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N° 740 2e rectifié

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 janvier 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à mieux lutter contre la récidive,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par

Mme Naïma MOUTCHOU, M. Laurent MARCANGELI et
les membres du groupe Horizons et apparentés (1)

députés.

 

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(1) Mesdames et Messieurs : Xavier Albertini, Henri Alfandari, Béatrice Bellamy, Thierry Benoit, Agnès Carel, Paul Christophe, Yannick FavennecBécot, Félicie Gérard, François Gernigon, François Jolivet, Loïc Kervran, Stéphanie Kochert, Luc Lamirault, JeanCharles Larsonneur, Anne Le Hénanff, Didier Lemaire, Lise Magnier, Laurent Marcangeli, Naïma Moutchou, Jérémie PatrierLeitus, Christophe Plassard, JeanFrançois Portarrieu, MarieAgnès PoussierWinsback, Philippe Pradal, Isabelle Rauch, Vincent Thiébaut, Frédéric Valletoux, André Villiers, AnneCécile Violland.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

D’après les chiffres du Ministère de la Justice ([1]), 41,7 % des individus condamnés en 2021 sont des récidivistes ou des réitérants. Si le taux de réitération baisse de manière significative depuis 2020, le taux de récidive lui ne fait que croître : la proportion de récidivistes en matière délictuelle a augmenté de 8 points en seulement 3 ans, entre 2018 et 2021.

La récidive reste donc un sujet d’une grande actualité en dépit des politiques publiques menées depuis plus de 20 ans. C’est un enjeu non seulement pour la Justice, chargée de protéger et de faire cesser les conflits, mais aussi pour les citoyens qu’ils soient auteurs d’infractions, qu’ils en soient victimes ou qu’ils se sentent menacés.

Comment sortir les détenus de la voie de la délinquance pour éviter la récidive ? Il faut nécessairement agir à plusieurs niveaux, tant les causes de la récidive sont complexes et multiples : elle peut apparaître, sans doute, des suites de ce qui a causé la première infraction, c’est‑à‑dire de tristes penchants qu’ont certains et que l’occasion développe ; de l’expérience de privations ou de restrictions comme la pauvreté ou l’exclusion ; de l’affaissement du sens moral et du respect de la règle ; des conditions d’incarcération liées à la surpopulation carcérale notamment…

Sanctionner, informer, accompagner, anticiper : c’est sous ces différentes formes que la présente proposition de loi entend mieux lutter contre la récidive.

Sanctionner : il faut assumer de réprimer les récidivistes de manière plus stricte pour dissuader l’auteur de passer à l’acte à nouveau. Il n’est pas admissible, en particulier, de voir se multiplier les agressions commises à l’égard de ceux qui nous protègent, policiers et gendarmes, et de ceux qui concourent par leur mission et leur engagement à l’intérêt général (pompiers, magistrats, jurés, avocats, enseignants, chauffeurs de bus et personnels soignants par exemple). Face à ce phénomène, il devient indispensable d’instaurer des peines minimales, chaque fois que des violences sont commises en état de récidive légale.

Informer : le rôle du maire dans les dispositifs territoriaux de lutte contre la délinquance ne doit pas être négligé. Il anime et coordonne avec succès les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance et communique avec le parquet local. Mais il n’est pas normal que les maires ne soient pas informés des évènements marquants qui peuvent avoir lieu sur leur territoire. Il est donc proposé qu’ils soient automatiquement rendus destinataires des suites judiciaires des infractions commises chez eux. Cette proposition est issue notamment du rapport de la mission d’information sur les entraves opposées à l’exercice des pouvoirs de police des élus municipaux du 14 avril 2021, des co‑rapporteurs Naïma Moutchou et Philippe Gosselin.

Accompagner : le service public pénitentiaire ne se réduit pas à la gestion des prisons ; il est également chargé d’organiser les mesures dites de « milieu ouvert » qui préparent à la réinsertion des condamnés et contribuent ainsi à prévenir la récidive. Les 103 services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) en sont les pivots (même si, naturellement, tout ne peut pas reposer sur eux). Aussi, apparait‑il opportun de renforcer la présence des SPIP en juridiction, pour une meilleure prise en charge des condamnés dès le prononcé de la peine. Ainsi que l’analysait le comité indépendant des États Généraux de la Justice, qui a rendu son rapport le 8 juillet 2022 au Président de la République, « alors que le milieu ouvert comporte plus de risques que le milieu fermé, les prises en charge ne sont pas suffisamment structurées et « rassurantes » pour les juges correctionnels qui optent plus volontiers pour des peines d’emprisonnement offrant une réponse immédiate, lorsque les condamnés présentent à leurs yeux des profils difficiles » ([2]). Une expérimentation consistant à organiser des permanences de SPIP dans plusieurs juridictions pourrait donc être réalisée.

Par ailleurs, une attention particulière doit être dévolue aux programmes de prise en charge à la sortie des détenus, dans le prolongement des objectifs de la loi n° 2019‑222 du 23 mars 2019 de programmation 2018‑2022 et de réforme pour la justice. De tels programmes ont pour vocation d’aider les condamnés à faire la transition entre la vie carcérale et le retour à une vie respectueuse du droit en collectivité, en préparant leur sortie de prison et ainsi même leur sortie de la délinquance. Ces programmes, lorsqu’ils sont bien conçus et correctement mis en œuvre, réduisent significativement la probabilité de récidiver.

Cela suppose des moyens supplémentaires, ce que le Gouvernement a d’ores et déjà entrepris avec une hausse historique du budget de la Justice : +44 % d’augmentation entre 2017 et 2022 pour atteindre 9,6 milliards d’euros en 2023, dont 30,4 millions d’euros euros consacrés au fonctionnement des SPIP, qui s’inscrivent dans l’enveloppe plus globale des 1,49 milliard d’euros affectés à l’accueil et l’accompagnement des personnes placées sous main de justice.

Cela suppose également de mieux définir le rôle des SPIP et de faire évoluer la formation des conseillers sur la conception et la réalisation de ces programmes, en lien avec le milieu associatif, car leur application sur le territoire national est très inégale. Cette évolution est de nature réglementaire.

Cela nécessite, enfin, de rendre obligatoire les programmes de prise en charge dans les parcours des condamnés qui présentent le plus de risques de récidive. Il convient donc de les systématiser pour les détenus condamnés à de courtes peines, là où le taux de récidive est le plus élevé. La généralisation des programmes pourrait ainsi concerner les dispositifs de libération sous contrainte (libération conditionnelle, détention à domicile sous surveillance électronique, placement à l’extérieur, semi‑liberté) qui concernent les peines de moins de 5 ans d’emprisonnement.

Anticiper : pour mener avec justesse le combat contre la récidive, il faut mieux en appréhender les ressorts, mieux évaluer les dispositifs mis en place en pré‑sentenciel comme en post‑sentenciel, en particulier les mesures alternatives à la peine qui manquent d’études et d’analyses. Il est donc essentiel d’actualiser l’état des lieux des connaissances en la matière. Il paraît opportun de relancer une Conférence de consensus sur le sujet, 10 ans après la première. Il s’agit d’une structure indépendante qui présente l’intérêt d’objectiver les termes du débat sur une question trop souvent polémique, et de créer un dialogue public serein car c’est l’approche scientifique qui est privilégiée.

L’article 1er de cette proposition de loi vise donc à prévoir une peine minimale d’un an d’emprisonnement pour les délits de violences commis en état de récidive légale et ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) inférieure, supérieure ou égale à 8 jours sur les personnes visées au I de l’article 222-14-5 et aux alinéas 4 et 4 bis des articles 222‑12 et 222‑13 du code pénal.

L’article 2 vise à renforcer le lien déterminant qui doit exister entre les maires et les parquets en supprimant l’exigence d’une demande du maire des décisions judiciaires rendues à la suite des infractions causant un trouble à l’ordre public commises sur le territoire de sa commune.

L’article 3 instaure une expérimentation, pendant 3 ans, de la présence de SPIP sous forme de permanences, dans les tribunaux judiciaires d’au moins cinq juridictions.

L’article 4 généralise le suivi de programmes de prise en charge à la sortie de prison des condamnés bénéficiant d’une libération sous contrainte.

L’article 5 pose le principe de l’organisation d’une Conférence de consensus de lutte contre la récidive courant 2023.

L’article 6 vise à assurer la recevabilité financière de la présente proposition de loi.


proposition de loi

Article 1er

Après l’article 132‑19 du code pénal, il est rétabli un article 132‑19‑1 ainsi rédigé :

« Art. 132191. – Pour les délits mentionnés au I de l’article 222‑14‑5 et aux 4° et 4° bis des articles 222‑12 et 222‑13, commis en état de récidive légale, la peine d’emprisonnement ne peut être inférieure à un an d’emprisonnement.

« Toutefois, la juridiction peut prononcer, par une décision spécialement motivée, une peine inférieure à ce seuil ou une peine autre que l’emprisonnement en considération des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d’insertion ou de réinsertion présentées par celui‑ci.

« Les dispositions du présent article ne sont pas exclusives d’une peine d’amende et d’une ou plusieurs peines complémentaires ».

Article 2

Au deuxième alinéa de l’article 132‑3 du code de la sécurité intérieure, les mots : « , à sa demande, » sont supprimés.

Article 3

À titre expérimental et pour une durée de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi, sont instituées, au sein des tribunaux judiciaires d’au moins cinq départements, des permanences de services pénitentiaire d’insertion et de probation afin de garantir la prise en charge immédiate des condamnés à l’issue de l’audience.

Les départements concernés sont déterminés par arrêté du ministre de la Justice.

Le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation de l’expérimentation au plus tard six mois avant le terme de l’expérimentation.

Article 4

L’article 720 du code de procédure pénale est complété par un IV ainsi rédigé :

« IV. – La libération sous contrainte est obligatoirement assortie d’un programme de prise en charge de la personne condamnée visant à prévenir tout acte de récidive et à la réinsérer, tel que défini par le service pénitentiaire d’insertion et de probation qui l’accompagne »

Article 5

Une conférence de consensus sur la lutte contre la récidive est organisée avant le 31 décembre 2023.

Elle est composée, a minima, de chercheurs et d’universitaires, d’élus locaux, de professionnels du monde judiciaire et pénitentiaire et de représentants d’associations.

Elle a notamment pour mission d’établir un état des lieux des connaissances actuelles en matière de prévention de la récidive, d’objectiver les termes du débat et de proposer, le cas échéant, les évolutions adéquates.

Article 6

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 

 


([1]) Les chiffres clés de la Justice – édition 2022 – secrétariat général, service de l’expertise et de la modernisation, sous-direction de la statistique et des études

([2]) Justice / Portail / États généraux de la Justice