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N° 922

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 mars 2022.

PROPOSITION DE LOI

encadrant le droit de grève dans les transports
durant les périodes de grande mobilité,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Éric PAUGET, AnneLaure BLIN, Émilie BONNIVARD, Éric CIOTTI, Josiane CORNELOUP, MarieChristine DALLOZ, Christelle D’INTORNI, Francis DUBOIS, Virginie DUBYMULLER, Nicolas FORISSIER, Patrick HETZEL, Marc LE FUR, Véronique LOUWAGIE, Alexandra MARTIN, Maxime MINOT, Isabelle PÉRIGAULT, Alexandre PORTIER, Nathalie SERRE, Jean-Pierre TAITE, Isabelle VALENTIN, Pierre VATIN, Antoine VERMORELMARQUES, Stéphane VIRY,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Vendredi 23 décembre 2022, à la veille des grands départs pour les fêtes de fin d’année, les Français sont confrontés à une nouvelle grève des agents de la SNCF. Aujourd’hui, c’est aux portes des vacances de février que le spectre de la grève resurgit, la seizième en 20 ans, risquant encore de paralyser une majorité d’usagers pour faire avancer des revendications syndicales.

Avec 114 jours de débrayage pour 1 000 salariés, notre pays est champion du monde de la grève, mais l’accroissement de la mobilité renforce le rejet des grèves dans les transports. En effet, la société française ne supporte plus les retards ou les annulations de billets résultant de mouvements sociaux volontairement programmés durant les périodes de vacances scolaires qui riment avec départs programmés de longue date et dépenses exceptionnelles. Cette exaspération appelle à une redéfinition proportionnée des équilibres entre préservation du droit de grève et garantie du droit à la mobilité.

En France, la grève est un droit à valeur constitutionnelle issu du Préambule de 1946 reconnu par la Constitution française qui « s’exerce dans le cadre des lois qui le règlementent » en fonction d’une nécessaire conciliation avec la continuité du service public pour le Conseil Constitutionnel. Cette obligation d’assurer la continuité du service public permet de limiter l’impact du droit de grève en exigeant un service minimum pour garantir le respect de nos principes fondamentaux tels que le devoir de travailler, la liberté d’aller et venir ou la responsabilité civile qui oblige l’auteur d’un dommage à indemniser les usagers tiers pénalisés par ces conflits sociaux.

Dans les transports, ces grèves entraînent des perturbations importantes aux effets négatifs sur le déroulement des vacances des Français, pouvant engendrer des coûts supplémentaires liés aux frais d’hébergement, aux repas ou aux billets de transport alternatifs. Elles ont également des conséquences sociales induites par les divisions entre travailleurs et manifestants comme néfastes pour l’économie ou le tourisme tant les annulations de voyage et les retards peuvent conduire à la perte de revenus. Si les manifestants peuvent considérer la grève comme un droit fondamental permettant de faire entendre leur voix, elle peut aussi être perçue comme une perturbation inacceptable des transports quand elle s’exerce durant les périodes de grands déplacements des Français. Aussi, c’est soucieux de préserver l’équilibre entre droits des travailleurs et besoins des consommateurs, que le législateur a créé le service minimum.

Or, il n’existe aucune obligation légale pour les entreprises de transport collectif d’assurer un service minimum, car sa mise en place est laissée aux accords entre syndicats et autorités organisatrices des transports, mais il peut être rendu obligatoire par une convention. C’est notamment le cas de la RATP devant maintenir ce service vis‑à‑vis de l’opérateur Île‑de‑France Mobilités, pour éviter de s’exposer à des demandes de remboursement des titres de transports des usagers n’ayant pu bénéficier de leurs trajets. Mais ce service minimum est parfois remis en cause par ceux qui, souhaitant satisfaire leurs revendications, estiment que la grève aurait moins d’impact sur l’entreprise ayant un fonctionnement quasi normal.

Au siècle des mobilités, les besoins et la multiplication des moyens de transport ont entrainé une augmentation massive du nombre d’usagers pénalisés par l’impact des grèves dans les transports, ce qui pose désormais un problème disproportionné au droit d’aller et de venir librement. Or, « l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. »([1]) Pourtant, la grève des transports continue de paralyser le pays et de pénaliser de nombreux usagers durant les périodes de grande mobilité. Qui n’a pas connu l’anxiété lors des périodes de grèves, faute de pouvoir disposer d’un véritable droit à la mobilité ?

La loi de 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, intégrée au code des transports, avait définit l’existence d’une « mise en œuvre progressive du droit au transport » pour permettre à l’usager « de se déplacer dans des conditions raisonnables d’accès, de qualité, de prix (…) par l’utilisation d’un moyen de transport ouvert au public ». Une décennie plus tard, le législateur a posé de nouveaux jalons avec la loi sur l’orientation des mobilités en remplaçant l’existence de notre « droit au transport » par celui du « droit à la mobilité » opérant un changement de paradigme qui consacre un objectif de résultat plus que de moyens, garantissant au‑delà du seul accès effectif au transport, un véritable droit de pouvoir voyager. Bien que cette intention soit louable, la réalité des faits nous rappelle aux limites de notre droit actuel.

Par le passé, l’Italie a été confrontée à des grèves dans les transports qui pouvaient entraîner des perturbations semblables à celles que connait la France. Pour minimiser ces impacts, le gouvernement italien a édicté des règles garantissant un véritable service minimum durant les périodes de grève. Ce rééquilibrage entre droit de grève et droit à la mobilité s’est fait, alors même que le droit de grève italien est, comme en France, un droit constitutionnel. Garanti par l’article 40 de la Constitution italienne et rédigé dans les mêmes termes que ceux énoncés au dans notre Préambule de 1946, le droit de grève a pu être modifié par le législateur, car il s’exerce, comme en France, dans les conditions fixées par la loi.

Ces lois italiennes garantissent désormais, dans les services publics essentiels, la jouissance des droits de la personne protégée par la Constitution tels que le droit à la vie, à la sécurité, ou à la liberté de circulation. Les réseaux de transports publics font d’ailleurs parti des services nécessaires à la sauvegarde de cette liberté de circulation. C’est à ce titre que le droit italien a pu imposer un véritable service minimum dans les transports. Fruit d’une évolution équilibrée, la mutation du droit italien de la grève a permis de minimiser les impacts sur les voyageurs tout en garantissant le droit des travailleurs à faire grève.

Mesdames, Messieurs, malgré les récentes évolutions de notre droit à la mobilité, l’exercice du droit de grève du secteur des transports continue de paralyser le pays durant les jours de grandes mobilités et de pénaliser les Français qui peuvent voir leurs départs en vacances gâchés. Ce constat appelle à mettre fin au déséquilibre manifeste entre droit de grève et droit à la mobilité. C’est pourquoi je vous propose d’engager une réécriture de la loi sur le service minimum dans les transports votée sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy en s’inspirant de la réussite du modèle italien.

Tel est le sens de cette évolution ne visant pas à supprimer le droit de grève constitutionnellement reconnu, mais à mieux encadrer son exercice, fort de limites proportionnées pour éviter que les épisodes calculés de grèves d’une minorité, ne virent plus à la prise d’otage des vacances de la majorité des Français.

L’article 1er de cette proposition de loi prévoit d’interdire les grèves dans les transports publics pendant les périodes de grande mobilité et durant les trois premiers et les trois derniers jours des vacances scolaires ainsi que les jours de consultations électorales. Il garantit un service complet à 100 % dans les transports publics locaux pendant une période de six heures, subdivisées en deux tranches horaires de trois heures consécutives correspondant aux heures de pointe durant chaque journée de grève. Enfin, pour les organisations syndicales, il allonge le délai de dépôt du préavis de grève dans les transports publics de cinq à dix jours.

L’article 2 étend le délai du préavis de grève applicable aux salariés du secteur des transports publics de 48 heures à 96 heures.

L’article 3, prévoit la possibilité de recourir à des sanctions contraventionnelles, financières et pécuniaires à l’encontre des personnes, des représentants syndicaux et des organisations syndicales qui enfreignent la présente loi pouvant aller jusqu’à la suspension de leurs financements publics.

Enfin, l’article 4 précise la date d’entrée en vigueur de la présente loi.

 

 

 

 


proposition de loi

Article 1er

Le titre Ier du livre V de la deuxième partie du code du travail est complété par un chapitre III ainsi rédigé :

« Chapitre III

« Dispositions particulières dans les transports

« Art. 25131. – Les dispositions du présent chapitre s’appliquent aux services publics de transport terrestre régulier de personnes à vocation non touristique, hors transport fluvial.

« Art. 25132. – Dans les transports publics, les grèves sont interdites durant :

« 1° Les trois premiers et les trois derniers jours des périodes de vacances scolaires mentionnées à l’article L. 521‑1 du code de l’éducation ;

« 2° Les périodes de grande mobilité correspondantes aux périodes du 12 au 18 août et du 18 décembre au 2 janvier ;

« 3° Le jour des consultations électorales.

« Art. 25133. – Durant chaque journée de grève, les opérateurs de transport locaux garantissent un service complet pendant six heures, subdivisées en deux tranches horaires de trois heures consécutives correspondant aux heures de pointe.

« Art. 25134. – Par dérogation aux dispositions mentionnées au quatrième alinéa de l’article 2512‑2 du présent code, le préavis de grève dans les transports doit parvenir dix jours francs avant le déclenchement de la grève à l’autorité hiérarchique ou à la direction de l’établissement, de l’entreprise ou de l’organisme intéressé. Il mentionne le champ géographique et l’heure du début ainsi que la durée limitée ou non, de la grève envisagée. »

Article 2

L’article L. 1324‑7 du code des transports est ainsi modifié :

1° À la première phrase du premier alinéa, les mots « quarante‑huit » sont remplacés par les mots « quatre‑vingt‑seize » ;

2° À la première phrase du deuxième alinéa les mots : « vingt‑quatre » sont remplacés par les mots « soixante‑douze » ;

3° À la première phrase de l’avant dernier alinéa les mots : « vingt‑quatre » sont remplacés par les mots « soixante‑douze ».

Article 3

I. – Le fait de contrevenir aux dispositions prévues par la présente loi est passible :

1° D’une contravention de 3ème classe si cette infraction est commise par une personne physique ;

2° D’une contravention de 4ème classe si cette infraction est commise par un représentant syndical.

II. – Les organisations syndicales qui contreviennent aux dispositions prévues par la présente loi s’exposent à la suspension partielle de leurs financements publics.

Article 4

La présente proposition de loi rentrera en vigueur au lendemain du sixième mois suivant sa promulgation.


([1]) Article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.