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N° 1106

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 avril 2023.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

visant à faciliter le recours au referendum d’initiative partagée,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Bertrand PANCHER, Michel CASTELLANI, Stéphane LENORMAND, Nathalie BASSIRE, Laurent PANIFOUS, Max MATHIASIN, Paul MOLAC, Benjamin SAINTHUILE, JeanLouis BRICOUT, Paul-André COLOMBANI, David TAUPIAC,

députés.

 

 

 

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Il existe depuis plus de huit ans et pourtant il reste introuvable. Le référendum d’initiative partagée (RIP) est prévu par notre Constitution, mais les conditions nécessaires à son utilisation n’ont jamais permis une mise en œuvre complète.

Cette catégorie particulière de référendum fait pourtant l’objet d’une demande constante des citoyens qui n’a fait que s’intensifier ces dernières années, en particulier lors du mouvement dit des « Gilets Jaunes » initié en 2018 et, plus récemment, des manifestations suscitées par la réforme des retraites et par l’utilisation de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution.

Cette demande citoyenne ne peut plus être ignorée.

En ce sens, cette proposition de loi constitutionnelle entend donner aux citoyens et aux parlementaires les moyens de joindre leurs voix en rénovant le référendum d’initiative partagée (RIP). Il ne s’agit pas de mettre en concurrence participation citoyenne et représentation nationale mais bien de les associer.

La voie de l’apaisement ne pourra être suivie en ignorant les demandes des Français ; en ce sens, ce texte, bien que modeste, peut permettre d’envoyer un signal serein, dans le cadre de nos institutions, aux citoyens et ainsi poser les prémices d’une réforme ultérieure plus profonde de notre Constitution et de nos institutions.

Pour rappel, les électeurs sont explicitement apparus à l’article 11 de notre Constitution par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République. À la lecture des travaux préparatoires, force est de constater que les parlementaires y voyaient alors un moyen de redonner du souffle à notre démocratie et une manière d’associer directement les citoyens dans notre système représentatif.

Le bilan à dresser de cet article 11 relatif aux référendums est aisé : le dernier d’entre eux organisé au niveau national date encore du 29 mai 2005, soit il y a près de 18 ans. La révision de 2008 n’a ainsi eu aucun effet.

À qui la faute ?

Les difficultés résultent essentiellement des conditions strictes et particulièrement contraignantes fixées à l’article 11 de notre Constitution et dans la loi organique du 6 décembre 2013.

Les obstacles sont très nombreux : la proposition doit être présentée par un cinquième des membres du Parlement, le périmètre même du texte est limité et fait l’objet d’une appréciation stricte par le Conseil constitutionnel, il est nécessaire d’obtenir le soutien d’un dixième des électeurs inscrits (soit près de 4,87 millions en 2022), la durée de la période de recueil ne peut excéder neuf mois…

Ces limites s’accumulent au point de rendre l’exercice du référendum d’initiative partagée impossible en pratique.

Ainsi, les quelques tentatives ayant été présentées devant le Conseil constitutionnel n’ont pu aboutir. L’exemple le plus avancé est celui de la proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris, qui a passé le premier stade de contrôle par le Conseil mais n’a réuni qu’un million de signatures de citoyens.

Plus récemment, deux tentatives de RIP portant sur des sujets importants aux yeux des Français ont été rejetées car le Conseil constitutionnel a estimé qu’elles n’entraient pas dans le périmètre de l’article 11 de la Constitution :

– par une décision n° 2022‑3 RIP du 25 octobre 2022, le Conseil constitutionnel a décidé que la création d’une contribution sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises ne constituait pas une « réforme » de la politique économique de la Nation et ne pouvait donc faire l’objet d’un référendum ;

– de manière analogue, par une décision n° 2023‑4 RIP du 14 avril 2023, le Conseil a décidé que l’affirmation de l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans maximum ne constituait pas une « réforme » de la politique sociale.

Ces deux décisions ont suscité la vive incompréhension de nos concitoyens. Il faut cependant rappeler que le Conseil ne fait qu’interpréter les dispositions de la Constitution et qu’il ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision identique à celui du Parlement.

Il en découle que la seule solution pour avancer sur ce sujet est de réviser l’objet, le fonctionnement et la procédure du référendum d’initiative partagée.

En ce sens l’article unique de la présente proposition de loi constitutionnelle opère les révisions suivantes à l’article 11 de la Constitution :

Élargir le périmètre des référendums : face à l’interprétation restrictive du Conseil constitutionnel dans ses dernières décisions, il est proposé d’ouvrir le champ du référendum.

Il pourra désormais porter sur la réforme des pouvoirs publics tant nationaux que territoriaux, cela permet notamment de répondre à la demande des citoyens pour plus de décentralisation et plus de place pour nos territoires et nos collectivités. Cette rédaction était d’ailleurs présente dans le projet de révision constitutionnelle de 2019 pour un renouveau de la vie démocratique.

Il pourra également porter sur la politique fiscale de la Nation, tant il paraît dépourvu de sens d’empêcher un référendum sur la matière fiscale étant donné la place qu’elle occupe dans nos débats. Dans l’esprit de la déclaration de 1789, qui fait partie intégrante de notre « bloc de constitutionnalité », la fiscalité, fondée sur les facultés contributives de chacun, est ce qui permet d’entretenir la force publique et les dépenses des services publics. Ouvrir le référendum sur ce point est indispensable.

Enfin, pour mettre fin à la jurisprudence excessivement restrictive du Conseil constitutionnel en la matière, il est proposé de supprimer la condition contraignante et imprécise de « réforme ». Un référendum peut avoir lieu sur tout sujet qui intéresse une des grandes politiques de la Nation.

Abaisser le seuil d’électeurs requis : au lieu d’un dixième, il est proposé de retenir la condition d’un cinquantième des électeurs inscrits. Ce seuil reste suffisamment exigeant pour éviter tout abus mais permet de donner une réelle chance au RIP d’être mené à terme.

Accélérer et simplifier la procédure : le droit en vigueur est inutilement complexe et laborieux, il prévoit un examen dans les deux assemblées, si cet examen n’a pas débuté dans un délai de six mois (défini par la loi organique), alors le Président peut directement soumettre le texte aux citoyens.

Au lieu de cet examen qui pourrait aboutir à une modification substantielle du texte ayant recueilli le soutien des électeurs, voire à un rejet, la nouvelle rédaction vise à ce que le Président de la République soumette directement le texte au référendum dans un délai de six mois.

En outre, il est proposé de mettre fin à une ambiguïté rédactionnelle de l’article 11 qui interdit les référendums sur « un même sujet » dans un délai de deux ans. Cette formulation floue pourrait s’avérer contraignante si deux textes portaient sur une même politique de la Nation tout en contenant des dispositions pourtant bien différentes. Il est donc proposé de préciser que l’impossibilité concerne uniquement des dispositions législatives analogues.

Ainsi, en prenant la plume du législateur constitutionnel pour donner un nouveau souffle au référendum d’initiative partagée, les auteurs de ce texte proposent de donner l’opportunité à notre Parlement de montrer aux citoyens qu’ils ont été entendus, et, surtout, qu’ils ont été compris.

L’indifférence ne mènera pas à l’apaisement, seules des avancées concrètes permettront de consolider le lien qui unit les citoyens et leurs représentants.


PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article unique

L’article 11 de la Constitution est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi modifié :

a) Les mots : « , sur des réformes relatives à » sont remplacés par les mots : « nationaux ou territoriaux, sur » ;

b) Après le mot : « économique », il est inséré le mot : « , fiscale » ;

2° À la première phrase du troisième alinéa, le mot : « dixième », est remplacé par le mot : « cinquantième » ;

3° Le cinquième alinéa est ainsi rédigé :

« Le Président de la République soumet la proposition de loi au référendum dans un délai de six mois. »

4° À l’avant‑dernier alinéa, les mots : « le même sujet », sont remplacés par les mots : « des dispositions législatives similaires ».