N° 1127
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 avril 2023.
PROPOSITION DE LOI
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Dominique DA SILVA, Damien ADAM, Sabrina AGRESTI-ROUBACHE, Éric ALAUZET, Fanta BERETE, Lionel CAUSSE, Yannick CHENEVARD, Christine DECODTS, Joël GIRAUD, Jean-Carles GRELIER, Alexis IZARD, Caroline JANVIER, Daniel LABARONNE, Emmanuel LACRESSE, Didier LE GAC, Constance LE GRIP, Annaïg LE MEUR, Vincent LEDOUX, Patricia LEMOINE, Sandra MARSAUD, Denis MASSÉGLIA, Nicolas METZDORF, Benoit MOURNET, Karl OLIVE, Charlotte PARMENTIER‑LECOCQ, Emmanuel PELLERIN, Robin REDA, Véronique RIOTTON, Charles RODWELL, Xavier ROSEREN, Lionel ROYER‑PERREAUT, Liliana TANGUY, Guillaume VUILLETET, Jean‑Marc ZULESI,
députés.
– 1 –
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Sous l’impulsion du Président de la République, nous portons un objectif clair et ambitieux : lutter contre le chômage de masse et revaloriser le travail pour amener la France au plein emploi d’ici la fin du quinquennat.
Mais relever le défi d’un taux de chômage à 5 % exige d’améliorer sans tarder l’accès au logement des salariés, du secteur privé comme public, qui peinent à accéder à une offre locative abordable alors qu’ils sont éligibles au parc social.
En effet, un quart des salariés à temps plein travaillant dans le privé touche moins de 1 500 euros nets par mois, la moitié moins de 2 000 euros ([1]). Il en résulte qu’une part importante des ménages français ayant des revenus du travail se retrouve sous les plafonds de ressources PLS et PLUS ([2]).
Dès lors, loger à loyer abordable ces ménages d’actifs au plus près de leur emploi constitue un avantage clé en faveur du pouvoir d’achat de ces salariés, particulièrement dans les métropoles et les zones tendues. C’est aussi un besoin crucial pour les employeurs qui peinent à attirer les candidats et à maintenir leurs effectifs. Toutes les entreprises et les administrations, quelle que soit leur taille, y sont confrontées.
La présente proposition de loi consiste donc à créer les conditions pour que les employeurs, sur la base du volontariat, se saisissent de l’opportunité de loger leurs employés dans des logements produits suivant les modalités de l’usufruit locatif social (ULS) et comptabilisés à ce titre dans l’inventaire SRU.
Concrètement, l’employeur achète la nue‑propriété d’un immeuble (un ou plusieurs logements) avec une décote d’au moins 40 % par rapport au prix du marché, à la condition que l’usufruit soit acquis par un bailleur social à qui il revient de gérer et d’attribuer les logements au bénéfice des salariés demandeurs et éligibles de l’employeur. L’entreprise ou l’établissement « investisseur » récupère la pleine propriété du bien à la fin de l’usufruit et fait le choix soit de poursuivre la location soit de vendre.
Pour pérenniser le logement dans le parc social et aider les employeurs à garantir le financement de la nue‑propriété, il peut être prévu, dès la convention d’usufruit, une promesse de vente au profit du bailleur social avec une décote du prix de vente de l’immeuble dans le cadre d’un accord gagnant‑gagnant.
Le même type d’accord peut être envisagé par l’employeur pour encourager l’accession sociale à la propriété de son salarié au terme de l’usufruit.
Ce dispositif d’ordre public, financé sans augmenter les prélèvements obligatoires avec des fonds privés volontaires, obéit à une triple ambition : renforcer les politiques publiques en matière de logement, d’emploi et de transition écologique :
– En augmentant la production de logements neufs en zones sous‑dotées ;
– En favorisant l’insertion dans l’emploi et la mobilité professionnelle ;
– En s’attaquant à la réhabilitation des immeubles d’habitation énergivores ;
– En réduisant l’impact carbone des trajets domicile‑travail.
Ce dispositif ne remet pas en cause la participation des employeurs à l’effort de construction (PEEC) et offre à son organisme collecteur, le groupe Action Logement, l’opportunité de proposer des services rémunérés très utiles pour accompagner les employeurs nus‑propriétaires et les bailleurs usufruitiers pendant toute la durée du conventionnement jusqu’à la sortie et la revente, le cas échéant.
Par ailleurs, ce régime d’usufruit locatif social employeur « ULS‑E » offre un formidable outil pour répondre aux obligations de la loi SRU et à l’enjeu de mixité sociale qui s’imposent aux communes.
Ce dispositif « ULS‑E » présente aussi le mérite d’encourager l’acceptabilité du logement social chez les élus et la population riveraine, car il permet de loger des « travailleurs‑clés » ([3]) qui font vivre leur territoire. Il permet également à des quartiers paupérisés d’être redynamisés en favorisant l’implantation d’acteurs économiques et de nouveaux habitants vivant de revenus du travail.
Pour finir, ce dispositif « ULS‑E » permet d’équilibrer financièrement les opérations de construction ou de rénovation de logements sociaux dans un contexte inédit de renchérissement des coûts de construction en mobilisant l’épargne privée des employeurs au profit de l’intérêt général.
Tels sont Mesdames, Messieurs, les motifs de la présente proposition de loi.
L’article unique de cette proposition de loi prévoit la création, au code de la construction et de l’habitation (CCH) d’un régime d’usufruit locatif social employeur.
Le dispositif consiste à permettre à un employeur de vendre l’usufruit d’un logement neuf ou d’un ensemble de logements neufs qu’il a acquis à un bailleur social, selon les modalités de l’usufruit locatif social (ULS), pour une durée maximale de vingt ans [I de l’article L. 253‑1‑2 CCH, créé par le I de l’article].
L’attribution des logements ainsi possédés en nue‑propriété par l’employeur et en usufruit locatif par un bailleur social se fait exclusivement au profit des employés du premier, par délibération des instances représentatives du personnel ou par décision de l’employeur pour les entreprises de moins de onze salariés [premier alinéa du III codifié], et n’est donc pas soumise aux obligations qui concernent l’attribution des logements sociaux [deuxième alinéa du même III]. En cas de vacance locative, l’employeur nu‑propriétaire doit pallier à la perte de loyers dans le cadre de la convention d’usufruit [deuxième alinéa du IV codifié].
En ce qui concerne le bail conclu entre le bailleur usufruitier et le locataire, employé du nu‑propriétaire, il est attaché au contrat de travail, en ce sens que la rupture du contrat de travail emporte nécessairement la résiliation du bail, après un délai de trois mois ou six mois s’il est rompu à l’initiative de l’employeur. En cas de rupture du contrat de travail à l’initiative du locataire‑salarié (démission ou rupture conventionnelle), le bail est rompu après un délai de trois mois. En cas de licenciement à l’initiative de l’employeur, la résiliation du bail ne peut intervenir qu’après un délai minimum de six mois. En cas de recours contre cette décision, la résiliation du bail est suspendue jusqu’au prononcé d’une décision juridictionnelle devenue définitive [article L. 253‑3‑1 CCH, créé par le I de l’article ; article 14‑3 de la loi n° 89‑462, créé par le II de l’article].
Le dispositif ne vient pas se substituer au versement de la PEEC conformément à l’article L. 313‑1 du CCH ni s’opposer à la possibilité de s’en libérer prévu à son troisième alinéa [II codifié].
Au bout de la durée du démembrement, l’employeur reprend l’usufruit et peut conserver ou vendre en pleine propriété. Si la commune d’implantation est déficitaire au sens de la loi SRU, le bailleur social usufruitier bénéficie d’un droit de priorité pour le rachat du logement vendu [III codifié].
proposition de loi
I. – Le code de la construction et de l’habitation est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 253‑1‑1, il est inséré un article L. 253‑1‑2 ainsi rédigé :
« Art. L. 253‑1‑2. – I. – Un employeur de droit privé ou de droit public peut confier l’usufruit d’un logement neuf ou d’un ensemble de logements neufs dont il possède la nue‑propriété à un bailleur social au sens de l’article L. 411‑10, dans les conditions prévues au présent chapitre, pour une durée maximale de vingt ans.
« II. – La faculté prévue au I ne délie pas, le cas échéant, l’employeur de son obligation au titre de la participation mentionnée à l’article L. 313‑1, ni des possibilités d’y déroger qui en découlent.
« III. – L’attribution des logements prévus au I résulte des délibérations des instances représentatives du personnel de l’employeur ou des décisions de l’employeur pour les entreprises de moins de onze salariés, dans des conditions fixées par décret. Elle est réservée, en toutes circonstances, aux employés de l’employeur nu‑propriétaire.
« L’attribution de ces logements n’est pas soumise aux règles qui découlent des articles L. 441 à L. 441‑2‑9, et ne relève pas de la commission prévue à l’article L. 441‑2.
« IV. – En cas de vacance locative, l’employeur nu‑propriétaire supporte les frais financiers laissés à la charge du bailleur social selon les termes fixés dans la convention d’usufruit prévue à l’article 253‑1‑1.
« V. – À la fin de la convention d’usufruit mentionnée à l’article L. 253‑1, dans les communes soumises au I ou au II de l’article L. 302‑5, s’il souhaite vendre son bien, le nu‑propriétaire informe de son souhait le bailleur social mentionné au I, qui peut se porter acquéreur en priorité. »
2° Après l’article L. 253‑3, il est inséré un article L. 253‑3‑1 ainsi rédigé :
« Art. L. 253‑3‑1. – En application du 3° de l’article 2 de la loi n° 89‑462 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86‑1290 du 23 décembre 1986, le bail conclu entre le bailleur usufruitier et le locataire pour la location prévue au I de l’article L. 253‑1‑2 prévoit une clause de résiliation de plein droit du bail après la rupture du contrat de travail au titre duquel le locataire se voit attribuer le logement, dans les conditions prévues à l’article 14‑3 de la même loi. »
3° Après le 6° du IV de l’article L. 302‑5, il est inséré un 7° ainsi rédigé :
« 7° Les logements détenus en usufruit locatif par un bailleur social, par lesquels les employeurs participent directement à l’effort de logement de leurs employés, au sens de l’article L. 253‑1‑2. »
II. – Après l’article 14‑2 de la loi n° 89‑462 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86‑1290 du 23 décembre 1986, il est inséré un article 14‑3 ainsi rédigé :
« Art. 14‑3. – Le contrat de location conclu entre le bailleur d’un logement loué en application de l’article L. 253‑1‑2 du code de la construction et de l’habitation et l’employé mentionné au III de cet article prévoit une clause de résiliation de plein droit dudit contrat après la rupture du contrat de travail au titre duquel ledit employé se voit attribuer le logement. La notification de cette décision comporte le motif de la résiliation et précise sa date d’effet, qui, selon le cas :
« 1° En cas de rupture du contrat de travail à l’initiative du locataire, ou en cas de rupture conventionnelle, la résiliation prononcée en application du premier alinéa ne peut produire effet avant l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la date à laquelle cette rupture prend effet ;
« 2° En cas de rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur, cette résiliation du bail ne peut produire effet qu’à l’expiration d’un délai de six mois à compter de la date à laquelle la décision de licenciement est devenue définitive. »
([1])° Selon l’observatoire des inégalités - 5 mai 2022.
([2]) Applicable aux bénéficiaires des logements locatifs sociaux financés par le Prêt Locatif (à Usage) Social.
([3]) Une étude « La question du logement des travailleurs clés en Île-de-France » publiée en mars 2021 par la Fédération des Offices Publics de l’Habitat, identifie 159 professions clés (santé, enseignement, commerce et alimentation, propreté, sécurité, fonction publique…), qu’exercent 1,8 million de travailleurs, soit 34 % des actifs en Île-de-France. Ces travailleurs sont très majoritairement éligibles au logement social (1,16 million de personnes) dans lequel ils habitent pour un tiers d’entre eux.