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N° 880

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 février 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à rendre définitive l’interdiction des néonicotinoïdes,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Delphine BATHO,

députée.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La biodiversité se meurt. La vitesse de l’effondrement des populations d’insectes est vertigineuse. Des études attestent notamment d’une destruction de 70 à 80 % de la biomasse d’insectes en quelques décennies en Europe. Or les insectes sont à la base des écosystèmes. Ils assurent la pollinisation, ils recyclent les nutriments dans les sols, ils servent de nourriture aux oiseaux, aux reptiles, aux amphibiens, aux poissons d’eau douce. Nous assistons à la 6e extinction de masse du vivant. Elle résulte des activités humaines entrainant la destruction des habitats de ces espèces et de l’agriculture industrielle à l’origine d’une contamination massive des terres, de l’eau, de l’air par des substances chimiques de synthèse nocives. En France, la zone atelier du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) de Chizé a constaté la disparition de 85 % des populations d’insectes en 23 ans et d’un tiers des oiseaux des champs en 15 ans, corrélée à l’usage massif des néonicotinoïdes.

La communauté scientifique est unanime sur le rôle que jouent les néonicotinoïdes dans cette destruction du vivant. Nier la dangerosité des néonicotinoïdes pour la biodiversité est aussi obscurantiste que de nier la responsabilité des émissions de gaz à effet de serre résultant des activités humaines dans le changement climatique. De nombreuses études ont montré les effets délétères de ces produits sur les populations de pollinisateurs, l’ensemble des insectes, les oiseaux, le zooplancton, les batraciens. Des études sur la santé humaine font état de « conséquences développementales ou neurologiques défavorables », d’une augmentation du risque d’autisme, de malformations cérébrales… Le thiaclopride, susceptible de provoquer le cancer chez l’homme a d’ailleurs été classé « perturbateur endocrinien suspecté » par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).

Autorisés pour la première fois à la commercialisation en France dans les années 1990, les néonicotinoïdes sont les insecticides de synthèse les plus puissants jamais utilisés en agriculture. Plus de 2 000 études scientifiques établissent leur toxicité aiguë (l’imidaclopride présente une toxicité 7 297 fois supérieurs à celle du DDT). Leur caractère systémique (des racines jusqu’au pollen, l’ensemble de la plante traitée devient une « plante insecticide ») a conduit à une utilisation massive en enrobage de semences, à titre « préventif », même en l’absence de ravageurs des cultures. 80 à 98 % de la substance part directement dans les sols et les eaux, et fait des ravages sur l’ensemble du vivant, bien au‑delà des organismes cibles. Enfin, les néonicotinoïdes et leurs métabolites s’accumulent dans l’environnement et persistent durablement dans les milieux naturels (de quelques mois à plus de vingt ans). Il en résulte une contamination généralisée des écosystèmes.

La France a été pionnière pour interdire l’utilisation des produits à base de néonicotinoïdes. L’article 125 de la loi n° 2016‑1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, modifiant l’article L. 253‑8 du code rural et de la pêche maritime, constitue la seule avancée tangible en matière de pesticides depuis des années. La loi française a entraîné, en 2018, la décision européenne de retrait, dans l’ensemble de l’Union européenne et pour les cultures de plein champ, des néonicotinoïdes qui étaient jusqu’ici les plus utilisés. En France, la loi pour la reconquête de la biodiversité du 8 août 2016 a été complétée par la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (dite loi EGALIM) qui précise que les produits « contenant une ou des substances actives présentant des modes d’action identiques à ceux de la famille des néonicotinoïdes et des semences traitées avec ces produits » sont également interdits. Ces lois ont interdits l’utilisation des produits néonicotinoïdes en France à compter du 1er septembre 2018, et définitivement le 1er juillet 2020.

Pourtant en 2020, le gouvernement a remis en cause les interdictions de 2016 et 2018. La loi n° 2020‑1578 du 14 décembre 2020 relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières a autorisé la délivrance de dérogations à l’interdiction des néonicotinoïdes pour la culture de betteraves sucrière jusqu’au 1er juillet 2023. Ces dispositions ont été proposées par le gouvernement, et votées par le législateur, à l’issue d’un intense lobbying de la filière betterave et de l’industrie du sucre, présentant l’utilisation des néonicotinoïdes comme la seule solution face à la jaunisse transmise par les pucerons, alors que des alternatives basées sur la transformation agroécologique des pratiques culturales existent.

Sur le fondement de la loi du 14 décembre 2020, des arrêtés de dérogation autorisant l’utilisation du poison des néonicotinoïdes pour une durée de cent‑vingt jours ont été pris par le ministre de l’agriculture les 5 février 2021 et 31 janvier 2022.

Ces dérogations en 2021 et 2022 ont été délivrées alors que les prévisions météorologiques s’avéraient peu propices au développement des pucerons et de la jaunisse. Selon une note du ministère de l’agriculture, les virus de la jaunisse n’ont été retrouvés avec certitude que sur 7 parcelles sur 264 analysées en 2021 (soit 2,6 %) contre 117 parcelles sur 170 échantillonnées (69 %) en 2020.

De plus, le conseil de surveillance, instance créée par la loi du 14 décembre 2020 pour rendre un avis sur les dérogations, a connu des dysfonctionnements et s’est prononcé sur la base de données scientifiques biaisées.

Pour 2023, le ministre de l’agriculture entendait délivrer de nouvelles dérogations afin d’autoriser, à nouveau, l’utilisation des néonicotinoïdes pour les cultures de betteraves sucrières. Un projet d’arrêté à cet effet avait été mis en consultation du 3 au 24 janvier 2023.

Mais le 19 janvier 2023, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu une décision[1] interdisant aux États membres de déroger aux interdictions de mise sur le marché et d’utilisation de semences traitées à l’aide de produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes. Par cette décision, la CJUE rappelle que l’article 53 du règlement (CE) no 1107/2009 « doit être interprété en ce sens que : il ne permet pas à un État membre d’autoriser la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques en vue du traitement de semences, ainsi que la mise sur le marché et l’utilisation de semences traitées à l’aide de ces produits, dès lors que la mise sur le marché et l’utilisation de semences traitées à l’aide de ces mêmes produits ont été expressément interdites par un règlement d’exécution. ». Ainsi, la Cour de justice de l’Union européenne rend illégales les dérogations délivrées par la France en 2021, 2022 et le projet d’arrêté envisagé pour 2023, auquel le ministre de l’agriculture a fini par renoncer. Elle entérine l’interdiction définitive des néonicotinoïdes en enrobage de semences. Cette décision souligne que les États membres doivent privilégier des méthodes de lutte non‑chimiques contre les ravageurs et que « l’objectif de protection de la santé humaine et animale ainsi que de l’environnement, en particulier, devrait primer l’objectif d’amélioration de la production végétale. »

La Cour de justice de l’Union européenne contredit ainsi les considérants 22, 23 et 25 de la décision n° 2020‑809 DC du 10 décembre 2020 du Conseil constitutionnel[2], qui avait jugé la loi du 14 décembre 2020 conforme à la Constitution. L’interprétation du juge constitutionnel selon lequel le Règlement européen autorisait des dérogations à l’interdiction des néonicotinoïdes, et estimant que l’utilisation de ces produits en enrobage de semences limitait les risques pour l’environnement et les pollinisateurs, est démentie par le juge européen.

La décision de la Cour de justice de l’Union européenne a pour effet de rendre la loi du 14 décembre 2020 contraire au droit européen, et par conséquent à la Constitution, au regard notamment de son article 88‑1.

De ce fait, la loi du 14 janvier 2020 n’a plus de base légale et doit être abrogée.

Tel est l’objet de la présente proposition de loi.

L’article 1er abroge les articles 1 et 2 de la loi n° 2020‑1578 du 14 décembre 2020 afin de rétablir l’interdiction absolue et générale de l’utilisation des néonicotinoïdes en France, telle que prévue dans la rédaction de l’article L253‑8 du code rural et de la pêche maritime issue des lois de 2016 pour la reconquête de la biodiversité et de 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.

L’article 2 complète le IV de l’article L.253‑8 du code rural et de la pêche maritime afin que la production, le transport et le stockage des substances actives interdites dans l’Union européen soient interdits au même titre que les produits phytopharmaceutiques qui les contiennent. Il remédie ainsi à une faille de la législation, résultant de la rédaction de la loi du 30 octobre 2018, qui avait interdit à compter du 1er janvier 2022 l’exportation de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées dans l’Union européenne, mais non les substances elles‑mêmes. Il précise également que ces interdictions visent les produits et substances dont l’autorisation par le droit de l’union européenne a expiré.

Telles sont les dispositions qu’il vous est proposé d’adopter.


proposition de loi

Article 1er

Les articles 1 et 2 de la loi n° 2020‑1578 du 14 décembre 2020 relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières sont abrogés.

Article 2

Le IV de l’article L. 253‑8 du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :

1° Après le mot : « précitée, », sont insérés les mots : « ainsi que la production, le stockage et la circulation de ces substances actives non approuvées, »

2° Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Il en va de même des substances et des produits phytopharmaceutiques contenant des substances dont les autorisations, au titre du même règlement (CE) n° 1107/2009 précédemment mentionné, ont expiré ».


([1]) https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=D65AEBD805ECE0006ADEB50C91351FA3?text=&docid=269405&pageIndex=0&doclang=FR&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=10786

([2])  https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2020/2020809DC.htm