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N° 1501

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 juillet 2023.

PROPOSITION DE LOI

pour le droit aux vacances,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Benjamin LUCAS, Rodrigo ARENAS, Christine ARRIGHI, Clémentine AUTAIN, Joël AVIRAGNET, Christian BAPTISTE, MarieNoëlle BATTISTEL, Julien BAYOU, Lisa BELLUCO, Karim BEN CHEIKH, Christophe BEX, Manuel BOMPARD, Mickaël BOULOUX, Soumya BOUROUAHA, JeanLouis BRICOUT, Philippe BRUN, Elie CALIFER, Cyrielle CHATELAIN, Alain DAVID, Arthur DELAPORTE, Stéphane DELAUTRETTE, Inaki ECHANIZ, Karen ERODI, Olivier FAURE, Emmanuel FERNANDES, Sylvie FERRER, Charles FOURNIER, MarieCharlotte GARIN, Raquel GARRIDO, Johnny HAJJAR, Chantal JOURDAN, Hubert JULIENLAFERRIÈRE, Marietta KARAMANLI, Rachel KEKE, Fatiha KELOUA HACHI, Tematai LE GAYIC, Antoine LÉAUMENT, Charlotte LEDUC, Gérard LESEUL, Damien MAUDET, Philippe NAILLET, Francesca PASQUINI, Sébastien PEYTAVIE, Anna PIC, Christine PIRES BEAUNE, Marie POCHON, Dominique POTIER, Valérie RABAULT, JeanClaude RAUX, Sandra REGOL, François RUFFIN, Benjamin SAINTHUILE, Michel SALA, Isabelle SANTIAGO, Eva SAS, Hervé SAULIGNAC, Sabrina SEBAIHI, Aurélien TACHÉ, Sophie TAILLÉPOLIAN, David TAUPIAC, Mélanie THOMIN, Aurélie TROUVÉ, Cécile UNTERMAIER, Boris VALLAUD, Paul VANNIER, Roger VICOT,

Député‑e‑s.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Homme libre, toujours tu chériras la mer ! »

Par ce vers, Baudelaire décrit l’irrépressible besoin humain de l’évasion, de la contemplation, du voyage.

Ce droit au bonheur est gravé non seulement dans le marbre de notre histoire républicaine depuis les premiers congés payés et le Front populaire de 1936, mais aussi dans celui de la loi, puisque l’article 140 de la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions dispose que « l’égal accès de tous, tout au long de la vie […] aux vacances et aux loisirs constitue un objectif national. »

Ce droit aux vacances est pourtant refusé à des millions de familles. Cette année à nouveau des millions d’enfants, de précaires, de salariés et de retraités ne verront ni la mer, ni la montagne, ni notre patrimoine exceptionnel.

Le jour de la rentrée, plus de 3 millions d’élèves se sentiront exclus de ce moment merveilleux où l’on raconte son été et ses découvertes, source de la construction des imaginaires, des rêves, donc de la liberté de l’esprit.

Cette injustice accentue les phénomènes de sédentarité, le mal‑être psychologique, les inégalités sociales, culturelles et éducatives.

C’est pourquoi nous croyons nécessaire de faire advenir une société du temps libéré, dont le droit aux vacances constitue un pilier essentiel.

Au printemps 1936, le Front populaire arrive au pouvoir. Avec l’avènement des congés payés, la France ouvre enfin à toute sa population la perspective du temps libéré.

Pour que le temps libère, il doit s’accompagner d’une grande ambition émancipatrice. Voilà pourquoi le sous‑secrétaire d’État aux loisirs et aux sports, Léo Lagrange, développe les loisirs collectifs, sportifs, touristiques et culturels. Il crée le billet populaire de congés annuels. Il encourage la création des auberges de jeunesse. Grâce à son action et à celle des mouvements de l’éducation populaire qui en sont la clé de voûte, des millions de Françaises et de Français peuvent enfin goûter au bonheur du droit au repos, du droit au beau.

Cet héritage est celui de la République, et demeure porteur d’une promesse qu’il nous appartient sans cesse de renouveler. Le 9 juin 2023, nous avons fait le choix de renouer avec cette promesse pour le temps libéré et émancipateur. Des personnes vivant l’exclusion et la grande pauvreté, militantes et militants du Mouvement ATD Quart Monde ont convergé de tout le pays vers l’Assemblée nationale pour une journée de croisement des savoirs, de partage et d’élaboration collective de la présente proposition de loi. L’Assemblée nationale s’est montrée pour ce qu’elle est et doit être : la maison du peuple au service de celui‑ci. Ce travail législatif est le leur, il est le fruit de leur expérience, de leurs besoins et de la richesse de leurs témoignages et propositions. C’est une loi citoyenne dans sa conception que nous vous proposons. Nous avons fait le choix de reprendre sans censure ni détournement les propositions telles qu’elles ont été formulées par les citoyennes et citoyens venus élaborer cette proposition de loi. Son article 1 vise à faire de l’accès aux vacances un droit constituant un devoir de solidarité pour l’ensemble de la nation, dans la continuité du premier alinéa de l’article 1 de la loi d’orientation du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions, depuis abrogé, posant que « La lutte contre les exclusions est un impératif national fondé sur le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains et une priorité de l’ensemble des politiques publiques de la nation ».

Ainsi, l’État aura pour mission d’agir activement pour le départ en vacances de l’ensemble de la population en prenant des mesures concrètes, notamment par la montée en puissance des aides financières, de l’accompagnement à la préparation du départ, et la formation initiale et continue du personnel public (travailleurs sociaux, magistrats, agents publics) au droit aux vacances. Son article 2 généralise l’adhésion des caisses d’allocations familiales au service commun pour la gestion des centres familiaux de vacances des fédérations et des caisses d’allocations familiales, de façon à ce que toutes les CAF appuient via les aides encadrées par ce service commun, les départs en vacances. L’article effectue également une standardisation et une harmonisation par le haut des règles d’attribution des aides aux vacances pour les enfants et les familles. Son article 3 centralise les informations concernant les colonies de vacances et les aides pour le départ en vacances en instaurant un guichet unique numérique et présent physiquement dans les territoires. Son article 4 pose le principe que la règle concernant les enfants placés à l’aide sociale à l’enfance doit être le départ en vacances avec le ou les parents et le recours à des vacances médiatisées, tandis que le départ en vacances sans les parents doit demeurer l’exception. Ainsi, le choix de faire partir en vacances l’enfant sans ses parents doit être motivé. Son article 5 pose le principe que le droit au départ en vacances doit être respecté même pour les personnes en situation d’hébergement d’urgence. Son article 6 demande au Gouvernement un rapport sur l’impact que peut avoir une campagne de sensibilisation au droit aux vacances et aux loisirs des plus jeunes. Son article 7 demande au Gouvernement un rapport documentant la diversité des aides aux départs en vacances, la proportion de personnes en étant exclues ainsi que la proportion de non‑recours à ces aides. Il formule des propositions pour permettre l’élargissement des aides et un meilleur recours aux aides existantes. Son article 8 gage financièrement la proposition de loi. Cette proposition de loi s’inscrit dans une démarche globale de consultations, d’auditions, de rencontres et de propositions pour le droit aux vacances initiée par plusieurs parlementaires, en lien étroit avec le monde associatif, des élus locaux et la société engagée. Elle y trouve une place complémentaire et singulière en portant la parole directe des personnes concernées par le non‑respect du droit aux vacances dans un esprit rassembleur. Elle est aussi une base de travail apportant des solutions politiques et techniques précises pouvant être reprises dans un cadre législatif ultérieur. Pour le droit aux vacances pour toutes et tous, il est possible d’agir : sur les moyens, pour assurer l’égalité de tous dans l’accès aux vacances, sur l’accompagnement culturel et pédagogique et sur le renforcement d’une offre de tourisme social et écologique .Il n’y a pas de liberté sans égale dignité des êtres humains. Ainsi, libérer le temps au moyen des congés payés ne suffit pas, il faut permettre à chacune et chacun de libérer son temps, de s’épanouir, de conquérir ses propres parcelles de bonheur. En soutenant ce texte, c’est le droit à la respiration individuelle et collective, au bonheur, au repos, et l’invention d’un futur désirable pour notre République sociale que peuvent réaliser les membres de la représentation nationale en ouvrant une ère de nouvelles conquêtes pour le temps libre, pour le temps libéré. Avec Léo Lagrange, nous croyons qu’il « ne faut pas tracer un seul chemin, il faut ouvrir toutes les routes ». Celle‑ci mérite d’être empruntée.

 


proposition de loi

Article 1er

Le premier alinéa de l’article 140 de la loi n° 98‑657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions est ainsi modifié :

1° à la fin de la première phrase, les mots : « objectif national » sont remplacés par le mot : « droit » ;

2° La seconde phrase est complétée par les mots : « et constitue un devoir de solidarité pour l’ensemble de la Nation ».

Article 2

Le service commun des caisses d’allocations familiales et des fédérations de caisses d’allocations familiales encadré par l’arrêté du 13 novembre 2002 relatif au service commun pour la gestion des centres familiaux de vacances des fédérations et des caisses d’allocations familiales est compétent pour l’ensemble des caisses d’allocations familiales et fédérations de caisses du territoire national.

Les critères applicables sont harmonisés. Les plus avantageux pour les bénéficiaires concernés sont retenus pour généralisation.

Il est créé un fonds national de soutien aux départs en vacances attribué aux caisses d’allocations familiales.

Ce fonds a pour mission de satisfaire à l’ensemble des demandes d’aides aux vacances pour les enfants et les aides aux vacances pour les demandeurs répondant aux critères fixés.

Le montant de ce fonds et sa répartition territoriale sont fixés annuellement par décret.

Article 3

Un guichet unique centralisant les informations relatives aux aides existantes pour faciliter les départs en vacances est créé. Il est accessible numériquement et dispose d’un point d’information physique dans chaque chef‑lieu de département. Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État.

Article 4

Après le quatrième alinéa de l’article 375‑7 du code civil, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« L’enfant effectue ses départs en vacances avec ses parents, sauf si une décision du juge motivée par l’intérêt de l’enfant en décide autrement. »

Article 5

L’article L. 345‑2‑2 du code de l’action sociale et des familles est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« L’hébergement d’urgence prend en compte, de la manière la plus adaptée possible, le droit aux vacances de la personne accueillie. Celle‑ci peut exercer son droit au départ en vacances, sur une durée raisonnable, sans perdre l’accès à son hébergement. »

Article 6

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport analysant l’impact qu’aurait la mise en place d’une campagne de sensibilisation au droit aux vacances et aux loisirs, ciblant notamment les jeunes les plus précaires et vulnérables, pour inciter ceux‑ci au départ en vacances et à l’utilisation des aides et dispositifs prévus à cette fin.

Article 7

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport documentant la diversité des aides aux départs en vacances, la proportion de personnes en étant exclues ainsi que la proportion de non‑recours à ces aides. Il formule des propositions pour permettre l’élargissement des aides et un meilleur recours aux aides existantes.

Article 8

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.