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N° 997

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 mars 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à limiter les nuisances causées par l’usage abusif
du droit de grève dans les transports en commun,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

JeanLouis THIÉRIOT, Nathalie SERRE, Antoine VERMORELMARQUES, Éric PAUGET, Virginie DUBYMULLER, Philippe JUVIN, Véronique LOUWAGIE, Philippe GOSSELIN,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Chaque annonce de mouvement de grève dans les transports en commun suscite dans la population appréhensions et exaspérations : de la galère quotidienne de celui qui n’a pas le choix que de se rendre au travail à la déconvenue de celui qui doit annuler des retrouvailles en famille ou des vacances programmées de longue date… Doit‑on accepter que l’usage du droit de grève dans ce pays soit nécessairement synonyme de nuisances pour le reste de la société ?

Si le Conseil constitutionnel a érigé le droit de grève en principe fondamental constitutionnellement protégé du fait de son inscription au préambule de la Constitution de 1946, il n’est pas non plus ce droit absolu voire sacré prêché par certains syndicats auquel on ne saurait toucher sans commettre un forfait.

Comme tout autre principe constitutionnel, le droit de grève doit être concilié avec les principes et libertés de même valeur. Avant même l’intervention du Conseil Constitutionnel, le Conseil d’État avait ainsi affirmé que « la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour conséquence d’exclure les limitations qui doivent être apportées à ce droit, comme à tout autre, en vue d’en éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l’ordre public » (CE, 1950 Dehaenne) ou bien contraire « aux besoins essentiels du pays » (CE, ass, 12 avril 2013, Fédération Force Ouvrière Énergie et Mines).

Le Conseil constitutionnel a par la suite logiquement confirmé cette jurisprudence en déclarant qu’il « appartient au législateur de tracer les limites du droit de grève, qui a valeur constitutionnelle, en opérant la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l’intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte. Le législateur peut apporter au droit de grève les limitations nécessaires en vue d’assurer la continuité du service public qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d’un principe de valeur constitutionnelle. Ces limitations peuvent aller jusqu’à l’interdiction du droit de grève aux agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays. » (Décision 79‑105 DC du 25 juillet 1979).

On peut tirer plusieurs enseignements de cette jurisprudence :

1/ Le droit de grève est un moyen visant à la défense des intérêts professionnels et non une fin en soi. En d’autres termes, la défense des intérêts professionnels peut prendre d’autres formes que l’exercice de la grève telles que le droit de manifester, le droit d’être représenté dans des instances syndicales, la liberté de s’exprimer dans les médias, le droit de vote, etc… autant de droits qui peuvent être exercés en dehors de son temps de travail et qui permettent de donner une grande visibilité aux revendications singulières sans pour autant prendre en otage l’ensemble des Français.

2/ La grève peut être de nature à porter atteinte à l’intérêt général nous dit le Conseil constitutionnel. En effet, le droit de grève est le seul droit qui porte en lui‑même le germe d’une nuisance causée à autrui. Alors que la liberté - telle que proclamée par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen – « consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. », le droit de grève plus que tout autre droit doit être fermement délimité par le législateur afin que l’exercice d’un droit par une minorité – qui dispose par ailleurs d’autres moyens pour faire valoir ses intérêts - ne nuise pas à l’exercice des droits et libertés de la majorité de la population. Autrement dit, le droit de grève ne saurait donner plus de pouvoir à une minorité protestataire qu’à l’ensemble du peuple.

3/ Le législateur a non seulement le droit mais le devoir de concilier le droit de grève avec les autres principes et libertés constitutionnellement garantis qui lui sont contraires, en premier lieu la continuité du service public qui est nécessairement et directement impactée par la cessation du travail des agents en charge d’un service public, mais aussi tout autre principe ou liberté de valeur constitutionnelle, tel que la liberté d’aller et venir (Décision n° 79‑107 DC du 12 juillet 1979), le droit de propriété et la liberté d’entreprendre (Décision n° 81‑132 DC du 16 janvier 1982) ou le principe d’égalité (Décision n° 73‑51 DC du 27 décembre 1973).

S’agissant précisément du principe d’égalité, si le droit de grève est en théorie le même pour tous, force est de constater que le degré de nuisance causée par son exercice n’est pas le même selon les secteurs mobilisés. De fait, pour la majorité des professions, l’exercice du droit de grève n’a que peu d’effet immédiat sur la société tandis que l’arrêt généralisé du travail dans des secteurs déterminés impacte instantanément et gravement la société, de sorte que la fréquence et l’intensité du recours au droit de grève ne se trouvent pas corrélées à la légitimité des revendications mais dépendent directement du pouvoir de nuisance causée. « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser »… Aussi est‑il du devoir du législateur d’interdire les abus du droit de grève et de rétablir une égalité dans l’exercice de ce chantage institutionnalisé qu’est la grève. Du strict point de vue du principe d’égalité, le droit de grève dans les transports doit être beaucoup plus limité et encadré qu’il ne l’est aujourd’hui.

Le secteur des transports en commun est le premier secteur impacté par les grèves qui en seulement quelques heures peut désorganiser la vie de millions de Français. Une grève dans les transports impacte en premier lieu la liberté d’aller et venir de la population mais également par ricochet le droit de propriété. Non quantifiables, non indemnisables, les préjudices matériels subis par les Français du fait de la grève dans les transports en commun n’en sont pas moins réels : Qui paye la baby‑sitter qui doit garder les enfants quand les parents ne parviennent pas à trouver un moyen de transport pour rentrer à l’heure ? Qui rembourse l’employeur de celui qui doit partir plus tôt pour espérer rentrer chez lui ? Qui paye le taxi de celui qui a un rendez‑vous impératif ? Qui rembourse les occasions professionnelles manquées des entrepreneurs ? Qui rembourse les annulations de location de vacances, fruit des économies de l’année ?

C’est sans parler des préjudices physiques et moraux : pénibilité de se retrouver entassés matins et soirs dans des rames tellement bondées - qu’il n’est pas rare que des malaises de voyageurs se déclarent perturbant encore plus le service s’il en était besoin ‑, tristesse de celui qui est privé de réunions familiales comme l’ont été de nombreux Français à Noël dernier, désespoir de celui qui attendait des vacances bien méritées et qui n’a pas la possibilité de déplacer ses congés ou plus les moyens financiers de le faire…

Les principes constitutionnels qui peuvent être invoqués pour limiter le droit de grève sont pléthores. Il n’existe donc aucun blocage juridique à limiter l’exercice du droit de grève dans les transports en commun. Le seul blocage est symbolique, il n’existe que par manque de courage du politique pour affronter la résistance des syndicats. L’unique risque à réformer le droit de grève est celui de déclencher une ultime grève dérégulée qui démontrerait par elle‑même la nécessité de la réforme.

Aussi la présente proposition de loi entend‑elle restreindre les nuisances causées aux Français par l’usage abusif du droit de grève dans les transports en commun.

Il s’agit concrètement de faire primer temporellement le droit à la mobilité sur le droit de grève.

Dans les services de transport régulier de personnes à vocation non touristique : bus, métro, tramways, RER, TER, il est proposé d’interdire l’exercice de la grève aux jours et heures de pointe correspondant aux trajets domicile‑travail des usagers. Se faisant, le texte va plus loin que la réforme de 2007 qui n’exigeait qu’un service minimum. Le but du texte est qu’aux heures de pointe, le service public des transports fonctionne totalement normalement et non a minima car les trajets domicile‑travail sont des trajets qui ne peuvent être reportés et tout métro, train ou bus supprimé a des conséquences immédiates sur ses usagers.

Dans les services commerciaux de transport de personnes : routiers, ferroviaires, maritimes ou aériens, il est proposé d’interdire l’exercice de la grève les week‑ends de vacances telles que fixées par le calendrier scolaire ainsi que les week‑ends de pont autour d’un jour férié.

Afin de rendre ces interdictions effectives, le présent texte propose de sanctionner les personnels contrevenants par une peine de 2 ans de prison et 15 000 euros d’amende et de sanctionner les syndicats qui appelleraient à la grève en méconnaissance de ces interdictions à 500 000 euros d’amende.


proposition de loi

Article unique

Le titre premier du livre V de la deuxième partie du code du travail est complété par un chapitre III ainsi rédigé :

« Chapitre III

« Dispositions particulières dans le secteur des transports en commun de personnes

« Art. L. 25131. – Les dispositions du présent chapitre s’appliquent à tous les personnels publics et privés des collectivités territoriales, des organismes, établissements et entreprises publics et privés qui concourent au fonctionnement des services de transport en commun de personnes.

« Art. L. 25132. – L’exercice de la grève est interdit dans les services de transport public régulier de personnes à vocation non touristique aux heures et jours de fort trafic.

« Les modalités de détermination des périodes concernées sont précisées par décret en conseil des ministres.

« Art. L. 25133. – L’exercice de la grève est interdit dans les services de transport commercial de personnes :

« 1° Les samedis et dimanches inclus dans les périodes de vacances scolaires telles que fixées par le calendrier scolaire national en application de l’article L. 521‑1 du code de l’éducation ainsi que la veille du premier jour des vacances scolaires et le dernier jour de vacances scolaires.

« 2° Les jours fériés mentionnés à l’article L. 3133‑1 du présent code, ainsi que certains jours précisés par décret qui précèdent ou suivent immédiatement le jour férié.

« Art. L. 25134. – Le non‑respect des interdictions édictées aux articles L. 2513‑2 et L. 2513‑3 est puni d’une peine de deux ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

« Art. L. 25135. – Le fait pour des syndicats professionnels d’appeler à la grève en méconnaissance des interdictions édictées aux articles L. 2513‑2 et L. 2513‑3 est puni de 500 000 euros d’amende. »