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N° 1587

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 juillet 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à adapter le code du travail aux conséquences
du réchauffement climatique,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Mathilde PANOT, Caroline FIAT, Nadège ABOMANGOLI, Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Ségolène AMIOT, Farida AMRANI, Rodrigo ARENAS, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Idir BOUMERTIT, Louis BOYARD, Aymeric CARON, Sylvain CARRIÈRE, Florian CHAUCHE, Sophia CHIKIROU, Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Jean‑François COULOMME, Catherine COUTURIER, Hendrik DAVI, Sébastien DELOGU, Alma DUFOUR, Karen ERODI, Martine ETIENNE, Emmanuel FERNANDES, Sylvie FERRER, Perceval GAILLARD, Raquel GARRIDO, Clémence GUETTÉ, David GUIRAUD, Mathilde HIGNET, Rachel KEKE, Andy KERBRAT, Bastien LACHAUD, Maxime LAISNEY, Antoine LÉAUMENT, Arnaud LE GALL, Élise LEBOUCHER, Charlotte LEDUC, Jérôme LEGAVRE, Sarah LEGRAIN, Murielle LEPVRAUD, Élisa MARTIN, Pascale MARTIN, William MARTINET, Frédéric MATHIEU, Damien MAUDET, Marianne MAXIMI, Manon MEUNIER, Jean Philippe NILOR, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, René PILATO, François PIQUEMAL, Thomas PORTES, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, Jean‑Hugues RATENON, Sébastien ROME, François RUFFIN, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Danielle SIMONNET, Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACH-TERRENOIR, Andrée TAURINYA, Matthias TAVEL, Aurélie TROUVÉ, Paul VANNIER, Léo WALTER,

député.e.s.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Je travaille de l’ordre de 10 à 14h/jour en cuisine en pleine saison. La température dans la pièce atteint parfois les 55°. C’est intenable. […] Sur plusieurs semaines consécutives, je ne crois pas que notre corps et notre esprit puissent encaisser un tel rythme. J’ai craqué la semaine dernière. Impossible d’éplucher une simple carotte ou d’égoutter du riz sans pleurer. Une fatigue monstre, suivie d’une déprime incroyable et totalement inhabituelle. Avec ma compagne, on aime qualifier cette mauvaise aventure comme étant une dépression "caniculaire". » Anaïs

« Mon ami a 32 ans et travaille dans le bâtiment à Toulouse […] Alors que la météo annonçait des températures supérieures à 40 degrés, ils ont quand même travaillé. Il me dit souvent que la température ressentie est encore plus élevée parce qu’ils travaillent avec de l’huile chaude, du goudron, il faut ferrailler. Un de ses collègues de 41 ans a fait un malaise mais ils ont dû continuer le travail, sans que cela inquiète le chef de chantier. Ce sont des conditions proches de l’esclavage. Certains chantiers autour d’eux ferment à 12h en prévision de la chaleur, mais leur responsable dit qu’il n’a aucune obligation légale de le faire et ça devrait changer. » Anonyme

 

5 millions de personnes meurent chaque année dans le monde de températures excessives. Jusqu’aux années 2010, le principal facteur était le froid. Désormais, c’est aussi le cas de la chaleur. En 2022, en France, sept personnes sont décédées des suites de la canicule sur leur lieu de travail.

Les effets de la chaleur sur la santé des travailleurs peuvent se manifester par des symptômes perturbant l’activité professionnelle tels que la fatigue, des sueurs abondantes, des nausées, des maux de tête, des vertiges, des crampes ; mais aussi des troubles plus importants et parfois mortels comme la déshydratation et le coup de chaleur qui peuvent survenir selon la pénibilité de la tâche et la durée de l’exposition.

Certes, ces accidents du travail mortels ne sont pas un phénomène nouveau. D’après les rapports de Santé Publique France, entre 2017 et 2021, 47 travailleurs seraient morts au travail des suites de l’exposition à de fortes températures. Santé Publique France précise que ce décompte est partiel, puisqu’il ne prend en compte que les personnes décédées sur leur lieu de travail. Ces phénomènes tragiques risquent de se multiplier à l’aune du réchauffement climatique. Les vagues de chaleur sont d’ores et déjà plus fréquentes et plus intenses en Europe. Dans un scénario à +2 degrés à la fin du siècle, ces phénomènes “exceptionnels” seront la norme. Ainsi, l’Europe subira de fortes chaleurs de mai à octobre, contre juin à septembre aujourd’hui et des pics de température à 50 degrés.

Des dispositions internationales encadrent ce sujet depuis plus d’un demisiècle. Par exemple, la Recommandation OIT n° 97 de 1953 sur la protection de la santé des travailleurs impose d’éviter les « brusques changements de température, ainsi que, dans la mesure où cela est possible, une humidité excessive, une chaleur ou un froid excessifs ». La Convention OIT n° 120 de 1964 sur l’hygiène (commerce et bureaux), signée par la France en 1972 et en vigueur, rappelle qu’ « une température aussi confortable et aussi stable que les circonstances le permettent doit être maintenue dans tous les locaux utilisés par les travailleurs. ». Elle est accompagnée d’une recommandation détaillée, qui dispose qu’ « aucun travailleur ne devrait être tenu de travailler habituellement dans une température extrême. En conséquence, l’autorité compétente devrait déterminer les normes de température, soit maximum, soit minimum, soit l’une et l’autre, suivant le climat, le genre de l’établissement, de l’institution ou de l’administration et la nature des travaux ». Elle impose aux employeurs de fournir des « installations appropriées (…) pour protéger les travailleurs contre tout apport intense de froid ou de chaleur, y compris la chaleur du soleil. » Finalement, « lorsque les travailleurs sont soumis à des températures très basses ou très élevées, des pauses, comprises dans les heures de travail, devraient être accordées, ou la durée journalière du travail devrait être raccourcie, ou d’autres mesures devraient être prises en leur faveur. »

Dans de nombreux pays, des réglementations ou des lois limitent le temps de travail en cas de températures trop élevées ou insuffisantes. En Chine, au titre des « régulations administratives sur les mesures portant contrôle des températures élevées » (juin 2012), le travail en extérieur est suspendu au‑delà de 40° C. Entre 37° C – 40° C, le travail en extérieur est limité à 6 heures par jour et suspendu pendant les 3 heures les plus chaudes de la journée. Au‑delà de 35° C, les heures supplémentaires sont interdites en extérieur. Ces suspensions sont payées au salaire normal.

C’est aussi le cas dans certains pays d’Europe. À Chypre, depuis 2012, des seuils de températures et d’humidité définis selon les types d’emploi (“léger”, “intermédiaire” ou “pénible”) rendent possible l’interdiction du travail à partir de 39° C. En Allemagne ou en Roumanie, les travailleurs, notamment du BTP, qui doivent cesser le travail pour cause de forte chaleur sont indemnisés par un fonds spécifique. En Espagne, l’Institut national d’hygiène et de sécurité au travail fixe des normes, dont le non‑respect permet la dénonciation à l’inspection du travail et de la sécurité sociale pour contrôle (17‑27° C pour un travail de bureau / 14‑25° C pour un travail physique).

De son côté, la France est en retard. L’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles alerte : à partir de 30° C dans les bureaux et de 28° C sur les chantiers il y a risque pour les travailleurs tandis qu’au‑delà de 33° C, il y a danger. Certes, l’article L. 4161‑1 du code du travail reconnaît les “températures extrêmes” comme facteurs de risques professionnels. Le droit de retrait prévu par l’article L. 4131‑1 du code du travail prévoit que « le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection. Il peut se retirer d’une telle situation. » De plus, l’employeur doit veiller à ce que les travailleurs «  Dans la mesure du possible : (…) a) soient protégés contre les conditions atmosphériques ; » (article R. 4225‑1 du code du travail). En outre, l’air doit être renouvelé et ventilé de façon à éviter « les hausses exagérées de température » dans des locaux fermés (article R. 4222‑1 du Code du travail) et de l’eau fraîche doit être mise à disposition pour les salariés travaillant en intérieur ou en extérieur (article R. 4225‑2 et R. 4225‑3 du code du Code du travail).

Mais, le code du travail français n’indique aucun seuil de température audelà duquel l’activité peut être réduite voire arrêtée. Certes, il « interdit aux employeurs d’affecter des jeunes aux travaux les exposant à des températures extrêmes susceptibles de nuire à leur santé » (art. D. 4153‑36 du code du travail). Pourtant, les températures extrêmes affectent tous les organismes, qu’ils soient jeunes ou plus âgés. Dans son instruction du 31 mai 2022, la Direction Générale du Travail rappelle tout de même « qu’aux termes de l’article R. 41211 du code du travail, les ambiances thermiques, dont le risque de fortes chaleurs”, ont vocation à être prises en compte dans le cadre de la démarche d’évaluation des risques » réalisées par les employeurs eux‑mêmes. Elle invite « les entreprises à adapter l’organisation du travail en prévision de fortes chaleurs » en portant une attention particulière « aux activités exposant davantage les travailleurs au risque de chaleur, telles que les activités en extérieur (BTP, travaux agricoles), la restauration, la boulangerie, les pressings, etc. »

À l’évidence, ces dispositions demeurent insuffisantes. En effet, en cas de vigilance rouge, cette évaluation par les employeurs doit être quotidienne. L’instruction du 31 mai 2022 rappelle qu’elle doit tenir compte « des risques d’exposition pour chacun de ses salariés en fonction de la température et de son évolution en cours de journée, de la nature des travaux devant être effectués, notamment en plein air et comportant une charge physique, et de l’état de santé des travailleurs. » Pour autant, « si l’évaluation fait apparaître que les mesures prises sont insuffisantes », c’est à l’employeur lui‑même de décider de l’arrêt des travaux. Quelles garanties que cela soit bien respecté par les employeurs ?

Pour protéger les travailleurs, il est temps d’adapter notre code du travail aux conséquences du réchauffement climatique. La Confédération européenne des syndicats a demandé l’instauration de « températures maximales de travail ». Cette proposition de loi entend mettre en œuvre cette revendication au niveau national en l’adaptant aux dispositifs existants. En outre, plutôt que des seuils de température uniques peu conformes aux réalités climatiques locales, cette proposition de loi s’appuie sur les dispositifs de vigilance météorologique “Canicule” par MétéoFrance (niveau 3 - vigilance orange désignant une canicule et niveau 4 - vigilance rouge désignant une canicule extrême) activés par département selon des barèmes définis avec l’Institut national de veille sanitaire (INVS).

Se pose également la question de l’indemnisation des heures nontravaillées. Dans son instruction du 31 mai 2022, la Direction Générale du Travail a étendu la possibilité pour les entreprises de bénéficier du dispositif d’activité partielle en cas d’activation de la vigilance orange ou rouge. Or, les vagues de chaleur ne peuvent plus être qualifiées d’aléas climatiques exceptionnels. En conséquence, la perspective d’une indemnisation par l’État de toutes les heures non‑travaillées pour cause de températures trop élevées ou insuffisantes ne peut être considérée comme satisfaisante. Le BTP s’est doté de “caisses régionales intempéries” (articles L. 5424‑8 et suivants du code du travail) abondées par les cotisations chômage intempéries payées par les entreprises. Les conditions climatiques ouvrant droit à indemnisation des heures de travail non effectuées ont été précisées par des lettres ministérielles du 20 janvier et du 15 avril 1947. Mais la canicule ne faisait pas partie des circonstances identifiées à l’époque et n’est aujourd’hui retenue qu’au cas par cas. Cela doit être corrigé. Le dispositif de ‘caisses intempéries’ pourrait en outre être étendu à d’autres professions exposant davantage les travailleurs au risque de températures trop élevées.

L’article 1er introduit un nouveau chapitre relatif à la prévention des risques d’exposition aux températures extrêmes dans le code du travail. Les dispositions qu’il contient permettent :

– d’interdire de soumettre un travailleur à une activité en cas d’activation du niveau 4 de vigilance météorologique, hors professions déterminées par décret ;

– limite à 6 heures par jour le temps de travail en cas d’activation du niveau 3 de vigilance météorologique, hors professions déterminées par décret ;

– prévoit des temps de pause réguliers sans perte de salaire lorsque la température dépasse un certain seuil sur un lieu de travail intérieur ou extérieur.

L’article 2 permet aux agents de contrôle de l’inspection du travail de faire procéder à des arrêts temporaires de travaux ou d’activité sur un chantier du bâtiment ou de travaux publics en cas de conditions atmosphériques présentant des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs.

L’article 3 élargit la récupération des heures non‑travaillées aux cas d’interruption du travail résultant de conditions atmosphériques présentant des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs.

L’article 4 précise les conditions ouvrant droit à l’indemnisation des salariés du bâtiment et des travaux publics privés d’emploi du fait d’intempéries.


proposition de loi

Article 1er

Après le chapitre Ier du titre VI du livre IV du code du travail, il est inséré un nouveau chapitre ainsi rédigé :

« Chapitre I bis

« Prévention des risques d’exposition aux températures extrêmes

« Art. L. 44621  En cas d’activation du niveau 4 de vigilance météorologique départemental, l’employeur prend les mesures nécessaires pour permettre aux travailleurs d’arrêter temporairement leur activité sans perte de salaire.

« Art. L. 44622  En cas d’activation du niveau 3 de vigilance météorologique départemental, le temps de travail journalier ne peut excéder six heures. L’employeur prend les mesures nécessaires d’aménagement du poste de travail, incluant un recours possible au télétravail.

« Art. L. 44623  En cas de température supérieure à 33° C sur un lieu de travail intérieur ou extérieur, le travailleur bénéficie d’un temps de pause d’une durée de vingt minutes consécutives toutes les deux heures sans perte de salaire. En cas de température supérieure à 28° C sur un lieu de travail extérieur et supérieure à 30° C sur un lieu de travail intérieur, le travailleur bénéficie d’un temps de pause d’une durée de dix minutes consécutives toutes les deux heures sans perte de salaire.

« Art. L. 44624  Les modalités d’application des articles L. 4462‑1 à L. 4462‑3 sont déterminées par décret en Conseil d’État pris en application de l’article L. 4111‑6. »

Article 2

L’article L. 4731‑1 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« 7° Soit de conditions atmosphériques présentant des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs ou en cas de force majeure. »

Article 3

Au 1° de l’article L. 3121‑50 du code du travail, après le mot : « intempéries », sont insérés les mots : « , de conditions atmosphériques présentant des risques pour la santé et la sécurité des travailleur ».

Article 4

À l’article L. 5424‑8 du code du travail, après le mot : « atmosphérique », sont insérés les mots : « , incluant des températures trop élevées ou insuffisantes, ».