Est est décidé, dans le même délai, dans les conditions prévues à l’article L. 4122‑2 du code général des collectivités territoriales.

Article 6

I. – Le régime budgétaire et comptable de la collectivité européenne d’Alsace est celui de la région défini par le livre III de la quatrième partie du code général des collectivités territoriales.

II. – Les ressources de la collectivité européenne d’Alsace sont celles de la région et du département définies au titre III du livre III des troisième et quatrième parties du même code.

III. – Les biens, droits et obligations de la région Grand Est correspondant à l’exercice des compétences régionales attribuées à la collectivité européenne d’Alsace sont transférés à celle‑ci à titre gratuit. Ce transfert ne donne lieu à aucune indemnité ou perception de droits, impôts ou taxes, de quelque nature que ce soit, à aucun versement d’honoraires au profit des agents de l’État, ni à la contribution prévue à l’article 879 du code général des impôts.

La liste de ces biens, droits et obligations est établie d’un commun accord dans une convention signée par les présidents des deux collectivités et transmise au représentant de l’État dans la région. À défaut d’accord amiable, un décret en Conseil d’État, pris après avis d’une commission dont la composition est fixée par arrêté du ministre chargé de l’intérieur et qui comprend les présidents des deux collectivités, procède au transfert définitif de propriété.

Article 7

Les assemblées délibérantes des collectivités territoriales intéressées sont consultées par le Gouvernement, au plus tard un an avant le prochain renouvellement des conseils départementaux et régionaux, sur les éventuelles adaptations législatives et réglementaires rendues nécessaires par la présente loi.

Article 8

La charge et les pertes de recettes pour les collectivités territoriales sont compensées à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

La perte de recettes pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

Article 9

La présente loi entre en vigueur à compter du prochain renouvellement des conseils départementaux et régionaux.


([1]) Projet de loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace, enregistré à la Présidence du Sénat le 27 février 2019, exposé des motifs, p. 5.