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N° 992

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 mars 2023.

PROPOSITION DE LOI

interdisant la publicité pour des marques d’alcool (boissons alcoolisées et sans alcool dont la dénomination fait référence à une marque d’alcool)
par des influenceurs non spécialisés sur les réseaux sociaux,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Karine LEBON, Moetai BROTHERSON, JeanVictor CASTOR, Steve CHAILLOUX, André CHASSAIGNE, Pierre DHARRÉVILLE, Elsa FAUCILLON, Sébastien JUMEL, Emeline K/BIDI, JeanPaul LECOQ, Tematai LE GAYIC, Frédéric MAILLOT, Davy RIMANE, Stéphane PEU, Fabien ROUSSEL, Nicolas SANSU, JeanMarc TELLIER, Hubert WULFRANC,

Député‑e‑s.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Chaque année, près de 30 % des accidents mortels, sur les routes françaises, sont dus à des abus d’alcool.

Dans les Outre‑mer, à La Réunion, par exemple, ce taux est 2 fois supérieur. Selon les chiffres de la délégation ministérielle à la sécurité routière, la consommation excessive d’alcool est responsable d’un décès sur six et de 15 passages aux urgences chaque jour.

Pour les professionnels de la santé comme le Dr David Mété, chef du service d’addictologie au CHU de La Réunion : “Il faut cibler en priorité ceux qui n’ont pas encore touché à une goutte d’alcool, avec pour objectif qu’ils n’y touchent jamais”.

La sensibilisation et la prévention doivent donc se faire en direction des jeunes.

Nous le savons, la jeunesse consacre beaucoup de temps aux écrans. Plus de 4 heures en moyenne par jour, selon l’étude « Les jeunes Français et la lecture » réalisée par Ipsos en 2022.

En outre, les dernières études concernant la santé mentale de notre jeunesse sont alarmantes. En 2021, 40 % des 18‑24 ans souffrent de troubles de l’anxiété généralisée, selon une étude, réalisée par Ipsos et la Fondation Fonda Mental. La même année, près de 24 000 jeunes tentaient de mettre fin à leur jour, selon un rapport de Santé publique France. Ce chiffre n’a jamais été aussi élevé.

D’après l’enquête ESCAPAD 2017, 44 % des jeunes de 17 ans disent avoir bu plus de 5 verres en une seule occasion au cours des 30 derniers jours. C’est ce qu’on appelle le « binge‑drinking », anglicisme signifiant beuverie express ou alcoolisation ponctuelle importante. Selon la MILDECA (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives), en 2021, « 1 élève de troisième sur 5 a connu une alcoolisation ponctuelle importante dans le mois ».

Selon l’Observatoire Français des Drogues et des Tendances addictives (OFDT), « 22,9 % des adolescents disent avoir ressenti l’envie de consommer la boisson mise en valeur par la publicité ».

Notre jeunesse dépendante des réseaux sociaux, abîmée par les confinements et les mesures spécifiques liées à la crise COVID est en perte de repère.

L’heure n’est plus aux études, nous avons le devoir de prendre des mesures adaptées à l’urgence de la situation. Parmi elles, il y a la protection des jeunes aux conduites addictives.

L’alcool coûte, chaque année, 120 milliards d’euros à la société française. Le coût social du tabac est le même. Il serait donc logique de mettre en place les mêmes dispositions. En 2023, les argumentaires économiques et traditionalistes ne sont plus audibles.

Dans les années 90, la loi Evin a été rédigée dans le but de protéger les mineurs. À l’époque, la télévision était le média le plus regardé par les jeunes. Une interdiction totale de la publicité en faveur de l’alcool avait donc été mise en place.

La publicité en faveur de l’alcool est tout simplement bannie des médias dédiés à la jeunesse. Aujourd’hui, ce sont les réseaux sociaux qui arrivent en tête des médias consommés par les jeunes. Nous démontrons encore une fois qu’il est donc logique et urgent d’interdire toute publicité en faveur de l’alcool sur ces médias.

Le monde évolue, le marketing d’influence avec. Les alcooliers et les influenceurs trouvent sans cesse des parades pour contourner les évolutions de la loi Evin concernant la publicité de l’alcool sur Internet.

La Stratégie interministérielle de mobilisation contre les conduites addictives 2023‑2027, datée de mars 2023, mentionne bien la nécessité d’encadrer strictement la publicité et la vente des produits à risque. Elle recommande explicitement de « réduire la pression publicitaire » en « envisageant de nouvelles dispositions législatives pour tenir compte des évolutions des stratégies promotionnelles (par exemple, placement de produits, recours à des influenceurs, marketing éditorial…) ».

C’est bien sur les réseaux sociaux et sur les multiples comptes d’influenceuses et d’influenceurs que 95 % des jeunes vont se divertir et chercher les réponses à leurs questionnements. C’est là qu’ils vont être « influencés ». Il s’agit de publicité déguisée puisque nous ne parlons pas ici des visuels publicitaires habituels mais de mise en situation. Ce sont de véritables mises en scène fabriquées pour créer un phénomène d’identification et de proximité chez les plus jeunes. Les jeunes ne font pas la distinction entre publicité et partenariat, terme utilisé par dans le domaine du marketing d’influence. Les effets sont pires. Cette stratégie incite l’audience à consommer et minimise les risques liés à la consommation d’alcool.

La France comptabilise 150 000 influenceuses et influenceurs. En mars 2023, seulement 450 influenceurs environ avaient passé le certificat d’influence responsable proposé par l’ARPP, Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité.

Régulièrement, des contenus valorisant la consommation d’alcool ou mettant en avant des boissons alcoolisées sont publiés par des influenceurs. Il s’agirait de plusieurs milliers de contenus par an, en France. « En 2015, le volet French Alcohol Marketing Exposure Scale (FAMES) de l’enquête ESPAD‑France révélait que 54,1 % des lycéens avaient constaté de tels contenus au moins une fois par mois cette année‑là. »

L’objectif de cette présente proposition de loi consiste à protéger notre jeunesse en réduisant son exposition aux publicités en faveur de l’alcool.

Cette interdiction concerne l’ensemble des marques d’alcool pour la promotion de leurs boissons alcoolisées et non alcoolisées. En effet, dans beaucoup de cas, les boissons sans alcool reprennent les codes graphiques des marques des boissons « historiques » contenant de l’alcool. Ainsi, il est compliqué, voire impossible pour les jeunes de distinguer les deux boissons. Selon l’agence nationale Santé publique France, « Ces produits pourraient faciliter un passage à la consommation de boissons alcoolisées ». En effet, ils font finalement la promotion de toute la gamme proposée par la marque d’alcool.

Il est donc capital d’inclure les produits sans alcool dans cette interdiction.

Derrière ces pratiques de publicité déguisée, il y a bien entendu des échanges commerciaux entre alcooliers et influenceurs. L’agence Kolsquare qui a développé une plateforme permettant aux professionnels de piloter leurs campagnes d’Influence Marketing, a publié les tarifs des influenceurs par réseau social. Selon elle, un micro‑influenceur qui compte entre 10 000 et 100 000 abonnés obtiendrait entre 155 € et 1 900 € pour un post sur Instagram. Si l’influenceur comptabilise plus de 3 millions de followers (abonnés), les tarifs s’envolent. Il toucherait au minimum 25 000 € jusqu’à plusieurs centaines de milliers d’euros.

Ce qui compte également dans le marketing d’influence c’est la notion d’engagement des abonnés. Elle est matérialisée par les réactions concrètes des followers : les likes, les commentaires, les partages… Ainsi, sur Instagram, « Poupette Kenza », une influenceuse comptant 929 000 abonnés serait mieux payée qu’une influenceuse comme « Nabilla » qui comptabilise pourtant plus de 8 millions de followers. En effet, il a été démontré que les « petits » influenceurs possèdent un très fort taux d’engagement. Avec un nombre raisonnable de personnes qui les suivent, ils parviennent à construire une communauté solide. C’est cette relation de confiance menant à l’achat, qui intéresse les annonceurs.

C’est pour cette raison que cette proposition de loi définit un influenceur comme toute personne proposant, partageant ou créant du contenu sur les réseaux sociaux et ayant au moins 1 000 abonnés.

Cependant, cette interdiction ne fait pas référence aux influenceurs spécialisés dont le métier est lié à l’industrie des alcools ayant une AOP ou une AOC ou aux influenceurs publiant de l’information œnotouristique. Il est important de noter que sur les 7 000 contenus collectés par Addictions France, le champagne et le vin représentent 1 053 contenus. Le secteur viti‑vinicole sera donc peu concerné par cette interdiction.

Les contenus visés par cette proposition de loi représentent tous les types de publication (post, story, réel, live, snap, vidéo), diffusés sur les plateformes identifiées comme réseaux sociaux, intégrant, marquant, taguant, évoquant même par le biais d’une figure de style une marque d’alcool ou un contenant à son effigie.

La question du contrôle est au cœur de cette réflexion. Il est évident que les moyens de la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) ne lui permettent pas de mener des contrôles efficaces et réguliers. En France, plusieurs associations (dont Addictions France) et organismes réalisent des signalements. Cependant, là aussi, leurs moyens ne sont pas suffisants pour faire face au volume colossal de publications.

Les intérêts économiques, quels qu’ils soient, ne peuvent pas être plus importants que la santé de nos jeunes. Ce sont des milliers de vies humaines qui sont concernées et c’est de l’avenir de notre société qui est en jeu.

Alors que les industriels de l’alcool conseillent de renforcer les programmes de prévention plutôt que de consolider l’encadrement de la loi Evin, il est important d’affirmer que cette proposition de loi est bien une mesure de politique préventive.

L’article unique propose de créer un nouvel article à la suite de l’Article L. 3323‑2 du Code de la Santé publique portant sur l’interdiction de la publicité pour des marques d’alcool (boissons alcoolisées et sans alcool dont la dénomination fait référence à une marque d’alcool) par des influenceurs non spécialisés sur les réseaux sociaux.


proposition de loi

Article unique

Le chapitre III du titre II du livre III de la troisième partie du code de la santé publique est complété par un article ainsi rédigé :

« Art. 332361. – Est strictement interdite toute publicité, directe ou indirecte, pour des marques d’alcool, boissons alcoolisées et sans alcool dont la dénomination fait référence à une marque d’alcool, réalisée par des influenceurs sur les plateformes considérées comme réseaux sociaux.

« Cette interdiction ne s’applique pas :

« 1° Aux influenceurs possédant moins de 1 000 abonnés ;

« 2° Aux influenceurs spécialisés dont le métier est lié à l’industrie des alcools ayant une appellation d’origine protégée ou une appellation d’origine contrôlée ;

« 3° Aux influenceurs publiant de l’information œnotouristique.

« Un décret en conseil d’État vient préciser la liste des plateformes considérées comme réseaux sociaux auxquelles s’appliquent les dispositions du présent article. »