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N° 1413

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 juin 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à encadrer le tarif du ticket d’entrée du cinéma,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Sarah LEGRAIN, Mathilde PANOT, Ségolène AMIOT, Rodrigo ARENAS, Idir BOUMERTIT, Soumya BOUROUAHA, Alexis CORBIÈRE, Hendrik DAVI, Jérôme LEGAVRE, Frédéric MAILLOT, Francesca PASQUINI, Stéphane PEU, JeanClaude RAUX, Sophie TAILLÉPOLIAN, Paul VANNIER, Léo WALTER, Nadège ABOMANGOLI, Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Farida AMRANI, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Louis BOYARD, Manuel BOMPARD, Sylvain CARRIÈRE, Florian CHAUCHE, Sophia CHIKIROU, Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, JeanFrançois COULOMME, Catherine COUTURIER, Sébastien DELOGU, Alma DUFOUR, Karen ERODI, Martine ETIENNE, Emmanuel FERNANDES, Sylvie FERRER, Caroline FIAT, Perceval GAILLARD, Raquel GARRIDO, Clémence GUETTÉ, David GUIRAUD, Mathilde HIGNET, Hubert JULIENLAFERRIÈRE, Rachel KEKE, Andy KERBRAT, Bastien LACHAUD, Maxime LAISNEY, Tematai LE GAYIC, Arnaud LE GALL, Antoine LÉAUMENT, Élise LEBOUCHER, Charlotte LEDUC, Murielle LEPVRAUD, Élisa MARTIN, Pascale MARTIN, William MARTINET, JeanPaul MATTEI, Marianne MAXIMI, Manon MEUNIER, JeanPhilippe NILOR, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, Thomas PORTES, René PILATO, François PIQUEMAL, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, JeanHugues RATENON, Sébastien ROME, François RUFFIN, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Eva SAS, Sabrina SEBAIHI, Danielle SIMONNET, Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACHTERRENOIR, Aurélien TACHÉ, Andrée TAURINYA, Matthias TAVEL,

députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Je sens qu’on a perdu l’habitude de se retrouver tous ensemble dans le cinéma pour aller voir des tas de films. (…) Je suis un peu inquiet parce que je vois semaine après semaine que les baisses sont assez représentatives. Je m’inquiète aussi pour l’avenir de nos enfants, pour ceux qui veulent faire du cinéma, pour ceux qui se lancent dans les salles de cinéma, il faut qu’on continue à encourager le cinéma. Et ça passe forcément par la salle (…) Une place de cinéma, ce n’est pas donné. Quand on part en famille, quand on prend deux glaces, trois bonbons, ça fait des soirées chères. Je comprends et je suis d’accord. Donc je pense qu’il va peutêtre falloir repenser à un prix de la place de cinéma ? »,

Kad Merad sur RMC, le 10 septembre 2022

 » Estce que 10 euros la place de ciné, c’est trop cher ?

 Oui. »,

Adèle Exarchopoulos, en réponse à Hugo Décrypte, le 20 mai 2023.

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La fréquentation des salles de cinéma a atteint 152 millions d’entrées en 2022. Cela est en forte hausse par rapport à l’année 2021 marquée par la crise sanitaire et la fermeture des lieux de culture, dont les salles de cinéma, pendant 138 jours et qui n’avait vu que 95,5 millions de spectateurs. Le début de l’année 2023 peut donc donner l’impression que le cinéma revient à son niveau de fréquentation pré‑covid. Néanmoins, cette hausse se ressent essentiellement sur deux ou trois films comme Super Mario Bros qui sont succès au box‑office et qui concentrent un grand nombre des entrées.

La France possède pourtant une offre culturelle dense et diverse avec un fort réseau d’établissements culturels. Avec près de 6 200 écrans et 2028 établissements, c’est un des parcs cinématographiques les plus importants d’Europe. Cependant, si le nombre d’écrans augmente, cela se traduit essentiellement par une concentration de l’offre, notamment avec une part grandissante pour les multiplexes – 85 des 203 écrans ouverts en 2019 sont dans des multiplexes. Cette concentration de l’offre a entraîné une augmentation de la part des billets vendus au‑dessus de 10 € qui est passé de 9 % à 17,6 % entre 2013 et 2022. Cela s’explique également par le développement des « offres premium » liées aux suppléments technologiques ou design. En décembre 2022, Pathé a marqué le coup en ouvrant son premier cinéma 100 % premium décrit comme une « expérience exclusive » avec « des prestations haut de gamme » pour un billet à 18 € 50 en tarif normal. Cette augmentation du tarif dans les gros circuits masque un tarif beaucoup plus bas pour la majorité des salles. En tout, ce sont 38 % des billets

– moins de la moitié - dont le tarif excède 7 €, soit le prix moyen d’un billet de cinéma.

Or le prix de cette place est un des principaux freins perçus par le public. Selon une étude du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) nommée « Pourquoi les Français vont‑ils moins souvent au cinéma ? » de mai 2022, 36 % des personnes ont mentionné le prix comme éléments qui les dissuadent de retourner au cinéma : la première cause chez les 35‑46 ans et la seconde cause citée toute tranche d’âge confondue. Le succès des films se fait toujours grâce aux spectateurs occasionnels. Plus un film fait un nombre d’entrées élevé, plus leur poids est important. Or, contrairement à des spectateurs assidus qui sont souvent abonnés ou achètent des places avec un tarif groupé, ils sont généralement amenés à payer le tarif normal. Ce sont ces spectateurs occasionnels, qui représentent 73 % de la population cinématographique et sont indispensables à la vitalité de notre cinéma, qui sont les plus touchés par le prix d’entrée et qui risquent le plus de perdre toute habitude d’aller au cinéma.

La question de la tarification du billet de cinéma ne peut se poser sans prendre en compte l’inflation grandissante. Sur un an, l’inflation sur les produits alimentaires s’établit à 15,9 %, 11 % pour l’électricité. Que ce soient les loyers, les charges ou encore les produits du quotidien, tout augmente, à part les salaires. Les conséquences de cette inflation touchent l’ensemble des ménages et surtout les plus précaires : les principaux postes du panier alimentation, logement et transport représentent 77 % du revenu disponible des 10 % les plus pauvres. La sortie culturelle, un besoin essentiel, devient ainsi un luxe pour nombre de foyers. Pour une famille vivant dans une ville de taille moyenne avec deux enfants, une sortie au multiplexe d’à côté revient environ à 50 € juste pour les billets, 75 € avec l’option 4DX. Si elle s’autorise un paquet de popcorn, il lui faut ajouter entre 4 et 8 €. C’est sans compter les 4€ environ pour un trajet en voiture d’une quinzaine de minutes aller/retour. Au total, la sortie familiale représente un coût entre 58 et 87 euros. Un coût insurmontable alors que 82 % des français déclarent ne pas être en capacité d’épargner à la fin du mois.

Cette proposition de loi est donc en premier lieu une mesure de pouvoir d’achat et d’accès populaire à la culture. Elle vise également à lutter contre une perception biaisée de la tarification du cinéma par les spectateurs ; cette perception freine la fréquentation du cinéma et nuit en premier lieu aux petites structures et cinémas indépendants pratiquant des tarifs beaucoup plus accessibles, invisibilisés par les prix impressionnants qu’affichent les grosses structures. Afin de ne pas augmenter ces tarifs, nous avons fait le choix de ne pas proposer un tarif unique comme cela a été fait de manière vertueuse pour le livre mais un prix maximum, permettant de simplement limiter les abus pratiqués notamment par les gros multiplexes. Si certains peuvent s’inquiéter de voir les financements du CNC baisser, nous faisons le pari au contraire de la consommation populaire. Le cinéma est un loisir addictif. En levant le frein du prix de la place de cinéma, nous facilitons la transformation des spectateurs occasionnels en spectateurs habitués. C’est par l’action publique que la France a créé ce qu’on appelle désormais son exception culturelle. Cette mesure s’inscrit dans une volonté politique de permettre à toutes et tous d’accéder à l’expérience sensible d’échange et de partage que sont les arts et la culture, élément essentiel du développement de notre rapport au monde et de notre citoyenneté. Il sera confié au médiateur du cinéma le contrôle de la bonne application du tarif maximal.

Afin de compenser les potentielles pertes de revenus qui pourraient avoir lieu dans un premier temps, nous proposons de créer une taxe sur les recettes accessoires – confiseries et buvette - des exploitants. Celle‑ci sera directement affectée au CNC et fixée au même montant que la taxe spéciale additionnelle sur le prix des places de cinéma qui alimentent un fond de soutien aux aides à la création.

Cette proposition de loi est également l’occasion de repenser le partage de la valeur. Nous proposons d’ouvrir des négociations professionnelles entre exploitants, organismes de gestion collective, artistes‑auteurs et distributeurs afin de répartir les recettes publicitaires. La France est un des rares pays de l’Union européenne dans lequel les artistes‑auteurs ne reçoivent aucune recette directe sur les ventes de billets de leurs films. Pourtant sans leur travail, il n’y a pas de spectateurs, pas de cinéma. En l’absence de véritable opérateur public visant à assurer les droits et revenus pérennes des artistes‑auteurs, il est proposé que la répartition de ces recettes se fasse par l’intermédiaire des organismes de gestion collective.

En ce qui concerne les distributeurs, ils sont un des maillons essentiels à la diversité des films projetés dans nos salles. Leur rémunération dépend du billet d’entrée, ils récupèrent un peu moins de 50 % du tarif de vente. C’est en tout cas ce qui s’applique dans de nombreuses salles de cinéma d’art et essai. Dans les circuits, cela représente plutôt 20 % du billet lorsqu’on prend en compte les dépenses publicitaires du distributeur - voire aucune recette pour les salles parisiennes.

En effet, il est de plus en plus courant qu’un distributeur se voie obligé de payer l’espace publicitaire pour que l’affiche du film soit visible dans la salle où son film est projeté, pour que la bande‑annonce soit diffusée.

L’article 1er prévoit l’encadrement du prix du droit d’entrée au cinéma en instaurant un prix maximal fixé par décret.

L’article 2 renforce le pouvoir du médiateur du cinéma chargé de contrôler l’application de l’encadrement du prix du droit d’entrée au cinéma.

L’article 3 prévoit une répartition des recettes accessoires –publicitaires – des salles de cinéma avec les artistes‑auteurs et les distributeurs.

L’article 4 gage la proposition de loi en créant une taxe sur les recettes accessoires - confiserie, buvette - des salles de cinéma, pour les établissements disposant d’au moins trois écrans. Elle est fixée à 10,72 % et perçue par le CNC.

 


proposition de loi

Article 1er

Après l’article L. 212‑4 du code du cinéma et de l’image animée, il est inséré un article L. 212‑4‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 21241.  La délivrance de l’autorisation mentionnée à l’article L. 212‑2 est conditionnée à l’application d’un prix de droit d’entrée maximal dans les salles de spectacles cinématographiques exploitées, quels que soient le procédé de fixation ou de transmission et la nature du support des œuvres ou documents audiovisuels qui sont présentés. Ce tarif est fixé indépendamment de l’âge ou de la catégorie socio‑professionnelle du spectateur.

« Son montant est déterminé par décret pris après avis de l’Autorité de la concurrence. Il peut être révisé chaque année. »

Article 2

L’article L. 213‑1 du code du cinéma et de l’image animée est complété par un 5° ainsi rédigé :

« 5° À l’application de l’article L. 212‑4‑1 »

Article 3

Après la section 7 du chapitre II du titre Ier du livre II du code du cinéma et de l’image animée, il est inséré une section 8 ainsi rédigée :

« Section 8

« Répartition des recettes accessoires liées à l’exploitation cinématographique

« Art. L. 21236.  Les exploitants d’établissements de spectacles cinématographiques situés en France métropolitaine ou dans les départements d’outre‑mer rémunèrent les artistes auteurs et les distributeurs via un barème et des modalités déterminés sur le montant de leurs recettes accessoires.

« Les recettes accessoires s’entendent du prix effectivement acquitté par l’annonceur concernant l’achat d’espace publicitaire.

« Les exploitants sont ceux soumis au code du cinéma et de l’image animée.

« Art. L. 21237.  Le barème de rémunération et les modalités de versement de la rémunération sont établis par des accords spécifiques entre les organisations représentatives des artistes‑auteurs, les organisations représentatives des distributeurs et les organisations représentatives des exploitants d’établissements de spectacles cinématographiques.

« Ces accords doivent préciser les modalités selon lesquelles les salles de spectacles cinématographiques s’acquittent de leur obligation de fournir aux organismes de gestion collective le montant exact des recettes publicitaires réalisées et tous les éléments documentaires indispensables à la répartition des droits.

« Les stipulations de ces accords peuvent être rendues obligatoires pour l’ensemble des intéressés par arrêté du ministre chargé de la culture.

« Ces accords sont établis pour une durée de trois ans.

« Art. L. 21238.  Si aucun accord n’est intervenu à l’expiration du précédent accord, le barème de rémunération et des modalités de versement de la rémunération sont arrêtés par une commission présidée par un représentant de l’État et composée, en nombre égal, d’une part, de membres désignés par les organisations représentant les bénéficiaires du droit à rémunération, d’autre part, de membres désignés par les organisations représentatives des exploitants d’établissements de spectacles cinématographiques. Les membres de cette commission ne perçoivent aucune rémunération.

« Les organisations appelées à désigner les membres de la commission ainsi que le nombre de personnes que chacune est appelée à désigner sont déterminées par arrêté du ministre chargé de la culture.

« La commission se détermine à la majorité de ses membres présents. En cas de partage des voix, le président a voix prépondérante.

« Les délibérations de la commission sont exécutoires si, dans un délai d’un mois, son président n’a pas demandé une seconde délibération.

« Les décisions de la commission sont publiées au Journal officiel de la République française.

« Art. L. 21239.  La rémunération des artistes‑auteurs prévue à l’article L. 212‑36 est répartie entre ceux‑ci par un ou plusieurs organismes mentionnés au titre II du livre III du code de la propriété intellectuelle. »

Article 4

Après la section 2 du titre Ier du livre Ier du code du cinéma et de l’image animée, il est inséré une section ainsi rédigée :

« Section 2 bis

« Taxe sur les recettes accessoires

« Art. L. 115131.  Est affecté au Centre national du cinéma et de l’image animée le produit d’une taxe assise sur les recettes accessoires – confiserie, buvette – réalisées par les exploitants d’établissements de spectacles cinématographiques situés en France métropolitaine ou dans les départements d’outre‑mer, quels que soient le procédé de fixation ou de transmission et la nature du support des œuvres ou documents cinématographiques ou audiovisuels qui y sont représentés.

« Les recettes accessoires s’entendent du prix effectivement acquitté par les spectateurs concernant la buvette ou vente de confiseries.

« Art. L. 115132.  La taxe est calculée en appliquant sur ces recettes accessoires réalisées par les exploitants d’établissements de spectacles cinématographiques un taux de 10,72 %.

« Art. L. 115133.  La taxe est due mensuellement par établissement de spectacles cinématographiques possédant au moins trois écrans de diffusion. Toutefois, pour les mois de décembre et de janvier, la taxe est due respectivement jusqu’au 31 décembre et à compter du 1er janvier.

« La taxe n’est pas due lorsque son montant mensuel par établissement de spectacles cinématographiques est inférieur à 80 €.

« Le montant de la taxe ne peut entrer en compte dans la détermination de l’assiette des divers impôts, taxes et droits de toute nature autres que la taxe sur la valeur ajoutée auxquels est soumise la recette des salles de spectacles cinématographiques.

« Art. L. 115134.  Les redevables remplissent, par établissement de spectacles cinématographiques, une déclaration conforme au modèle agréé par le Centre national du cinéma et de l’image animée et comportant les indications nécessaires à la détermination de l’assiette et à la perception de la taxe.

« La déclaration est déposée au Centre national du cinéma et de l’image animée en un seul exemplaire avant le 25 du mois suivant celui au cours duquel les opérations imposables ont été réalisées.

« La déclaration est transmise par voie électronique.

« Art. L. 115135.  Les redevables acquittent auprès de l’agent comptable du Centre national du cinéma et de l’image animée le montant de la taxe lors du dépôt de leur déclaration. »